" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 26 juillet 2015

Tertullien et le judaïsme (2/2) : Contre les Juifs

Dans ses Dialogues, le philosophe chrétien Saint Justin nous donne un florilège des objections juives contre la foi chrétienne. Bien informé et se justifiant uniquement par la Sainte Écriture, il démontre la véracité de la doctrine chrétienne tout en soulignant les erreurs de l’interprétation juive. Il démontre surtout la profondeur et la cohérence de la lecture chrétienne. Le Chrétien a en effet reçu la grâce de bien entendre la Parole de Dieu alors que le Juif s’obstine dans une lecture erronée des textes sacrés. Certes la démonstration de l’apologiste ne peut convertir Tryphon qui s’obstine dans son aveuglement mais elle prouve d’une part que l’Église seule détient les clés de lecture de la Sainte Écriture et que d’autre part la raison éclairée par la lumière divine est capable par la Sainte Écriture de prouver la véracité de la doctrine chrétienne. La lecture chrétienne de la Sainte Bible accède finalement à la Parole de Dieu… 

Tertullien [1] défend aussi la doctrine chrétienne face aux Juifs en s’appuyant sur la Sainte Écriture. Il revendique le droit de l’utiliser. Or il est « homme, sorti des nations et qui n'est pas Juif, ni de la race d'Israël par le sang »(I). Ainsi doit-il justifier et légitimer ce droit face aux Juifs qui refusent aux chrétiens une telle prétention. Formés de toutes nations, les Chrétiens peuvent en toute légalité s’appuyer sur la Sainte Écriture pour se défendre et enseigner leur doctrine car ils forment le nouveau peuple de Dieu qui s’est substitué au peuple juif. Ils peuvent légitimement se revendiquer de Dieu. 

Contrairement à Saint Justin, Tertullien n’a pas pour objectif premier de prouver la messianité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Certes, il le démontre mais sa démonstration n’est qu’une étape pour atteindre son but. 



Contre les Juifs

Son œuvre résulte d’une expérience. Tertullien est témoin d’un débat inefficace qui a opposé un chrétien et un prosélyte juif, c’est-à-dire un converti. « La discussion se prolongea de part et d'autre jusqu'au soir, sans qu'ils eussent rien avancé. D'ailleurs le bruit de quelques auditeurs causait un tel trouble que la vérité demeura comme enveloppée d'un nuage. »(I) La meilleure façon d’avancer dans la vérité est d’exposer les arguments de manière calme et posé dans un livre, loin des bruits et de l’agitation de l’auditoire. Trop de passions agitent les discussions. Le livre permet de dépasser la sensibilité des protagonistes. Tertullien montre peut-être l’échec des débats entre les Juifs et les Chrétiens. 

La méthode de Tertullien est simple. Il démontre d'abord que les faits auxquels les protagonistes sont témoins ont été effectivement annoncés par la Sainte Écriture. Ils sont donc l’accomplissement des prophéties bibliques. Il montre ensuite qu’aucune autre réalité ne peut prétendre à en être la réalisation. Or les prophéties et les figures que contiennent les textes sacrés sont des signes destinés à reconnaître la volonté de Dieu. Par conséquent, il faut reconnaître dans les faits qui se sont produits l’accomplissement de la volonté de Dieu

Or il a été annoncé la naissance d’une nouvelle alliance qui remplace l’ancienne. Par conséquent, comme le temps des prophéties s’est accompli, cette alliance existe désormais. Un nouveau peuple est donc né. Le peuple juif n’est donc plus le peuple de Dieu. Il a perdu ses droits au profit des Chrétiens. Il s’obstine alors dans son erreur en prétendant qu’il est toujours le peuple élu de Dieu. 

« Il suffirait déjà, en effet, que les nations pussent être admises à la loi de Dieu, pour qu'Israël ne fût pas en droit de répéter avec orgueil que « les nations ne sont qu'une goutte d'eau dans un vase d'airain, qu'une paille légère emportée par le vent. » Toutefois nous avons dans les oracles de Dieu lui-même des promesses et une garantie infaillibles »(I)

La substitution du peuple juif par le peuple chrétien dans l’élection divine 

Pour s’opposer à la prétention juive, Tertullien montre que le peuple chrétien a supplanté le peuple juif comme les Prophètes l'ont annoncé. Certes, les Juifs sont premiers dans l’ordre du plan de Dieu car ils ont été le premier peuple à reconnaître et à servir Dieu mais justement, par la voix d’Abraham, Dieu a annoncé que l’aîné devait être supplanté par le plus jeune. « C'est pourquoi, puisqu'il est reconnu que le peuple juif est la nation qui est venue la première dans l'ordre des temps, et qu'elle a été l'aînée par la grâce de sa vocation à la loi, tandis que notre peuple est le plus jeune, attendu qu'il n'a obtenu la connaissance de la divine miséricorde que vers la fin des temps, il ne faut pas douter, suivant l'oracle sacré, que le premier peuple qui est notre aîné, c'est-à-dire le peuple juif, ne soit nécessairement, asservi au plus jeune, et que le plus jeune, c'est-à-dire encore le peuple chrétien, ne triomphe de l'aîné. » (I) 

L’élection du peuple juif n’est pas en effet éternelle. Dès l’origine, elle a été prévue comme étant temporaire, devant ensuite être offerte à toutes les nations. Dieu l’a en effet donnée en sachant bien qu’elle ne pouvait durer. 

En outre, l’élection n’est pas garantie par l’appartenance au peuple de Dieu. Elle s’appuie sur une loi et plus précisément sur l’obéissance à cette loi. 

Universalité du salut dès le commencement

L’universalité de la loi n’est pas seulement une promesse. Elle est déjà présente dès l’origine du monde comme l’atteste toute l’Histoire sainte depuis le commencement. S’ils s’obstinent dans leur exclusivisme religieux, les Juifs se montrent en fait incohérents avec l’ensemble de la Sainte Écriture. En effet, il faudrait savoir « pourquoi il faudrait croire que le Dieu qui créa l'universalité des êtres, qui gouverne le monde tout entier, qui forma l'homme de ses mains, qui sema sur la terre tous les peuples sans exception, n'aurait donné sa loi par Moïse que pour un seul peuple, au lieu de la donner pour toutes les nations. » (II) La loi du salut est universelle car le salut lui-même est offert à tous sinon l’œuvre de la Création n’aurait aucun sens. Selon Tertullien, le salut suppose une loi. 

Il faut en fait revenir au commencement. Dieu a donné à Adam une loi qui si elle avait été suivie aurait justifié Adam et Ève. « La loi primitive donnée à Adam et à Ève dans le paradis, est comme la mère de tous les préceptes de Dieu. »(II) Elle contient en effet les commandements de Dieu. « En un mot, s'ils avaient aimé le Seigneur leur Dieu, ils n'eussent point violé son précepte; s'ils avaient aimé leur prochain, c'est-à-dire eux-mêmes, ils n'eussent point cru aux suggestions du serpent, et ils n'eussent point été homicides contre eux-mêmes en se privant de l'immortalité, parce qu'ils avaient enfreint le précepte de Dieu. De même, ils se fussent abstenus du larcin, s'ils n'avaient pas goûté secrètement du fruit de l'arbre, et s'ils ne s'étaient pas cachés sous son ombre pour échapper aux regards de Dieu. Ils n'eussent pas été enveloppés dans la même ruine que le démon, père du mensonge, s'ils n'avaient pas cru sur sa parole qu'ils deviendraient semblables à Dieu. Par là, ils n'eussent point offensé la bonté paternelle de ce Dieu, qui les avait formés du limon de la terre, comme s'il les avait tirés du sein d'une mère. S'ils n'avaient pas désiré le bien d'autrui, ils n'eussent pas goûté du fruit défendu. Ainsi dans cette loi générale et primitive, dont Dieu avait borné l'observance au fruit d'un arbre, nous reconnaissons implicitement tous les préceptes qui devaient germer plus tard et en leur temps dans la loi postérieure. »(II) 

Il existe donc une loi primitive qui, avant l’élaboration de la loi de Moïse, aurait justifié les hommes. L’arrivée du péché qui résulte de la désobéissance de cette loi nécessite une autre loi. Tertullien est en effet convaincu qu’avant la loi de Moïse, il existait une loi dont l’obéissance aurait ouvert à tous les hommes les portes du salut. « En un mot, avant la loi de Moïse, gravée sur des tables de pierre, j'affirme qu'il exista une loi non écrite, mais comprise et observée par nos pères, en vertu des lumières naturelles. […] Comment Noé aurait-il été trouvé juste, si la justice de la loi naturelle ne l'eût pas précédé ? D'où vient qu'Abraham a été regardé comme l'ami de Dieu, sinon par l'équité et la justice de la loi naturelle ? D'où vient que Melchisédech est appelé « prêtre du Très-Haut, » si avant le sacerdoce de la loi lévitique, il n'y a pas eu de lévites qui offrissent à Dieu des sacrifices ? »(II)

La loi de Moïse n’est donc pas nécessaire en soi pour se sauver. Ou dit autrement, elle n’est pas absolue. Mais elle a bien été donnée par Dieu pour répondre à une nécessité temporaire. « N'allons pas enlever à Dieu la puissance qui modifie les préceptes de la loi pour le salut de l'homme, d'après les besoins des temps. » (II) Elle a pour objectif de préserver le peuple élu de Dieu puis d’étendre l’élection divine à tous les hommes afin de leur apporter le salut

L’ancienne Loi comme signe et non comme source du salut

S’il y a un nouveau peuple, les Chrétiens se substituant aux Juifs, il y a nécessairement une nouvelle alliance et donc une nouvelle loi qui la fonde. Les textes sacrés annoncent effectivement une nouvelle loi différente de l’ancienne mais une loi qui contrairement à l’ancienne sera éternelle. Tertullien en vient à établir les différences entre ces deux lois à partir des prophéties. Il est alors conduit à définir la finalité des prescriptions mosaïques dans le plan de Dieu. « La circoncision n'était qu'un signe caractéristique, qui servirait à faire reconnaître Israël à la fin des temps, lorsqu'il lui serait interdit d'entrer dans la cité sainte à cause de ses crimes, ainsi que l'attestent les oracles des prophètes »(III) Dieu a donc donné une Loi à Israël à titre de signe et non de salut. 

Différences entre les Lois

Tertullien traite des deux observances importantes du judaïsme : la circoncision et le sabbat. La circoncision juive est charnelle et donnée de manière temporaire. Elle doit être remplacée par une autre circoncision, cette fois-ci spirituelle. « La première circoncision qui avait été donnée, devait cesser, pour faire place à une loi nouvelle »(III). Le sabbat est aussi temporaire contrairement au sabbat éternel que promet la Sainte Écriture. « Nous reconnaissons par là que le sabbat temporaire appartient à l'homme, tandis que le sabbat éternel remonte à Dieu. »(IV) Or aujourd’hui, nous constatons bien l’instauration d’une nouvelle circoncision et d’un nouveau sabbat. Ils annoncent donc l’accomplissement de la loi nouvelle. « Ainsi avant ce sabbat temporaire, un sabbat éternel avait été annoncé et signalé d'avance, de même qu'avant la circoncision de la chair avait été prédite la circoncision de l'esprit »(IV) 

Cette différence entre les deux Lois transparaît aussi dans l’objet même de la religion : le sacrifice. Tertullien prend l’exemple des premiers sacrifices de la Sainte Écriture, celui d’Abel et de Caïn. Les « sacrifices terrestres du fils aîné, c'est-à-dire d'Israël, nous sont figurés dès le berceau du monde par les offrandes de Caïn, tandis que nous trouvons dans celles du fils le moins âgé, d'Abel, c'est-à-dire de notre peuple, des sacrifices d'une autre nature. »(V) L'un reçoit l'approbation divine, l'autre la réprobation : « d'une part, réprobation des sacrifices charnels dont Isaïe parle […] et de l'autre, promesses d'un sacrifice spirituel et agréable au Seigneur, comme l'annoncent les prophètes »(V). Seuls les sacrifices de l'actuelle et éternelle alliance sont désormaois approuvables

Obsolescence de l’ancienne Loi

La loi de Moïse est caduque puisqu’elle n’est plus applicable. Dans l’ancienne Loi, les sacrifices doivent en effet être offerts uniquement dans le Temple. Or depuis l'an 70, il n’existe plus. Cette destruction définitive avait été prédite, associée à une autre annonce, celle du sacrifice universel, qui se réalise dans les églises. L’Esprit a annoncé « par la bouche des prophètes, qu'un jour des sacrifices seront offerts sur toute la face de la terre et en tout lieu, ainsi que le prédit Malachie, un de ces douze anges que nous appelons prophètes » (V). N’ayant plus de Temple, les Juifs doivent modifier les prescriptions au lieu de reconnaître l’accomplissement des prophéties. 

La Sainte Écriture annonce bien deux Lois différentes, l’une valable pour un temps, l’autre applicable pour l'éternité. « Maintenant qu'il est manifeste pour nous qu'il a été prédit un sabbat temporaire et un sabbat éternel, une circoncision charnelle et une circoncision spirituelle, une loi temporaire et une loi éternelle, des sacrifices charnels et des sacrifices spirituels, la conséquence veut qu'aux temps où ces préceptes charnels avaient été donnés au peuple Juif, ait succédé le temps où devaient cesser la loi et les cérémonies anciennes, pour faire place aux promesses de la loi nouvelle, à la connaissance des sacrifices spirituels et à l'accomplissement de la nouvelle alliance »(VI) La loi ancienne a cessé, la nouvelle loi promise est maintenant en vigueur.

Une nouvelle Loi, un nouveau Législateur

Or toute Loi nouvelle nécessite un nouveau législateur. Et ce nouveau législateur est bien arrivé. Il n’est donc pas nécessaire d’en attendre un autre. Est-ce que « l'auteur de la loi nouvelle, l'observateur du sabbat spirituel, le pontife des sacrifices éternels, le maître éternel du royaume éternel, est venu ou non […] ? S'il est venu, il faut le servir. S'il n'est pas venu, il faut l'attendre, pourvu qu'il soit manifeste qu'à son avènement les préceptes de la loi ancienne doivent céder la place aux lumières de la loi nouvelle. »(VI) Les Juifs vivent de la même croyance. Ils espèrent en l’avènement de ce nouveau législateur. Pour reconnaître l’arrivée du nouveau Législateur, les Prophètes nous ont donné des signes . « Pour le démontrer, nous avons besoin d'examiner les temps que les prophètes avaient marqués pour l'avènement de Jésus-Christ, afin que, si nous reconnaissons qu'il a paru aux temps marqués par eux, nous soyons fermement convaincus qu'il est ce même Christ annoncé par les prophètes, et auquel les nations devaient croire. »(VII)


Cet événement se détermine selon les prophéties et les figures que contient la Sainte Écriture. Le temps a notamment été prédit par Daniel. Or les années se sont bien écoulées selon sa prophétie. En outre, une des marques du temps nouveau est l’universalité de la foi dont tous peuvent témoigner aujourd’hui. « Voici ce que dit le Seigneur Dieu au Christ mon Seigneur : Je t'ai pris par la main pour t'assujettir les nations; je briserai pour toi les forces des rois; les portes des villes s'ouvriront en ta présence, et aucune d'elles ne te sera fermée ? »(VII) Cette prophétie s’est en effet accomplie puisque le nom de Dieu est adoré par les Gentils. Les nations se convertissent au christianisme. Des Juifs aussi se convertissent.

Deux points importants de sa démonstration sont à souligner. Tertullien expose comme preuves les miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ et la fin des prophètes. Notre Sauveur est « le sceau et la consommation de tous les prophètes ». « Jésus-Christ, en accomplissant tout ce que les prophètes avaient autrefois prédit sur sa personne, est comme le sceau et la consommation de tous les prophètes. En effet, depuis son avènement et sa passion, il n'y a plus ni vision ni prophète qui l'annoncent comme devant venir. Si cela n'est pas vrai, que les Juifs nous montrent donc quelques volumes écrits par les prophètes depuis Jésus-Christ ou les miracles visibles de quelques anges, tels que les prophètes en avaient vus jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ qui est descendu parmi nous, ce qui a été le sceau ou la consommation de la vision et de la prophétie. » (VIII) 

Les objections juives

Les Juifs s’appuient essentiellement sur trois faits pour s’opposer à l’interprétation chrétienne des prophéties. 

D’abord, les faits évangéliques ne sont pas conformes à certaines prophéties messianiques, notamment la prophétie d’Isaïe annonçant un Messie victorieux à la guerre. « Nous en appelons à la prophétie d'Isaïe, et nous demandons si ce nom que le prophète lui donne et tous les caractères qu'il lui attribue conviennent véritablement au Christ qui est déjà venu. Isaïe annonce qu'il «se nommera Emmanuel, qu'il détruira la puissance de Damas, et qu'il enlèvera les dépouilles de Samarie en présence du roi d'Assur. » Or, ajoutent-ils, celui qui est venu n'est pas connu sous ce nom, et n'a jamais fait la guerre. »(IX)

Dans cette prophétie, il ne faut pas demeurer dans sa littéralité. Il faut saisir le sens du mot « Emmanuel », c’est-à-dire en hébreu « Dieu avec nous ». « Cette représentation exacte du mot Emmanuel, ne se vérifie-t-elle point dans le Christ, depuis que ce soleil de justice a brillé sur le monde ? » (IX) Les Juifs convertis ne cessent de le répéter. Dieu est venu parmi nous. Il faut de même saisir le sens figuré de l’expression guerrière. L’erreur des Juifs est justement de ne vouloir comprendre la Sainte Écriture qu’au sens littéral. A ce niveau, la prophétie est incompréhensible. Comment le Messie est-il capable d’abattre l’orgueil de Damas avant même de parler ? « Il faudra conclure de ces expressions qu'elles sont figurées. » (IX) Pour expliquer la prophétie, Tertullien utilise le même sens que Saint Justin. Nous retrouvons aussi l’argument qu’il a utilisé dans son ouvrage Contre Marcion.

Les Juifs accusent les Chrétiens de se fonder sur une version biblique erronée. Isaïe n’aurait pas annoncé une Vierge accouchant le Messie mais une jeune fille. Tertullien s’oppose à son tour à leur interprétation. Le prophète parle bien d’une vierge et non d’une jeune fille comme ils prétendent. Si cette naissance est commune à tous les hommes, comment pourrait-elle être un signe ? « Un événement aussi commun que la conception et la maternité chez une jeune fille pouvait-il être signalé comme un prodige? Mais une vierge mère! Voilà un signe auquel j'ai raison de croire. » (IX) De nouveau, il en appelle à la cohérence de la Parole de Dieu.

Enfin, le troisième point d’achoppement est sa Croix. « Vous refusez de croire à sa passion et à sa mort, parce que, selon vous, il n'avait pas été prédit que le Christ expirerait sur la croix. D'ailleurs, comment croire, ajoutez-vous, que Dieu ait livré son Fils à un genre de mort si honteux, quand il avait dit lui-même : « Maudit celui qui est suspendu au bois! » ---- L'examen du fait doit précéder ici le sens de cette malédiction. »(X) En effet, dans la Sainte Écriture, la mort sur la Croix est jugée comme maudite par Dieu. « Lorsqu'un homme aura commis un crime digne de mort, il mourra et vous le suspendrez au bois ; mais il sera enseveli le même jour, parce que celui qui est suspendu au bois est maudit de Dieu; et vous prendrez garde de ne pas souiller la terre que le Seigneur votre Dieu vous aura donnée en possession. »(X) 

Or Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas un criminel. Il est l’innocence même. Ce qui est en fait maudit ce n’est pas la sentence mais le crime qui conduit à ce genre de mort. « Ce n'est donc pas Jésus-Christ que son Père maudit dans ce genre de mort. Loin de là, il a établi cette distinction, que tout homme qui, coupable d'un crime digne de mort, et condamné à mourir, expirerait suspendu au bois, serait maudit de Dieu, parce qu'il était suspendu au bois en punition de ses crimes. Mais d'ailleurs le Christ, dont le mensonge ne souilla jamais les lèvres, qui fut un modèle accompli de justice et d'humilité, ne fut pas livré à ce genre de mort comme châtiment de ses iniquités, ainsi que nous l'avons exposé plus haut, mais pour accomplir les prédictions des prophètes qui vous désignaient comme les instruments de sa mort ; témoin encore ce que l'Esprit du Christ chantait d'avance dans les Psaumes »(X) 

La valeur des signes

Sa mort est encore un signe qui permet de reconnaître le Messie. Notre Seigneur Jésus-Christ meurt sur la Croix pour accomplir la Sainte Écriture. Et comme dans le cas de la naissance virginale, Dieu a annoncé ce qui devait arriver afin de préparer les esprits. Le signe n’est en effet efficace que si elle est donnée d’avance. « Il endura donc toutes ces indignités, non pas pour quelque œuvre qui lui fût personnelle, mais pour accomplir les Écritures sorties de la bouche des prophètes. Il fallait donc que la prédiction retraçât d'avance le mystère de sa passion. Plus il contrariait la raison humaine, plus il devait exciter de scandale, annoncé sans voiles. Plus il était magnifique, plus il était nécessaire de le cacher sous de saintes ténèbres, afin que la difficulté de comprendre nous fît recourir à la grâce de Dieu. »(X) Tertullien montre aussi la nécessité de la grâce divine pour croire.




La Sainte Écriture a aussi préparé les âmes par les différentes figures qui transparaissent derrière des faits et des attitudes. La prière de Moïse, debout en croix, en est un exemple. « Pourquoi cette attitude, lorsque au milieu de la consternation publique, et pour rendre sa prière plus agréable, il aurait dû fléchir les genoux en terre, meurtrir sa poitrine, et rouler son visage dans la poussière? Pourquoi? Sinon parce que là où combattait le nom de Jésus qui devait terrasser un jour le démon, il fallait arborer l'étendard de la croix, par laquelle Josué devait remporter la victoire. Que signifie encore le même Moïse, après la défense de se tailler aucune image, dressant un serpent d'airain au haut d'un bois, et livrant aux regards d'Israël le spectacle salutaire d'un crucifié, pendant que des milliers d'Hébreux étaient dévorés par les serpents en punition de leur idolâtrie ? »(X) Ces événements prennent sens grâce à l’accomplissement de la Sainte Écriture. Le Nouveau Testament éclaire l’Ancien.

Il n’est donc pas possible de ne point reconnaître le Messie dans les souffrances et la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. La raison ne peut s’y opposer. « Si la dureté de votre cœur rejette ces explications et s'en moque, il me suffit, nous l'avons prouvé, que la mort de Jésus-Christ ait été prédite, pour que je sois en droit de conclure qu'elle s'est consommée par le supplice de la croix »(X).

Les malheurs des Juifs comme signes

Le temps de la nouvelle Loi est enfin annoncé par la ruine du peuple juif ici-bas et dans les cieux. Les Prophètes ont aussi prophétisé la cause de leurs malheurs. « Oui, Ézéchiel annonce votre ruine, comme châtiment de votre déicide, et il l'annonce non pas seulement pour le siècle dans lequel elle s'est déjà consommée, mais pour le grand jour des vengeances qui viendra ensuite. »(XI)

Or les maux annoncés sont accomplis : « leur terre est devenue déserte, leurs villes ont été la proie des flammes, les étrangers dévorent leur patrie jusque sous leurs veux. La fille de Sion a été abandonnée comme la hutte après la saison des vendanges, comme une cabane dans un champ de concombres. » (XIII)

Par conséquent, il faut reconnaître de nouveau les prophéties qui annoncent la désolation du peuple juif comme une punition. Quel est donc ce crime ? « Depuis quand ! Depuis qu'Israël n'a point connu le Seigneur; depuis qu'il a été sans intelligence, qu'il a répudié son maître, et irrité la colère du Dieu, fort. »(XIII) Leur crime est de ne pas avoir reconnu le Christ en dépit des signes qui leur ont été donnés. Les prophéties ont en effet annoncé la cause de leurs malheurs. « Parce que mon peuple a fait deux maux ; il m'a abandonné, moi la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, fosses entr'ouvertes qui ne peuvent retenir l'eau » sans aucun doute lorsqu'ils ont refusé de recevoir Jésus-Christ, « qui est la source d'eau vive. » Ils ont commencé à se creuser des citernes sans fond, c'est-à-dire, ils ont formé parmi les nations où ils sont dispersés, des synagogues dans lesquelles ne réside plus l'Esprit saint comme il résidait autrefois dans le temple, avant l'avènement de Jésus-Christ, qui est le temple véritable de Dieu. »(XIII) 

La fin des signes

Ainsi comme tout ce qui a été annoncé pour la venue du Messie s’est accompli, il n’est plus nécessaire d’avoir des prophètes et des signes. Le prophète Daniel a ainsi annoncé la fin du temps des prophètes et des visions. La clôture de l’Ancien Testament est donc un signe que le Messie est déjà arrivé. « La prophétie s'étant donc accomplie par son avènement, c'est-à-dire par sa naissance […] et par sa passion, […], voilà pourquoi Daniel disait que « la vision et la prophétie étaient scellées, » parce que le Christ est le sceau et la consommation de tous les prophètes, en accomplissant tout ce qu'ils ont annoncé sur sa personne. Car, après son avènement et sa passion, « il n'y a plus ni vision ni prophétie. » Il a eu raison de dire, par conséquent, que sa présence parmi nous est le sceau de la vision et de la prophétie. »(XI)

Si le temps annoncé est bien arrivé, les Juifs doivent donc reconnaître leur châtiment et leurs erreurs. « Puisque les Juifs prétendent que leur Christ, dont nous avons prouvé l'avènement par tant de témoignages, n'est pas encore venu, qu'ils reconnaissent au moins la réalité du désastre que la prophétie leur annonçait, après son avènement, comme la récompense de leurs mépris, de leur cruauté et de leur déicide. »(XIII)

Le signe de l’universalité de la foi

Le troisième point démontrant que le temps de la Nouvelle Loi est arrivé est l’universalité de la foi comme cela a été prévu par la Sainte Écriture. « Regarde toutes les nations sortant de l'abîme des erreurs humaines, pour arriver à la connaissance du Seigneur Dieu créateur et de son Christ, Dieu comme lui ! »(XII) Il s’agit donc d’ouvrir les yeux et de constater que tous les peuples ont rompu avec le paganisme. Dieu a brisé « les liens des captifs » (XII). Tout cela est rendu possible par Notre Seigneur Jésus-Christ. « Si toutes ces merveilles s'accomplissent par Jésus-Christ, confessons-le ! Elles n'ont été prédites que pour Jésus-Christ seul, dans qui nous les voyons s'accomplir. »(XII)

Les principes de l’erreur des Juifs 

Comment pouvons-nous alors comprendre que les Juifs n’aient pas reconnu le Messie en Notre Seigneur Jésus-Christ en dépit des signes nombreux que Dieu nous a fournis dans la Sainte Écriture ?

Les Juifs ont mal interprété les prophéties car ils ont confondu deux évènements, la venue du Messie pour accomplir l’œuvre de la Rédemption et son retour dans la gloire. « Les prophètes ont décrit sous de doubles images le double avènement de Jésus-Christ. Le premier devait se manifester au milieu des abaissements de toute nature. […] Ces marques d'ignominie appartiennent à son premier avènement, tandis que la grandeur et la majesté caractérisent le second. Alors il ne sera plus la pierre de chute et de scandale, il deviendra la principale pierre de l'édifice. »(XIV) La première venue est dans l’humiliation et le combat contre le démon, la seconde est dans l’éclat de sa gloire et de sa majesté. 

Les Juifs ont concentré leur regard uniquement sur la deuxième parousie. Certes la première venue est difficilement perceptible contrairement à la seconde. Mais les signes qui ont été accomplis en Notre Seigneur Jésus-Christ enlèvent cette obscurité. Il s’agit désormais d’ouvrir les yeux. « Plus de doutes ! Le premier avènement devait s'accomplir au milieu des abaissements et des outrages ; les figures qui l'annonçaient étaient obscures. Le second, au contraire, est éclatant de lumière et digne d'un Dieu. Aussi, les Juifs n'eurent-ils qu'à lever les yeux pour reconnaître cette seconde apparition à l'éclat et à la dignité dont elle brille, tandis que les voiles et les infirmités de la première, indignes de la Divinité, assurément, durent tromper leurs regards. Aussi, affirment-ils, de nos jours encore, que leur Christ n'est pas venu, parce qu'ils ne l'ont pas vu paraître dans sa majesté, ne sachant pas qu'il devait se montrer d'abord dans les abaissements et l'humiliation. »(XIV)

Il s’agit donc maintenant de comprendre les prophéties et de reconnaître leur accomplissement en Notre Seigneur Jésus-Christ et dans les événements présents. « Il suffit d'avoir ainsi rapidement parcouru ce qui concerne le Christ, en témoignage qu'il est venu tel qu'il était annoncé, pour que nous comprenions d'après cette merveilleuse concordance des divines Écritures, que les événements annoncés par la prédiction comme devant s'accomplir après Jésus-Christ, se sont accomplis conformément aux dispositions divines. En effet, si celui, après lequel ces événements devaient s'accomplir, n'était pas venu, jamais ceux qui étaient annoncés pour sa venue n'auraient eu leur consommation. Lors donc que vous voyez toutes les nations sortir du gouffre de l'erreur humaine pour marcher à Dieu le créateur et à son Christ, vous n'osez pas nier que cette merveille ait été prédite. »(XIV)

Ainsi les événements dont les Juifs eux-mêmes sont témoins et les prophéties de la Sainte Écriture témoignent de l’accomplissement de la volonté de Dieu en Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est Celui qui a été promis. Il est l’envoyé de Dieu. « Nie donc que ces événements aient été prédits, quoiqu'ils soient manifestes pour tous ; ou qu'ils aient été accomplis, quoique nous les lisions dans les Écritures : ou bien si tu ne peux nier ni l'un ni l'autre, il faut bien qu'ils se soient accomplis dans la personne de celui que désignaient les prophéties. »(XIV) Par conséquent, le temps de la nouvelle alliance est arrivé. Les Chrétiens forment donc le nouveau peuple de Dieu. Ils se substituent aux Juifs. Ainsi ont-ils le droit et la légitimité d’appuyer leurs doctrines sur la Sainte Écriture. Ils en sont devenus les dignes possesseurs.

Conclusion

Nous retrouvons dans le Contre Juif de Tertullien de nombreux arguments de son ouvrage Contre Marcion. Si l’intention est différente, l’objectif reste le même. L’Ancien Testament contient des signes qui doivent nous faire reconnaître l’accomplissement de la volonté de Dieu dans la réalité. Or les faits dont tous sont témoins sont conformes à ces signes. Par conséquent, nous sommes arrivés au temps annoncé. Ainsi rompre les deux Testaments, comme le fait Marcion, ce n’est plus comprendre le plan de Dieu. C’est remettre en question la réalité de la nouvelle Loi et donc la véracité du christianisme. Ne pas reconnaître Notre Seigneur Jésus-Christ comme le sceau et l’accomplissement des prophéties, comme les Juifs, c’est refuser de reconnaître le plan de Dieu. 

Dans les deux cas, il y a méconnaissance de la pensée divine telle qu'elle est accessible dans la Sainte Écriture. Il y a aveuglement et obstination dans l'erreur. Et l'obstination conduit au châtiment. 

Mais pour dévoiler le sens qui se cache derrière les prophéties et les figures, la grâce divine est indispensable. La foi permet de lire efficacement le Sainte Écriture. Croire pour comprendre et comprendre pour croire, nous dira Saint Augustin…

Les Chrétiens forment un peuple qui par Notre Seigneur Jésus-Christ s’est substitué aux Juifs selon la volonté même de Dieu comme Il l’avait annoncé. L’Église est alors l’héritière de la Sainte Écriture et de ses promesses. Par leur refus, les Juifs s’en sont dépossédés. Par leurs erreurs, les hérétiques n’en ont aucun droit. L’Église est la seule autorité légitime pour interpréter la Parole de Dieu et pour enseigner les vérités divines. C'est par elle que nous pouvons atteindre la pensée de Dieu.








Note et référence
1 Nous étudions l’œuvre de Tertullien, Contre les Juifs, traduit par E.-A. de Genoude, 1852, proposé par Roger Pearse, 2005, accessible via JesusMarie.com.

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