" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 8 février 2020

Les mœurs antiques (2) : les actes homosexuels

Lorsque des hommes et des femmes manifestent contre un projet de loi qui modifie profondément Les règles morales relative à la vie, au mariage ou encore aux enfants, systématiquement, les prétendus progressistes brandissent le drapeau des valeurs humaines et républicaines et dénoncent leur intolérance, leur manque d’ouverture ou encore leur obscurantisme. Hantés d’une vision manichéenne, ils les accusent de réfractaires au progrès et d’ennemis de la liberté ! Si les manifestants s’opposent à une loi en faveur de l’homosexualité, ces bons esprits en appellent alors à l’homophobie. S’ils s’opposent à l’avortement, ils crient alors aux droits des femmes. S’ils refusent la PMA et la GPA, ils en appellent à l’intouchable égalité et à la lutte contre toute sorte de discrimination. Finalement, ces progressistes attaquent les opposants à la loi comme s’ils étaient des ennemis du genre humain, sans même entendre leurs arguments et comprendre leurs réactions. Les contestations et les injures suppléent ainsi aux débats. Les cris font taire la raison et les consciences. Et si les manifestations se poursuivent, ils lâchent alors la terrible accusation, le mot qui terrasse toute conscience, celui de fascisme ! 

Plus silencieuse et perfide, et toute aussi efficace, une censure s’abat sur tous ceux qui s’opposent à ces lois et contestent leur efficacité ou leur légitimité. Des conférences sont annulées sous la pression d’un groupe ou d’une opinion manipulée. Des livres sont refusés à la publication. Des projets de films sont refusés. « Toute discussion, toute interrogation, toute remise en question est désormais une phobie. Il y a des certitudes qu’on ne peut plus discuter. […] On ne peut pas discuter avec vous, vos idées et vos questions sont des délits. »[1]

Ainsi, lentement, loi après loi, à force d’une campagne habile et oppressante, l’homosexualité est acceptée dans notre société, en France comme dans la plupart des États. Rares sont désormais les films sans homosexuels. Des personnalités médiatiques et respectables n’hésitent plus à revendiquer leur homosexualité. Sur les murs des métros, des affiches n’hésitent plus à montrer leur étreinte  et à promouvoir ce qui leur est nécessaire pour satisfaire leurs plaisirs charnels. Et pour terminer, nous voyons des homosexuels s’embrasser et s’enlacer en public sans aucune pudeur. Nous ne sommes plus dans le domaine de la tolérance ! La conscience crie au scandale !

Quand l’homosexualité était encore à justifier, ses défenseurs en appelaient parfois à l’antiquité puisque selon leurs apologies, elle était acceptée sans aucune difficulté. Ils en viennent alors à accuser le christianisme de l’avoir condamné et ainsi d’être responsable de la persécution des homosexuels et des crimes commis en raison de son homophobie. Leurs discours nous renvoient donc à la morale antique. C’est pourquoi nous allons de nouveau nous rendre en Grèce puis à Rome. Le but de notre article n’est pas de présenter des arguments à l’encontre ou en faveur de l’homosexualité mais d’identifier la morale antique et la réaction des chrétiens…

Prudence dans les termes

Des défenseurs de l’homosexualité évoquent parfois les œuvres de Platon telles que Le Banquet et Phèdre pour justifier l’« homosexualité ». Comment une pratique vantée par un tel philosophe peut-il alors être condamnable ? De même, comment peut-elle être interdite au moins moralement quand les civilisations antiques l’ont apparemment acceptée ? Une telle argumentation nous étonne. Souhaitons-nous vraiment édifier notre République comme Platon l’a définie ? Voudrions-nous aussi revenir à la pratique de l’exposition des enfants[2] ou encore à l’esclavage, voire aux spectacles des gladiateurs ? En outre, comme nous allons le voir, la pratique de l’homosexualité telle qu’elle est vécue dans la société grecque ou romaine pourrait plutôt nous fait frémir. Car elle peut nous renvoyer à ce que nous appelons aujourd’hui la pédophilie.

Mais ne nous trompons pas. Le terme d’« homosexualité » pourrait en effet étonner le monde antique. Non seulement il récent mais surtout il est inapproprié pour évoquer les mœurs de la société antique grecque ou romaine. L’homme antique ne catégorise pas ses contemporains comme nous le faisons aujourd’hui. Il s’intéresse surtout aux valeurs et à la pratique sexuelle. Or, là se trouve en effet le véritable sujet ! Est-ce par pudeur qu’elle n’est jamais évoquée ? Il serait en effet bien dangereux et vain de débattre sur l’homosexualité en elle-même sans traiter ce point.

La pédérastie en Grèce

En Grèce, le terme le plus adapté concernant ce sujet est celui de « pédérastie ». Elle désigne les relations entre un homme mûr, l’ « éraste », et un homme prépubère ou pubère, l’ « éromène »[3] dans le cadre de l’éducation de ce dernier. Les rapports entre eux dépassent la simple amitié sans pourtant aller nécessairement à l’acte charnel. La différence d’âge est essentielle. La relation concerne un adulte mature et un jeune homme, c’est-à-dire un adolescent. En outre, elle est temporaire. Elles cessent quand l’éromène devient adulte, c’est-à-dire à la naissance de la barbe. Ces rapports sont en effet fondés sur une asymétrie et un rapport de force. Ils ne sont plus admis à l’âge adulte sans pourtant être condamnés, voire punis. Enfin, le dernier point à retenir est la finalité de cette relation intime. Dans la société grecque, la pédérastie n’a en fait de sens que dans le cadre de l’éducation. Elle ne répond pas à un désir ou à un sentiment. Nous sommes donc bien éloignés de l’homosexualité telle qu’elle est perçue de nos jours.

La pédérastie, révélatrice de la morale antique

Selon Henri-Irénée Marrou, la pédérastie serait la conséquence du cloisonnement des sexes dans la société grecque et surtout de la conception de l’amour dans les cités guerrières. Dans les cités antiques, les hommes et les femmes ne se mêlent guère. Ils vivent dans deux mondes clos. La femme est en effet cloisonnée dans sa maison alors que les hommes sont tournés vers la vie de la citée. Nous précisons que nous parlons uniquement d’hommes et de femmes libres. En outre, les vertus de vaillance, de virilité, de force sont en honneur dans les cités guerrières comme Sparte. L’amour viril est ainsi considéré comme l’amour le plus noble. Il correspondrait, toujours selon Henri-Irénée Marrou, à l’ « idéal misogyne »[4]. Platon voit dans une armée constituée d’amants une troupe redoutable qui vaincrait toutes les autres armées[5].

S’il est fort apprécié dans une société guerrière, l’amour l’est encore mieux dans le cadre de l’éducation de l’homme libre, y compris dans des cités pacifiques comme Athènes. Il affermit et rend efficaces les relations que peut nouer un maître avec son élève. L’amour est en effet, selon les Grecs, éducateur par essence. Il s’agit en fait pour l’« éromène » d’acquérir la perfection qu’il retrouve dans l’« éraste », c’est-à-dire dans l’ancien. La relation se fonde donc sur la différence d’âge et d’expérience. Le désir de séduire, de s’affirmer chez l’« éraste » fait naître chez l’« éromène » des sentiments d’admiration fervente et appliquée. « L’aîné est le héros, le type supérieur sur lequel il faut se modeler, à !a hauteur duquel on cherchera, peu à peu, à se hausser. »[6] Chez l’« éraste » naît aussi un sentiment de vocation. Ainsi la pédérastie réside dans la maturation du jeune homme et dans la condescendance paternelle du maître, mêlées à de la docilité et à de la vénération. La formation de l’« éromène » se déroule au travers des conversations, des activités sociales, dans les banquets, les clubs ou au gymnase.

Pour mieux comprendre encore cette forme éducative, qui pourrait être si étrange pour notre société moderne, nous devons souligner qu’en Grèce, l’éducation d’un jeune homme libre n’a pas lieu dans la famille. La mère ne joue aucun rôle dans l’éducation de ses garçons. De plus, le père est accaparé par sa vie publique. L’éducation est donc reléguée à un maître. Elle réside dans les rapports profonds qui s’établissent alors entre lui et son élève, pouvant aller jusqu’à des rapports passionnels. L’« éraste »  a des devoirs à l’égard de l’« éromène », devoirs constitués de différents soins qu’il doit porter à l’égard de son élève. Il doit se montrer digne de la vénération qui lui porte. L’« éromène » doit être docile et obéissant à l’égard de son maître …

Amour et pratique sexuelle

La pédérastie telle qu’elle est acceptée par les Grecs est distincte du désir sexuel. Il s’agit plutôt d’une forme de sentiment ou de sensibilité. Il est vrai qu’elle peut conduire à des actes sexuels, l’« éromène », obéissant, étant totalement passif et dévoué à l’égard de son maître.

Cette distinction est essentielle dans la société grecque. Socrate oppose ainsi la pédérastie et l’acte charnel. Il exalte en effet l’amour chaste et pédagogique au détriment de la pédérastie charnelle qu’il condamne. « Les relations avec un homme qui préfère le corps à l'âme sont indignes d'un homme libre »[7], nous dit-il. Il dénonce aussi la pédérastie avec des « éromène » trop jeunes, des enfants encore imberbes.

Des mœurs encadrées

La société grecque méprise la relation entre des hommes si elle ne relève pas de la pédérastie, donc dans un cadre bien précis. La notion de plaisirs ne doit pas dominer sur les valeurs intellectuelles et morales de la relation. Elle est ainsi acceptée uniquement dans un cadre de domination entre un maître, qui a l’initiative, et un disciple, qui ne doit que lui obéir, entre un actif et un passif

Mais ne croyons pas que les Grecs condamnent les relations sexuelles. Ce qui est condamnable est en fait « ce qui est impur, c’est le trouble des sens, la déraison, que le désordre sexuel provoque dans l’homme. »[8] Soulignons enfin que la pédérastie est propre aux Grecs. Elle est en effet condamnée par les Romains qui n’y voient qu’un vice grec.

À Rome, pratiques sexuelles ?

Esclaves, objets sexuels
À Rome, si elles n’entrent plus dans le cadre de l’éducation, celle-ci étant sous la responsabilité de la femme, les relations charnelles entre les hommes obéissent aussi et surtout à un rapport de force ou plutôt de statut social. Celui-ci en est le fondement. En effet, elles manifestent le pouvoir ou encore la suprématie de l’homme libre sur les personnes qui lui sont inférieures, les esclaves, les affranchis, les enfants, les femmes. Une relation charnelle n’est acceptée qu’entre un citoyen et un esclave, le premier étant le dominateur ou l’actif, le second l’obéissant ou le passif. Cicéron perçoit ainsi ces relations comme le reflet d’une société esclavagiste.

Le jugement social porte en fait sur le rôle de chacun dans ces relations comme dans toute relation sexuelle. « La passivité sexuelle est un crime pour l’homme libre, une obligation pour l’esclave, un service pour l’affranchi. »[9] Le maître ne peut pas être passif dans tout acte charnel, y compris avec les femmes, car cela révèlerait un vice, c’est-à-dire un manque de caractère et de vaillance. Pour les Romains, toute passivité dans une relation sexuelle est un signe d’humiliation et de corruption morale. Telle est par exemple, l’accusation morale qui est portée contre le prince Bassien, un des fils présumé de l’empereur Caracalla (188-217). Il est accusé de laisser à ses serviteurs le soin de le guider dans ses relations sexuelles[10].

Mariage et relations charnelles

Les rapports sexuels ne relèvent pas directement dans le cadre du mariage. Le mariage officialise des relations entre un homme et une femme au travers d’un contrat dont la finalité est la perpétuation de la famille. L’homme antique se moque bien des passions amoureuses qui peuvent exister entre les époux. Elles sont même condamnables puisqu’elles génèrent du désordre. L’adultère est ainsi permis tant qu’il ne nuit pas à la famille, c’est-à-dire à ses biens et son renom. Les rapports entre un époux et un esclave sont aussi autorisés tant qu’ils ne remettent pas en cause son honneur et la transmission du patrimoine. Néron provoque ainsi un véritable scandale quand il prend officiellement épouse l’un de ses esclaves.

Une pratique de plus en plus encadrée

Sous la République, rien ne semble interdire les relations entre les hommes nés libres bien qu’elles ne soient guère tolérées par la société romaine. Cependant, la situation change sous Auguste. Des lois les restreignent. Elles répriment tout rapport à l’égard des jeunes garçons libres[11], ce qui pourrait signifier que cette pratique existait dans la société romaine. En l’an 226 après Jésus-Christ, la loi dite Scantinia punit les rapports entre hommes libres afin de préserver sa « pudicita », c’est-à-dire sa pureté corporelle et morale, selon certains chercheurs[12]. Toute perte de pureté a « pour conséquences directes non seulement la perte de son honneur et de sa respectabilité mais aussi le fait d’encourir une série de représailles privées ou publiques. »[13] L’application de cette loi est infamante pour l’homme libre et donc redoutable. Les relations entre femmes sont aussi réprouvées même si aucune loi ne semble l’interdire.

Synthèse



Ainsi, dans le monde grec et romain, les relations entre hommes sont fondées sur des liens hiérarchiques, sur des rapports de domination, soit dans un cadre spécifiquement éducatif, soit dans un but uniquement charnel. Elles résident en Grèce dans les sentiments qui relient un maître et son élève, à Rome, dans le désir sexuel. Le premier est temporaire, le second n’a point de limite dans la durée. Elles n’ont de sens que pour les citoyens, c’est-à-dire les hommes libres. Enfin, elles sont moralement acceptables selon le rôle que joue chacun des partenaires. À Grèce et à Rome, l’homme supérieur doit être actif, son partenaire, passif. À Rome, « prendre du plaisir virilement ou en donner servilement, tout est là. »[14] La condamnation morale porte donc sur celui qui ne respecte pas le rang social dans les relations charnelles. Il est considéré comme impur. De même, l’efféminé, par son attitude, sa toilette, ses vêtements, est l’objet du mépris en raison de l’absence de virilité qu’il manifeste. C’est aussi pour cette raison que les relations entre femmes sont condamnées puisqu’elles cherchent à prendre la place de l’homme.

Un faux débat

Contrairement aux débats actuels sur l’homosexualité, portés plutôt sur une valeur ou des notions abstraites, les relations entre hommes dans l’antiquité sont considérées en fonction des pratiques sexuelles et du rang social. Dans notre société étrangement puritaine, l’acte ne fait guère partie du débat. Il est ainsi habilement caché sous un terme devenu légitime. En catégorisant les hommes et les femmes de manière si simplistes, entre hétérosexuels et homosexuels, la société légitime en fait des pratiques tout en complexifiant tout débat sur le sujet. Ce dernier nous renvoie en effet au principe devenu sacré de l’égalité, à la théorie des genres et à bien d’autres théories ou systèmes philosophiques. Le débat ne porte plus sur l’essentiel, c’est-à-dire sur l’acte sexuel. Il est en effet difficile de traiter rationnellement l’amour platonicien et encore plus de le juger. Le point principal est bien l’amour associé à l’acte. Or, avant la conversion de l’empire au christianisme, cette association est condamnée.

Dans l’antiquité, toute passion amoureuse est condamnée en soi en raison de ses conséquences. Les différentes philosophies morales antiques, y compris épicurienne, la condamnent. Elle provoque mollesse et égarement. L’homme libre doit savoir maîtriser ses plaisirs.

La condamnation des pratiques homosexuelles


En 343, des lois de Constance et de Constant prévoient la castration des hommes libres jouant un rôle passif dans les relations. Elles relèvent encore de la société païenne et appliquent finalement ce que réprouve la morale antique. Elles révèlent aussi une réaction à l’encontre d’une certaine débauche, notamment à l’égard des jeunes garçons ou entre les femmes. Le cas de Néron est sans-doute le plus grand des scandales. Des témoignages comme celui de Philon révèlent une réalité. « Mais, telle une bande avinée, un vice bien plus grand que celui dont je viens de parler a fait irruption dans les cités : c’est la pédérastie dont le nom même était réprouvé autrefois et dont se vantent aujourd’hui non seulement ses partisans actifs, mais également les partenaires passifs de ces derniers. » [15] Son témoignage porte aussi sur la toilette et l’attitude des efféminés. « Quelle manière provocante de friser et d’ordonner leur chevelure, de se frotter et de se peindre le visage au moyen de crèmes, de fards et de produits similaires, d’enduire leurs lèvres d’onguents parfumés. » Philon parle de « dévirilisation » et de « mollesse », ou encore de sophistication et de féminisation. Nous retrouvons ainsi les condamnations classiques de la morale romaine.

La condamnation juive

Fidèle à l’enseignement juif, Philon condamne les rapports homosexuels mais sa condamnation diffère de celle de ses contemporains païens. D’une part, elle ne porte plus sur le respect du rang social dans les relations, c’est-à-dire le rapport actif\passif. Il ne distingue pas non plus homme libre et esclave. D’autre part, le pédéraste poursuit « un plaisir contre nature ». Ses partisans « ne rougissent pas de transformer par un comportement artificiel la nature mâle en nature femelle. » Il est vrai que Platon le condamne aussi, n’y voyant pas d’exemples dans l’ordre naturel. « Le plaisir qui s’y rapporte semble, selon la nature, avoir été accordé au sexe féminin et au sexe masculin quand ils vont l’un à l’autre s’unir en vue de la génération, tandis qu’est contre la nature la copulation des mâles avec les mâles, ou des femelles avec les femelles ; et c’est l’incontinence dans le plaisir qui a inspiré un tel acte à ceux qui l’ont osé les premiers. »[16] Ainsi, le discours des Chrétiens concerne tous les hommes, sans exception, et limite la pratique sexuelle à des actes naturels.

Enfin, les Chrétiens nous renvoient aux châtiments célestes de Sodome et de Gomorrhe de l’Ancien Testament[17]. Il rappelle que ceux qui s’y adonnent conformément au Lévitique (XX, 13), sont châtiés par Dieu.

La condamnation chrétienne



Comme Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas venu pour abroger la loi divine, le christianisme condamne à son tour les relations entre les hommes. À trois reprises dans la Sainte Écriture, Saint Paul les réprouve.

« Les hommes qui couchent avec les hommes »[18] ne rentreront pas dans le royaume de Dieu, comme ceux qui se livrent à l’inconduite sexuelle, les idolâtres, les adultères, les parricides, les meurtriers, etc. Dans l’Épître aux Romains, Saint Paul utilise le mot « arsenokoitai » qui semble être de son invention. Ce terme serait la contraction d’une expression que nous trouvons dans l’Ancien Testament. « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme [kai meta arsenos ou koimèthèsè koitèn gunaikos]. C’est une abomination. »[19] Il désigne bien « les hommes qui couchent avec les hommes »[20]. Contrairement à certains discours sans fondement, Saint Paul condamne clairement l’acte charnel entre les hommes et non « les relations moralement responsables »[21] ! Dans son épître, Saint Jude revient sur les châtiments divins à l’encontre de Sodome et de Gomorrhe, punissant leur inconduite sexuelle.

Comme Philon, Saint Paul ne distingue pas les niveaux sociaux dans ses rapports. Il ne traite pas non plus du rôle actif ou passif dans ses relations. Sa condamnation porte donc sur l’acte quel que soit l’individu qui s’y adonne[22], quelle que soit la valeur que lui donne la société antique. Il va donc à l’encontre de la morale consensuelle de son époque. Il n’a pas peur de s’opposer au moralement correct. Un bel exemple de courage !

Saint Paul justifie sa condamnation par le désordre qu’il provoque dans l’ordre naturel tel que Dieu l’a institué. L’idolâtrie est aussi condamnée en raison du désordre qu’elle génère. L’idolâtre adore des créatures au lieu d’adorer Dieu, renversant les rapports entre l’homme et Dieu. Les relations entre hommes renversent les rapports qu’ils doivent établir entre eux. L’homme et la femme ne se diffèrent plus dans leurs pratiques charnelles. Ce désordre est la conséquence du péché originel. La raison ne porte donc pas sur une valeur sociale mais humaine, c’est-à-dire sur une loi naturelle.

La condamnation des premiers Chrétiens

La destruction de Sodome et Gomorrhe

Kerstiaen de Coninck
Les premiers textes chrétiens reprennent la condamnation de Saint Paul et demandent aux chrétiens de garder leur pureté. Mais, l’interdiction qui revient souvent est celui de la pédérastie. « Tu ne séduiras pas de jeunes garçons, tu ne commettras point de fornication »[23] ou encore « tu ne seras corrupteurs d’enfant et tu n’imiteras pas les gens de cette sorte »[24]. Il est vrai que la société romaine réprimait de plus en plus ces pratiques mais en les limitant aux garçons nés libres. La condamnation chrétienne porte sur tous, sans exception.

Saint Clément d’Alexandrie insiste aussi sur le crime de pédérastie qu’il désigne par l’expression « l’amour des garçons » comme l’utilisent les Grecs. Il revient aussi sur le Lévitique, condamnant ceux qui usent les hommes comme des femmes. Tertullien en parle comme des « monstruosités »[25]. Tous ceux qui portent atteinte aux lois de la nature par le corps et le sexe sont exclus de l’Église. Saint Cyprien parle de « fureur de vice »[26]. Eusèbe de Césarée inclue dans la condamnation des relations entre femmes[27].

L’esprit de domination, le fondement de l’homosexualité dans l’antiquité

Dans la Grèce et la Rome antique, la pratique sexuelle entre les hommes n’est point condamnée si elle respecte la hiérarchie sociale et les normes. En Grèce, elle résulte des liens qui s’établissent entre le maître et son élève, liens qui imposent docilité et soumission du second à l’égard du premier. À Rome, elle ne doit pas remettre en cause le fondement de la société qu’est la supériorité de l’homme libre sur les autres.

En Grèce, si l’amour des garçons est vertueux sans acte selon la morale socratique ou platonicienne, la relation sexuelle est bien réelle et tolérée jusqu’à l’âge adule pour l’élève. À Rome, la pédérastie est interdite pour tout homme né libre. Dans tous les cas, les esclaves sont des objets que l’homme libre utilise à sa guise tant qu’il manifeste sa supériorité. Si dans une relation, l’homme libre joue un rôle passif ou ne respecte pas les normes, il est alors considéré comme souillé, impur.

Face à la débauche grandissante de l’homme libre, l’État réagit par la mise en place d’une législation de plus en sévère pour préserver la pureté de l’homme libre. Tout rapport entre femmes est enfin considéré comme infâmant en raison de leurs prétentions à égaler les hommes. Telle est la morale antique en Grèce et à Rome. Qui peut y voir une approbation des pratiques sexuelles entre des personnes de même sexe ?! La justification devrait même faire hurler ceux qui luttent en faveur de l’égalité et de la fin de toute discrimination ! C’est la discrimination sociale qui est le fondement des pratiques homosexuelles à Rome comme en Grèce !

Dans la morale antique, l’amour entre garçons apparaît avant tout comme un rapport de domination, d’un maître à l’égard d’un élève ou d’un maître à l’égard d’un esclave par exemple. Ainsi les rapports entre hommes libres sont moralement interdits. Il est vrai que certains philosophes grecs vantent l’amour à l’égard d’un garçon s’il n’est pas accompagné de désir sexuel et d’acte. La vertu consiste alors à maîtriser toute passion en raison de l’aveuglement qu’elle produit. À Rome, les textes portent surtout sur le désir et l’acte, même si parfois l’amour y est présent. Toute personne qui enfreint aux normes est voué au déshonneur et à l’infamie. Une telle morale est bien impuissante à éviter ou à freiner  la débauche que connaît la société antique au début de l’empire.

Conclusion

Les morales juive puis chrétienne condamnent clairement tout acte sexuel entre des personnes de même sexe. Ce crime est considéré comme impur, infâmant, avilissant, y compris entre personnes consentantes. C’est un crime qui va à l’encontre de l’ordre de la nature voulue par Dieu. L’homme est homme, la femme est femme. Elle dépasse ainsi la conception morale de l’antiquité. Le fondement de leur accusation ne porte pas sur une hiérarchie des rapports humains ou sur des valeurs purement humaines. Leur condamnation englobe l’ensemble des hommes quel que soit leur rang, leur statut, leur lien. Les chrétiens portent surtout leur regard sur les enfants victimes de cette infamie, où l’esprit de domination est sans-doute le plus visible.


Saint Paul et les chrétiens n’ont pas peur de s’opposer aux mœurs courantes et à tous les bons esprits de leur époque. Ils ne cherchent pas à s’appuyer sur un ordre social, bien éphémère, mais sur un ordre naturel établi par Dieu. C’est pourquoi ils s’opposent ouvertement à une pratique acceptée, et au fur et à mesure, celle-ci perd de sa notoriété et s’exclut ainsi de la norme. L’histoire montre que cela est possible. Mais, la plus grande révolution est bien entendue la fin d’une morale fondée sur des liens de domination.

Devant Dieu, tous les hommes sont égaux, et ils seront jugés selon leurs actes de la même façon. « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » (Lévitique, XVIII, 22) Mais en même temps, Saint Paul nous le répète. Le salut vient aussi de Dieu. Ne pèche plus et tu seras sauvée. Telle est la réponse de Notre Seigneur Jésus-Christ à la femme de mauvaise vie, accusée par les siens. Aux pécheurs, les paroles de l’Église sont aussi simples. Ne commets plus cette abomination et repens-tu auprès de Dieu dans une confession sincère, et tu pourras poursuivre ta route en paix avec Notre Seigneur.

Enfin, il faut dénoncer ce qui se cache derrière les discours dangereux et les campagnes qui poussent notamment des adolescents et des personnes faibles à tomber sous la séduction d’une personne de même sexe. L’esprit de domination n’y est souvent pas absent. Tout cela n’est finalement pas naturel…




Notes et références
[1] Pierre Jourde, Le retour de l’ordre moral, site Web BibliObs, les Chronique de Pierre Jourde, 5 Novembre 2019
[2] Voir Émeraude, février 2020, article « Les mœurs antiques (1) : l’avortement et l’exposition des enfants ».
[3] Généralement âgé entre 15 à 18 ans.
[4] Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’antiquité, III, édition du Seuil, 1948.
[5] Voir Banquet, Platon, 179 a et b.
[6] Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’antiquité, III.
[7] Socrate dans Le Banquet, Xénophon, chap. VIII, trad. Pierre Chambry, Garnier, 1954.
[8] Jean Trouillard, La pureté chez les Grecs, dans Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°2, juin 1954. pp. 37-45, www.persee.fr.
[9] Sénèque, dans Reading Roman Declamation, Calpurnius Flaccus, Martin T. Dinter, C. Guérin, M. Martinho, 2017.
[10] Voir Bassien, ou le Prince Martyr de Rome, Brahim Megherbi, Mon petit éditeur, 2014.
[11] Lois Julia de ui publica, et Julia de adulteriis coercendis sous Auguste, et un édit prétorien sans-doute en 127 après Jésus-Christ. Ils concernent les crimes commis à l’égard des femmes et des jeunes garçons libres.
[12] Selon une partie de l’historiographie, la loi Scantinia réprimerait les relations entre citoyens libres. Pour d’autres se réduisent au harcèlement.
[13] Nicolas Jalet, À propos de la lex Scantinia, Réflexions sur la répression des relations homosexuelles entre citoyens romains durant la République et sous l’Empire, dans Revue belge de philologie et d’histoire, tome 94, fascicule 1, 2016, www.persee.fr.
[14] Paul Veynet, L’homosexualité à Rome, Communications, 35, 1982, Sexualités occidentales. Contribution à l'histoire et à la sociologie de la sexualité, www.persee.fr.
[15] Philon, De Specialibus Legibus, III 37-39 dans. Voir aussi De Vita Contemplativa, 57-62, De Abrahamo, 135-136 dans Le jugement sur l’homosexualité dans le Nouveau Testament entre radication et déplacement, Ellian Cuvilier, www.protestant.org.
[16] Platon, Les Lois, I, 636 b.
[17] Voir Genèse, XIX.
[18] Saint Paul, Ière Épître aux Corinthiens, VI, 6, Épître à Tite, I, 9-11.
[19] Lévitique, XVIII, 22.
[20] Dans certaines traductions, l’expression est remplacée par « infâme », ce qui réduirait l’acte puisque l’infamie au sens antique porte plutôt sur l’impureté de l’homme libre qui ne joue pas le rôle actif dans l’acte.
[21] Derrick Sherwin Bailey, Homosexuality and the Western Christian Tradition, 1955. De nos jours, de nombreux articles distinguent les relations responsables, authentiques, etc. et les relations perverses dans les rapports sexuels entre homosexuels. Certains commentaires en viennent même à voir uniquement la condamnation de la pédérastie avec une personne non consentante ! Les paroles de Saint Paul sont pourtant très claires et simples, et nous renvoient sur le Lévitique, lui-aussi parfaitement clair. Il n’est pas nécessaire de le sur-interpréter. Il est en outre difficile de trouver dans sa condamnation l’homosexualité puisque le monde dans lequel il évolue ignore ce mot et ce qu’il désigne. Il juge un acte tout simplement et refuse toute hiérarchie de valeur dans cet acte…
[22] Un débat existe pour savoir si Saint Paul condamne aussi les relations entre les femmes ou les actes contre natures qui existent dans les rapports entre les hommes et les femmes. Rappelons que les relations entre femmes sont condamnées par la morale antique. Il n’est donc pas nécessaire pour Saint Paul de rappeler cette condamnation qui paraît à tous évidente.
[23] Didaché, II, 2.
[24] Saint Barnabé, Lettre de Barnabé, X, 6.
[25] Tertullien, De la Pudicité, 4.
[26] Saint Cyprien, évêque de Carthage, Lettre, I, 9.
[27] Eusèbe de Césarée, La Préparation évangélique, IV, 10.

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