" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 6 novembre 2022

L'intercession des Saints

Mère de Dieu, Sainte Marie l’est assurément, non pas parce que plusieurs conciles l’ont affirmé mais parce que telle est la vérité, vérité qu’ils ont justifiée, non inventée, pour dénoncer et combattre les erreurs qui la niaient. Ce titre si cher aux chrétiens depuis au moins le IIIe siècle n’est pas sans conséquence sur la dévotion que nous lui apportons et sur notre foi. Pouvons-nous en effet croire que la maternité divine laisserait Sainte Marie dans un rôle mineur dans notre vie chrétienne et dans notre salut ou comme tous les saints, elle resterait pour nous uniquement une voix parmi tant d'autres, voire simplement un exemple à suivre ici-bas ?

Des mouvements protestants contestent pourtant la place qu’elle occupe dans l’Église et dans nos prières, voyant par là un ombrage pour l’œuvre de son Fils. Il est vrai qu’ils refusent de croire à toute intercession de saints auprès de Dieu, sans contester leur valeur, puisque Notre Seigneur Jésus-Christ demeurerait pour nous le seul et unique intermédiaire, le seul qui nous sauve. Il serait donc inutile, voire dangereux, d’interposer des saints entre nous et Lui, y compris Sainte Marie. 

Avant de poursuivre notre étude sur la mariologie, nous allons nous pencher sur la doctrine du culte des saints. Si celle-ci est justifiée, il sera alors plus aisé de la défendre. Comme nous l’avons souvent montré, la doctrine et la dévotion chrétiennes forment un tout cohérent. Si nous en séparons un des principaux éléments, l’ensemble vacille et perd de la cohérence…

Un culte inutile ?

Tentons d’abord d’entendre les doctrines protestantes concernant les saints. Revenons à leurs fondateurs. Pour Luther, nous sommes justifiés par la foi et uniquement par la foi, et non par les œuvres. Nous sommes sauvés par la seule grâce de Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ est donc notre seul intercesseur. Un saint n’est finalement utile que par leur exemple et leur enseignement. C’est pourquoi il supprime la fête de la Toussaint parmi les fêtes chrétiennes et s’oppose aux canonisations. Il finit par condamner l’invocation des saints dans la Cène du Christ, puis dans l’Épître sur l’art de traduire et sur l’intercession des saints.

Pour Jean Calvin et Zwingli, notre salut se fonde sur la double prédestination : Dieu élit les uns pour être sauvés, les autres pour être damnés. Par conséquent, la doctrine du purgatoire et la prière pour les morts sont inutiles. De même, est inutile l’intercession des saints pour nous. Selon leurs doctrines, il n’existe aussi qu’un seul et unique médiateur, Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils comprennent alors que notre salut ne doit être entièrement et en totalité que son œuvre. La moindre dévotion à l’égard des saints, le moindre pouvoir d’intercession remettent en cause sa gloire et sa souveraineté.

Un culte impie et diabolique  ?

Selon les fondateurs des différents mouvements protestants, le culte des saints n’est pas seulement inutile, il est encore et surtout impie et dangereux puisque, toujours selon leurs écrits, celui qui cherche refuge dans l’intercession des saints dérobe au Christ l’honneur de la médiation[1], ou plus clairement, il n’illustrerait que la persistance d’un culte idolâtre ou d’une forme de superstition. Luther y voit un « abus introduit par l’Antéchrist »[2], qui détourne de l’honneur dû à Dieu. Calvin encore plus catégorique. « Nous rejetons l’intercession des Saints, comme une superstition inventée des hommes contre l’Écriture vu même qu’elle ne procède que de défiance que l’intercession de Jésus-Christ ne soit suffisante. »[3] Dans une autre proposition de confession de foi, Calvin insiste sur l’invention diabolique de l’intercession des saints, qui « n’est qu’abus et tromperie de Satan, pour faire dévoyer les hommes de la forme de bien prier. »[4]

La doctrine de la communion des saints

Qu’enseigne l’Église sur le pouvoir d’intercession des saints ? Prenons notre profession de foi et lisons le 9e article : « je crois en la communion des saints ». Cette croyance chrétienne est très ancienne. Le symbole le plus ancien qui nous demande de croire en la communion des saints date du Ve siècle[5].

Qu’est-ce que la communion des saints ? Il s’agit de la communion ou de l’union des saints entre eux et leur commune participation aux biens spirituels ou aux choses de l’Église. Tel est en effet les deux significations de l’expression que nous donne l’actuel catéchisme catholique[6]. Retenons la première signification. Le terme de « saints » ne désigne pas seulement ceux qui sont déjà justifiés et possèdent la vie éternelle. Il désigne les fidèles encore vivants ici-bas, qui continuent leur pèlerinage sur la terre, et ceux, qui, ayant achevé leur vie se purifient encore, puis enfin ceux qui demeurent dans la gloire. Ce sont ceux qui appartiennent à l’Église, vivants et morts. Entre ces fidèles, il existe un lien qui les rattache les uns aux autres et grâce auquel ils participent aux mêmes intérêts et aux mêmes biens spirituels. Ou dit autrement, dans l’Église, sous ses trois états[7], comme toute société bien organisée, ses membres sont solidaires les uns des autres. Ils partagent les mêmes richesses, les joies et aussi les infortunes, les revers ainsi que les tristesses. L’ensemble de ces fidèles forment un seul corps uni à Notre Seigneur Jésus-Christ dont il est la tête. « La communion des saints n’est rien d’autre en effet […] qu’une communication mutuelle de secours, d’expiation, de prières, de bienfaits, entre fidèles qui sont soit déjà en possession de la patrie céleste, soit sont livrés encore au feu de l’expiation, soit encore en pèlerinage sur cette terre, et qui croissent ensemble pour former une seule cité dont la tête est le Christ et dont la forme est la charité. »[8]

Écoutons encore Léon XIII sur la réalité de la communion des saints. « Or cela est établi par la foi : même s’il n’est permis d’offrir l’auguste sacrifice qu’à Dieu seul, il peut cependant être célébré en l’honneur des saints qui règnent aux cieux avec Dieu qui les a couronnés, afin de nous concilier leur patronage et aussi, comme les apôtres l’ont enseigné, pour effacer la faute des frères qui, déjà morts dans le Seigneur, n’ont pas encore totalement expié… »[9]. Léon XIII distingue bien le culte que nous devons rendre à Dieu et celui que nous pouvons donner aux saints, culte qui se fonde notamment sur la communion des saints. Ce sont deux cultes de motif et de nature différents.

Le pouvoir d’intercession des saints selon l’Église

Dans sa volonté de préciser la doctrine chrétienne et donc les dogmes, le concile de Trente a défini et justifier le pouvoir d’intercession des saints et leur invocation. « Le saint concile enjoint à tous les évêques et à tous les autres ayant la charge et le devoir d’enseigner que, conformément à l’usage de l’Église catholique et apostolique, reçu dès les premiers temps de la religion chrétienne, et conformément au sentiment unanime des saints Pères et aux décrets des saints conciles, ils instruisent diligemment les fidèles, particulièrement sur l’intercession des saints et leur invocation, les honneurs dus aux reliques et le légitime usage des images. Aussi leur enseignent-ils que les saints qui règnent avec le Christ offrent à Dieu leurs prières pour les hommes : qu’il est bon et utile de les invoquer humblement et, pour obtenir de Dieu des bienfaits par son Fils Jésus-Christ notre Seigneur, qui est notre seul Rédempteur et Sauveur, de recourir à leurs prières, à leur aide et à leur assistance. »[10] Le concile décrit ainsi les relations entre les saints et les fidèles : les saints prient pour les fidèles sur la terre et ceux-ci les honorent et les invoquent. Il montre aussi que c’est bien par Notre Seigneur Jésus-Christ que Dieu accorde les bienfaits aux fidèles. Enfin, notons que le dogme se rapporte à la licéité et à l’utilité du culte des saints, et non à une obligation. L’Église n’enseigne pas que le culte des saints est nécessaire au salut. Ainsi, l’invocation et la dévotion aux saints ne s’opposent pas à l’honneur dû à Notre Seigneur Jésus-Christ puisque c’est par Lui que les saints nous obtiennent ses bienfaits.

Dans le cadre de cette mutuelle solidarité, les fidèles encore vivants ici-bas peuvent invoquer les saints, les prendre comme intercesseur auprès de Dieu, les charger de Lui offrir leurs prières et d’obtenir les secours dont ils ont besoin. C’est ainsi que l’actuel catéchisme définit l’intercession des saints en reprenant la constitution dogmatique Lumen Gentium [11] : « étant en effet plus intimement liés avec le Christ, les habitants du ciel contribuent à affermir plus solidement l’Église en sainteté […] Ils ne cessent d’intercéder pour nous auprès du Père, offrant les mérites qu’ils ont acquis sur terre par l’unique Médiateur de Dieu et des hommes, le Christ Jésus […] Ainsi leur sollicitude fraternelle est du plus grand secours pour notre infirmité. »[12] Le pouvoir d’intercession des saints n’enlève donc pas le rôle d’unique Médiateur qu’assume Notre Seigneur Jésus-Christ auprès de Dieu le Père.

Conclusions

Contrairement aux affirmations des protestants, le pouvoir d’intercession des saints, qui s’appuie sur le dogme de la communion des saints, ne porte aucun ombrage à Notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel nous obtenons les grâces divines. Il reste et demeure le seul Médiateur auprès de Dieu le Père. Nous pouvons prier directement auprès de Lui sans aucune difficulté. L’Église nous enseigne simplement que les saints qui jouissent de la présence divine et règnent avec Notre Seigneur Jésus-Christ ne cessent pas de prier auprès de Lui pour notre salut et que leurs prières ne sont pas vaines. C’est pourquoi il est « bon et utile », et non nécessaire, de les invoquer et de leur demander d’intercéder auprès de Lui, comme tout membre d’une même société ferait à l’égard d’un autre. C’est sans-doute le plus bel exemple de la charité qui anime l’Église sur terre comme au ciel. Comme le dit Saint Dominique, mourant, à ses frères : « ne pleurez pas, je vous serai plus utile après ma mort et je vous aiderai plus efficacement que pendant ma vie. »[13]

Et contrairement aux injures des protestants, cette charité devrait faire frémir le diable, surtout quand le fidèle connaît l’abîme qui sépare le culte qu’il doit rendre à Dieu avec le culte par lequel il peut honorer ses saints, ses hommes et ses femmes qui ont su croire et aimer ici-bas Notre Seigneur Jésus-Christ…

Enfin, s’il a existé des abus dans le passé, abus qu’a condamnés l’Église et qu’elle a cherché à combattre comme le rapporte le concile de Trente, notamment par un meilleur enseignement des dogmes, ces abus ne justifient pas les propos condamnables des fondateurs des protestants, qui, au lieu d’approfondir le dogme et de l’éclairer, ont sans-doute choisi la solution la plus simple, celle de la condamnation. En outre, il est peut-être beaucoup plus simple pour eux de dénoncer un enseignement quand celui-ci remet en cause des principes qu’ils prétendent être des vérités. Selon un principe qui nous est cher, un abus d’un usage, même généralisé et scandaleux, ne doit pas remettre en cause cet usage même, mais bien au contraire, cet usage doit être davantage éclairé, justifié et encadré comme l’a toujours fait l’Église. C’est ainsi que parfois elle avance, prenant davantage conscience du trésor que Notre Seigneur Jésus-Christ lui a confié…

 

Notes et références

[1] Voir Institution de la religion chrétienne, Calvin, 1541.

[2] Luther, Articles sur Smalkalde, 1537.

[3] Confession de foi de 1537, projet de foi présenté par Calvin et Farel à l’église réformée de Genève, regard.eu.org.

[4] Confession de foi de 1559, nouveau projet présenté par Calvin aux églises réformées de France, qui deviendra la confession de foi dit de La Rochelle, dans Histoire de la Réforme protestante, Cottret, Paris, dans museeprotestant.org.

[5] Nous pouvons citer une explication d’un symbole par Nicetas, évêque de Remesiana, mort après 414, ou encore deux fragments d’un symbole gaulois cité par Fauste, évêque de Riez (450-480). Voir Denzinger n°19, 25-26.

[6] Voir Première partie, deuxième section, chapitre III, article 9, §5, La communion des saints, n° 948, Catéchisme de l’Église catholique, vatican.va.

[7] Église triomphante, que forment les saints qui ont gagné le ciel, Église souffrante, ceux qui souffrent au Purgatoire, et Église militante ou combattante, ceux qui sont encore sur la terre.

[8] Léon XIII, encyclique Mirae Caritatis, 28 mai 1902, Denzinger n°3363.

[9] Léon XIII, encyclique Mirae Caritatis, 28 mai 1902, Denzinger n°3363.

[10] Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints, et sur les saintes images, Concile de Trente, 3 décembre 1563, Denzinger n°1821.

[11] Constitution dogmatique Lumen Gentium, 5e session, 21 novembre 1964, 2ème Concile de Vatican, n°49.

[12] Première partie, deuxième section, chapitre III, article 9, §5, La communion des saints, n° 956.

[13] Saint Dominique, dans livre 93, Saint Jourdan de Saxe, dans Catéchisme de l’Église catholique, n°956.

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