" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 19 août 2016

Le Concile de Vatican II : le décret de l'oecuménisme

Le Concile de Vatican II a pour but de faire entrer l’Église catholique dans le mouvement œcuménique au sens moderne du terme. Lors des discours d'ouverture, les Papes Jean XXIII puis Paul VI affirment la ferme volonté de travailler à l’Unité des Chrétiens. La constitution dogmatique Lumen Gentium est un des textes fondateur de cette nouvelle politique. Elle définit ce qu’est l’Église et ce que sont les églises et communautés chrétiennes par rapport à l’Église et à l’Église catholique[1]. Un autre texte traite plus précisément l’œcuménisme. Il est la continuation de Lumen Gentium. C’est le décret Unitatis Redingratio[2], promulgué le 21 novembre 1964. Remarquons qu’il est le premier texte officiel entièrement consacré à ce sujet.

Aider les chrétiens à œuvrer pour l’œcuménisme

Le décret rappelle la division des Chrétiens qui tous professent leur fidélité à l’égard de Notre Seigneur Jésus-Christ tout en ayant des attitudes différentes. Les conséquences sont évidentes. Une telle division est pour le monde un objet de scandale et se présente comme un obstacle à la prédication de l’Évangile. Elle s’oppose évidemment à la volonté de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Mais selon toujours le décret, le contexte est favorable pour faire cesser ces divisions. Dieu « a commencé en ces derniers temps de répandre plus abondamment dans les chrétiens divisés entre eux l’esprit de repentir et le désir de l’union. »(1) Cette grâce serait la cause des mouvements œcuméniques.

Le texte a donc pour but d’aider les catholiques à participer au vaste mouvement œcuménique qui se manifeste dans le monde. Il propose plus exactement « les secours, les orientations et les moyens qui lui permettront à eux-mêmes de répondre à cet appel divin de la grâce. »(1)

Qu’est-ce que le mouvement œcuménique ?

Le décret définit « mouvement œcuménique » comme le mouvement vers l’unité de tous les Chrétiens, ou encore « les entreprises et les initiatives provoquées et organisées en faveur de l’unité des chrétiens, selon les nécessités variées de l’Église et selon les circonstances. »(4)

Ce mouvement ne comprend pas tous les Chrétiens. Il concerne uniquement « ceux qui invoquent le Dieu Trinité et confessent Jésus pour Seigneur et Sauveur »(1), qu’ils soient individus ou réunis en communautés. Ils aspirent aussi à une Église une et universelle.

Les principes de l’œcuménisme

Le premier chapitre définit les principes de l’œcuménisme. Il rappelle d’abord l’unité de l’Église. Elle est l’œuvre de Notre Seigneur Jésus-Christ qui en demeure aussi le principe. Il a institué le sacrement de l’Eucharistie qui l’exprime et la réalise. Il a fondé l’Église pour unir le peuple de la Nouvelle Alliance. Le Saint Esprit réalise la communion des fidèles et les unit dans le Christ, œuvrant pour construire le Corps du Christ, pour « établir en tout lieu son Église sainte jusqu’à la consommation des siècles »(2), Notre Seigneur Jésus-Christ a édifié l’Église sur Saint Pierre, porteur des clefs du Royaume. Il réalise l’unité de l’Église par la profession d’une seule foi, par la célébration commune d’un même culte, par la charité.

Œuvrer à la « pleine communion »

Cependant, le décret rappelle que, dès l’origine et au cours du temps, sont apparues des scissions et des divisions au sein du christianisme. Certaines d’entre elles persistent encore de nos jours.

Le décret traite des chrétiens qui sont nés dans les communautés chrétiennes séparées de « la pleine communion » de l’Église catholique. En effet, il est important de distinguer ceux qui se sont séparés de l’Église et ceux qui sont nés dans la division.

Or « ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique. »(3) Le mouvement œcuménique tend alors à surmonter les divergences qui font obstacle à « la pleine communion ». « Justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens et les fils de l’Église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur. »(3) Le décret justifie ainsi le terme aujourd’hui classique de « frère séparé ».

Les « frères séparés » sont ainsi incorporés au Christ sans être pourtant incorporés à l’Église catholique. Nous en déduisons donc que l’Église catholique ne forme pas le Corps du Christ. Nous retrouvons la fameuse doctrine de la constitution dogmatique Lumen Gentium selon laquelle l’Église subsiste dans l’Église catholique.

Le retour de la doctrine « subsiste dans »

Les liens qu’évoquent brièvement Lumen Gentium pour justifier la communion imparfaite entre les chrétiens sont précisés dans le décret. En effet, l’Église catholique, dans ses limites visibles, ne possède pas seule des éléments et des biens « desquels l’Église se construit et est vivifiée » comme « la parole de Dieu écrite, la vie de la grâce, la foi, l’espérance », etc. Ces éléments présents ailleurs sont « plusieurs et même beaucoup, et de grande valeur »(3). Parmi ces biens, se trouvent des dons de l’Esprit Saint. Tout cela appartient à l’unique Église du Christ. Cependant, le décret rappellera que les églises ou communautés des frères séparés sont « victimes de déficiences »(3).

Que désigne la forme visible de l’Église catholique ? Selon le décret, il rassemble ceux qui sont incorporés à l’Église catholique par le baptême. Il est différent du « cœur » de l’Église qui est formé par ceux qui sont unis à Notre Seigneur Jésus-Christ. La plénitude des grâces se situent donc dans ce cœur. Le décret rappelle en effet que « la plénitude de grâce et de vérité […] a été confiée à l’Église catholique. »(3) L’Église catholique possède les « moyens généraux du salut »(3).

Or le culte « chez nos frères séparés » peut « produire effectivement la vie de la grâce […] qu’ils ouvrent l’entrée de la communion du salut. ». En clair, par leur culte, les frères séparés pourraient appartenir au cœur de l’Église. Mais remarquons qu’ils peuvent obtenir des grâces non directement par Notre Seigneur Jésus-Christ mais par le culte lui-même comme dans l’Église catholique. Selon la doctrine de l’Église, le chrétien séparé peut en effet recevoir des grâces mais jamais en raison de la religion à laquelle il appartient. Elle ne peut être la cause des grâces qu’il reçoit. Nous pourrions dire qu’il reçoit des grâces malgré elle. Comme nous l’avons déjà évoqué[3], avant le concile de Vatican II, l’Église évoque le sort du chrétien quand le concile traite plutôt du sort des églises et communautés. Nous ne sommes pas dans la même perspective.

C’est pourquoi en toute logique le décret en déduit que « ces Églises et communautés séparées […] ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère de salut. »(3) Les églises et communautés séparées seraient des moyens au service de Notre Seigneur Jésus-Christ pour sauver des fidèles séparés. Néanmoins, le décret souligne que la force du salut provient de l’Église catholique. Sa cause ou son efficacité – le terme de force est plutôt flou - ne réside pas dans ces Églises et communautés séparées.

Cependant, en dépit de la valeur de ces églises et communautés, les frères séparés ne jouissent pas de l’unité voulue par le Christ puisqu’ils n’appartiennent pas à l’Église catholique qui seule a été édifiée pour cela.

Un œcuménisme concret

Le concile demande aux catholiques de reconnaître « les signes du temps », c’est-à-dire ce temps de grâces pour l’unité des Chrétiens, et à y participer. Ce temps favorable est fortement souligné dans les textes conciliaires comme dans les documents post-conciliaires, notamment ceux de Jean-Paul II. Le décret définit ensuite les actions la favorisant ou évitant d’accentuer la division.

De manière pratique, cela consiste :

  •          à supprimer tout ce qui peut marquer un manque de respect et de justice à l’égard des frères séparés ;
  •          à faire mener les « dialogues » par des experts et à présenter de manière claire la doctrine de sa communauté ;
  •          à s’unir dans des actions et des prières en commun ;
  •          à faire un examen de conscience pour un effort soutenu de rénovation et de réforme.

Il s’agit ainsi de faire croître la connaissance et l’estime mutuelle tout en évitant d’accentuer les tensions qui peuvent exister avec les frères séparés. Le but est de parvenir à la communion eucharistique.

L’œcuménicité passe aussi par l’exemplarité des catholiques. Ils doivent tendre vers la perfection « de sorte que l’Église, portant dans son corps l’humilité et la mortification de Jésus, se purifie et se renouvelle »(4) jusqu’à l’arrivée de Notre Seigneur Jésus-Christ.

« Il faut avant tout cultiver la charité. »(4) Le décret demande aux catholiques, selon la fonction qu’ils occupent, de « conserver la liberté voulue » au sein de l’Église notamment dans la variété des rites théologiques et même dans l’élaboration théologique de la vérité révélée, tout « en conservant l’unité dans ce qui est nécessaire ». Nous pouvons aujourd’hui comprendre ce que peut faire cette « liberté » livrée à elle-même dans un cadre œcuménique. Cependant, à plusieurs reprises, le décret demande de la prudence.

Les catholiques doivent aussi reconnaître les richesses chrétiennes qui se trouvent chez les frères séparés.

Les différents exercices œcuméniques

Le décret nous donne les exercices classiques du mouvement œcuménique : la conversion, la prière en commun, dit encore « œcuménisme spirituel », la connaissance mutuelle et la formation (« œcuménisme intellectuel »). Plus loin, il évoque l’ « œcuménisme pragmatique », c’est-à-dire la collaboration des chrétiens dans des œuvres sociales, charitables, etc.





Cependant, ces exercices réclament de la prudence. La prière commune nécessite des instructions de la part des évêques ou du Saint Siège. Ce n’est pas un « moyen à employer sans réserve »(8). Pour mieux connaître les autres religions, les catholiques doivent les étudier avec « loyauté et bienveillance ». Ils peuvent se réunir avec les frères séparés mais « sous la vigilance des évêques »(9) et sous condition qu’ils soient compétents. Les prêtres doivent être particulièrement formés.

Présentation de la doctrine de la foi

S’il demande que la présentation de la doctrine de la foi ne soit pas un obstacle au dialogue avec les frères séparés en évitant notamment des termes polémiques, le décret demande qu’elle soit exposée intégralement, sans « faux irénisme »(11). Il faut utiliser « une manière de parler et un langage qui soient facilement accessibles même aux frères séparés. »(11) Les textes conciliaires en sont un parfait exemple.

Présentation des frères séparés

Le décret s’achève en présentant les deux catégories de frères séparés, les Orientaux et les Protestants. Il souligne les biens qui se trouvent dans leurs églises sans négliger les différences qui les séparent des Catholiques. Le but est bien de « souligner certains points qui peuvent et doivent servir de base et de point de départ au dialogue »(19). C’est l’application des conseils donnés précédemment.

Conclusion

L’ « activité œcuménique ne peut être, en effet que pleinement et sincèrement catholique, c’est-à-dire fidèle à la vérité reçue des Apôtres et des Pères, et conforme à la foi que l’Église catholique a toujours professée. »(24) Tout ne serait donc qu’objet de forme et d’attitude. Mais le fond est-il vraiment dépendant de la forme ? Que devient cet esprit œcuménique s’il n’est pas guidé par la prudence et la vigilance ? Que devient le mouvement œcuménique quand le dialogue en devient une fin ?

Essayons loyalement d'examiner ce temps de dialogue. Au nom du mouvement œcuménique, des mots ont été censurés, des doctrines bâillonnées, des traditions bafouées. Des gestes ont soulevé des cœurs et scandalisé des âmes. Des images demeurent encore vivaces dans nos mémoires. La réalité est aujourd’hui terrible. Les années qui ont suivi le second concile de Vatican font partie de ces années noires de l’Église, que les générations futures regarderont certainement avec honte… Péché d’optimisme ? Utopisme ? Naïveté ? Les textes conciliaires ont certainement manqué de rigueur et de clarté. Il n’est pas bon d’être si équivoque et imprécis dans des domaines si difficiles et importants. Le Saint Siège a aussi manqué de force et d’autorité pour contrôler ce qu’il a naïvement ouvert. La prudence et la vigilance ont cruellement manqué…




Notes et références  
[1] Voir Émeraude, juillet 2016, article "Le Concile de Vatican II: Lumen Gentium, source d'interrogation et d’inquiétude".
[2] Décret de Oecumenismo, Unitatis Redintegratio, texte latin dans les Acta Apostolicae Sedis (1965) et dans les Constitutiones, Decreta, Declarationes, traduction établie par le Secrétariat pour l’Unité des Chrétien et publié par l’Observatore Romano (édition française), le 11 décembre 1964 dans Vatican II, Les seize documents conciliaires, nouvelle édition, édition Fides.
[3] Voir Émeraude, juillet 2016, article "Mouvement œcuménique expression "subsistit in" dans Lumen Gentium".

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