" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 1 janvier 2022

Le dogme du purgatoire, une invention du Moyen-âge ?

Pour attirer les âmes et les convertir, faut-il leur cacher les vérités qui peuvent les choquer ou les effrayer comme si elles n’avaient pour but que de leur plaire ? Faut-il aussi changer la perception traditionnelle de la doctrine chrétienne pour qu’elle soit plus acceptable pour nos contemporains comme si elle dépendait de leur bonne volonté ou de leurs sentiments ? Est-il encore possible de ne plus évoquer ce que l’Église défendait clairement comme vérité comme si cet enseignement relevait d’un âge suranné et évoluait en fonction de notre maturité ? Certes, la pédagogie doit évoluer dans ses méthodes et ses outils afin qu’elle s’adapte à son auditoire et le touche dans son intelligence comme dans son âme mais la vérité dépend-elle vraiment de celui qui l’entend ?

Pourtant, ne soyons pas dupes. Quand l’homme doit suivre des principes qui déterminent sa vie, il ne s’intéresse guère aux opinions, aux hypothèses et aux diverses théories. Il ne recherche pas non plus des paroles qui le caressent, douces et sans profondeur, plus enclines à ne pas offusquer qu’à affirmer. Il ne recherche que l’indicible vérité, même si elle peut être blessante aux premiers abords. Une gifle a parfois réveillé des consciences et sauvé des âmes

Quand nous voulons transmettre l’enseignement de l’Église, nous pouvons être tentés d’éviter les sujets qui peuvent gêner ou fâcher nos interlocuteurs ou encore embellir les aspects les plus contestés de sa doctrine ou les points qui nécessairement leur feront réagir. Un faux respect de l’autre, la peur ou la lâcheté peuvent en effet nous pousser à travestir les vérités que nous avons reçues. Finalement, nous ne voulons pas leur enseigner, c’est-à-dire les éclairer afin de les élever, mais plutôt les séduire et les laisser dans leur ignorance, leurs préjugés et leurs erreurs. Avant même de commencer, nous sommes déjà vaincus…

Dans notre société moderne, les sujets le plus occultés ou travestis de l’enseignement de l’Église sont très certainement ceux qui traitent nos fins dernières. Comme nous l’avons déjà longuement évoqué, l’idée d’un enfer ou d’une damnation éternelle est souvent relativisée, voire niée. L’idée d’un bonheur pour tous les hommes sans exception à la fin des temps paraît plus séduisante et propre à attirer bien des âmes. Ainsi, on n’hésite pas à affirmer qu’après le jugement dernier, les damnés seront sauvés ou  que l’enfer n’est qu’une menace sans réalité, une punition que Dieu dresse devant l’homme comme un père qui tente de fléchir son enfant. À quoi bon alors la religion ou la morale ? Une autre doctrine sur nos fins dernières est aussi passée sous silence, enjolivée ou clairement rejetée, celle qui traite du purgatoire. C’est le sujet de notre article…

« Le purgatoire n’existe pas »

Dans un de ses ouvrages[1] publié en 1981, Jacques Le Goff remet en cause l’existence du purgatoire qui illustre pour lui « le triomphe du jugement individuel au sein des nouvelles relations entre les vivants et les morts » et « l’un des grands épisode de l’histoire spirituelle et sociale de l’Occident »[2].

Il est vrai que le terme de « purgatoire », c’est-à-dire le lieu de purification (« locus purgationis »), est un terme qui daterait du XIIe siècle. Au siècle suivant, Innocent IV serait le premier pape à l’avoir utilisé dans un texte officiel pour désigner le lieu où l’âme doit se purifier avant d’accéder au ciel. Certaines voix au jugement hâtive ou peu soucieuses de vérité prennent alors prétexte de cette invention lexicologique pour affirmer que la doctrine elle-même viendrait du Moyen-âge et de l’Église latine, et finalement qu’elle ne relèverait pas du dépôt de la foi. C’est ainsi que Le Goff affirme que « jusqu’à la fin du XIIe siècle, le mot purgatorium n’existe pas comme substantif » et en conclut que « le purgatoire n’existe pas. »[3] Or, comme nous le rappelle une thèse en théologie, son étude prouve simplement, à partir « de la base du seul argument lexical », « la naissance du substantif purgatoire » et non de ce qu’il désigne[4]. L’auteure de cette thèse est aussi étonnée que, dans son introduction sur le purgatoire, Jacques Le Goff cite seulement Luther alors qu’il est un ardent adversaire de cette doctrine. Elle en conclut que « l’objet poursuivi par Le Goff s’avère être le purgatoire selon la représentation qu’en ont les détracteurs du purgatoire ! »[5] Si cela s’avère exact, son ouvrage n’est alors guère fiable.

Enfin, des articles récents que nous avons pu étudier identifient dans l’histoire de la notion de purgatoire une évolution dogmatique. Le purgatoire désignerait d’abord un état de l’âme avant de définir un lieu. Ils perçoivent alors une erreur doctrinale dans cette évolution.

L’enseignement de l’Église sur l’existence du purgatoire

Commençons par définir ce qu’enseigne l’Église sur le purgatoire. Le catéchisme de l’Église catholique nous enseigne que des hommes « qui meurent dans la grâce et l'amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu'assurés de leur salut éternel souffrent après leur mort une purification, afin d'obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel. »[6] Le catéchisme de Saint Pie X est plus précis. « Ceux qui meurent après avoir reçu l’absolution mais avant d’avoir pleinement satisfait à la justice de Dieu » vont « en purgatoire pour y satisfaire à la justice de Dieu et se purifier entièrement. »(§9) Ils appartiennent bien à l’Église, et plus précisément à l’Église souffrante (§5).

L’Église s’est prononcée solennellement à plusieurs reprises sur ce sujet. En 1274, une profession de foi admis par le deuxième concile de Lyon affirme que « les âmes qui se sont séparées du corps et dans le repentir sont purifiées après leur mort par des peines purificatrices. » Le concile de Florence reprend cet article de foi. La doctrine est définie dans le cadre de la politique d’union entre les Latins et les Grecs. Ces derniers n’avaient pas d’enseignement précis et complet sur le purgatoire bien qu’ils croyaient aux peines purificatrices que doivent subir des âmes dans un état intermédiaire entre le ciel et la terre avant le jugement dernier. Leur doctrine diffère essentiellement sur la nature et la durée de la purification des âmes du purgatoire.

Plus tard, le concile de Trente affirme que les âmes retenues au purgatoire sont purifiées entièrement avant d’entrer dans le paradis et de rejoindre les saints et les bienheureux. Il déclare fermement la doctrine chrétienne face aux erreurs protestantes qui rejetaient totalement la doctrine catholique sur le purgatoire, n’y voyant qu’une invention humaine. Luther la récusait, prétendant qu’elle était absente de la Sainte Écriture.

La notion de purgatoire dans la Sainte Écriture

Évidemment, le terme de « purgatoire » n’est pas présent dans la Sainte Écriture. Néanmoins, la doctrine qui s’y rapporte se fonde sur quelques versets bibliques. Trois passages sont en effet souvent utilisés pour la justifier.

Dans l’Ancien Testament, le second Livre des Macchabées nous informe de la coutume de prier et d’offrir des sacrifices pour les morts (cf. II Macch., XII, 43-46). Les Juifs croyaient en effet qu’il était possible de délivrer les âmes de leurs péchés par des sacrifices et des prières, ce qui leur permettait alors de connaître la résurrection heureuse. Nous en déduisons donc qu’il existe des âmes qui ne connaissent ni l’enfer ni le paradis mais qu’elles peuvent parvenir au ciel avec l’aide des fidèles vivants.

Dans l’Évangile selon Saint Matthieu, nous pouvons aussi lire que quiconque aura « parlé contre le Fils de l’Homme, son péché lui sera remis mais si quelqu’un parle contre le Saint-Esprit, son péché ne lui sera par remis ni dans ce siècle ni dans l’autre » (Matthieu, XII, 32), ce qui suppose qu’il y a des péchés qui sont remis ou expiés après la mort comme l’observe Saint Augustin. 

Dans son Épître aux Corinthiens (Cor., III, 11-15), Saint Paul évoque aussi la purification des âmes par le feu du jugement. Au jour du jugement, le feu vérifie l’œuvre de chaque défunt, et celui dont l’œuvre périt par les flammes est sauvé par le feu.

L’usage de prier pour les morts

L’usage de prier pour les morts est très ancien dans l’Église comme le témoigne des inscriptions funéraires qui datent d’avant du IIIe siècle. Contrairement aux païens, qui croyaient que les morts étaient des dieux familiers, leur offrant alors un culte divin, les chrétiens prient pour les morts. Nombreux sont les exemples de prières qu’ils adressent à Dieu à leur intention. Selon Tertullien (155-222), une des coutumes en usage dès le IIe siècle consiste en des offrandes pour les morts. « Certes, dit-il, cela n’est point prescrit par la loi écrite ; mais la tradition l’autorise, l’usage le confirme et la foi l’observe. La raison vient à l’appui de la tradition, de l’usage et de la foi »[7]. Il demande aux veuves de prier pour l’âme de leur mari défunt et demande pour eux l’adoucissement de leurs souffrances et la béatitude éternelle[8]. De même, selon Saint Athanase (295-373), grand défenseur de la foi, « les âmes souffrantes renfermées dans le sein de la terre, sentent le parfum de nos prières et du sacrifice que l’on offre pour elles, de sorte qu’elles sont grandement consolées et s’envolent plutôt vers le ciel. »[9] Dans son testament, Saint Éphrem demande de le secourir par la ferveur des oraisons et des prières. « Car les morts reçoivent du secours des sacrifices qu’offrent les vivants. »[10]

Tous les rites liturgiques de la Sainte Messe, qu’ils soient latins ou grecs, comportent une rubrique sur la prière pour les défunts. « Ce n'est pas en vain qu'à la messe le diacre dit : Prions pour tous ceux qui dorment dans le Seigneur, et pour ceux qui célèbrent leur mémoire. Il ne dirait pas cela, si on ne devait pas faire de commémoration pour les défunts. Les cérémonies de l'Église ne sont pas des jeux de théâtre : tout s'y fait d'après l'ordre du Saint-Esprit. Ne soyons donc point négligents à secourir ceux qui ont quitté ce monde et à offrir nos prières pour eux »[11]. Saint Épiphane réaffirme en effet l’utilité de la sainte messe pour les morts parce que, nous dit Saint Cyrille de Jérusalem, « nous croyons que la victime sainte et adorable, en présence de laquelle nous prions, est d'un grand soulagement pour les âmes des défunts »[12].

Par conséquent, si le sort des âmes des défunts peut évoluer et parvenir au ciel, cela signifie nécessairement qu’elles ne sont ni dans le ciel ni en enfer, et qu’elles ne sont pas condamnée éternellement. Le dogme du purgatoire est ainsi fondé sur la Sainte Écriture qui reconnaît l’utilité de la prière pour les défunts et la règle de la prière qui exprime le besoin d’une purification sanctifiante avant de pouvoir paraître devant Dieu.

L’enseignement des Pères de l’Église

Écoutons désormais les Pères de l’Église, d’abord par un père apostolique du IIe siècle. Dans sa troisième vision, Hermas voie parmi les membres destinés à édifier l’Église ceux qui sont rejetés pour un temps pas très loin de la tour afin qu’elles fassent pénitence pendant que la tour soit encore en construction, c’est-à-dire au jugement dernier. Ces pierres ne sont pas acceptées dans l’édifice puisqu’elles doivent encore expier leurs péchés et ne sont pas non plus brisées comme les fils d’iniquités[13]. Pouvons-nous y voir dans ces pierres d’abord rejetées mais prévues pour bâtir la céleste Jérusalem les âmes du purgatoire ? Ce serait peut-être dépasser la pensée de l’auteur qui ne songe qu’aux pénitences dans ce monde…

Tertullien est sans-doute l’un des premiers à parler avec clarté et précision des âmes purifiées après la mort. Il affirme que l’âme du défunt doit payer sa dette jusqu’au dernier denier, faisant ainsi allusion à la parabole de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les âmes destinées à la résurrection bienheureuse mais imparfaitement lavées de leurs fautes font alors l’objet d’expiation[14]. Elles attendent dans la douleur leur avènement.

Saint Cyprien précise encore la doctrine. Dans une lettre qu’il adresse à Antonianus, il distingue ceux qui vont directement au ciel comme les martyrs et ceux qui devront encore attendre avant de le rejoindre pour poursuivre leur pénitence dans l’au-delà, même s’ils sont pardonnés. « C’est une chose en effet, dit-il, d’attendre le pardon, une autre de parvenir dans la gloire ; une autre de ne sortir de prison qu’après avoir payé sa dette jusqu’au dernier quart d’as, et une autre de recevoir du premier coup la récompense de sa foi et de son courage, une chose de se laver de ses péchés par le tourment d’une longue souffrance et de se purifier en quelque sorte par le feu, et une autre de purifier son âme de tous ses péchés par le martyre, une chose enfin d’être en suspens en attendant la sentence du Seigneur au jour du jugement, et un autre d’être tout de suite couronné par le Seigneur. »[15] Dans ce passage, Saint Cyprien fait allusion au feu purificateur « purgari diu igne ». Il distingue aussi nettement le pardon du péché et la peine du péché. L’âme est pardonnée et donc peut entrer dans le ciel, mais faut-il auparavant qu’elle satisfasse pleinement à la justice divine.

Saint Éphrem le Syrien et Saint Hilaire de Poitiers partagent les morts entre trois catégories : les parfaits qui vont au ciel pour l’éternité, les impies qui entrent en enfer et y demeurent, et enfin les imparfaits ou pécheurs amendés, soumises à la purification. Après leur séparation avec le corps, des âmes entrent donc dans l’un des trois états. Parmi elles, les « imparfaites » doivent être purifiées. Lorsque leur purification sera achevée, elles rejoindront les « parfaits ».

Chez Saint Ambroise, toutes les âmes subissent le feu du jugement. Les bons passent sans douleur à travers ce feu et vont dans le « paradis » ou « troisième ciel » ; ceux qui sont tout à fait mauvais vont dans l'enfer ; les chrétiens imparfaits vont dans un lieu de purification, où ils doivent attendre leur perfection. Pendant cette purification durant le « temps intermédiaire », les âmes sont aidées par les intercessions et les sacrifices des chrétiens vivants afin qu'elles soient plus vite purifiées. À cette fin, elles sont recommandées à Dieu dans les prières et dans la sainte messe. L’aumône est une autre manière de secourir les défunts.

Comme tous les autres éléments de la doctrine chrétienne, Saint Augustin s’interroge sur les âmes vouées au feu purificateur. Il y apporte quelques éclaircissement et hypothèses sans néanmoins se montrer novateurs. Il précise que les défunts qui devront connaître le feu purificateur sont les chrétiens assurés du salut mais qui, tout en gardant l’essentiel des préceptes de Notre Seigneur Jésus-Christ, sont encore trop attachés aux plaisirs des sens et aux affections permises, ceux qui ont besoin de miséricorde mais qu’ils n’en sont pas indignes. L’hypothèse d’un feu tourmentant ces âmes ne lui semble pas incroyable. Il émet aussi l’hypothèse selon laquelle cette purification s’achève avant la résurrection finale. Le feu qui purifie les âmes de manière douloureuse s’achève au jour du Jugement dernier alors que celui que subissent les damnés est sans fin.

Saint Augustin insistant particulièrement sur l’efficacité des prières offertes par les vivants à l’égard des fidèles défunts. Ceux-ci ont en effet besoin de notre secours. Il présente deux grands moyens de les secourir, l’aumône et le saint sacrifice de la messe. Ils peuvent en profiter car par leurs œuvres, ils ont mérité d’en profiter et après leur mort ils ne sauraient rien mériter.

Ses successeurs compléteront de manière définitive la doctrine chrétienne sur le purgatoire[16]. Saint Césaire d’Arles décrit les deux destins qu’attendent les âmes, le ciel ou l’enfer. Après la mort, l’âme reçoit immédiatement la récompense ou le châtiment entier. Cependant, des âmes, quoique justes mais encore trop attachées aux biens de la terre et chargées de menues fautes (« peccata minuta ») qu’elles n’ont pas suffisamment expiées par la pénitence et l’aumône ou peu zélée dans les œuvres de charité, doivent se purifier par la souffrance. Leur bonheur est ainsi retardé. La même doctrine est aussi nettement par Saint Grégoire, Saint Isidore, Saint Julien de Tolède ou encore par le vénérable Bède. Les fautes mortelles dont les hommes n’ont pas fait pénitence mènent au feu éternel alors que les fautes légères non expiées conduisent au feu purificateur (« ignis purgatorius »). Cela reste pour ces âmes un état transitoire. La sanction définitive réside soit dans le ciel, soit en enfer.

Saint Césaire relève des expressions qui tendent à relativiser les souffrances auxquelles sont soumises âmes dans leur état de purification. Il assure qu’elles devront traverser un fleuve de feu autant de temps que cela leur sera nécessaire[17]. Bède nous rappelle que si leurs peines ne sont pas abrégées par les prières, aumônes et suffrages des fidèles, elles souffriront jusqu’au jugement général. Les théologiens latins reprennent en effet la doctrine de leurs prédécesseurs. Les âmes dans l’état de purification peuvent être soulagées et délivrées plus tôt de leurs peines par les prières, aumônes, bonnes œuvres accomplies en leur faveur, et par l’offrande du saint sacrifice de la sainte messe[18].

Chez les Grecs après le Ve siècle, selon Tixeront, seul Saint Maxime le Confesseur professe clairement un jugement particulier qui succède à la mort, « jugement dans lequel les hommes dont les œuvres sont mêlées de bien et de mal seront purifiés par la crainte comme par le feu. »[19] Au siècle suivant, les écrits grecs sont surtout préoccupés par les erreurs de l’origénisme qui semblent se réveiller. Mais comme le remarque aussi Tixeront, la théologie grecque prolonge celle des siècles précédents. La pensée grecque est en quelques sortes épuisée.

Et la raison, que dit-elle sur les âmes du purgatoire ?

Si Saint Thomas d’Aquin n’a pas pu définir la doctrine du purgatoire dans la somme théologique, il n’en a néanmoins traité de ce sujet dans d’autres ouvrages et avance des raisons qui apportent des arguments de convenance en faveur de ce dogme.

L’argumentation de Saint Thomas d’Aquin est très simple. La vie éternelle n’est pas accessible aux âmes qui n’ont pas expié totalement leurs peines ou restent encore attachées à des choses peu compatibles avec la béatitude. « Parce que l’ordre de la justice divine veut que pour les fautes il y ait une peine, il faut bien qu’après cette vie leurs âmes expient la peine qu’ils n’ont pas satisfaite en ce monde. »[20] Des âmes peuvent s’être repenties de péchés mortels sans avoir fait pénitence en leur vie de manière satisfaisante ou complète. Mais elles ne méritent pas l’enfer puisqu’elles se trouvent dans l’état de charité. Ainsi, sont-elles « retardées pour un temps » avant de connaître la béatitude éternelle.

Des âmes doivent aussi expier des peines en raison de quelques péchés véniels ou d’attachements coupables qui ne remettent pas en cause leur état de charité, « car on ne parvient à obtenir la vie éternelle que si l’on est exempt de tout péché et défaut. »[21]

Conclusion

Selon l’enseignement de l’Église, pour entrer au ciel, des âmes de défunts doivent être purifiées de leurs fautes mineures et achever leurs peines dues aux péchés mortels déjà pardonnés ici-bas mais non encore totalement expiés afin de satisfaire la justice divine. Leur purification doit s’achever avant le jugement dernier. Ce temps de purification est donc provisoire. Les âmes peuvent néanmoins être soulagées ou voir leur temps abrégé par les prières des vivants, leurs aumônes et par le saint sacrifice de la sainte messe. Si la Sainte Écriture apporte quelques éléments attestant ce dogme, les principaux éléments résident dans la Sainte Tradition, particulièrement dans le culte et l’usage des prières aux morts et dans l’enseignement unanime des Pères de l’Église, qu’ils soient grecs ou latins. Ces éléments se retrouvent dans la profession de foi de Michel Paléologue que valide le IIème concile de Lyon ainsi que dans les déclarations dogmatiques des conciles Florence et de Trente.

Il est naturellement difficile de croire, en raison de la sainteté et de la justice de Dieu, que le péché ou l’impureté puissent entrer au ciel mais aussi qu’une âme soit vouée à la damnation éternelle pour une faute légère ou en raison d’un temps d’expiation insuffisant. Comment peut-elle en effet ne pas jouir de la béatitude éternelle alors qu’elles se trouvent dans l’état de charité avant que la mort ne les surprenne ? Il est donc nécessaire d’admettre un état intermédiaire entre le ciel et l’enfer dans lequel s’accompliront la purification et la préparation des âmes au ciel. Le dogme du purgatoire n’est donc pas déraisonnable ou irrationnel. Il rappelle que notre vie éternelle dépend de notre état au moment de la mort.

Cependant, nous ne pouvons pas ignorer que non seulement le dogme du purgatoire fait l’objet d’un rejet de la part des protestants et des orthodoxes mais qu’on tend à l’adoucir ou à le relativiser en notre siècle peu enclin à l’idée de la satisfaction par la souffrance. Quand il n’est pas clairement nié, c’est la finalité même de la purification et donc sa nature qui sont remises en cause. Dans leur discours, le purgatoire devient alors un lieu de joie puisqu’il est une porte d’accès au paradis ! Or, la purification peut-elle être sans douleur ni souffrance ?...

 

 Notes et références

[1] Voir La Naissance du Purgatoire, Jacques Le Goff, Gallimard, 1981.

[2] Voir La Naissance du Purgatoire, Jacques Le Goff.

[3] Voir La Naissance du Purgatoire, Jacques Le Goff.

[4] Voir Le purgatoire dans les littératures d’Égypte et d’Afrique du Nord (Ier-Ive siècle après J.C.), Charlotte Touati, Introduction, 1, Université de Toulouse, Université de Neufchâtel, 2012, école doctorale de théologie et de sciences des religions, thèse soutenue le 20 septembre 2012, théologie protestante.

[5] Voir Le purgatoire dans les littératures d’Égypte et d’Afrique du Nord (Ier-IVe siècle après J.C.), Charlotte Touati, Introduction, 1.

[6] Catéchisme de l’Église catholique, 1030.

[7] Tertullien, De corona, IV,

[8] Voir De Monogamia, Tertullien, X.

[9] Saint Athanase, Questiones ad Antiochum, question 4.

[10] Saint Éphrem, Le Testament de Saint Éphrem, XIII, traduit du syriaque par M. Rubens Duval, Journal asiatique, juillet-décembre 1901.

[11] Saint Jean Chrysostome, Homélie LI sur la première épître aux Corinthiens.

[12] Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèse XXIII.

[13] Hermas, Le Pasteur d’Hermas, Vision III.

[14] Voir De Anima, Tertullien, n°57-58.

[15] Saint Cyprien, Lettre à son frère Antonianus, lettre 55, trad. par l’abbé Thibaut, Tours, 1869, www .abbaye-saint-benoit.ch.

[16] Voir Histoire des dogmes dans l’antiquité chrétienne, Tixeront, Tome III, La fin de l’âge patristique (430-800), §13, 4ème édition, 1919. Tixeront nous décrit la théologie latine sur l’eschatologie à la fin de l’âge patristique.

[17] Voir Sermons CCLII, 3 et CIV, 5, Saint Césaire d’Arles.

[18] Voir Homélie, I, 4 de Bède, Dialogue, IV, 55 de Saint Grégoire le Grand et Prognost, I, 21, de Saint Julien de Tolède.

[19] Tixeront, Histoire des dogmes dans l’antiquité chrétienne, Tome III, La fin de l’âge patristique (430-800), 4ème édition, 1919.

[20] Saint Thomas d’Aquin, Bref résumé de la vie chrétienne, compendium theologiae, 1ère partie, 1er traité, 2, chapitre 181, trad. du Père Kreit, nouvelles éditions latines, 1985.

[21] Saint Thomas d’Aquin, Bref résumé de la vie chrétienne, compendium theologiae, 1ère partie, 1er traité, 2, chapitre 182.

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