Selon certains Pères de
l’Église, Notre Seigneur Jésus-Christ prédit le siège et la ruine de Jérusalem,
une guerre atroce au cours de laquelle le peuple juif subira la furie romaine.
Dans ses paroles, nous ne pouvons pas non plus ne pas voir la prédiction des
calamités qui s’abattront sur les chrétiens. À plusieurs reprises, Notre
Sauveur annonce un temps de douleurs et de souffrances. Il ouvre notamment une
ère de lutte avec les païens, un conflit qui va durer de 64 à 311.
C’est cette histoire des persécutions que nous allons rapidement décrire. Ce
résumé permettra de mieux apprécier le caractère miraculeux de la diffusion du
christianisme.
À la suite de Saint
Augustin, nous fixons généralement à dix le nombre des persécutions, sans doute par analogie avec les dix plaies d’Égypte ou avec les dix
cornes de la bête de l’Apocalypse. « Et
je vis une femme assis sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, et
qui avait sept têtes et dix cornes. Cette femme […] tenait à la main une coupe
d’or, remplie d’abominations et des souillures de prostitution. […] Je vis
cette femme ivre du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus »
(Apocalypse,
XVII, 3-6). Les dix persécutions[1]
ne désignent que celles qui ont été ordonnées par les empereurs et qui, à ce titre, tout au moins en principe,
ont un caractère universel. Mais il ne faut pas oublier la violence des foules
et les persécutions qu’ont menées des gouverneurs de leurs propres initiatives,
généralement sous l’influence des passions populaires. Certains historiens[2]
comptent cent vingt-neuf ans de persécution et cent vingt années de paix
relative et très précaire sur les trois premiers siècles.
« Qu’il n’y ait plus
de chrétiens. »
Il est classique de
commencer l’ère des persécutions par Néron, empereur de 54 à 68. Mais un fait
plus récent révèle déjà la situation des chrétiens dans l’Empire romain. Un
sénatus-consulte de Claude réprime des chrétiens dans des heurts qui opposent
des Juifs (cf. Act. Ap., XVIII, 2). Dans une lettre de l'empereur aux Alexandrins, écrite en l'an 41, le christianisme aurait été comparé à une maladie, à « un fléau commun à tout l'univers »[26]. Selon une autre interprétation, Claude parlerait de la guerre.
Pour notre sujet, il n’est
guère important de savoir si l’empereur est véritablement responsable de
l’incendie. Laissons cette question aux historiens. Retenons simplement que les
chrétiens sont accusés d’un crime punissable de mort. Certes, la peur guide
l’empereur. Il a pourtant œuvré pour secourir les victimes et entreprendre
rapidement la construction de la ville. Mais dans l’opinion publique, il est
désigné comme le véritable incendiaire. Les chrétiens lui fournissent une belle
diversion. Car ne sont-ils pas accusés du crime « des hommes abhorrés pour leurs infamies et convaincus de nourrir la
haine du genre humain », nous dit Tacite. Ce sont de belles victimes
pour apaiser la populace. Le christianisme est considéré comme une « exécrable superstition ». On livre
des proies à sa haine et à son goût démentiel des spectacles.
Selon encore Tacite, une
multitude de chrétiens est en effet livrée à de terribles supplices. On les torture, décapite, crucifie. Dans les
jardins du Vatican, on assiste à d’effroyables scènes. « Les uns furent cousus dans des peaux de
bêtes et dévorés par des torches, d’autres furent attachés à des croix ;
d’autres furent allumés comme des torches pour servir de lumière pendant la nuit.
Néron avait prêté ses jardins à ce spectacle, se mêlant lui-même parmi le
peuple en habit de cocher ou conduisant un char. »[5]
Les cirques de Néron sont le lieu de scènes les plus barbares et de jeux les
plus abominables. Scènes de mythologie, jeux cruels dans les cirques, corps
livrés aux bêtes… « Quoique ces hommes fussent coupables et
eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion,
en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul,
qu'ils étaient immolés. »[6]
Parmi les victimes, citons Saint Pierre et Saint Paul.
La persécution ne se
limite pas à la ville de Rome. Saint Pierre évoque en effet dans une de ses
lettres diverses épreuves que connaissent les chrétiens du Pont, de la Galatie,
de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie. La persécution cesse avec la mort
de Néron.
Selon Tertullien, Néron aurait
promulgué des lois contre les chrétiens mais nous ne les possédons pas. Les
simples pouvoirs de police que possèdent les magistrats romains suffisent-ils
pour châtier les chrétiens coupables d’avoir incendié Rome ? Ou est-ce par
des manifestations populaires que des magistrats se trouvent dans l’obligation
de les punir ? Ou est-ce « en
vertu des vieilles lois ou, si l'on veut, du vieux droit coutumier de Rome en
matière religieuse que les magistrats romains ont condamné les tenants de la
nouvelle secte considérée comme une superstitio illicita »[7].
Retenons simplement qu’il n’est pas permis d’être chrétien. Tel est le principe
juridique qui finalement s’imposera dans l’empire romain.
Sous Domitien (81-96), les
chrétiens ne sont persécutés que durant les deux dernières années. La raison
est leur refus de payer la didrachme. Depuis la destruction du Temple, les
Juifs doivent payer un impôt à Rome pour l’entretien du temple de Jupiter. Or
multipliant les dépenses, l’empereur a besoin d’argent. Le trésor impérial
s’épuise. La taxe est donc étendue à tous ceux qui « vivent selon la vie judaïque »[8].
Mais les chrétiens ne veulent pas la payer pour ne pas être assimilés aux
Juifs, considérant que cela reviendrait à une abjuration. Ils sont alors de ce
fait accusés de novateurs et d’athéisme et donc condamnées à mort, ou au
bannissement et à la confiscation des biens. Selon Hégésippe, Domitien craint
« comme Hérode, la venue du Christ »[9].
Il a ainsi ordonné de rechercher tous les descendants de la race de David.
Parmi les chrétiens,
Domitien découvre des hommes de haut rang, notamment son propre cousin qu’il
destine à l’empire, Flavius Clemens, consul. Il est exécuté. Son épouse, Flavia
Clemens est reléguée dans l’île Pandataria, sa nièce, Flavia Domitilla, dans
l’île Pontia. Elles sont condamnées pour crime d’athéisme[10],
c’est-à-dire pour ne pas honorer les dieux de l’Empire. « Domitien fit périr un grand nombre de
sénateurs et mêmes quelques consulaires, parmi lesquels, comme coupables de
nouveautés, Civius Cerealis, alors proconsul d’Asie, Savidienus Orfitus,
Acilius Glbrio, déjà exilés »[11].
Saint Jean est exilé à Patmos dans une des îles de la mer d’Égée. L’Apocalypse
évoque quelques tribulations que les chrétiens ont subies. La mort de Domitien,
en 96, fait cesser la persécution.
À Bithynie, sous
l’empereur Trajan (98-117), des païens, jaloux que leurs fêtes ne soient plus
suivies, dénoncent des chrétiens au gouverneur Pline le Jeune. Les communautés
chrétiennes se multiplient, faisant reculer le paganisme. Les temples sont
désertés. Le commerce des animaux destinés aux sacrifices subit une crise. Les
chrétiens de la ville ont alors le choix entre l’abjuration de leur foi et la
mort. La plupart préfère la mort. Vers l’automne de l’année 111 ou 112, ému, le
gouverneur écrit à l’empereur pour lui demander une ligne de conduite. « Je ne sais sur quoi tombe l'information que
l'on fait contre eux, ni jusqu'où l'on doit porter leur punition. »[12] Effectivement, il nous rappelle que pour sanctionner, il faut des lois. Il faut
légitimer la persécution contre les Chrétiens.
Trajan répond qu’il
n’est pas nécessaire de rechercher les chrétiens et que tous ceux dénoncés et
convaincus doivent être punis. Ils peuvent néanmoins être pardonnés s’ils
prouvent le contraire, par exemple, par des supplications aux dieux. Il lui
demande aussi de ne pas prendre en compte des dénonciations anonymes. En
principe, la législation laisse les Chrétiens à la discrétion des gouverneurs
de provinces et aux autorités de chaque ville. Cela explique le caractère local
des persécutions.
Ainsi Trajan maintient
l’interdiction du christianisme par respect pour la loi prohibitive portée par
Néron mais les chrétiens ne sont pas assimilés à des criminels puisque le nom
seul est répréhensible. En reniant la secte, le délit disparaît. Telle est la
situation juridique des chrétiens que définit le rescrit de Trajan. La
profession du christianisme est le crime des Chrétiens. Il est considéré comme
religion illicite. Nous revoilà de nouveau à l’accusation de Néron. Le rescrit
révèle une certaine habilité : « gracier
les apostats, n’était-ce pas le bon moyen de combattre le christianisme, et en
refusant créance aux accusations anonymes n’assurait-on pas la tranquillité
publique ? »[13]
Le rescrit est néanmoins contradictoire. « Trajan défend de rechercher les chrétiens comme innocents, et il
ordonne de les punir comme coupables ! »[14]
Sous son règne, la
situation des Chrétiens s’aggrave. Les assemblées et les associations nocturnes
sont interdites. Cette loi vise essentiellement les chrétiens qui tenaient
leurs réunions la nuit.
Parmi les victimes de
Trajan, nous pouvons citer le Pape Saint Clément, Saint Ignace, évêque
d’Antioche, Saint Siméon, évêque de Jérusalem. Dans la Passion de Saint
Clément, nous apprenons que deux mille chrétiens sont condamnés aux travaux de
l’extraction du marbre, dans la Chersonèse, en Crimée, ce qui ne leur empêche de
construire une église et de convertir des païens.
Stricte application du
rescrit de Trajan
Saint Polycarpe |
Une certaine détente semble
néanmoins avoir existé sous les empereurs Hadrien et Antonin le Pieux
(138-161). Leur sort dépend en fait du bon plaisir des empereurs et du tumulte
populaire. Saint Polycarpe est une des victimes du règne d’Antonin le Pieux. Il
est accompagné de quatorze autres chrétiens.
Sous le règne d'un philosophe
Sous Marc-Aurèle
(161-180), la situation des Chrétiens s’aggrave. La persécution reprend avec
vigueur vers la fin de son règne sous la pression de la population qui rend les
chrétiens responsables de différentes calamités comme la famine, la guerre, le
débordement du Tibre.
L’empereur déteste les
Chrétiens. Philosophe, il la reconnaît comme le plus redoutable ennemi de la
religion romaine qu’il tente de relever en la dotant d’une philosophie élevée. La
législation est donc rigoureusement appliquée. Cependant, la persécution est
limitée à Rome, en Afrique et en Gaule. Sainte Félicité est sacrifiée en 162,
Saint Justin l’année suivante. Sainte Cécile, épouse du patricien Valérien, est
aussi condamnée quelques années plus tard. Lyon est une des villes où la
persécution est une des plus sanglantes. Marc-Aurèle y intervient directement.
Parmi les martyrs lyonnais, nous pouvons citer Saint Pothin, l’évêque de Lyon,
Sainte Blandine. Saint Justin et Sainte Cécile meurent martyrs sous le règne de
Marc-Aurèle.
Les Chrétiens connaissent ensuite une ère de paix relative à partir du règne de Commode. Son épouse Marcia est chrétienne. Elle intervient pour adoucir le sort des Chrétiens. Cependant, les lois contre le christianisme ne sont pas abrogées mais suspendues ou négligées. Mais des chrétiens meurent martyrs comme le Pape Éleuthère ou le sénateur Apollonius.
Le IIIème siècle, une
nouvelle phase dans les persécutions
Sainte Félicité |
Les persécutions
dépendront en effet encore fortement de l’empereur et du tempérament des
magistrats. À un persécuteur acharné peut succéder un empereur tolérant ou
bienveillant. La mort de Septime Sévère arrête la persécution et ses
successeurs ne manifestent aucune hostilité à l’égard des chrétiens. Élagabal
(218-222) et Alexandre Sévère (222-235) sont plus intéressés à une nouvelle
religion syncrétique qu’à poursuivre le christianisme.
Mais Alexandre Sévère
casse la loi de Néron. Par conséquent, les Chrétiens ont désormais le droit
d’association. Une citation d’Alexandre est significative. Dans un procès entre
l’église de Rome et la corporation des cabaretiers, il aurait dit :
« mieux vaut que Dieu soit adoré
d’une manière quelconque en ce lieu que d’en faire dons aux cabaretiers. »[19]
Il reconnaissait implicitement d’une part le droit de l’Église à ester en
justice et d’autre part le droit d’adorer Dieu à sa manière. Selon certains
historiens[20],
l’empereur lui reconnaîtrait aussi probablement le droit de se doter de
propriétés. Finalement, il prend acte de la réalité communautaire du
christianisme.
Mais la fureur populaire
contre les Chrétiens ne s’éteint guère. Le Pape Calliste est défenestré et
lapidé lors d’une émeute à Rome en 222.
Une politique
réactionnaire
De nouveau, sous Maximin
(235-238), les persécutions reprennent. Selon Eusèbe, l’empereur persécute les
chrétiens « par haine de l’entourage
d’Alexandre-Sévère »[21]
car son prédécesseur, Alexandre Sévère, les a favorisés. La terreur remplace la
tolérance…
La persécution s’avère beaucoup
plus habile et efficace que celles de ses prédécesseurs. Il « ordonne de mettre à mort seulement les chefs
de l’Église comme responsables de l’enseignement de l’Église. »[22]
Il poursuit donc les autorités de l’Église et les docteurs, tentant par là à
désorganiser l’Église. Comprenant le fonctionnement de l’Église, il la frappe au
cœur. Que deviendra-t-elle sans ses évêques, sans Pape ?
Mais à cette époque,
l’Empire romain est dans un état d’anarchie, certaines régions ayant fait
sécession. Son édit a-t-il vraiment été appliqué ? Le Pape Pontien est
exilé avec son adversaire, le prêtre Hippolyte. Le Pape saint Anthère,
successeur de Pontien, meurt martyr. En Orient, dans la Cappadoce et le Pont,
la persécution est terrible.
De nouveau, en 288, la
mort de l’empereur fait cesser la persécution étatique. Avec l’empereur
Philippe (244-249), le « très doux
empereur Philippe », comme l’appelle Saint Denys d’Alexandrie, le
christianisme connaît certaines faveurs. L’Empire romain se réconcilie avec
l’Église. Époux d’une chrétienne, il soulage les Chrétiens et les libère. Était-il
lui-même chrétien ? Leur situation sociale s’améliore. Comme le constate
Origène, « dans un monde qui les
haïssait, les chrétiens vivent en paix. »[23]
Martyrs envoyés en mer
sur un vaisseau plein de combustibles
auxquels on a mis le feu.
|
En arrivant au pouvoir, Dèce
(249- 251) veut détruire le christianisme qu’il considère comme l’ennemi du paganisme.
Il est en effet convaincu que la religion romaine est le soutien de l’Empire.
Voulant être le gardien des traditions romaines, il applique donc méthodiquement
une politique farouchement païenne et conservatrice au nom de l’État qu’il
adore.
En 250, il publie un édit
qui rallume la persécution. Cette fois-ci, elle est générale, systématique. Tous
les chrétiens de l’empire sont tenus de se présenter à jour fixe pour offrir un
sacrifice aux dieux de l’empire puis abjurer leur foi au Christ et enfin
prendre part à un repas païen au cours duquel ils doivent manger de la viande
de victimes immolées et boire du vin consacré aux idoles. Ceux qui consentent
reçoivent un certificat sauveur. Ceux qui refusent sont jetés en prison. Ces
derniers sont ensuite soumis à la torture et si les supplices ne les conduisent
pas à l’abjuration, ils sont punis de l’exil ou de la mort. Leurs biens sont
confisqués.
Il ne s’agit pas de tuer les
Chrétiens mais de les faire apostasier pour en faire de vrais Romains. Implacable
par sa précision et par la formidable pression appliquée, l’édit se montre
particulièrement efficace bien qu’elle ne dure qu’un an. Nombreux sont en effet
les apostats. L’ordre est formel et universel. Aucune initiative n’est laissée
aux magistrats. La persécution doit sévir à la fois sur tous les points de
l’empire romain. Effectivement, la procédure est menée partout avec soin. Tout
est bon pour séduire les Chrétiens et réduire leur résistance. « Les juges s’affligent si les tourments sont
supportés avec courage, mais leur allégresse est sans bornes lorsqu’ils peuvent
triompher d’un chrétien. »[24]
On vit des scènes odieuses et cruelles, dignes de Néron. Le Pape Saint Fabien
est l’un des premiers martyrs. Il est noté que pendant plus d’un an, Dèce
empêche la réélection de son successeur. Les apostats sont nombreux, les
martyrs également. Notons que c’est en fuyant la persécution qu’un certain Paul
invente le monachisme…
Mais de nouveau, la
politique romaine change encore avec l’arrivée d’un nouvel empereur. Valérien se
montre tolérant à l’égard du christianisme. Le palais impérial est même ouvert
aux fidèles. Saint Denys d’Alexandrie s’enthousiasme de le voir ressembler à
une église. Mais après trois ans de règne, volte-face terrible. Valérien se
change en véritable persécuteur. Il reprend brutalement la persécution,
sans-doute sous l’influence de son entourage, d’un de ses conseillers
fanatiques. On le persuade que la situation catastrophique que connaît l’Empire
est de la faute des Chrétiens. Puis la crise financière qui s’abat sur Rome
pourrait être résolue en confisquant la richesse supposée de l’Église. Mais il
est conscient qu’il ne peut pas détruire le christianisme en faisant apostasier
tous ses membres. Il s’attaque alors aux assises de la société chrétienne.
Valérien publie un premier
édit en 257. Il n’est pas directement dirigé contre les Chrétiens pris
individuellement mais contre la société chrétienne. Le premier édit demande aux
chefs de l’Église d’adhérer officiellement aux dieux de l’État tout en
conservant, s’ils le veulent, le culte qu’ils rendent au Christ. Il ne demande
aucune abjuration. Les chefs qui refusent d’adhérer aux cultes nationaux sont
bannis hors de l’empire romain. Finalement, on éloigne les évêques et les
prêtres des fidèles. En outre, l’édit rend illicite l’Église en tant
qu’association. Remarquons que pour la première fois, l’Église est reconnue
implicitement comme société. Elle acquière une visibilité juridique. Cette
interdiction revient à interdire les lieux de culte et la fréquentation des cimetières.
Selon le droit romain, toute tentative de fondation ou de reconstitution
d’association illicite est comparable à un crime, punissable de mort. Un
chrétien fréquentant un cimetière ou tenant une assemblée religieuse est soit
condamné à mort, soit punissable de travaux forcés. En clair, sans déchaîner la
foule, Valérien vise à diluer tous les liens entre les chefs de l’Église et les
fidèles, et la forme sociale de l’Église. Sans s’attaquer directement aux
chrétiens, il les atteint donc mortellement. Parmi les exilés de cet édit, on
peut citer Saint Cyprien de Carthage, Saint Denys d’Alexandrie et le Pape Saint
Etienne qui y trouve la mort.
L’édit est peu efficace.
Les évêques parviennent à garder contact avec les fidèles. En outre, des nobles
et des riches accordent protection aux fidèles. En 258, un deuxième édit,
aggravant le premier, est alors promulgué. L’exil est remplacé par la mort, qui
peut être infligée sur le champ, sans aucune forme de procès. Les nobles,
chevaliers, sénateurs, qui continuent de professer le christianisme sont déchus
de leur dignité, dépouillés de leurs biens et décapités. Les femmes de même
rang sont exilées. Les chrétiens de la maison de César deviennent des esclaves.
Les biens des victimes sont confisqués par l’État. Toutes les parties de
l’Empire appliquent l’édit. Les violences populaires se déchaînent de nouveau. Le
Pape Saint Sixte II, le diacre Saint Laurent, Saint Cyprien en sont des
victimes. Cent cinquante-trois chrétiens sont jetés dans la chaux vive. Ils
sont surnommés « massa candida ».
La persécution est terrible…
Un prélude à la paix de
Constantin ?
Gallien, fils et successeur
de Valérien, met fin à la persécution ; il fait encore plus, il rend aux évêques la liberté du ministère, leur
remet les lieux de culte et les cimetières, fait restituer les biens qui ont
été confisqués aux Chrétiens. En outre, il se met en relation avec les
autorités de l’Église pour régler ces questions. En clair, il reconnaît
officiellement l’autorité hiérarchique des évêques. Sans doute furieux d’une
telle politique si favorable aux Chrétiens, Julien l’Apostat rayera le nom de
Galien sur la liste des Princes dignes de Rome. L’empereur Aurélien (270-275) demandera
même à des chrétiens d’Antioche qui se divisaient pour des questions de
propriétés de restituer les biens à ceux qui sont en communion avec l’évêque de
Rome. Malheureusement, l’autorité des empereurs est réduite par l’anarchie qui
sape l’Empire romain.
Pendant le règne de
Gallien et d’Aurélien, des persécutions se déclenchent dans des régions,
notamment en Égypte. Elles sont courtes et localisées. L’ancien conseiller de
Valérien, Macrien, poursuit implacablement la persécution en Égypte et en
Palestine. Mais généralement, les empereurs tentent plutôt d’ignorer l’Église
de peur de rompre la tranquillité de l’État et la leur. Ainsi le christianisme
a pu vivre plus de trente ans de paix et se répandre au détriment du paganisme.
Sa position sociale s’est renforcée.
L’ultime persécution
Pendant dix ans,
Dioclétien ne semble pas se préoccuper des Chrétiens. Mais sans-doute influencé
par Galère, il finit par déclencher une des plus violentes persécutions qu’a
connues le christianisme. D’abord, Dioclétien ne veut pas verser de sang. Un
édit ordonne la destruction des églises et des livres sacrés, la cessation des
assemblées chrétiennes et l’abjuration de tous les chrétiens occupant une
fonction publique. Les nobles sont dégradés de leurs dignités, les humbles
réduits en esclavage. Les esclaves ne pourront plus être affranchis.
Mais l’entourage de
l’empereur accuse les Chrétiens de conspirer contre l’État. Des incidents
semblent le prouver. Un incendie est allumé aux abords du palais impérial. On
accuse les chrétiens. Finalement, affolé, Dioclétien décide de réunir contre les
Chrétiens toutes les forces de l’Empire. Il ordonne d’emprisonner tous les
membres du clergé et de les punir de mort s’ils n’abjurent pas. En 304, un
dernier édit ordonne à tous les chrétiens d’offrir un sacrifice public aux
divinités de l’empire. Les territoires occidentaux que dirige Constance Chlore
sont peu frappés. Le sang coule surtout en Orient. La persécution y est
tellement sanglante que l’Église d’Égypte fait commencer l’ère chrétienne au
règne de Dioclétien. « En Arabie, on
tua à coup de hache. En Cappadoce, on coupait les jambes. En Mésopotamie,
certains furent pendus les pieds en haut, la tête en bas et l’on allumait en
dessous d’eux un feu dont la fumée les étouffait. Quelquefois on coupait le
nez, les oreilles ou la langue. Dans le Pont, on enfonçait des pointes de
roseau sous les ongles ou, à d’autres, on versait du plomb fondu dans les
parties les plus sensibles. »[25]
En 305, Galère et
Constance Chlore succèdent à Dioclétien et Maximien. Maître de l’Occident, Constance
Chlore est tolérant à l’égard des chrétiens. Le César auquel il s’est adjoint
se montre aussi conciliant. La persécution s’arrête en Occident. Mais en
Orient, la situation s’empire. Le nouveau César Maximin Daïa se montre encore
plus enragé et brutal que Galère. Certaines régions connaissent de véritables
massacres comme dans cette ville de Phrygie où tous les habitants sont brûlés
dans une église car ils ont tous embrassé le christianisme. Cependant, si dans
certaines régions orientales, selon la bienveillance des magistrats, elle ne
fait guère de victimes, le chrétien a
perdu tout droit. Il est livré à l’arbitraire de la magistrature.
Atteint d’une maladie
affreuse, l’empereur Galère publie en 311 un édit qui, après avoir insulté les
Chrétiens et reproché leur mauvaise conduite, leur demande de prier leur Dieu
pour lui, leur promettant « son
extrême clémence ». Il leur donne le droit d’exister et rétablit leurs
assemblées sous condition qu’ils ne perturbent pas l’ordre public. Dénonçant
leurs assemblées nocturnes comme causes de désordre et ranimant les vieilles
calomnies, Maximin Daïa en appelle à cette clause pour reprendre la
persécution. Souvent, il se fait inviter par les villes à sévir contre le
christianisme. Mais le temps a changé. La lassitude gagne l’Empire. Tant de
sang versé !…
De manière classique, nous
distinguons ainsi deux périodes dans l’ère des persécutions. D’abord, les
Chrétiens sont attaqués individuellement en tant qu’individu du fait du caractère
illicite de la religion. La haine est la cause des premières violences. Excités
par la populace et poussés par de vils intérêts, le pouvoir a condamné à
mort des Chrétiens sans véritablement les poursuivre. Puis à partir de
Septime-Sévère, l’Église est l’objet des persécutions. Conscients du développement
du christianisme et de sa nature, de son incompatibilité avec le paganisme et
l’Empire romain, les empereurs ont alors réagi contre l’Église, la
reconnaissant de fait. Avec tous ses moyens et sa force, l’État l’a poursuivie dans
ses chefs et dans son organisation, cherchant
plus à enrayer sa progression qu’à tuer des hommes.
La persécution n’est
pas permanente. Elle varie beaucoup dans le temps et l’espace. L’anarchie que
connaît l’Empire relativise tant la paix que la violence selon le bon vouloir
des autorités locales. Un empereur bienveillant ou tolérant succède souvent un
persécuteur. La tranquillité sous un règne permet à l’Église de se développer
avant qu’elle ne soit de nouveau frappée. Et dans un temps de tolérance, la
violence populaire peut aussi s’abattre sur des chrétiens ou sur des
communautés. L’ère des persécutions est aussi un temps d’instabilité, de
précarité, de crainte.
Et pourtant, comme nous le
constatons, dans ce milieu hostile, le christianisme a poursuivi son
développement et sa progression, gagnant peu à peu la société. Les empereurs
ont finalement échoué. Une force bien supérieure à celles des hommes et des armes ont
vaincu l’Empire…
Notes et références
[1] 10 persécutions :
Néron, Domitien, Trajan, Marc Aurèle, Septime-Sévère, Maximin le Thrace, Dèce,
Valérien, Aurélien, Dioclétien.
[2] Pierre Allard dans Dix
leçons sur le martyre.
[3] Tacite, Annale, XV,
3 dans Œuvres
complètes de Tacite, J. L. Burnouf, Paris, 1859, avec correction de Philippe Remacle sur Bibliotheca Classica Selecta.
[4] Phrase attribuée à
Néron par Tertullien dans Apologie, V.
[5] Tacite, Annales,
IX, 44 dans Histoire de l’Église, abbé Boulenger, n°34,
[6] Tacite, Annale, XV,
5 dans Œuvres
complètes de Tacite, J. L. Burnouf.
[7] E. Griffe, Les persécutions contre les chrétiens, Paris, Letouzey et Ané,
1967 dans Néron et la persécution des Chrétiens d'après Tacite, Annales, XV, 44,
II.
Commentaire historique, Ludovic Wankenne, Professeur à l'Université de
Louvain.
[8] Suétone, Domitien,
12 dans Les Origines chrétiennes, Fernand Mourret, Bloud and Gay, 1919.
[9] Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, 1, III, chap. XX.
[10] Voir l’historien
Dion Cassius et Domitien de Suétone.
[11] Suétone, Domitien,
2 dans Les Origines chrétiennes, Fernand Mourret.
[12] Pline le Jeune, Lettres
97 et 98 sur les Chrétiens, Livre X dans Conférence 1000-322 : “Les
persécutions des chrétiens dans lʼantiquité”, Éric Lowen, 22
novembre 2012.
[13] Dom Ch. Poulet, Histoire
de l’Église, Tome I, 2ème époque, I, chap. I, Beauchesne,
1935.
[14] Tertullien, Apologie,
2.
[15] Saint Justin, 1
Apologie, 68.
[16] Spatien, historien
de Septime Sévère, Sévère, XVII, dans Les Origines chrétiennes, Fernand
Mourret.
[17] Tertullien, Apologie,
XVIII.
[18] Daniel-Rops, L’Église
des Apôtres et des Martyrs, VIII, Fayard, 1943.
[19] Alexandre Sévère
dans Daniel-Rops, L’Église des Apôtres et des Martyrs.
[20] Mgr Batiffol, Mgr
Duschêne.
[21] Eusèbe dans
Daniel-Rops, L’Église des Apôtres et des Martyrs.
[22] Eusèbe, Histoire
ecclésiastique, I, VI, ch. XXVIII Les Origines chrétiennes, Fernand
Mourret.
[23] Origène dans
Daniel-Rops, L’Église des Apôtres et des Martyrs.
[24] Origène, Contre
Celse, VIII.
[25] Eusèbe dans L’Église
des Apôtres et des Martyrs, Daniel-Rops.
[26] Interprétation fournie par S. Reinach dans Cf. La première allusion au christianisme dans l'histoire, Revue de l'Histoire des Religions, LXXXIX, 1924, p. 108 sq. Voir l'article L'Empereur Claude et les Chrétiens, Mr Willam Seston, 1980, In: Scripta varia. Mélanges d'histoire romaine, de droit, d'épigraphie et d'histoire du christianisme. Rome : École Française de Rome, 1980. pp. 569-598. (Publications de l'École française de Rome, 43); http://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1980_ant_43_1_1331.
[26] Interprétation fournie par S. Reinach dans Cf. La première allusion au christianisme dans l'histoire, Revue de l'Histoire des Religions, LXXXIX, 1924, p. 108 sq. Voir l'article L'Empereur Claude et les Chrétiens, Mr Willam Seston, 1980, In: Scripta varia. Mélanges d'histoire romaine, de droit, d'épigraphie et d'histoire du christianisme. Rome : École Française de Rome, 1980. pp. 569-598. (Publications de l'École française de Rome, 43); http://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1980_ant_43_1_1331.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire