" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 10 mai 2019

XVIIe-XVIIIe siècle : l'Église face à la volonté hégémonique de la puissance temporelle

Au XVIIe siècle, le royaume de France est une puissance européenne qui manifeste la vigueur et la force d’un État moderne. Ses armées sont redoutées, son administration enviée. C’est le temps de Richelieu (1585-1642) et de Mazarin (1602-1661), de Louis XIII (1601-1643) puis surtout de Louis XIV (1643-1715). Notre pays brille aussi par l’éclat de ses élites et de ses clercs. C’est l’époque de Saint Vincent de Paul (1581-1660), ou encore de Bossuet (1627-1704). Brillante époque en effet dont nous gardons en notre mémoire de brillants souvenirs... 


Louis XIV demeure sans-doute le plus connu, le plus légendaire aussi. Sa présence est encore perceptible dans le somptueux château de Versailles qui symbolise à l’aurore du XVIIIe siècle ce temps français. Ses portraits encore vivaces en notre esprit expriment toute la majesté et la grandeur d’un roi sûr de sa puissance, haut dans son arrogance, imperturbable dans sa royauté. Comme d’autres personnalités de l’histoire, il symbolise l’État, il est l’État.

Ce temps est aussi celui du redressement de l’Église, d’une véritable renaissance au lendemain du concile de Trente (1545-1563). Le trône pontifical brille par la sainteté et les personnalités de papes tels Saint Pie V (1566-1572) ou Saint Innocent XI (1676-1689). C’est aussi le temps de la reconquête et des missions, de nouveaux ordres et de nouvelles communautés religieuses…

Ainsi se dressent un État moderne, fort et redoutable, sûr de lui-même, et une Église en plein essor. Or dans le royaume de France, fort de ses « libertés gallicanes », les gallicans s’opposent aux papes et à tout ce qui vient de Rome. Qu’adviendra l’Église qui réside dans le royaume de France ? Une telle situation est un beau champ d’étude pour notre sujet, toujours axé sur les rapports qui peuvent exister entre l’État et l’Église et sur la primauté pontificale…

Rappel sur la réception du concile de Trente

Au XVIe siècle, l’Église est animée d’une forte volonté de combattre les abus qui l’affaiblissent et la dénaturent et de clarifier son enseignement face au protestantisme. Le concile de Trente est sans aucun doute un grand moment de son histoire. Il est incontestablement une réussite. Nul ne peut en douter. Par ses décrets, clairs et fermes, il a permis de redresser l’Église et de lui donner un visage plus rayonnant. De grands saints illustrent ce temps béni.

Cependant, la réception de ce concile a donné lieu à de débats farouches dans le royaume de France. Pire encore, en dépit des efforts des papes et du clergé, il n’a jamais été reçu officiellement dans ce pays très chrétien. Il a fait l’objet d’incessantes négociations en raison de l’opposition des parlementaires et des « gens du roi ».

Néanmoins, en 1615, l’assemblée du clergé décide officiellement de recevoir le concile de Trente sans attendre l’autorisation de l’autorité royale. Elle lui demande néanmoins de protéger l’Église et de la soutenir dans l’application des mesures réformatrices. Leur attitude, si elle soulève des protestations auprès des parlementaires gallicans, reçoivent l’assentiment de la régente et du roi. Elle est en fait conforme à l’enseignement traditionnel de l’Église selon lequel les pouvoirs religieux et temporel sont autonomes dans leur domaine de responsabilité mais l’autorité religieuse peut demander à l’autorité temporelle de la soutenir pour le bien de l’Église et donc de la société. Il y a bien distinction des pouvoirs avec des relations d’interdépendance fondées sur le bon sens pour le bien des âmes. La difficulté réside alors dans la concorde qui doit régir les liens entre l’Église et les princes sur les questions où le temporel et le religieux sont étroitement mêlés.

Pourtant, la déclaration de 1615 achève-t-elle le débat ? Les différents gallicanismes vont-ils se soumettre ?

Une situation fragile

En 1626, le Père Santarelli publie un traité de théologie dans lequel nous pouvons lire par exemple que « le pape peut, même dans le domaine des choses temporelles, diriger les princes vers leur fin spirituelle ; s’ils s’en détournent, les punir, et pas seulement en les excommuniant, mais en leur infligeant des peines temporelles, telles que leur priver de leur royaume et délier leurs sujets de leur serment de fidélité. »[12] De telles déclarations soulèvent la colère des gallicans. La Sorbonne condamne même l’ouvrage. Pourtant, les princes qui se prétendent chrétiens ne demeurent pas hors de l’Église comme nous le rappelle Saint Ambroise. Ils sont donc soumis en tant que tels aux mêmes régimes que tout chrétien. L’affaire finit par se calmer grâce au cardinal Richelieu. La publication de l’ouvrage de Pierre Dupuy (1582-1651) sur les « libertés gallicanes » fait encore renaître le débat. C’est au tour de l’assemblée du clergé de le condamner. Ainsi les relations entre le Siège apostolique et l’État font encore l’objet de vives passions au sein du royaume. La crainte de voir ériger une Église autonome est grande. En 1640, dans un libelle[1], Charles Hersent (1590-1660 ou 1662) prétend que le cardinal Richelieu veut instituer un patriarcat national, indépendant de Rome.

Plus tard, en 1663, le parlement de Paris interdit dans toutes les universités toute thèse de doctorat qui tend « à élever la puissance du pape au- dessus des conciles généraux, au-delà des bornes qui ont toujours été très saintement conservées dans l'Église gallicane »[2]. Cette décision soulève l’indignation de la Faculté de théologie par l’empiétement du pouvoir laïc dans des affaires doctrinales. C’est bien aux docteurs de définir le droit.

La concorde entre l’État et l’Église selon Pierre de Marca (1594-1662)

Pour se défendre et mieux exposer les rapports entre les deux pouvoirs et les clarifier, le cardinal de Richelieu demande à Pierre de Marca de reprendre la question. Tel est l’objet de son œuvre intitulé De Concordia sacerdotii et imperii. Ce n’est pas un livre de théologie mais de droit. Il « doit se comprendre comme une tentative de codification sur un terrain sensible où s'affrontent ordinairement la puissance du roi et celle du pape. »[3] Il doit être finalement un livre de référence pour la Cour, le parlement, le clergé, etc. Il est censé contenir finalement la doctrine officielle de la monarchie.

Qui est ce Pierre de Marca ? Il mène une brillante carrière politique et ecclésiastique. Intendant de justice puis président au parlement de Navarre, il est un homme engagé en faveur du roi, notamment pour l’unification de la Navarre au royaume de France. Conseiller du roi Louis XIII et membre du conseil privé de Louis XIV, il est écouté et estimé par les rois. Évêque de Couserans en 1642 et archevêque de Toulouse en 1652, il est promu archevêque de Paris en 1661. Pierre de Marca est l’exemple d’un gallican modéré d’un gallicanisme dit royal.

La République chrétienne selon Pierre de Marca

Pierre de Marca expose des principes qu’il justifie juridiquement et historiquement. Il s’agit donc d’établir rationnellement des « maximes ». L’ouvrage surprend par la définition qu’il utilise pour définir le gallicanisme. Il ne s’agit plus de décrire une exception française mais de proposer un modèle universel d’une « République chrétienne », fondé sur l’équilibre des puissances temporelle et religieuse dans un cadre du développement d’États modernes et de la fin de l’idéal d’un empire chrétien unifié.

Dans son premier livre, intitulé L'autorité souveraine et spirituelle du Pape, Pierre de Marc définit la primauté du pape dans l’Église comme établie de droit divin. Il rejette donc le conciliarisme et le richerisme[4]. Néanmoins, il précise que le pape ne peut innover, étant « gardien des canons ». Remarquons qu’il considère que le droit canonique découle du droit romain. Le pape est donc soumis à la loi canonique qu’il ne peut modifier. Le pape est finalement un souverain au sein de l’Église mais de nature tempérée, guidé par le sens du consensus et par la tolérance.

La « République chrétienne » est formée de deux corps, qui ont chacun à leur tête un « chef » dont l'autorité souveraine est de droit divin. À ce titre, la « République chrétienne est une société des deux puissances, nommée en France Église gallicane »[13]. Ces deux puissances sont « égales au droit de commander, mais inégales en la dignité des choses qui leur sont commises […] sans que la liberté de l'un doive être violée par l'autre ». Le pouvoir royal est conféré immédiatement par Dieu, c’est-à-dire sans médiation, au roi. Il distingue la fonction, instituée de façon « immédiate » et la personne, de façon « médiate ». Ainsi, le peuple ne délègue pas un pouvoir au roi puisqu’il ne le possède pas. Cela est aussi vrai pour le pape. Il est désigné par les cardinaux réunis en conclave mais c’est bien Dieu qui lui confère la puissance pontificale.

Entre les deux pouvoirs, il y a une distinction nette qui devient en fait une séparation absolue. Le pape n’a aucun pouvoir direct ou indirect sur le roi. De même, ce dernier ne peut intervenir dans toutes les choses religieuses telles que la foi, les sacrements, les cérémonies. Cette « distinction » a été instituée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Pierre de Marca défend donc l’autorité absolue du prince, l’indépendance du temporel. Néanmoins, le roi a reçu de droit divin la protection de l’Église. « C'est par ce droit que le roi joue un rôle essentiel dans la « publication » des lois ecclésiastiques, procédure normale et indispensable héritée du droit romain pour que toute loi soit applicable dans le royaume. »[5] Le roi doit en outre veiller à ce que toute loi ne soit « dommageable ou inutile au public », car « la fin de la royauté est le Bien et le salut des sujets ». Ainsi contrairement aux lois ecclésiastiques, qui doivent être reçues, c’est-à-dire acceptées ou encore consenties  en raison de leur nature tempérée, les lois royales peuvent être prises sans le consentement du peuple et contre son gré en raison de sa nature absolue ou coercitive.

Pierre de Marca affirme en effet qu’« une loi de l’Église n’est complète et obligatoire que si à la volonté du législateur s’ajoute le consentement du peuple qui doit l’appliquer. » En clair, une décision pontificale ou conciliaire ne peut être impliquée dans le royaume si elle n’est pas acceptée par le royaume et donc en pratique par le gouvernement. C’est donc une remise en question de la décision du clergé de 1615 mais aussi un retour des « libertés gallicanes » telles qu’elles sont définies par Pierre Pithou. Pierre de Marca les considère comme le « cadre légal des relations entre les deux pouvoirs »[6], temporel et religieux. L’ouvrage regroupe aussi des critiques classiques sur la centralisation des pouvoirs dans l’Église, la mainmise de Rome sur les bénéfices, ou encore sur le rôle du pape dans les nominations ecclésiastiques. Le livre de Marca est finalement condamné par le pape et mis à l’Index.

Ces différentes affaires ont pu être résolues sans qu’elles ne débouchent sur de tragiques et violents débats grâce sans-doute à la concorde qui existe entre l’autorité royale et celle de l’Église. Le cardinal de Richelieu les apaise, voire les étouffer. Mais qu’adviendra-t-il si cette concorde finit par disparaître, si l’équilibre entre ces deux pouvoirs se casse ?

La monarchie de droit divin, la monarchie absolue

Mgr Bossuet (1627-1704)
« Le trône des rois n’est pas le trône d’un homme, mais le trône de Dieu lui-même. »[7] Ces paroles ne sont pas celles d’un juriste. Elles sont celles d’un évêque et pas le moindre, celui de Meaux, c’est-à-dire le grand Bossuet. Elles marquent l’ultime phase d’une doctrine qui s’est développée au moins depuis le XVe siècle. Nous l’avons déjà perçue dans la première maxime des « libertés gallicanes » de Pierre Pithou[8]. Il s’agit de la doctrine de la monarchie de droit divin.

Le pouvoir royal vient directement de Dieu et par conséquent, le roi ne relève que de Dieu. Bossuet va plus loin encore. « On ne doit pas examiner comment est établie la puissance du prince : c’est assez qu’on trouve établi et régnant – Au caractère royal est inhérente une sainteté qui ne peut être effacée par aucun crime. » La personne du roi est donc sacrée. Les conséquences sont alors évidentes. « Les rois exercent ici-bas une fonction toute divine. La volonté de Dieu est que quiconque est né sujet obéisse sans discernement.»[9] Ainsi, tout naturellement, « l'indépendance absolue des rois est un corollaire du pouvoir de droit divin. »[10] Quiconque se soustrait alors à sa souveraineté est considéré comme l’ennemi du pouvoir royale. Telle est la doctrine à laquelle le roi Louis XIV adhère. Telle est la doctrine qu’il va aussi appliquer au cours de son règne. Telle est aussi celle qui est enseigné. Dans le Catéchisme royal de l’évêque Godeau, nous pouvons lire « que votre Majesté, à tout instant, se souvienne qu’il est Vice-Dieu. » C’est parce que l’autorité du roi ne relève d’aucun pouvoir et qu’il n’a pas de contrainte que la monarchie est dite alors absolue.

Au début du XVIIIe siècle, la Sorbonne défend l’indépendance absolue du roi dans le domaine temporel et affirme qu’elle a toujours tenu cet enseignement. Dès 1663, elle publie une Déclaration en six articles. Pour le prouver, en 1720, elle publie un recueil regroupant, «  en latin et en français, toutes les censures, conclusions et déclarations qu'elle a faites et données en différents temps concernant l'autorité souveraine des Rois et la conservation inviolable de leur personne et de l'État »[11] Parmi les éléments de sa doctrine, nous pouvons citer la négation du pouvoir direct et indirect du pape et de l’Église sur les rois. Or, ces preuves ne sont guère anciennes. Elles datent de la fin du XVII. Nous savons en effet qu’elle défendait plutôt le conciliarisme, admettant la subordination du pape au concile. Avant 1682, elle n’a jamais interdit l’intervention de l’Église et du pape dans les affaires du royaume.

Ainsi, les défenseurs des « libertés gallicanes » du XVIe siècle, tels les parlementaires, les tenants de la monarchie absolue partagent le même intérêt. Des légats, dont Bossuet, s’associent à leur entreprise. Toute affaire pouvant remettre en cause la souveraineté du roi est prétexte à un conflit, voire à une crise aigüe. Une thèse tente de défendre les pouvoirs du pape ou affirme que les privilèges de certaines églises ont été accordés par les papes, et de violentes protestations s’abattent sur le malheureux bachelier.

Des relations orageuses entre le royaume de France et Rome

L’une de ces affaires mérite que nous nous y attardions. Il s’agit de l’affaire de la régale. Le roi dispose d’un droit très ancien, dit droit de régale, qui lui autorise à toucher le revenu de tout évêché et de quelques abbayes lorsque le siège est vacant, jusqu’à l’installation du nouveau titulaire, et de nommer des titulaires aux bénéfices ecclésiastiques du diocèse qui sont à la collation de l’évêque. La régale est dite dans le premier cas « régale temporelle », dans le second cas, « régale spirituelle ». La régale temporelle rapporte peu d’argent au roi puisque depuis 1676, elle est affectée à des aides bien précises. La régale spirituelle est plus intéressante puisqu’elle permet au roi d’offrir à ses protégés un bel revenu. Cependant, ce droit n’existe pas dans les diocèses du midi puisqu’il n’était pas appliqué lorsqu’ils ont été rattachés à la couronne capétienne. En 1274, un concile tenu à Lyon réaffirme cette exemption contre les prétentions du parlement. En 1673, un édit royal soumet le droit de régale à l’ensemble des diocèses du royaume sans exception. Parmi les cent trente évêques, seuls deux protestent, les évêques d’Alet et de Pamiers. Le premier mort, le second résiste seul avec le soutien du pape. Deux fois, l’archevêque de Toulouse le condamne, deux fois, le pape casse sa décision. La troisième est de trop. Elle provoque un nouveau conflit.

L’affaire des régales soulève une question fondamentale : le roi peut-il de sa propre autorité s’emparer de droits matériels et spirituels appartenant à l’Église ? Or, dans ses Testaments, Louis XIV est très claire : « tout ce qui trouve dans l’intérieur de nos États, de quelque nature que ce soit, nous appartient ». Et évidement, selon ce principe, il dispose aussi pleinement des biens ecclésiastiques.

En outre, le roi mène une politique jugée scandaleuse. Il fait la guerre contre des États catholiques, n’hésitant pas à s’allier avec des Turcs, et annexe des terres en pleine paix.

En 1676, est élu pape Saint Innocent XI. Sans craindre la puissance du roi, il monte le ton à l’égard de Louis XIV. Dès 1678, il l’écrit à trois reprises de manière prudente, évoquant de manière implicite les armes spirituelles dont il dispose. Des rumeurs circulent sur une possible excommunication ou encore sur une éminente intervention de l’armée royale sur Rome. En 1689, l’assemblé du clergé proclame sa fidélité à l’égard du roi, une fidélité intégrale, sans réserve. Le ciel est menaçant…

Finalement, l’orage éclate lors d’une autre affaire. Le gouvernement nomme une cistercienne à la tête des religieuses augustines de Charonne sans informer Rome contrairement au concordat de 1516. Selon ce dernier, le roi doit en effet proposer la nomination au pape. De plus, les religieuses refusent et élisent une autre supérieure. Des forces de l’ordre finissent par intervenir. Le couvent est fermé et les religieuses sont dispersées. Le pape proteste avec indignation.

À la demande de Louis XIV, Harlay, l’archevêque de Paris, convoque l’assemblée du clergé. L’un des sujets qu’elle doit traiter est l’extension du droit de régale à tout le royaume. Au cours des débats, il défend avec violence la souveraineté du roi. En dépit d’intervention prudente et nuancée de Bossuet, le parti gallican radical domine les débats. Louis XIV demande à l’assemblée de fixer la doctrine officielle de l’Église gallicane ainsi que les limites des deux pouvoirs spirituel et temporel.

La doctrine de l’Église gallicane : la Déclaration des quatre articles

Les débats sont particulièrement enflammés. Dans un long rapport, l’évêque de Tournai énumère les empiètements et les erreurs de Rome. Les prélats en viennent à remettre en question le pouvoir du pape. La question de l’infaillibilité pontificale est même l’enjeu des discours. Mais toujours prudent, Bossuet modère les discours et rédige une Déclaration en quatre articles. Les soixante-douze membres l’approuvent à l’unanimité. Qu’affirme-t-elle ?
  • La totale indépendance du pouvoir temporel envers les chefs de l’Église.
  • Le conciliarisme.
  • Les privilèges spéciaux de l’Église gallicane.
  • Le rejet de l’infaillibilité pontificale.
  • Une certaine primauté au pape dans les questions de foi.
À peine votée, la Déclaration des quatre articles est enregistrée au parlement et promulguée loi d’État. Innocent XI la condamne totalement. En guise de réponse, il refuse l’investiture canonique à tous les évêques que Louis XIV nomme. Ainsi, rapidement, le royaume se vide d’évêques.

Le risque de rupture…

Un incident absurde provoque de nouveau une véritable tempête. Innocent XIV supprime le droit de franchise à l’ensemble des ambassadeurs résidant à Rome. Il s’agit du droit d’asile étendue à tout le quartier entourant l’ambassade, rendant ainsi impuissante la police dans la ville. Le droit d’asile est désormais réduit à la seule ambassade. Seul Louis XIV refuse. À la mort de son ambassadeur, Innocent XI l’avertit qu’il ne recevra pas son nouvel ambassadeur tant qu’il persistera dans son refus. Le roi répond en envoyant le marquis de Lavardin escorté d’une troupe armée. Le nouvel ambassadeur est excommunié. Avignon est alors occupée par des troupes françaises, le nonce apostolique séquestré. Louis XIV en appelle aussi à un concile. L’affaire est donc grave. Trente-cinq diocèses sont sans évêque. Sous le pontificat d’Alexandre VIII, la bulle Inter multiplices est publiée. Elle condamne les actes de l’assemblé du clergé de 1682. Finalement, sous le pontificat d’Innocent XII, le roi cède et se rétracte… tout en obtenant l’élargissement de la régale dans tout son royaume…

Conclusions

Les différentes polémiques et querelles qui ont opposé Louis XIV aux papes soulèvent de véritables questions. Si chacun des pouvoirs demeure indépendant dans leur périmètre de responsabilité, ils ne peuvent s’ignorer puisque ces deux domaines, religieux et temporel, ne sont pas sans relation ni conjonction. Comme nous l’avons vu dans le précédent article, cela nécessite une certaine concorde entre les deux pouvoirs et nécessairement un rapport d’équilibre.

Or depuis la restauration de la paix dans le royaume de France, la souveraineté du roi, considérée comme seule garante de l’unité et de l’ordre, s’est considérablement affermie. La monarchie est  désormais de droit divin. Elle est dite absolue. Plus fort, le pouvoir temporel a alors tendance à soumettre tout pouvoir religieux, y compris dans le domaine spirituel. Car voulant être maître dans son royaume, de tous ses biens et de ses sujets, le roi finit par insérer l’Église dans l’État. Il ne peut alors éviter le risque de césaropapisme qu’ont connu bien des empereurs romains, carolingiens et germaniques. Mais ses prétentions se sont brisées contre la résistance du pape Innocent III. La forte personnalité d’un pape consciencieux de ses droits et de ceux de l’Église devient alors le dernier rempart contre une puissance politique aux tendances hégémoniques. Il met finalement le roi devant ses responsabilités de chrétien. La foi ou encore la fidélité à l’égard de Rome empêchent finalement la rupture. Mais que se passera-t-il le jour où l’État ne sera plus guidé par la religion ?




Notes et références
[1] Libelle intitulé Optati Galli de Cavendo schismate ad illustrissimo ac reverendissimos Ecclesia gallicanae primates, archiepiscopos, episcopos, liber paraeneticus. Le libelle de Charles Hersent est condamné par le Parlement de Paris et les évêques.
[2] Voir Autour de l'histoire du Gallicanisme (suite et fin), Amann E. dans Revue des Sciences Religieuses, tome 22, fascicule 1-2, 1948, www.persee.fr.
[3] Thierry Issartel, Pierre de Marca, le gallicanisme et la République chrétienne (1594-1662), 2009.
[4] Voir Émeraude, avril 2019, article « Le richerisme, une forme du gallicanisme : une nouvelle conception de l'Église ».
[5] Thierry Issartel, Pierre de Marca, le gallicanisme et la République chrétienne (1594-1662).
[6] Benoist Pierre, La bure et le sceptre : la congrégation des Feuillants dans l’affirmation des États et des pouvoirs séculiers (vers 1560-vers 1660), Publications de la Sorbonne, 2006.
[7] Mgr Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l’Écriture.
[8] Voir Émeraude, mars 2019, article « Les libertés gallicanes au XVIe siècle - Pierre Pithou ».
[9] Louis XIV, Mémoires et Testament.
[10] Mgr Martin Victor, L'adoption du gallicanisme politique par le clergé de France, dans Revue des Sciences Religieuses, tome 6, fascicule 3, 1926, www.persee.fr.
[11] Jean-Baptiste Delespine, Censures et conclusions de la Sacrée Faculté de Théologie de Paris, touchant La souveraineté des Rois, la fidélité que leur doivent leurs sujets, la sûreté de leurs personnes et la tranquillité de l’État, tome II dans L'adoption du gallicanisme politique par le clergé de France, Mgr Martin Victor.
[12] Antonio Santarelli, Tractatus de haeresi, schimaste, apostasia, sollicitatione in sacramento paenitentiae, et de potestate romani pontificis in his delectis puniendis, dans L'adoption du gallicanisme politique par le clergé de France (suite), mgr Matin Victor, dans Revue des Sciences Religieuses, tome 7, fascicule 2, 1927, www.persee.fr.
[13] Pierre Marca, La Concorde et la sacerdoce et de la royauté, tome I, dans Le gallicanisme et la République chrétienne (1594-1662), Thierry Issartel.


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