" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 25 avril 2020

Une crise à surmonter mais des critiques à remettre en cause


Des crises sont parfois salutaires. Elles nous délivrent de notre aveuglement et nous obligent à nous sortir de notre zone de confort dans lequel nous nous sommes complus. Certes, elles sont dures à vivre, très souvent éprouvantes mais elles sont également libératrices et nous forcent à résoudre des problèmes que nous ne voulions pas regarder en face ou dont nous refusions d’admettre l’existence. La crise que manifeste la révolution protestante en est un exemple. Elle a donné lieu à une profonde et efficace réforme au sein de l’Église, lui redonnant une clarté et une force qu’elle avait perdue.

La crise de la morale chrétienne qui affecte l’Église depuis très longtemps devrait aussi aboutir à un tel résultat. La situation est en effet dramatique comme nous l’avons pu constater dans nos précédents articles. Non seulement la morale chrétienne n’influence guère la société contemporaine mais au sein même de l’Église, son existence est remise en question. Comme nous le révèle publiquement l’encyclique Veritatis Splendor [1], des erreurs touchent gravement à son intégrité. Les scandales qui secouent l’Église reflètent sans-doute la situation dangereuse dans laquelle elle se trouve. La morale de notre société est encore plus sinistrée [2].

Certes, la crise de la morale chrétienne peut être causée par un processus « préparé de longue date et toujours en cours de réalisation, de la liquidation de la conception chrétienne de la morale […], marquée par un radicalisme sans précédent au cours des années 1960. »[3] Mais, cette raison nous paraît insuffisante pour l’expliquer. Par son désir d’ouverture au monde, à un monde qui rejette la présence de Dieu, le deuxième concile de Vatican a probablement accéléré le processus. Le dénigrement systématique de l’enseignement classique qui a touché l’Église n’a guère permis de le restaurer. Le regard était entièrement tourné vers l’innovation, vers les nouvelles idées, vers un monde fabuleux, porteurs d’espoir et de progrès, mais sans s’appuyer sur le trésor extraordinaire de l’Église. Le même phénomène s’est aussi produit sur la liturgie, avec le même mépris et la même arrogance, et nous connaissons aujourd’hui le prix exorbitant de la folie qui a dévasté nos églises et les a vidées. Il n’a pas non plus épargné l’enseignement de la morale chrétienne.

Aujourd’hui, la crise se poursuit. Faut-il néanmoins nous décourager et nous replier comme écrasés par le poids du drame ? Ce serait oublier Notre Seigneur Jésus-Christ. Sa victoire, qui est aussi la nôtre, est déjà assurée. Il faut néanmoins combattre cette crise tout en restant fidèle à son Église. Le combat commence par une réelle prise de conscience. Il n’y a point de solution viable en dehors de l’Église. Il faut la puiser dans le trésor qu’elle conserve précieusement et donc connaître la richesse qu’elle détient. Mais comment pouvons-nous la trouver ? Son histoire en est sans-doute un des moyens fiables pour y accéder …

Cependant, avant de parcourir cette histoire, nous allons revenir sur la morale catholique telle qu’elle était enseignée avant que la tempête ne secoue le navire. Revenons donc au constat…

L’enseignement classique de la théologie morale

Avant les années 60, l’enseignement de la théologie dans l’Église reproduit la division de la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin.

Une première partie traite de Dieu premier principe en Lui-même, dans l’unité de sa nature et la trinité de ses personnes, et les œuvres qu’Il a créées, qu’Il conserve et qu’Il gouverne par sa providence. La deuxième partie s’occupe de Dieu fin dernière, vers laquelle doit tendre les hommes en orientant leurs actions vers Lui, sous la direction de la Loi et l’impulsion de la grâce, en pratiquant les vertus et les devoirs particuliers à chaque état. La troisième partie montre le Verbe incarné se faisant notre  voie pour aller à Dieu et instituant les sacrements pour nous communiquer la grâce afin de nous conduire à la vie éternelle.

Cette division de la théologie est primordiale. Elle nous décrit en particulier d’où nous venons et vers où nous devons aller sans oublier les moyens d’y parvenir. Notre route est clairement et solidement indiquée. La morale chrétienne s’appuie donc sur cette connaissance et sur les moyens que Dieu nous a fournis pour parvenir aux buts de notre vie.

L’Église nous apprend donc que Dieu nous a non seulement créé et racheté mais qu’Il nous a donné gratuitement une participation de sa vie divine afin qu’un jour nous puissions Le rejoindre dans son éternité. Il s’agit donc de cultiver et de préserver la vie divine en nous. C’est le but de la théologie morale.

Elle nous montre comment nous devons éviter le péché et pratiquer les vertus ainsi que les devoirs d’état. Il est aussi possible de la perfectionner en suivant les règles définies par la théologie ascétique allant ainsi au-delà des commandements.

Enfin, nous pouvons parvenir ici-bas à une vie contemplative en suivant la théologie mystique.

L’enseignement de morale comprend donc finalement les théologies morale, ascétique et mystique.

La morale chrétienne ne se réduit donc pas à une liste de commandements ou un « code de péchés ». Elle est beaucoup plus riche que nous le croyons. En outre, elle n’est pas décorrélée de la foi. Elle est en effet difficilement compréhensible si elle n’est pas liée à la connaissance de Dieu et de l’histoire de notre salut.

Les anciens manuels de morale

Ouvrons un des manuels de la morale chrétienne du siècle passé [4], très souvent incriminés par les innovateurs. Il ne traite que de la théologie morale. Il est composé de trois livres.

Le premier définit les notions de base et les principes afin de bien discerner les conditions et les qualités nécessaires que doivent présenter nos actions pour être aptes à nous faire atteindre notre fin. Cette partie discerne ainsi clairement nos responsabilités.

Le deuxième traite des vertus de foi, d’espérance et de charité puis les dix commandements. Ce sont un ensemble de règles que nous devons observer pour tendre à notre fin dernière. Ce livre traite donc des devoirs et des péchés.


Le troisième étudie les sacrements, c’est-à-dire sur les moyens institués par Dieu pour nous aider à atteindre notre fin dernière.

Étude d’un précis de moral

L’introduction définit ce qu’est la théologie morale : « l’exposé scientifique de l’activité humaine en tant que, s’appuyant sur la raison et les données de foi, elle tend à nous faire atteindre notre fin dernière surnaturelle. » La morale catholique s’appuie en effet sur la raison, c’est-à-dire sur la pensée de nombreux philosophes compatible avec la doctrine et adaptée à notre foi. Elle se fonde aussi sur la Sainte Écriture et la Sainte Tradition. Néanmoins, nous trouvons peu de citations et d’exemples tirés de la Révélation. Mais, celle-ci est implicitement présente. Par ailleurs, un tel précis n’a pas pour vocation de démontrer ou d’appuyer ce qu’il affirme. La morale ne se fonde pas uniquement sur la vérité définie par la raison ou la Révélation. Elle s’appuie aussi sur une législation, et plus précisément sur celle de l’Église, c’est-à-dire sur le code canonique, et sur celle de l’État, c’est-à-dire sur le code civil. Elle prend donc en compte les règles qui s’appliquent dans la société au temps de ce manuel.

Étude d’un manuel plus complet

Prenons un autre manuel de théologie morale, plus ancien et plus volumineux. Il date de 1853. En deux tomes, il suit le même cheminement que le précédent. Il s’adresse aux curés et aux confesseurs, et se présente comme « un résumé des principales questions pratiques qui ont été discutées par les Docteurs, concernant la morale, l’administration des sacrements et le droit canonique. »[5] Contrairement au livre précédent, nous trouvons des citations de la Sainte Écriture, de papes, de Saint Thomas d’Aquin et surtout de Saint Alphonse de Liguori. Il reprend aussi des conférences. Il expose aussi les difficultés et les points qui font l’objet de discussions. Soulignons qu’il est en effet très pratique au point que nous y percevons les mœurs de son temps. Il répond à des questions qui peuvent concerner des confesseurs. Ce manuel répond donc à un besoin bien précis et pour une population déterminée. Il n’a pas donc pour vocation d’être transmis aux fidèles sauf si ces derniers veulent approfondir leurs connaissances.

Étude d’un troisième manuel 

Un ouvrage daté de 1929 puis révisé en 1959 apparaît plus novateur. Il est écrit par deux dominicains McHugh et Callan. Il se veut plus concis, pratique et intéressant. Certes, dans son introduction, il précise que la matière est technique et scientifique. Il s’adresse aux confesseurs mais aussi aux individus. Ainsi, l’ouvrage ne se limite pas aux vices et aux péchés mais aussi à tout ce qui pourrait permettre à l’individu de former des habitudes vertueuses et un caractère trempé, surtout à l’égard de ceux qui sont responsables d’âmes, y compris les enseignants. La théologie morale « veut rendre l’homme capable non seulement de savoir ce qui est défendu, comment il peut échapper aux maladies morales et à la mort éternelle, mais de comprendre quels sont ses devoirs, et comment il peut vivre une vie vertueuse qui le maintienne toujours en état de grâce. »[6]


Contrairement aux autres manuels, l’ouvrage définit avec plus de précision ce qu’est la théologie morale, notamment par rapport à l’éthique et à la casuistique, ses sources et ses méthodes. Il fournit aussi une brève histoire de la matière ainsi que différents systèmes de morale. Il est fondé sur l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin et suit la méthode scolastique.

La première partie porte sur la théologie morale générale. Elle traite d’une manière générale des moyens qui conduisent à la fin dernière de l’homme, des caractères qui sont communs à tous les actes bons, qu’ils soient accomplis en tenant compte de la loi et de la conscience. Cette partie prend en compte la nature et la moralité des actes, des habitudes, les différentes lois et enfin la conscience.

La deuxième partie traite d’une façon particulière des moyens pour parvenir à cette fin en considérant les sortes de devoirs que tous doivent accomplir ainsi que ceux qui sont propres à certains états. Le premier point définit chaque vertu théologale et morale selon un plan identique. Après sa définition, les actes, les habitudes afférentes, l’ouvrage définit le don correspondant puis traite des péchés commis contre elle et les commandants qui lui sont associés. Le second point traite des applications des vertus générales aux différents états des hommes selon les diversités de grâces, des opérations et des ministères. L’ouvrage se préoccupe des devoirs des membres de l’Église selon les commandements de l’Église, c’est-à-dire ceux des fidèles, des clercs et des religieux, puis des hommes en tant que membre d’une société domestique et civile. Enfin, l’ouvrage se termine par les devoirs des hommes en ce qui concerne l’usage des sacrements.

Les articles définissent des règles, décrivent leur partie négative et positive, fournit parfois un bref historique. Ils nous renvoient sur la Sainte Écriture, des déclarations pontificales, sur le droit canonique.

Premiers constats

St Alphonse de Liguori
Après cette brève description de trois manuels anciens de théologie morale (1853, 1934, 1953), nous pouvons constater la volonté des auteurs de fournir un enseignement pratique et adapté à leur société, prenant même les obligations de la loi civile de leur époque. Ils se veulent aussi concis et précis. Seul le manuel de 1853 aborde les questions les plus difficiles, celles qui soulèvent encore débat, mais il s’adresse à des lecteurs plus ciblés et intéressés. Nous notons une évolution dans leur rôle, une tendance à enseigner un public plus large. Au fur et à mesure, les ouvrages ne sont plus destinés uniquement à des séminaristes et des prêtres. Le manuel de 1853 est élaboré clairement dans le but de les éclairer, notamment dans leur fonction de confesseur. Celui de 1953 se veut plus générale et a la volonté de s’adresser aux laïcs.

Le contenu et les sources sont identiques. Le premier ouvrage contient plus de citations bibliques. Afin de fournir un ouvrage plus condensé, les deux autres nous donnent plutôt des références. Ce sont bien des précis de théologie. Il est donc naturel de ne pas y insérer des citations pour aller directement à l’essentiel.

Les deux premiers suivent un même plan, plutôt fondé sur les commandements divins, alors que le dernier se révèle plus novateur en s’attachant davantage aux vertus et aux devoirs, ce qui lui permet de mieux faire apparaître les aspects positifs de la morale.

Soulignons enfin que ces manuels ou précis de morale ne concernent que la théologie morale et ne prennent pas en compte les théologies ascétique et mystique.

Des critiques à remettre en cause

Quand nous écoutons certaines critiques sur la morale chrétienne, nous sommes parfois surpris par l’ignorance qu’elles manifestent parfois. Elle ne serait qu’un ensemble d’arguments subtils et douteux destinés à soulager la conscience des fidèles et finalement à contourner les exigences morales. C’est ainsi que le christianisme est accusé de pharisaïsme. Or de telles critiques portaient à l’origine sur la casuistique telle qu’elle était pratiquée par les jésuites selon les propos de leurs adversaires, les jansénistes. Les manuels et précis que nous avons étudiés ne peuvent guère faire l’objet de telles critiques. De telles critiques sont-elles encore d’actualité ?

Selon une autre critique, la morale catholique ne serait qu’une suite de normes présentées sèchement et sans les relier à leurs sources. Or, cette accusation ne porte pas sur la morale mais sur la théologie morale, c’est-à-dire sur son enseignement dans les séminaires et auprès de ceux qui en ont besoin. En outre, les manuels et précis que nous vous avons présentés, qui sont par ailleurs des ouvrages classiques, démontrent que la théologie morale est enseignée en relation à la Révélation et aux docteurs de l’Église.

Mais revenons à des questions essentielles. Le laïc a-t-il vraiment besoin de savoir d’où vient la règle morale qu’il doit pratiquer ? Le manuel lui est-il aussi suffisant pour pratiquer la morale ? De même,  le prêtre, peut-il se contenter des manuels dans le cadre de sa formation ou de son sacerdoce ? Nombreux sont en effet les ouvrages de morale qui la présentent, la nourrissent, et cela de manière plus vivante. Saint François de Salles, Saint Alphonse de Liguori et bien d’autres docteurs nous ont laissé de véritables chefs d’œuvre en matière de morale. Les manuels d’ascétique ne doivent pas non plus être oubliés. Les encycliques présentent une doctrine morale bien concrète et proche de notre temps. Enfin, la liturgie est nourrie de morale profonde qui nous guide et nous soutient dans notre marche. La théologie morale ne peut donc à elle-seule contenir toute la morale catholique. L’Église a pris le soin de l’enseigner par tous les moyens afin d’éclairer le fidèle de manière très pratique de manière efficace. Elle agit comme une mère qui profite de toutes les occasions pour éduquer ses enfants, les élever et les édifier…

Causes de la crise

« À la suite du Concile […], il s’est produit beaucoup de remue-ménage parmi les moralistes. Certains ont voulu tout bouleverser pour faire moderne et créer l’aujourd’hui ; on a beaucoup démoli, mais très peu construit. […] Le problème n’a donc fait que s’aggraver. »[7] Le constat est sans appel.

Certains jugements portés sur les manuels de morale nous paraissent bien trop sévères, voire mensongers. Ces ouvrages se montrent pratiques, authentiquement chrétiens, même si leur forme apparaît très structurée et rigoureuse. Leur aspect rationnel est même appréciable. La clarté des articles est indéniable et ne laisse guère de doute dans ce qu’il faut faire et ne pas faire. Ce sont finalement des ouvrages bien utiles pour vivre chrétiennement. Cependant, si ces manuels répondent bien aux besoins de leur époque, nous ne pouvons pas attendre d’eux des réponses aux besoins de notre temps. Mais, ce ne sont pas les seuls comme la morale ne s’est jamais réduite à ces manuels. Et les chrétiens ne se contentent pas de ces livres. Comment alors expliquer la crise dans laquelle nous vivons ?

D’une part, de nombreuses critiques semblent réduire la morale à ces manuels. Il est vrai que leur fonction et donc leur importance ne cessent de croître. Les difficultés que connaît l’Église dans une société de plus en plus sécularisée en sont sans-doute une cause. En outre, depuis la fin du XIXe siècle, l’Église s’est surtout concentrée sur la défense des vérités qu’elle doit enseigner, laissant le Magistère se prononcer sur les questions de morale au moyen d’encycliques très instructives et profondes. Il faut en fait attendre l’après-guerre et surtout les années 60 pour que la morale catholique soit au centre des préoccupations de l’Église.

Or, lorsque s’ouvre le deuxième concile de Vatican, l’enseignement classique est clairement dénigré et rejeté alors qu’il n’est pas prêt à le renouveler ou à en proposer de nouveaux axes bien précis et encadrés. C’est ainsi qu’il donne libre cours aux innovations dans une sorte d’optimisme naïf alors que le contexte est hostile et dangereux. D’abord, la société rejette fortement la présence de Dieu et les exigences de la morale chrétienne. En outre, elle remet en cause toute forme d’autorité, y compris dans l’enseignement. Le Magistère n’en est pas épargné. Enfin, des courants philosophiques récusent toute notion d’absolu et de permanence dans le temps au profit d’un évolutionnisme à tout crin. Ces trois maux touchent pleinement la morale chrétienne.

En outre, les manuels ne peuvent à eux-seuls présenter la morale dans sa totalité, surtout quand l’enseignement y est de plus en plus concis, se limitant aux règles et à des références, sans chercher à justifier puisque la justification y est implicitement présente mais ailleurs dans d’autres matières. La théologie morale ne doit pas en effet être pensée de manière isolée tant elle doit s’appuyer sur d’autres enseignements. Ce ne sont donc pas les manuels en eux-mêmes qui devraient causer tant de critiques mais la pauvreté de l’enseignement de la morale. En outre, l’enseignement de la morale ne doit pas non plus être aux mains seules des moralistes qui, comme tout expert, tendent à la développer en silos comme nous le voyons malheureusement avec les innovations actuelles. Le développement d’une morale autonome est en fait contraire au christianisme.

Son enseignement doit être bien encadré par l’autorité ecclésiastique. Or celle-ci a accepté de s’effacer depuis le second concile du Vatican, ne voulant plus ni affirmer ni condamner. Et naturellement, lorsqu’elle veut reprendre son autorité en matière de morale, elle provoque indignation et mépris de la part de la société et même des fidèles. La crise de la morale est ainsi décuplée.

Conclusions

Ainsi, la crise ne se situe pas principalement au niveau de la théologie mais peut-être au niveau de son enseignement et de sa cohérence auprès des chrétiens. Il n’est pas cohérent de leur demander de s’ouvrir au monde quand celui-ci méprise tant la morale chrétienne. Il n’est pas non plus judicieux de défendre l’œcuménisme moderne quand les religions présentent des morales bien différentes, apportant du relativisme au moment où ils ont besoin d’être soutenus, éclairés et convaincus. L’enseignement de la morale a été gravement touché par de telles incohérences. La crise de la morale est en fait la conséquence d’une crise plus profonde. Nous comprenons alors que le combat pour la vérité est indissociable à la défense de la morale chrétienne comme l’a en fait bien compris l’Église avant le deuxième concile de Vatican.

Il est indéniable qu’il existe une véritable rupture entre ces manuels et les discours actuels de la morale. Les premiers exposent un enseignement clair, sans ambiguïté ni hésitation, porté avec assurance et conviction, avec foi. Les seconds hésitent, refusent de trancher et d’imposer, de crainte peut-être de provoquer inquiétude, réprobation, refus. Les uns n’hésitent pas à condamner des comportements, les autres s’y refusent. Les uns n’hésitent pas à parler de péchés, les autres ne les évoquent guère. Or, une âme a besoin de savoir la vérité et de connaître des règles simples pour vivre, même si elles sont difficiles à entendre, même si elles déplaisent. Une morale qui tergiverse, refuse de porter un jugement sûr et fiable, et finalement de laisser à chacun le choix, n’est pas une morale. 

Cependant, notons que ces manuels tant décriés sont des livres techniques qui peuvent bien apparaître complexes pour tous les fidèles. Ils aident ceux qui se posent des questions et n’ont pas de prêtres à leur disposition. Mais, ils ne peuvent pas se substituer au catéchisme et aux connaissances éléments que tous les fidèles doivent connaître en matière de morale. Un précis de théologie morale n’a pas pour objectif de rappeler les connaissances élémentaires en matière de dogmes et d’histoire sainte. Au contraire, elle s’appuie sur elles. Il ne remplace pas non plus les lectures de livres de piété et d’édification. Il n’a pas non plus pour vocation de remplacer l’éducation catholique. C’est sans-doute là que réside le problème et donc que se trouvent en partie de véritables réponses à la crise de la morale catholique.

Ainsi, au moment même où l’enseignement classique de la morale devait s’enrichir sous la conduite de l’autorité de l’Église pour faire face à un contexte de plus en plus difficile et hostile, dans une société de plus en plus opposée à la morale chrétienne, au moment même où l’autorité de la morale s’affaiblit, sa voix devient incohérente et inaudible, il a été dénigré et méprisé puis détruit sans qu’un autre enseignement ne soit prévu pour affermir la formation des prêtes et instruire les fidèles,. La situation était trop belle pour ceux qui refusaient la conception de la morale catholique. C’est ainsi que dans les séminaires, s’est développé en toute impunité un processus « préparé de longue date et toujours en cours de réalisation, de la liquidation de la conception chrétienne de la morale […], marquée par un radicalisme sans précédent au cours des années 1960. »[8]

Épilogue

Aujourd’hui, nous arrivons donc à des aberrations morales scandaleuses. Nous pouvons ainsi lire dans des forums dits catholiques, qu’une catholique ne considère pas la sodomie comme un péché si elle contribue à faire développer l’amour avec son époux. Non seulement sa position est approuvée par d’autres mais elle a eu une confirmation de la part d’un confesseur catholique selon ses propos ! Nous retrouvons dans ses paroles toute l’erreur que Jean-Paul II a dénoncée dans son encyclique Veritatis Splendor. C’est surtout oublié les avertissements très clairs de Saint Paul et finalement les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ.

« La volonté de Dieu, c’est votre sanctification, c’est que vous vous absteniez de la fornication, que chacun de vous sache posséder son corps saintement et honnêtement » (Saint Paul, Épître aux Thessaloniciens, IV) car « sachez-le bien, aucun fornicateur n’a d’héritage dans le royaume du Christ. » » (Saint Paul, Épître aux Éphésiens, IV)…



Notes et références

[1] Voir Émeraude, mars 2020, article « La crise de la morale chrétienne : un constat amer et douloureux ».
[2] Voir Émeraude, avril 2020, article « Une crise qui révèle une autre, plus profonde ». Nous le constatons encore dans les décisions prises actuellement (IVG et euthanasie facilitées).
[3] Voir Pope Emeritus Benedict breaks silence on abuse crisis : full text, Benoît XVI, 10 avril 2019, Life Site News, lifesitenews.com, traduit sur le blog lebogdejeannesmits.blogspot.com.
[4] Précis de théologie morale catholique, 1934, R. P. Héribert Jone, traduit de l’allemand par l’abbé M. Gautier.
[5] Cardinal Gousset, Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs, Avis, Tome I, 9e édition, librairies J. Lecoffre et cies, 1853.
[6] John A. McHugh, Charles J. Callan, Théologie morale, Préface, 1959, révision par le père Edwards P. Farrel, trad. jesusmarie.fee.fr, 2016.
[7] OP Servais Pinckaers, L'Évangile et la morale, dans Études d'éthiques chrétiennes,  éditions universitaires de Fribourg, Suisse, édition du Cerf, Paris, 2ème édition, 1991.
8] Benoît XVI, Pope Emeritus Benedict breaks silence on abuse crisis : full text, 10 avril 2019, Life Site News, lifesitenews.com, traduit sur le blog lebogdejeannesmits.blogspot.com.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire