" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 18 avril 2020

Une crise qui révèle une autre, plus profonde


La peste d'Elliant, 1849, Duveau Louis-Jean-Noël,
Huile sur toile, musée de Quimper 



Aujourd’hui, le monde tremble devant un virus. La société est ébranlée dans son corps. Ses fondements vacillent. Elle craint, à juste titre, revivre les pires moments de son passé. Les plus clairvoyants frémissent devant l’avenir qui leur paraît bien plus sombre encore tant l’horizon annonce une tempête terrifiante. Les États n’ont pas d’autres solutions que de se cloisonner et de cesser toute activité non essentielle, conduisant alors étrangement à une récession économique, comme si finalement l’économie ne vivait que par nos vanités et nos illusions. C’est ainsi que pour combattre le virus, nous risquons de faire entrer l’humanité dans un enchaînement de malheurs. Cette maladie furieuse ne serait-elle qu’une première plaie pour que l’homme se réveille de son sommeil ? Vanité des vanités, tout n’est que vanité. La Sainte Écriture est d’une actualité saisissante.

Une crise aux terribles leçons

De nos jours, le moindre événement riche en émotions soulève une tempête extraordinaire aux conséquences insoupçonnables. Les moyens modernes de communication multiplient sa résonnance et accroissent l’agitation. Un peuple vit et s’agite ainsi selon le mouvement de son cœur, selon la succession des larmes, des colères ou des joies. Sans attendre, des décisions sont prises, espérant que demain sera différent d’hier. Finalement, seuls les coups de tonnerre semblent le faire réagir comme un enfant, ne pensant guère au lendemain. Est-il possible encore de construire un avenir solide au gré des événements ? Songeons-nous même à édifier une société ? Faut-il vraiment provoquer un mouvement violent ou une crise pour que le corps réagisse ?

« Nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutien et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’emballer et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, tous ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment salvatrices, incapable s de faire appel à nos racines et d’évoque la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité. »[1]

Pouvons-nous être surpris de ces crises successives qui s’abattent sur notre société de plus en plus violemment quand celle-ci a rejeté d’une simple geste de mépris et d’arrogance toute la richesse de notre histoire ? Sans piliers enfoncés dans une terre solide, sans fondement établi selon un art éprouvé par le temps et les hommes, l’agir n’est plus qu’agitation au gré des émotions et des passions devant les épreuves qui viennent ébranler notre existence superficielle. Nous ressemblons forts à des vieillards qui ont perdu toute mémoire ou encore au célèbre voyageur sans bagage…

Nos vulnérabilités

Certes, nous avons recours à des experts dont la science est sans-doute supérieure à nos aînés pour qu’ils trouvent des remèdes à nos maux mais faut-il laisser notre espérance dans les seules mains des spécialistes, qui, par définition, demeurent confinés dans leur savoir sans avoir l’étendue nécessaire du problème et de ses conséquences ? Connaissent-ils vraiment la sagesse dans toute sa largeur ? S’ils peuvent contribuer à comprendre et à apaiser le vent tumultueux de la tempête, ils ne peuvent à eux-seuls parvenir au retour du calme. Quel drame aujourd’hui de diriger des hommes à la seule lumière des spécialistes et même de la science ? Mais que peuvent-ils faire d’autres puisqu’ils se sont privés de l’aide précieuse de la mémoire de leurs aînés ?


« La tempête démasque notre vulnérabilités et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités »[1]. Devant la maladie, la menace de la mort, toute la vanité du monde se démasque. Pour celui qui est éprouvé par la souffrance et la misère, son âme est plus docile à la lumière. Le monde de confort dans laquelle elle a été enfermée ne résiste pas aux réalités et à la clarté du jour. Non seulement, sa laideur et ses vices se montrent telles qu’elles sont mais les murs s’écroulent, son refuge s’évanouit, la laissant seule dans un monde de solitude dans lequel elle n’était pas préparée. L’épreuve est à la fois douloureuse et salvatrice.

Cependant, malheureuse serait l’âme si elle s’égare de nouveau dans l’illusion du bonheur. Dans notre monde multiculturel, soumis au règle de la tolérance et de l’égalité à tout crin, sans aucune censure ni interdit, l’âme délivrée risque de prendre un chemin qui s’avère finalement pire que le mal dont elle veut se soigner. Le risque de tomber dans les mains de marchands de rêves n’est pas négligeable. Subtiles et douces sont en effet leurs palabres, mielleuses leur voix. Nombreuses sont celles qui s’enferment dans leurs filets. Comment peuvent-elles échapper à leurs pièges quand aucune morale véritable ne la guide, quand elle est livrée à sa seule conscience, à sa seule raison ?

Pouvons-nous ne pas entendre les leçons que nous donnent les événements qui nous frappent et nous réveillent ? Ce sont en effet de terribles leçons rendues nécessaires par notre aveuglement qui vaut bien des discours et des raisonnements.

Retour à l’essentiel

Depuis trop longtemps, nos contemporains rejettent la morale chrétienne. Ils la jugent trop désuète, surannée, d’un autre temps ou encore trop exigeante, inapplicable, et finalement sans utilité. Certains d’entre eux, plus sévères, la repoussent comme la peste, la condamnant sans appel, ne voyant en elle qu’un outil d’asservissement et d’aliénation. D’autres, moins radicaux, tolèrent encore que l’Église soit consultée pour qu’elle contribuât, comme tant d’autres, aux résolutions des problèmes moraux de notre société, au même titre que les autres religions, toutefois avec discrétion et sans conviction. Au sein même de l’Église, certains de ses membres la refusent et la dissolvent dans une morale commune. C’est en fait la conception même de la vie chrétienne qui est ainsi rejetée.

Mais que peut bien faire une conscience livrée à elle-même dans de telles conditions ? Où peut-elle trouver sa force et sa lumière pour réagir dans le bien et le vrai ? Dans la philosophie ? Les systèmes philosophiques ont montré leur échec au cours de leur histoire. Certains contemporains n’hésitent pas pourtant à en appeler aux derniers courants philosophiques, croyant encore y trouver la pierre philosophale. Dans un optimisme béat ? Pouvons-nous encore faire confiance au monde dont l’esprit s’oppose à l’Église ? Les trente dernières années ne suffisent-elles donc pas pour en voir toute sa superficialité, sa volatilité et ses vanités ? Dans les moments d’épreuve, nous avons besoin d’une force solide et durable, capable de faire mouvoir la volonté, non pas de manière aveugle ou désordonnée, mais de manière sûre et éprouvée.

Conclusions

Le dévouement de Mgr de Belsunce 
durant la peste de Marseille en 1720,
Nicolas-André Monsiau (1754-1837)



La crise sanitaire que nous connaissons n’est pas la première et la plus terrible que l’humanité subit. Pourtant, en dépit de la peste ou d’autres épidémies plus terribles qui ont décimé bien des peuples, les assises de la société n’ont pas été aussi ébranlées qu’aujourd’hui. Sans-doute, est-ce une véritable et belle leçon pour son orgueil qui n’a cessé d’enfler. Mais pourquoi paraissent-elles si vacillantes de nos jours ? La société contemporaine a-t-elle encore des fondements ? N’avons-nous pas progressivement détruit, l’un après l’autre, les piliers qui la tenaient ? Dans le confinement, les maux sont hélas encore plus éclatants : famille déchirée, violence conjugale, enclaves de non-droit, etc. La solidarité qui apparaît ici et là ne cache pas la misère d’une société en déliquescence. Les milliers de milliards d’euros ou de dollars ne cessent subitement de pleuvoir. Les vanités du monde sont criantes. Que deviennent ses progrès technologiques et sociaux, les richesses et les fortunes individuelles ? Faut-il encore rire de la morale chrétienne après un tel désastre ?

La morale chrétienne n’est pas l’œuvre d’un jour ou d’un homme, encore moins d’un système philosophique. Si elle est vécue par des hommes, elle n’est pas née d’un homme. Si elle répond à la volonté divine, elle ne se retire pas dans un monde qui nous est étranger. Elle est authentiquement divine et humaine à la fois, divine par son origine et par la flamme qui la soutient, humaine par sa forme et sa diversité. Elle est née d’une foi qui au cours d’une histoire s’est développée. Cette histoire, il faut la rappeler, la méditer, s’en nourrir

La morale chrétienne ne se réduit ni à des manuels, aussi bons soient-ils, ni une bibliothèque, aussi vaste soit-elle. Elle se vit aussi de la liturgie, de la prière et de la vie des saints. Débordante, elle est présente là où réside la foi tant elle lui est inséparable. Elle est un tout. Elle est la vie du chrétien. Et comme toute vie, elle a une histoire, un trésor. Au temps de la peste, des cataclysmes ou des guerres, la société a tenu en raison de ses fondements, de son âme. Les cathédrales et les abbayes que nous admirons avec joie et fierté sont le reflet et le produit de cette vie nourrie et fortifiée par la morale chrétienne. L’âme d’une société, d’un peuple, d’une famille est à l’image de la morale qui la guide et la soutient. Combien d'épreuves faudra-t-il encore subir pour que nos contemporains abandonnent les marchands de rêve ?


Notes et références
[1] Pape François, Méditation lors de sa bénédiction Urbi et orbi, 27 mars 2020.


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