" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 3 octobre 2015

Les Miracles, signes de vérité

L'eau changée en vin
A Paris, nous voyons parfois à la sortie des métros ou des gares, voire à certains carrefours très fréquentés de la capitale, des hommes et des femmes prêchant la parole de leur église. D’autres viennent aussi frapper à notre porte pour nous présenter l’enseignement de leur secte. Ils louent la Parole de Dieu, vantent la richesse et la beauté de leur croyance. Convaincus et enthousiastes, ils nous proposent une interprétation de la Sainte Écriture et la présentent comme étant la seule vraie. De même, certains catholiques tentent de prouver la véracité de la doctrine chrétienne en démontrant la sagesse ou la philosophie qu’elle enferme. Mais si de tels efforts de la part des catholiques sont nécessaires et justes, ils demeurent insatisfaisants pour une âme en quête de Dieu. Que démontre en effet cette sagesse ? Est-elle uniquement l’apanage de Dieu ? L’histoire est emplie de ces hommes aux leçons profondes et admirables. Nous savons aussi combien l’homme est habile dans l’art de la parole. Certains excellent dans la rhétorique.

La multiplication du pain
La vraie religion ne se résume pas à une saine philosophie, c’est-à-dire à l’art de bien penser et de bien vivre. Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas comparable à un sage de l’Orient ou à un ascète des déserts. Il n’est pas simplement un modèle à imiter pour mieux vivre ici-bas. Son discours ne se résume pas à un cours de bien-être ou de mieux vivre. Il a aussi enseigné exactement ce qu’Il est et ce qu’Il est venu faire. Pour cela, il a témoigné par des actes concrets et réels. Ne faut-il pas aussi les évoquer ? Nous devons donc parler notamment de ses miracles.

Or depuis le XIXe siècle au moins, la réalité historique des miracles est contestée, méprisée, rejetée au point que des théologiens et des catholiques sont aujourd'hui réticents à en parler. Le sujet est soigneusement évité. Les récits païens ne sont-ils pas emplis de fables et de mythes ? Pire encore. Certains y voient une forme littéraire du récit, ou encore l’expression parabolique d’une sorte d’enseignement sans aucune référence à une réalité bien concrète. Tout ne serait donc qu’artifices pédagogiques. Mais un tel discours mène à une impasse. Comment l’âme peut-elle différencier un discours d’un autre ? C’est aussi oublier la force apologétique du miracle sans lequel il serait bien difficile d'attester de la crédibilité du christianisme. Un tel discours conduit aussi à une catastrophe puisqu’il contredit l’enseignement de l’Église

Rappel sur les motifs de crédibilité

Le miracle de l’hémorroïse
(Sauveur-in-chora, Istanbul)
Revenons sur la valeur d’un témoignage, c’est-à-dire sur sa crédibilité. Un homme nous décrit une chose dont il a été directement ou non témoin. Notre crédulité dépendra de notre personnalité mais aussi d’éléments particuliers. Nous adhérerons plus ou moins à ses paroles selon un jugement établi à partir de critères. Ces critères sont de deux ordres. Ils sont soit internes au témoignage (contenu, forme, cohérence, etc.), soit externes au témoignage (personnalité et vie du témoin, support, contexte, présence d’autres sources, etc.). C’est en effet en fonction de ces éléments internes et externes que nous pouvons établir un jugement sur la véracité d'un témoignage, qu'il soit écrit ou oral.

Revenons aussi sur la notion du signe. Un signe a pour rôle de nous donner des éléments d’identification. Il doit nous faire reconnaître une chose parmi tant d’autres. Il est donc suffisamment clair pour être discriminant. Mais sa valeur ne réside pas en cette chose mais en sa signification. Elle porte une autre réalité qui la dépasse. Le signe permet de l’atteindre au-delà de l’apparence. Nous avons rappelé dans un précédent article[1] qu’un signe est l’union d’un fait sensible et d’une haute vérité, deux éléments, l’un visible, l’autre invisible. Le fait sensible nous fait accéder à une vérité, inaccessible par d'autres voies. C’est bien par des éléments concrets, accessibles aux sens, que l’élément invisible est connaissable. L’élément invisible doit aussi avoir du sens. Il n’est pas l’œuvre de l’imagination. Il n’est pas irrationnel. Et il n’est pas non plus le sens que voudrait donner celui qui le saisit. Ce sens est fourni par celui qui est l’auteur du signe. Enfin, la crédibilité d’un signe dépend autant du fait sensible que de la vérité qu’il révèle.

Les motifs de crédibilité dans le domaine religieux

Guérison de la fille de la cananéenne





Dans le cadre religieux, des critères peuvent aussi déterminer la crédibilité d’une religion. De manière classique, ils sont appelés « motifs de crédibilité ». Ils ne prouvent pas la foi mais apportent des raisons de croire.

Défendre la foi revient souvent à présenter et à défendre ces critères. Ils ne démontrent pas que la religion est vraie puisque nous sommes de l’ordre de la foi. Ils n’apportent que des éléments de crédibilité plus ou moins forts. Cependant, de manière négative, ils sont capables de montrer qu’une religion ou une croyance est fausse. Une contradiction réelle suffit en effet pour démontrer sa fausseté. Ainsi est-il important de connaître ces critères et de les présenter pour justifier sa foi et dénoncer l’erreur.

Mais le plus souvent, la présentation des motifs de crédibilité reste nettement insuffisante. Nous sommes en effet conduits à démontrer la véracité et la pertinence de ces critères, c’est-à-dire leur réalité et leur efficacité. Dans ce cas, nous devons mener une démarche rationnelle, loin de toute sentimentalité, pour attester leur force probante.

Les motifs de crédibilité internes

Giotto, La Résurrection de Lazare
Cappelle degli Scrovegni, Padoue
Un des premiers critères intrinsèques est sa doctrine. Si elle contredit notre raison, nous pouvons en conclure qu’elle ne vient pas de Dieu. Elle peut certes dépasser notre raison, être incompréhensible, inexplicable comme dans le cas des mystères mais elle ne peut être irrationnelle ou la contredire. Elle ne peut en effet aller contre la nature rationnelle de l’homme puisque Dieu nous a dotés de la raison comme moyen de connaissance. L’incohérence et l’inconstance de la doctrine révèlent aussi sa fausseté. Elles contredisent l’intelligence et la sagesse divine. Elle ne peut contredire la nature même de Dieu. Le fait d’être exempte d’erreurs ou de contradictions est alors une marque de véracité.


Il existe aussi des critères internes positifs au sens où ils justifient de manière probante la véracité d’une religion. Parmi ces critères, nous pouvons citer les effets de la religion elle-même. Ils doivent correspondre à sa doctrine et aux valeurs qu’elle enseigne. Si elle prône la douceur et l’humilité et qu’effectivement elle engendre de telles vertus, nous pouvons alors la recevoir raisonnablement comme étant vraie. La conformité entre les paroles et les faits est un fort élément de crédibilité.

Les motifs de crédibilité externes

Les critères externes ou extrinsèques sont des faits externes au témoignage. Si la personne témoignant de la chose est malhonnête, indigne ou folle, ses paroles ne présentent alors guère de crédibilité, la chose elle-même est probablement fausse. La valeur du témoin est donc importante. Il ne s’agit pas de juger de la personne elle-même mais de ses œuvres. Sont-elles conformes à ce qu’elle prétend dire ? Ses œuvres sont ainsi de puissants témoignages en la faveur de la chose. Si une personne prétend révéler un message divin tout en menant une vie contraire à ce message même, pouvons-nous vraiment avoir confiance en elle et donc en la véracité de son message ? Les principaux critères extrinsèques de la religion sont les miracles et les prophéties. Comme Origène, nous pensons que les prophéties sont les motifs les plus convaincants.

La définition du miracle

Le miracle désigne tout ce qui est merveilleux et excite la surprise. Le mot vient du terme « mirari », qui signifie « admirer ». Il suscite en effet l’admiration, l’étonnement. Un phénomène est étonnant quand il nous paraît inexplicable et inattendu. La cause nous est donc inconnue, ou la chose impossible.

Mais tout ce qui étonne n’est pas considéré comme un véritable miracle. Pour qu’il y ait véritablement miracle, il faut que le fait soit sans cause connue, hors de l’ordre naturel, c’est-à-dire en dehors de l’ordre ordinaire des choses. Une éclipse de soleil peut exciter l’admiration des hommes mais n’a rien de merveilleux pour l’astronome. Elle n’est donc pas un miracle. L’étonnement ne dépend pas de la science de l’homme. Selon Saint Thomas d’Aquin, « ce que suggère le nom de miracle, c’est-à-dire ce qui est par soi le comble de l’étonnement, et non seulement pour telle ou telle personne. »[2] La guérison d’un malade considéré comme incurable par les médecins les plus compétents est un miracle lorsqu’aucune raison d’ordre naturel ne l’explique.

La prophétie est en un certain sens un miracle. Cependant, contrairement aux miracles proprement dits, une prophétie étonne lorsqu’elle se réalise, bien après son avènement, alors que le miracle suscite l’étonnement au moment même où il se manifeste. C’est pourquoi nous la distinguons généralement du miracle.

Miracles, éléments de la foi

L’Ancien Testament nous relate de nombreux miracles. Les plus connus sont certainement ceux qui sont accomplis par Moïse : l’eau sortie du rocher, le bâton transformé en serpent, la traversée de la mer Rouge, etc.
Selon les Évangiles et l’enseignement de l’Église, Notre Seigneur Jésus-Christ a aussi accompli de nombreux miracles[3] : eau changée en vin, tempête apaisée, multiplication des pains, pêche miraculeuse, nombreuses guérisons (aveugle-né, lépreux, sourd-muet, main desséchée), morts ressuscités, etc. Les Apôtres en réalisent également au cours de leur apostolat. Saint Pierre guérit un aveugle au pied du Temple, excitant l’admiration de la foule.

Les miracles ne se résument pas aux récits de la Sainte Écriture. Des faits sont rapportés dans le monde catholique comme étant miraculeux. Certains d’entre eux sont reconnus par l’Église comme étant de vrais miracles. Lourdes est le lieu le plus célèbre où apparaissent de tels prodiges. Les Saints en ont aussi accomplis. C’est même indispensable pour que l’Église les proclame bienheureux. L’histoire en recèle de nombreux. Chaque jour, des miracles se produisent aussi sur les autels lorsque le pain et l’eau se changent en corps et en sang de Notre Seigneur Jésus-Christ dans le mystère de l’Eucharistie. Le miracle est par conséquent un élément essentiel de la vie du catholique.

La valeur probante de l’argument du miracle selon l’enseignement de l’Église

Au XIXe puis au XXe siècle, l’Église est souvent intervenue pour défendre la véracité des miracles et des prophéties. Parmi les vingt quatre propositions erronées que condamne le Pape Pie IX dans le Syllabus, nous pouvons citer la suivante : « les prophéties et les miracles exposés et racontés dans les Écritures saintes sont des fables des prêtres, et les mystères de la foi chrétienne sont le fruit d’inventions philosophiques ; et dans les livres des deux Testaments sont contenus des inventions mythiques ; et Jésus-Christ lui-même est une fiction mystique »[4] Contre toutes les théories opposées à la réalité et à la possibilité des miracles, l’Église défend avec constance et fermeté leur véracité.


L’Église a aussi rejeté toute idée remettant en cause la valeur apologétique des critères externe. « Si quelqu’un dit que la foi divine ne peut être rendue croyable par des signes extérieurs et que, dès lors, les hommes doivent être poussés à la foi uniquement par leur expérience intérieure personnelle ou par une inspiration privée, qu’il soit anathème. »[5] Les critères internes ne suffisent pas. Il est donc légitime d’user de l’argument des miracles pour justifier et défendre notre foi.

De manière positive, l’Église déclare aussi que « Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint Esprit soient accompagnés de preuves extérieures de sa Révélation, à savoir des faits divins et surtout les miracles et les prophéties qui, en montrant de manière impressionnante la toute-puissance de Dieu et sa science sans borne, sont des signes très certains de la Révélation divine, adaptée à l’intelligence de tous. »[6] Deux notes caractérisent l’argument du miracle :

  • ils sont accessibles à tous ;
  • ils manifestent de manière certaine la toute puissance divine

Pie XII rappelle enfin l’existence d’« un grand nombre de signes extérieurs éclatants permettant, même avec la seule lumière naturelle, de prouver de façon certaine l’origine divine de la religion chrétienne. »[7]

Cependant, Pie XII nous enseigne que « l’esprit humain peut, parfois, éprouver des difficultés simplement à formuler un jugement ferme de crédibilité ». De nombreux éléments peuvent en effet faire obstacles à l’évidence des signes extérieurs : les préjugés, les passions, la mauvaise volonté. Ces difficultés ne viennent pas des motifs de crédibilité en eux-mêmes mais de la personne qui les reçoit. Il nécessite une disposition d’esprit adapté pour qu’ils soient effectivement efficaces. Le refus devient à son tour un véritable signe  : « Vous ne croyez point, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. » (Jean, X, 26) S’il n’y avait pas de motif de croire, il n’y aurait pas de péché. « Si je n’avais pas fait au milieu d’eux des œuvres que nul autre n’a faites, ils seraient sans péché ; mais maintenant ils ont vu, et ils me haïssent, moi et mon Père. » (Jean, XV, 24) …

Ainsi l’Église défend la réalité historique des miracles et leur valeur probante dans la justification de la foi. Elle condamne naturellement toute thèse qui rejette la réalité et la possibilité des miracles ou encore qui refuse d’y voir un signe de la manifestation divine. Pour justifier et défendre la foi et l’enseignement de l’Église, il n’est donc guère possible de ne pas en parler. Les miracles et les prophéties font partie de la vie chrétienne et de notre foi.



Miracles, des signes de grande valeur

L’Église nous enseigne que les miracles démontrent deux points importants. D’une part, comme nous l’avons déjà évoqué, ils prouvent la valeur du témoignage de Notre Seigneur Jésus-Christ auprès de ses auditeurs. Ce sont des signes clairs et éclatants qui nous permettent de reconnaître sa messianité. La Sainte Écriture nous apprend en effet que le Messie doit accomplir de nombreux prodiges. C’est pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ insiste auprès de ses auditeurs pour être jugé par ses œuvres.

D’autre part, ses miracles prouvent la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ et l’origine divine du christianisme. En effet, les miracles ne peuvent être accomplis que par Dieu. Qui d’autre que le Créateur peut-Il donner des ordres à la nature ? Nous reviendrons plus longuement sur la nature du miracle. Cela mérite en effet un article à part entière. 

Deux cas se présentent :

  • soit le miracle est fait au nom de Dieu. Dans ce cas, il atteste une complaisance divine. L’Ancien Testament nous décrit de nombreux miracles que réalisent les envoyés de Dieu pour justifier l’origine divine de leur mission ;
  •  soit le miracle est fait au nom propre de Notre Seigneur Jésus-Christ, montrant ainsi sa toute-puissance divine
Dans les deux cas, le miracle a pour objectif la foi. Comme les prophéties, les miracles sont des signes très certains de l’origine divine d’un témoignage.

Conclusion





Ainsi selon la Sainte Église, les miracles sont des faits réels montrant de façon très certaine la Toute-puissance de Dieu. Ils dépassent les forces de toute créature possible. C’est pourquoi ils suscitent l’admiration. Ce sont donc des signes divins qui nous conduisent vers une autre réalité, c’est-à-dire vers Dieu. Ce sont des interventions divines qui en outre confirment la Révélation.

C’est pourquoi les miracles et les prophéties sont des points essentiels qui nous permettent de distinguer la vraie religion des innombrables croyances. Certes, ils peuvent être rejetés par ceux qui ne sont pas dans de bonnes dispositions mais ils ne doivent pas être négligés ou méprisés par ceux qui sont soucieux de répandre la vérité et la foi. Un tel refus revient à enlever aux hommes de bonne volonté un moyen sûr et efficace d’accéder à la lumière. Cela revient aussi à les maintenir dans l’obscurité de l’ignorance …





Note et références
[1] Émeraude, septembre 2015, article, 
« Les signes : derrière le visible, l'invisible».
[2] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, Livre III, chapitre 101.
[3] Voir Émeraude, septembre 2015, article « Prophétie et miracles, des arguments apologétiques de premier ordre ».
[4] Pie IX, Syllabus ou Catalogue d’erreurs qui ont été condamnées dans différentes déclarations de Pie IX, 8 décembre 1864, §1, n°7, Denzinger 2907.
[5] Ier Concile de Vatican, constitution dogmatique Dei Filius sur la foi canonique, canon 3 du 3§ intitulée la foi, 28 avril 1870, Denzinger 3033.
[6] 1er Concile de Vatican (1870), Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, 3ème session, 24 avril 1870, chapitre 3, Denzinger 3009.
[7] Pie XII, encyclique Humani Generis, 12 août 1950, Denzinger 3876.

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