L’origine
étymologique de l’expression « religion »
est l’objet de nombreuses discussions. Nous savons cependant que les
propositions les plus anciennes la relient incontestablement à l’idée de la
divinité ou de Dieu. Elles ont aussi le mérite de distinguer parmi tous les
cultes et religions existantes celles qui sont vraies et celles qui ne sont que
superstitions, mensonges ou erreurs. Cicéron, Lactance ou Saint Augustin s’appuient
en effet sur son origine latine pour définir des critères capables de distinguer
la vraie de la fausse religion. Selon Cicéron, le culte que nous devons rendre
à Dieu doit être examiné, réfléchi, c’est-à-dire raisonnable sinon il n’est que
superstition. La religion ne peut donc s’opposer à la raison. Certains diront
qu’elle inclut la philosophie, voire qu’elle est philosophie. Dans leurs
discours, les philosophes antiques ont ainsi montré les erreurs du paganisme
populaire ou civil en prouvant l’incompatibilité de la notion de Dieu avec leurs
représentations de la divinité. Selon Saint Augustin, la religion n’est
véritable que si elle aboutit à l’union avec Dieu, bien suprême, c’est-à-dire
si elle répond à l’intention divine, à notre bonheur. Elle est donc liée à une
finalité. Elle répond donc à une volonté divine. Elle nécessite qu’elle soit
agréée par Dieu Lui-même. Enfin, en partant du terme « réélire », la religion est vue
comme un choix qui oriente toute une vie, le choix du vrai Dieu. Qu’elle soit
perçue comme examen, union ou élection, la religion est indéfectiblement liée à
Dieu.
Depuis
le XVIème siècle, abandonnant ces propositions classiques, des philosophes ont plutôt
cherché à définir un concept de religion de façon à mêler sans distinction
toute religion, tout culte, tout fait religieux, refusant alors d’y inclure
toute idée de vérité. Certaines théories présentent la religion comme étant un
stade temporaire de l’évolution de l’humanité ou encore un obstacle à son
épanouissement. Elles se proposent alors de définir un chemin qui la poursuit
ou la dépasse. Elles prétendent ainsi aider l’homme dans sa marche vers le
progrès ou le libérer de l’entrave que représenterait la religion. Sans le dire
explicitement, elles se veulent être un chemin de salut. Quel en est le guide
ou le maître ? Parfois la raison, le plaisir ou encore l’homme. Finalement,
que distinguent ces théories d’une religion si ce n’est que Dieu porte un
autre nom ?
Qu’en
dit la Sainte Écriture ? Laissons en effet les philosophes avec leurs
discours et leurs prétentions. Examinons avec soin ce que nous pouvons entendre
de la Parole de Dieu. Rapidement, elle nous parle de religion ou plus
précisément de culte. Après le récit de la Création et du péché originel,
l’auteur sacré nous raconte en effet une histoire riche en enseignements, celle
de Caïn et d’Abel. Nous allons l’étudier non pour examiner les fautes
successives de Caïn mais plutôt pour examiner avec soin les sacrifices que
chacun offre à Dieu.
Abel
et Caïn
Abel
et Caïn sont les deux premiers enfants d’Adam et d’Ève. Abel est « pasteur de brebis » (Gen.,
IV, 1), Caïn, laboureur. Ils représentent chacun un mode de vie différent, le
premier le nomadisme, le second la sédentarisation.
Le
nom de Caïn est tiré de l’hébreu « qanithi »,
forme du verbe « qanah »
qui signifie « acquérir »,
de la racine « qnh ». Car
comme le dit la Genèse, Ève a « acquis
un homme par la grâce de Dieu » (Gen., IV, 1). Selon certains
spécialistes, le nom viendrait plutôt de « qayin » qui signifierait « forgeron »[1]. Il nous
renverrait vers le peuple des Qénites ou Cinéens, les anciens habitants de
Canaan avant l’arrivée des Hébreux. Selon Saint Augustin, il signifierait
« possession », Caïn
incarnant en effet les sédentaires. Le nom pourrait aussi provenir de la racine
« qna » qui signifie
« jalousie ». C’est bien
par jalousie que Caïn tue Abel. Remarquons que la Sainte Écriture ne donne pas
de sens au nom d’Abel. Certains commentateurs le tireraient d’un nom signifiant
« buée », « petit vent » ou « vanité » au sens d’absurdité,
d’inconsistance.
Abel
et Caïn offrent chacun un sacrifice différent à Dieu. Abel Lui sacrifie « des premiers-nés de son troupeau et des plus
gros » quand Caïn Lui offre « des
fruits de la terre » (Gen., IV, 4). Or Dieu ne porte un
regard favorable qu’à l’offrande d’Abel. Pris de jalousie, Caïn est « violemment irrité » (Gen.,
IV, 5). Il s’emporte et tue son frère. C’est le premier meurtre de l’histoire.
« Qu’as-tu fait ? La voix du
sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Maintenant, donc, maudit
seras-tu sur la terre qui a ouvert sa bouche et qui a reçu de ta main le sang
de ton frère » (Gen., IV.10-11). Marqué par un signe
indélébile, Caïn devient porteur de la malédiction divine.
L’histoire
d’Abel et de Caïn est en fait une suite de fautes que Caïn commet à l’égard de
Dieu : avarice, jalousie, désespoir. Regardons là plutôt comme une leçon
de ce qu’est une véritable religion.
Un
sacrifice désavoué
« Dieu se détourne des offrandes de Caïn,
parce que, nous dit Saint Augustin, Caïn
fait un injuste partage, offrant un peu du sien à Dieu, mais se réservant tout
entier pour lui-même. » Caïn est l’exemple de « tous ceux qui préférant leur volonté propre
à la volonté divine […] offrant néanmoins des présents à Dieu, dont ils pensent
acheter l’assistance, non pour la guérison, mais pour la satisfaction de leurs
criminels désirs. »[2]
L’offrande d’Abel vient du cœur lorsque celui de Caïn n’est qu’un calcul. Dieu
n’en est pas dupe, Lui qui connaît notre âme et nos moindres pensées. Ainsi
« le Seigneur regarde Abel et ses
dons » (Gen., IV, 4). Saint Augustin voit dans Abel et Caïn les figures
de deux cités : « les bons en
effet n’usent du monde que pour jouir de Dieu ; les méchants au contraire,
veulent user de Dieu pour jouir du monde »[3].
Jaloux,
Caïn s’emporte contre son frère mais en fait, l’objet de son courroux est
véritablement le jugement de Dieu, c’est-à-dire Dieu Lui-même. Un sacrifice n’a
en effet de valeur que s’il est agréé par celui à qui il offert. L’offrande de
Caïn est indigne d’être agréé de Dieu. Elle ne correspond pas à ce qu’Il
attend.
Le
sens du sacrifice
Ainsi
le sacrifice se compose d’une personne qui offre un présent particulier,
bien choisi, selon une intention précise et sous une forme visible, c’est-à-dire
selon un rituel. Elle attend le verdict de celui qui en est le destinataire, c’est-à-dire
Dieu, sous forme d’approbation ou de rejet, le but de l’offrant étant évidemment
de recevoir l’agrément divin, c’est-à-dire d’être entendu et exaucé.
Dans
l’histoire biblique, Abel offre sa meilleure part à Dieu quand Caïn offre peu.
Chacun manifeste concrètement la part de Dieu dans son âme et dans sa vie. Un
sacrifice est lié à un coût. Il est avant tout un renoncement sous quelque
forme qu’il se présente (affection, prix marchand, travail). Il est alors le
signe visible ou encore le témoignage d’une chose invisible. Ce renoncement est
en effet d’abord intérieur, caché aux yeux des hommes, avant de s’extérioser
sous forme sensible. Le mouvement qui part de l’offrant vers Dieu incarne donc une
réalité qui n’est censée être visible que par Dieu. C’est l’homme lui-même qui
s’offre à Dieu et qui essaye de L’atteindre, de Le toucher dans tous les sens
du terme. Et s’il parvient, il obtient toute la bienveillance céleste.
L’acceptation de son offrande témoigne alors une alliance divine. Elle est un
gage de la preuve de sa religion…
Dans
les deux sacrifices, Caïn et Abel tentent d’établir un lien avec Dieu, l’un est
un échec, l’autre une réussite. Le fait d’offrir ne suffit donc pas pour
obtenir la bénédiction divine. Si dans le texte biblique, l’initiative semble
venir de l’homme, la conclusion ne provient que de Dieu. Comme nous l’apprend
aussi l’histoire d’Abel et de Caïn, il y a bien dans le sacrifice un choix
réfléchi de la part de l’offrant. Comme nous l’enseigne aussi Saint Augustin,
il est avant tout guidé par la recherche de la satisfaction divine. Le
sacrifice de Caïn n’est pas accepté car il ne recherche que sa propre
satisfaction. Cela nous renvoie à la définition de la religion que propose Cicéron,
c’est-à-dire au soin apporté au culte rendu à Dieu. Il n’est pas non plus
accepté car son offrande manifeste le peu d’importance réelle qu’occupe Dieu
dans la vie de Caïn. Dieu n’est pas véritablement son choix. Nous revenons à
l’idée de Saint Augustin, d’une religion considérée comme une « élection ». Ainsi les définitions
classiques de la religion conviennent aux sentiments et au culte religieux que
décrit l’histoire de Caïn et d’Abel.
Le
sacrifice intérieur
Or
dit-il, « les actes intérieurs de la
volonté sont en notre pouvoir. »[6] Saint
Thomas d’Aquin parle de liberté au sens aristotélicien, c’est-à-dire « être libre, c’est être cause de soi »[7]. Ainsi
la justice divine porte sur les actes intérieurs. Dieu ne juge que le sacrifice
intérieur…
La
Sainte Écriture ne cesse en effet de nous le dire : « le sacrifice qu’il faut à Dieu c’est
l’esprit affligé. » (Ps.,
LXI, 19). Ce n’est ni les veaux gras ni le sang des brebis sans taches qui
l’intéressent. Dieu seul peut juger du mouvement intime de la volonté. Lui seul
connaît avec exactitude les actes intérieurs. Ainsi peut-Il agréer ou non un
sacrifice véritable au-delà des actes extérieurs qui le constitue. La Sainte
Écriture nous montre suffisamment que l’acte intérieur est primordial dans tout
sacrifice. Parfois, il suffit comme nous le révèle le sacrifice d’Abraham…
Le
sacrifice d’Abraham
Prenons
en effet un autre exemple de la Sainte Écriture. Dieu demande à Abraham de
sacrifier son fils Isaac, le fils de la promesse. Accompagné de son enfant,
Abraham arrive au lieu que Dieu lui a désigné, élève un autel, arrange le bois
de l’holocauste, lie son fils et le met sur l’autel. Au moment où il
s’apprête à l’égorger, Dieu l’arrête : « ne porte pas la main sur l’enfant et ne lui fait rien ; car je
sais maintenant que tu crains Dieu et que tu n’as pas refusé ton fils, ton
unique. » (Gen., XXII, 12).
Le
sacrifice d’Abraham n’a pas besoin d’être matériellement réalisé pour obtenir
la bénédiction divine. Le sacrifice intérieur qui est bien antérieur et
concomitant à l’acte même suffit pour que Dieu renouvelle son alliance. Son
obéissance manifeste une foi extraordinaire qui elle-même révèle la part de
l’amour de Dieu dans l’âme d’Abraham. « Méditez, considérez ce que dut supporter l’homme juste, durant cette
longue durée de trois jours, obsédé par la pensée qu’il fallait tuer de ses
propres mains ce fils tant aimé, qu’il ne pouvait révéler cet ordre à personne,
et soyez stupéfiés d’admiration devant tant de piété et de sagesse !… Il
était seul, solide comme le diamant, soutenant ce combat en son for
intérieur ; et il demeurait invincible, inébranlable dans sa résolution,
sans succomber aux prétextes sans nombre, plein d‘amour, plein de zèle pour
obéir au seul signe de Dieu. »[8] Le
véritable sacrifice réside dans cette série d’épreuves dans lesquelles se
manifeste l’esprit véritable du sacrifice. Et cet esprit est plus important que
le sacrifice proprement dit.
Des
actes inéluctablement extérieurs
Cependant,
si les actes intérieurs sont primordiaux, les actes extérieurs ne sont ni
inutiles ni négligeables. L’homme est fait d’un esprit et d’un corps.
L’insensible ne peut qu’être porté par le sensible s’il doit être communiqué à
l’homme. Le
sensible exprime ce que l’esprit veut communiquer car l’homme n’a pas d’autres
modes de communication. « La manière
de l’homme, c’est d’avoir recours pour s’exprimer aux signes sensibles, parce
qu’il tire sa connaissance du sensible. »[9] Nous utilisons donc des
moyens qui sont à notre disposition pour exprimer ce que nous concevons dans
notre âme et en notre esprit. Les actes extérieurs sont ainsi secondaires tout
en étant nécessaires à l’homme. Le sacrifice
n’est donc pas réduit à un acte intérieur. Ainsi, selon Saint Augustin, « le sacrifice visible est le sacrement, c’est-à-dire le
signe sacré du sacrifice invisible. »[10]
Le
sacrifice, « faire du sacré »
Revenons
à Abel. Il reçoit la bénédiction de Dieu car il Lui offre ce qu’il a de
meilleur à proposer. Abraham Lui offre aussi son fils, bien encore plus
inestimable. Dans tout sacrifice réside en effet une offrande, c’est-à-dire une
chose que l’offrant considère comme un bien. L’acte d’offrir est appelé « oblation ». L’offrande est
directement présentée à un être que l’offrant considère comme une divinité,
c’est-à-dire un être supérieur à lui, capable de la recevoir et de répondre à
son intention.
Le
sacrifice est vraiment un renoncement d’un bien personnel. Ce dernier fait
l’objet d’une action qui le supprime ou du moins le retire de la possession de
l’offrant. « Il y a sacrifice proprement dit quand on accomplit quelque
chose sur les biens que l’on offre à Dieu »[11]. Le sacrifice peut être
une mise à mort d’un animal. Nous parlons alors d’« immolation ».
L’offrant renonce donc
à un bien choisi au profit d’une divinité auquel l’offrant
reconnaît sa suprématie sur lui et sa puissance. Tout sacrifice est donc
accompagné d’une double reconnaissance : celle de la divinité et celle de
son propre état de dépendance à son égard. Dans le rituel, se mêlent alors hommages,
adorations, repentirs et supplications. Il porte aussi une espérance. L’offrant
espère que le sacrifice sera efficace, c’est-à-dire obtiendra les faveurs
célestes si l’offrande est acceptée.
Dans le mouvement
du sacrifice, nous voyons donc un bien personnel qui, choisi parmi tant d’autres
pour être offert à une divinité, prend une valeur particulière. S’il est agréé
par la divinité, il est dit sacré. C’est le sens même de l’expression « sacrifice » : « sacrum facere », c’est-à-dire
« faire du sacrer ».
L’offrande est ainsi consacrée. L’action de sacrifier ne se réalise
donc pas seulement dans l’offrant, c’est-à-dire dans son propre sacrifice. Il
est une réalité qui impacte aussi l’offrande. Reprenant Saint Isidore de
Séville, Saint Thomas d’Aquin nous
rappelle l’action qui se réalise dans la chose sacrifiée : « il y a sacrifice proprement dit lorsqu’il se
passe quelque chose dans les oblats … Le nom lui-même l’indique :
sacrifice veut dire : faire du sacré. »[12]
Le
sacrifice est ainsi constitué de deux actes portant chacun une valeur particulière.
Dans un premier acte, détaché de son environnement, l’objet offert et immolé
est d’abord chargé de tous les sentiments religieux de l’offrant. Le sacrifice témoigne
de la croyance de l’offrant et de sa soumission à la divinité. Il est ainsi la
preuve de sa religion.
Dans
un deuxième acte, le sacrifice doit recevoir l’acceptation divine. L’homme
cherche à atteindre une divinité et à en recevoir une réponse favorable,
c’est-à-dire toute sa bienveillance et ses faveurs. Le sacrifice établit donc une
alliance ou encore une union. Communier à l’objet immolé revient alors à
s’assurer cette alliance dont il est désormais le gage. L’offrande agréée
revient ainsi à l’offrant, chargée d’une valeur sacrée. Par le sacrifice, un
bien change ainsi de statut, passant d’un état non-sacré, c’est-à-dire profane,
à l’état sacré.
Exemples
de sacrifices païens
Le
mouvement à deux temps que nous venons de décrire se retrouve dans de nombreux
cultes polythéistes et dans les mythes. « Par mes offrandes, je fais savoir en haut mon respect. Que suivant le
chemin de la foudre, et les voies des neuf dragons, cette fumée s’élève dans
l’espace, et que les bénédictions descendent sur le peuple ! C’est ce que
moi, petit enfant, [l’empereur], je demande par ces offrandes. » Telle
est était la prière de l’empereur chinois de la dynastie des Mings, au XVe
siècle. Un chœur accompagnait son sacrifice, chantant : « que cette offrande monte dans l’espace, et
soit connue en haut ! Qu’elle nous obtienne ce que nous désirons ! Je
suis venu à ce tertre, avec mes officiers, pour demander à l’Auguste Ciel,
d’accorder à la terre la maturation des céréales, une bonne moisson. […]
Que notre musique et nos chants fassent
connaître la dévotion de nos cœurs ! »[13]
Nous
pouvons aussi parler d’un sacrifice malaisien qui à la fin du XIXe siècle
consistait à taillader ses jambes pour recueillir le sang dans un bambou et le
mélanger avec de l’eau afin de jeter ce liquide vers le ciel tout en prononçant
les paroles suivantes : « je
paie ma dette. Voilà mon péché. Ma dette a diminué. Arrêtez donc. Voici mon
sang. Je paie ma dette. Je n’ai plus de dette. »[14]
Au
Ve siècle, Saint Nil le Sinaïte[15] nous
décrit le sacrifice des tribus nomades arabes. Ces dernières immolent les biens
les plus précieux du butin de leur pillage. Cela peut être de jeunes
adolescents ou un chameau. Après une procession accompagnée de chants, un homme
tire son épée et frappe fortement le tendon de la victime. Il s’empresse de
goûter le premier au sang. Il est aussitôt suivi de ses coreligionnaires qui
arrachent soit des poils soit de la chair, voire des entrailles.
Enfin, prenons un
dernier exemple dans les mythes grecs. Avant de descende aux enfers, Énée doit
apaiser les dieux. Il frappe de son épée une brebis à la toison d’or pour des
déesses puis sur un autel il livre à la flamme la chair de jeunes taureaux
auparavant tués par une prêtresse pour l’offrir au roi des Styx. Et « la terre commença de mugir sous ses pieds,
les cimes de la forêt s’agitèrent, et l’ombre se remplit du hurlement des
chiennes aux approches de la déesse : Loin d’ici ! Loin d’ici
profanes ! cria la Sibylle ; retirez-vous de tout le bois sacré. »[16]
Conclusion
Le
sacrifice est indubitablement lié à une religion au point qu’il est difficilement
concevable de considérer un ensemble d’actes ou de faits religieux comme une
religion s’ils ne l’incluent pas. Si le sacrifice fait défaut, nous parlons
plutôt de religiosité.
Or
comme nous le montrent de nombreux exemples, l’idée de sacrifice correspond
bien aux définitions que proposent Cicéron et Saint Augustin et que synthétise
Saint Thomas d’Aquin. L’histoire de Caïn et d’Abel montre bien qu’un sacrifice
n’a de valeur que s'il est accepté par Dieu. Dans toute religion, il y a
bien une volonté de recevoir une bénédiction céleste et de sceller une
alliance. Le rituel du sacrifice a bien pour objectif d’établir une alliance
avec une divinité pour recevoir d’elle un agrément divin. Par conséquent, tout
sacrifice ou tout rituel n’est pas efficace en soi. Il ne suffit pas de
sacrifier un bien pour établir une alliance divine.
Tout
acte religieux n’est pas bon en soi. Il doit avant tout répondre à la
volonté divine ou encore à la justice divine. Toute religion n’est donc pas
efficace ou encore bonne. Or si elle ne parvient pas à remplir le rôle qu’elle
est censée atteindre, peut-elle être considérée comme une vraie religion ?
"Qu'ai-je à faire de la multitude de vos victimes ? dit le Seigneur. Je suis rassasié.; les holocaustes des béliers, et la graisse des animaux gras, et le sang des veaux et des agneaux et des boucs, je n'en veux point. [...] Ne m'offrez plus de sacrifice en vain ; l'encens m'est en abomination. [...] Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez le mal de vos pensées de devant mes yeux ; cessez d'agir avec perversité [...] " (Is., I, 11-16).
Notes et références
[1]
Telle est l’origine étymologique que propose Wikipédia. Cet article
considère le récit de Caïn et d’Abel comme un mythe.
[2]
Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre XV, VII.
[3]
Saint Augustin, La Cité de Dieu, Livre XV, VII.
[4]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, IIae,
question 18, a. 6, ad 3.
[5]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIae,
question 85, a. 2, ad 3.
[6]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, IIae,
question 18, a. 8, ad 3.
[7]
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, IIae, question
108, a. 4, ad 3.
[8] Saint Jean
Chrysostome, Homélie XLVII, 2.
[9] Saint Augustin.
[10] Saint Thomas
d’Aquin, Somme théologique, Ia, IIae, question 85, a. 1.
[11] Saint Thomas
d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIae, question 85, a. 3.
[12] Saint Thomas
d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIae, question 85, a. 3, ad 3.
[13]
Extrait de la Revue illustrée de l’Exposition missionnaire Vaticane, 15 août
1924, dans Le Sacrifice du Chef Chanoine Eugène Masure, Livre premier, I,
9ème édition, Beauchesne, 1944.
[14]
Compte rendu, 1926, de la Semaine Internationale d’Ethnologie
Religieuse, IVe session, Milan, 1925 dans Le Sacrifice du Chef,
Livre premier, I, E. Masure.
[15]
Voir P.G. Migne, tome LXXIX, collection 612-613, dans Le Sacrifice du Chef
Chanoine Eugène Masure, Livre premier, I.
[16]
Vigile, Énéide, livre VI, 243-259, trad. Bellessort.
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