" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 15 septembre 2018

Le Grand Schisme : la fin, victoire de la voie conciliaire

Vierge de Miséricorde, Enguerrand Quarton, 

retable Cadard, vers 1444, musée Condé.
En dépit de nombreux efforts, le Grand Schisme se poursuit au début du XVe siècle. Les « papes » de Rome et d’Avignon s’obstinent dans leurs fonctions. Sûrs de leurs droits et forts du soutien de États, ils refusent d’abdiquer et ne cherchent guère à trouver une solution amiable pour rétablir l’unité de la Chrétienté. Les voies de cession[1] ou de convention échouent comme a échoué la solution par les armes. Il est alors clair que le remède ne peut pas provenir d’eux. La voie conciliaire apparaît alors comme le seul et unique moyen pour faire cesser le scandale qui déchire la Chrétienté et afflige l’Église…

Rappelons qu’au début du XVe siècle, Benoît XIII occupe le siège d’Avignon alors que Grégoire XII dirige une partie de l’Église à partir de Rome. Alors que les royaumes de France, d’Écosse, de Castille, d’Aragon soutiennent le « pape d’Avignon », le « pape de Rome » peut compter principalement sur le Saint Empire Germanique, l’Angleterre, la Scandinavie, le Portugal. Les positions des rois et des princes s’expliquent en partie par des considérations politiques.

Mais la Chrétienté est aussi déchirée par des intrigues et des conflits entre les royaumes et au sein des États. C’est le temps de la guerre de Cent ans (1337-1453), des luttes entre les Armagnacs et les Bourguignons, de l’entreprise italienne des ducs d’Orléans. On garde encore le souvenir des terribles pestes noires (1347-1352) et des épidémies qui ont dépeuplé l’Europe. Pouvons-nous imaginer l’état d’esprit des fidèles à cette époque ?

De la soustraction d’obédience au Pape Benoît XIII à la neutralité

Bulletins de vote de la soustraction d'obédience
Le roi de France est le principal soutien du « pape » Benoît XIII comme il l’a été à l’égard de son prédécesseur. Cependant, il demeure attaché à l’union de la Chrétienté et travaille pour faire cesser le schisme. C’est pourquoi face à l’attitude ambiguë de Benoît XIII, Charles VI décide de réagir. Il convoque à trois reprises le clergé[2] puis lors de la dernière assemblée, le 27 juillet 1398, il publie l’ordonnance de soustraction à l’obédience de Benoît XIII. Elle est complète et immédiate. Cela signifie qu’il ordonne à tous ses sujets, clercs et laïques, de lui désobéir. Le décret déclare aussi nulle toute collation de bénéfices faite par la cour avignonnaise, ce qui touche directement aux finances du « pape d’Avignon ». Une très grande majorité de cardinaux français[3]quittent alors Benoît XIII. Sous leur direction, Avignon se rebelle, ce qui obligea Benoît XIII à s’enfermer dans son palais. Mais l’exemple du royaume de France est peu suivi. Remarquons que le roi de France ne déclare pas illégitime Benoît XIII. Comment un roi peut-il alors demander à des fidèles de désobéir à un « pape » reconnu pourtant comme légitime ? …

Cependant, la soustraction d’obédience soulève des difficultés au sein du clergé français. Certes, à première vue, elle lui apporterait de nombreux avantages. Elle donnerait une très grande liberté aux évêques et clercs, en particulier dans le choix des bénéficiaires. Elle devrait aussi leur procurer une grande richesse puisque les taxes et impôts en tout genre ne seraient désormais prélevés qu’à leur profit. Mais c’est oublier le pouvoir temporel, encore bien plus intéressé par une telle indépendance du clergé. Car rapidement les princes et les seigneurs interviennent pour imposer leur choix dans les élections des évêques et des abbés. Au niveau financier, dès mars 1399, si un décret supprime toutes les contributions financières levées au profit du Saint-Siège, il demande au clergé de fournir au roi et aux princes quelques subsides financiers pour répondre aux grandes dépenses qu’ils ont engagés pour rechercher l’union. Une décime est ainsi levée au profit du royaume. Certains évêques résistent aux empiétements du pouvoir séculier mais ils sont bien peu nombreux et trop faibles pour résister. Ainsi se vérifie dans le royaume de France « durant les années 1398 à 1403, la loi générale qui veut qu'aucune église ne puisse s'affranchir de l'autorité du pape sans retomber sous le joug de l'autorité laïque. »[4] Le clergé français se retrouve rapidement dans la situation qu'il a connue avant la réforme grégorienne

Mais cette situation profite à Benoît XIII. Enfermé dans son palais, il voit son prestige grandir, surtout lorsqu’il parvient à s’évader de son palais pour se mettre sous la protection de Louis II d’Anjou. En outre, avec la soustraction d’obédience, le « pape de Rome » s’est aussi affermi sans que l’union ne progresse. Enfin, la situation divise aussi la cour royale du royaume de France.

La solution française s’avère donc un échec. Amoindri, le Sacré Collège d’Avignon et le Comtat Venaissin finissent par se soumettre à Benoît XIII. Des royaumes, comme celui de Castille, lui restituent son obédience. Le 28 mai 1403, sur demande d’une majorité de prélats et de clercs, et d’Universités, et appuyé par son frère Louis d’Orléans, et forts de nouvelles promesses de Benoît XIII favorables à l’union, le roi Charles VI décide de lui restituer l’obédience. Dans une bulle, le « pape d’Avignon » se déclare en effet prêt à abdiquer si son adversaire abdique lui-même ou vient à mourir, ou à être déposé afin qu’un nouveau pape puisse être élu. Il promet aussi de revenir sur la réforme et les libertés de l’Église, sur les taxes et autres charges qui pèsent sur le clergé français. Qui peut encore le croire ?

L’obstination de Benoît XIII

Des négociations sont alors entamées entre Rome et Avignon à la recherche de compromis mais comme les précédentes, elles n’aboutissent pas. Pire encore. Lorsque Boniface VIII meurt le 1er octobre 1404, Benoît XIII n’abdique pas. Au contraire, profitant des faiblesses du nouveau « pape de Rome » et d’un mouvement favorable à sa cause, notamment en Italie, il feint des négociations avec Innocent VIII puis sous prétexte de leurs échecs, il décide de reprendre les armes pour s’emparer de Rome. « Voie de cession, voie de concile et voie de compromis, voie de convention même, si longtemps préconisée par Benoît XIII, étaient abandonnées le pape d'Avignon revenait à celle qui avait toujours eu ses secrètes préférences, la « voie de fait, » en d'autres termes, l'emploi de la force, le recours aux armes. »[5] Mais de nouveau, les armes sont impuissantes à résoudre la crise. Qui peut encore s’illusionner sur son désir d’union ? …

En 1406, devant l’attitude désolante de Benoît XIII, un nouveau « concile national » s’ouvre à Paris à la demande de Charles VI. Le plus grand nombre des prélats demande une soustraction d’obédience particulière, c’est-à-dire le refus au pape de pourvoir aux bénéfices et de prélever des taxes, tout en lui reconnaissant le pouvoir de gouverner les âmes. Il réclame aussi la mise en place de réformes pour défendre les privilèges du clergé français. Néanmoins, en janvier 1407, l’Université de Paris retire au pape l’obédience et demande au roi de faire de même, le jugeant hérétique et parjure, cessant ainsi d’être pape...

Le devoir de neutralité

Retable de Cinctorres (XVe siècle
st Pierre sous les traits de l'antipape Benoît XIII
Plus tard, constatant l’échec de toute tentative d’union de la part des deux « papes », le roi de France publie deux édits qui affermissent de nouveau sa position et menace de prendre de nouvelles sanctions. Dans celle du 26 janvier 1408, le terme de « neutralité » est employé. Il défend en effet de n’obéir à aucun des deux « papes » sous peine de perdre corps et biens. Benoît XIII lui répond par des menaces d’excommunication qui soulèvent un vent de colère à la cour royal. Le 25 mai 1408, le roi de France adopte finalement la neutralité à l’égard des deux « papes » avec le plein assentiment des provinces ecclésiastiques réunis dans un nouveau concile national ainsi que des Universités françaises. L’exemple est suivi par d’autres royaumes.

Puis, en août 1408, le roi de France convoque un nouveau concile à Paris. Celui-ci approuve sa position à l’égard de Benoît XIII et prend à son tour des sanctions contre lui et ses partisans, en particulier la confiscation des bénéfices. Il définit également une organisation au sein du clergé de France de façon à suppléer l’absence d’autorité pontificale et à renforcer son autonomie. C’est à cette occasion que le rôle de primats, tenu par certains archevêques comme Lyon et Rouen, titre alors purement honorifique, est confirmé et prend de l’importance. Il devient un degré supplémentaire dans la hiérarchie entre le Pape et les métropolitains[6].

Une nouvelle révolte des cardinaux, le « concile de Pise »[7]

Devant l’attitude de leur pape et en raison de leur engagement pris lors du conclave qui l’a élu, neuf cardinaux romains[8] quittent « le pape de Rome » Grégoire XII pour la ville de Livourne. Ils veulent désormais travailler avec des cardinaux d’Avignon pour rétablir l’union. À leur appel, six cardinaux de Benoît XIII les rejoignent. Puis, en octobre 1408, le groupe réunit dix-neuf cardinaux. Les cardinaux des deux obédiences réunis à Livourne déclarent qu’en raison de la négligence des deux prétendants, il leur est de leur devoir de convoquer un concile général pour rétablir l’unité religieuse. Les deux « papes » sont invités à s’y présenter en personne et à abdiquer. En cas de refus, ils seront déposés.

Un concile est ainsi convoqué à Pise le 25 mars 1409. Mais, prenant les devants, les deux « papes » ont déjà convoqué des conciles, Benoît XIII à Perpignan[9] (septembre 1408) et Grégoire XII à Cividale dans le Frioul en Italie (juin 1409), concile ensuite transféré à Rome (août 1409). Ce sont des conciles à leur image, c’est-à-dire restreints à leur obédience et donc bien peu universels …

Frappés par l’attitude désolante de Grégoire XII ou las des faux-fuyants de Benoît XIII, ou sous l’influence du roi de France favorable au « concile de Pise », de nombreux rois et princes décident de le soutenir et de s’y associer. Néanmoins, certains refusent d’y participer comme le roi des Romains Robert ou le roi de Hongrie Sigismond restés fidèles au « pape de Rome », ou encore les rois de Castille et d’Écosse résolus à suivre le « pape d’Avignon ». Certains d’entre eux ne reconnaîtront alors aucune valeur aux actes décrétés par cette assemblée. Ainsi à la veille du « concile de Pise », la Chrétienté demeure profondément divisée. « Il était sûr que les papes, sans lesquels et même contre lesquels on prétendait agir à Pise, conserveraient, chacun de son côté, un nombre important de partisans. »[10]

Le concile de Pise, l’élection d’un « pape certain » contre les « papes douteux »

En dépit des protestations des deux « papes », le « concile de Pise » s’ouvre dans la cathédrale de Pise le 25 mars et s’achèvera le 7 août 1409. Au moment où les membres sont les plus nombreux, il réunit vingt-quatre cardinaux, venant des deux obédiences, quatre patriarches, quatre-vingts évêques, les procureurs de cent deux évêques absents, quatre-vingt-sept abbés, généraux des quatre Ordres mendiants, les députés de nombreuses universités, sans oublier plus de trois cents docteurs et enfin les ambassadeurs de nombreux rois, princes et républiques de l’Occident. Noël Valois souligne une forte unanimité des membres du concile. L’assemblée se déroule en trois parties.

Lors de la première, les partisans de la voie conciliaire défendent la légalité et la légitimité du « concile ». Sa convocation soulève en effet une difficulté juridique puisqu’il n’a pas été convoqué par aucun pape. Ce sont bien des cardinaux révoltés qui l’’ont convoqué ! En outre, il est bien contradictoire de ne pas reconnaître la légitimité d’Urbain VI et de Clément VII quand des cardinaux qu’ils ont eux-mêmes nommés sont reconnus légitimes ! Il faut attendre la huitième session, le 10 mai, pour que l’union des deux collèges des cardinaux soit déclarée légitime et canonique ainsi que la légalité du concile. Il est notamment déclaré qu’il représente bien l’Église universelle, et que, par conséquent, étant le juge le plus élevé sur la terre, il a droit de décider sur les deux « papes ».

La deuxième partie du concile se réduit à un procès. En effet, « le concile se borna longtemps à faire office de cour de justice. »[11] Après de nombreux témoignages et discours, les deux « papes » sont convaincus d’être des schismatiques et des hérétiques, notoires et endurcis, coupables de nombreux crimes. Ce jugement est essentiel pour le concile. Sans cette accusation, il lui est bien difficile de les déposer avec une apparence de légalité. Le concile « prononce, décide, détermine et déclare que lesdits Angelo Correr et Père de Luna […] ont été et sont, chacun d’eux, schismatiques notoires, qu’ils ont nourri un vieux schisme, l’ont prolongé, excité, approuvé et soutenu avec entêtement, et qu’ils sont hérétiques notoires, qu’ils s’écartent de la foi, s’enlisent dans des crimes énormes et notoires de parjures et de faux serment, qu’ils scandalisent notoirement la sainte et universelle Église de Dieu, en se montrant de façon notoire, évidente et manifeste incorrigibles, contumaces et entêtés. »[12]

Le concile dépose ensuite les deux « papes », puis les destitue de toute dignité ecclésiastique et enfin les exclut de l’Église. Les fidèles sont aussi déliés de toute obligation d’obéissance à leur égard. Le Siège apostolique est alors déclaré vacant. Il est alors possible de procéder à une nouvelle élection…

La troisième partie consiste à élire un nouveau pape. Le 26 juin, le cardinal de Milan, Pierre Philarghi, franciscain, est élu à l’unanimité des cardinaux présents au concile et intronisé à la cathédrale de Pise sous le nom d’Alexandre V.

Le concile de Pise, un remède pire que le mal

Or Grégoire XII et Benoît XIII ne se démettent pas. Qui aurait pu s’en doute ? Certains royaumes n’abandonnent pas leur pape. La Castille, l’Aragon et l’Écosse soutiennent encore le « pape d’Avignon », qui peut aussi compter en France sur le soutien des Armagnac, alors que des États italiens et une partie de l’Allemagne demeurent sous l’obédience de Grégoire XII. Ainsi, l’Église n’a plus désormais deux prétendants au trône pontifical mais trois !

Avec le soutien des troupes françaises et de la ville de Florence, les États de l’Église se soumettent au nouveau « pape » Alexandre V. Celui-ci peut alors entrer en triomphe à Rome et en devenir le maître. Néanmoins, la guerre se poursuit en Italie. Il prêche une croisade contre ses ennemis, soulevant par ailleurs la révolte de Jean Hus en Bohême. En dépit de ses victoires, le « pape de Pise » est en fait dans une situation difficile. Certes, une grande partie de la Chrétienté le reconnaît comme seul et unique pape mais la légitimité du « concile de Pise » et donc son élection présentent de véritables difficultés au niveau juridique. Le « concile » ne peut guère prétendre à une certaine universalité puisqu’il s’est réuni contre l’assentiment des deux « papes » et de leurs partisans. Et un concile a-t-il le droit de déposer deux « papes douteux » pour en élire un « pape certain » ? A-t-il surtout le droit de les déclarer schismatiques et hérétiques ? En outre, contrairement aux aspirations, le « concile de Pise » n’a pas cherché à mener de réelles réformes, ce qui génère déception et mécontentement. En outre, le « pape de Pise » n’a pas l’autorité morale suffisante pour s’imposer. Après dix mois de règne seulement, Alexandre V meurt. Le cardinal de Cossa lui succède sur le trône pontifical sous le nom de Jean XXIII. Ses vertus ne seront pas à la hauteur des événements…

Certes, Alexandre V a abandonné certaines prérogatives pontificales concernant des taxes et des impôts tout en maintenant d’autres à son profit. Il partage aussi le droit au pourvoir aux bénéfices avec les évêques. Mais le 7 août 1409, il déclare la réforme suspendue et congédie le « concile ». Et prenant l’exemple de ses prédécesseurs, il lève encore des décimes sur tout le clergé du royaume de France et dans le Saint Empire Germanique. Il invente encore une nouvelle taxe, dite « dons gratuits »[13], et pourvoit sans scrupule à des bénéfices. Et de nombreux prélats du « concile de Pise » en profitent ! L’évêque de Verden, Thierry de Nieheim (1340 ? - 1418), parle d’une véritable  chasse aux bénéfices[14]

Sur demande du « concile de Pise », Jean XXIII en convoque un autre pour poursuivre les réformes. Il a lieu à Rome en 1412-1413 mais l’assemblée se montre très réduite, voire insignifiante, et doit finalement être ajourné. Néanmoins, il a le temps de condamner des thèses de Wyclif et de Jean Hus.

Finalement, non seulement « la réforme annoncée au concile de Pise ressemble fort à une mystification »[15], mais l’élection d’un nouveau pape ne résout pas le grand schisme. « Rien de changé dans l’Église, si ce n’est un Pape en plus. La réforme s’en est allée à peu près en fumée. »[16] L’« assemblée de Pise » est donc non seulement un échec mais surtout désastreux

La dernière phase du Grand-Schisme : le concile de Constance

Sigismond de Luxembourg
Albrecht Düre
La solution ne viendra pas non plus des cardinaux. Il viendra finalement du Saint Empire Germanique, et plus précisément de Sigismond de Luxembourg (1368-1437), roi de Hongrie en 1387 et roi des Romains en 1411, unique chef du Saint Empire Germanique la même année après la mort et le désistement de ses concurrents sur le trône impérial. Par sa couronne de roi de Rome, il porte le titre officiel de « protecteur de l’Église ». Dans un courrier adressé au roi de France Charles VI, il traite de ses devoirs que l’office impérial lui impose et des titres d’« avoué » et de « défenseur de l’Église » que lui ont décernés les conciles. Dans un sermon donné au cours du concile de Constance, le cardinal Pierre d’Ailly vante aussi Sigismond qui s’apprête à jouer le rôle de l’empereur Constantin.

Le moment est aussi propice pour Sigismond puisque, menacé par les troupes napolitaines, qui saccagent et pillent Rome, Jean XXIII se rallie à lui. En outre, relevant traditionnellement de l’obédience du « pape de Rome », il ne s’est pas rallié au douteux « concile de Pise ». Puis, divisé et amoindri par le conflit qui oppose les Armagnacs et les Bourguignons, le roi de France ne peut guère défendre la solution qu’elle a imposée à Pise. Enfin, le 4 septembre 1414, la paix d’Arras met un terme au moins provisoirement, à la guerre entre l’Angleterre et la France. Le contexte est donc favorable pour que Sigismond impose son autorité

En octobre 1413, Sigismond obtient de Jean XXIII la convocation d’un concile sur ses terres, à Constance, pour le 1er novembre 1414. Il définit quatre objectifs : la suppression du schisme, l’extinction des hérésies, la réforme de l’Église dans son chef et dans ses membres et enfin la réconciliation des Grecs. Il prie les trois « papes » de s’y rendre. Jean XXII expédie les bulles de convocation le 9 décembre.

Le concile s’ouvre le 5 novembre 1414 dans la cathédrale de Constance. Jean XXIII est seul « pape » présent. Ses deux adversaires sont néanmoins représentés. Le « pape de Pise » est confiant, fort de ses partisans et de son argent qui coule à flot mais rapidement, il s’aperçoit de son erreur, c’est-à-dire de sa position de faiblesse. Très tôt en effet, la solution de triple cession s’affirme clairement : les trois « papes » rivaux doivent abdiquer, la nécessité de l’union prévalant sur les questions de légitimité.

Peu rassuré pour sa liberté et sa sécurité, Jean XXIII s’enfuit de Constance pour se mettre sous la protection du duc Frédéric d’Autriche. Il n’est plus qu’un fugitif aux abois. Furieux, le concile ordonne aux « papes » de lui obéir en tout ce qui concerne l’union et la réforme et déclare punissable toute personne, y compris de conditions papales, qui refuseraient d’obéir à ses décrets. Si un « pape » refuse d’abdiquer ou ajourne son abdication pour contribuer à l’unité de l’Église, il sera déchu de sa dignité pontificale et de ses droits. Mis au ban de l’Empire et battu par les troupes impériales, le duc Frédéric d’Autriche finit par livrer le malheureux Jean XXIII au concile. Il est arrêté et emprisonné. Le concile le dépose du trône pontificale. Il accepte la sanction et refuse de faire appel. Il sera prisonnier en Allemagne pendant trois ans.

Après que son légat ait de nouveau convoqué le concile de Constance en son nom, Grégoire XII accepte d’abdiquer devant l’Empereur Sigismond qui préside le concile. À la treizième session, le concile accepte la démission de Grégoire XII et valide toutes les mesures qu’il a prises si elles sont conformes aux canons ainsi que ses nominations de cardinaux. Reste désormais le troisième « pape ».

Martin V (1417-1431)
Or Benoît XIII s’obstine. Il refuse les conditions d’abdication qui ont été offertes à Grégoire XII. L’Aragon, la Navarre, la Castille, le Portugal et l’Écosse l’ont pourtant abandonné. Accusé de parjure, de fomenter le schisme et suspect d’hérésie, le concile de Constance le déclare dépouillé de toutes dignités et de tous droits attachés à la papauté et à l’Église romaine. Benoît XIII dispose encore d’un seul appui, Jean IV, comte d’Armagnac. Il crée de nouveaux cardinaux en 1422, qui, à sa mort, se réunissent en conclave pour élire un successeur qui prend le nom de Clément VIII. Mais celui-ci abdique en 1429, mettant alors fin au Grand Schisme…

Après la déposition de Benoît XIII le 26 juillet 1417, le siège pontifical est enfin vacant. Il est désormais possible d’élire un nouveau pape. Reste à déterminer le mode de l’élection. Après de rudes négociations, il sera élu par une assemblée comprenant le Sacré-Collège, constitué des cardinaux des différentes obédiences, et des représentants des nations[17] afin de lui garantir une légitimité incontestable, y compris devant les États. En la fête de Saint Martin, le 11 novembre 1417, Odon Colonna est élu pape sous le nom de Martin V. Ainsi se termine la longue et triste période du Grand Schisme…

Conclusion : quel pape légitime finalement ?

La question peut paraître présomptueuse puisqu’aucun texte officiel de l’Église ne lui apporte une réponse claire. Des éléments semblent néanmoins nous donner de sérieux éléments de réponse. Des papes ont pris le nom de Jean XXIII ou de Benoît XIII. Puis l’Église n’a pas reconnu l’« assemblée de Pise » comme un concile général. Mais revenons au concile de Constance. S’il ne cherche pas à légitimer un pape et donc à condamner les autres d’intrus ou d’antipape, ses décisions et le silence qui les couvre ne laissent guère de doute pour celui qui veut entendre…

Le concile de Constance condamne d’abord Jean XXII de nombreux crimes et le dépose de la papauté, défendant « à tous les chrétiens de donner désormais le nom de pape à celui qui a été ainsi déposé de la papauté, ou de s’attacher à lui comme pape, ou de lui obéir de quelque manière. »[18] Le concile ne juge pas sur la légitimité de ce « pape ». Néanmoins en le déposant, il reconnaît qu’il est monté sur le siège pontifical. Mais, il remet sérieusement en question la légitimité du « concile de Pise ». Cependant, il refuse d‘apporter un jugement sous prétexte que cette question est aussi insoluble que celle soulevée par l’élection d’Urbain VI.

Vierge au manteau, 1417.
Benoît XIII est condamné en tant que « Pierre de Luna, appelé par quelques-uns Benoît XIII ! ». Il est accusé d’être « fauteur et propagateur d’un schisme invétéré, d’une scission et d’une division invétérée de la sainte Église de Dieu, obstacle à la paix et à l’union de cette même Église, schismatique et hérétique, hors de la vraie foi, violateur obstiné de l’article de foi Unam, sanctam, catholicam Ecclesiam »[19]. Le concile de Constance le déclare ainsi non seulement schismatique mais aussi hérétique en remettant en cause l’unité de l’Église. Le concile de Constance doit le déposer car « il détient, nous dit le même texte, encore de facto la papauté, de cette même papauté et du souverain pontificat sur l’Église romaine ». Il lui est interdit de « se conduire désormais en pape ou Souverain Pontife de Rome. » [20] La déclaration est subtile. Elle dit qu’il a agi en pape sans l’être véritablement. Pierre de Luna qui s’est dit pape et a agi en tant que tel ne le serait donc par légitimement. C’est « Pierre de Luna, appelé par quelques-uns Benoît XIII » qui est bien condamné. Mais cela signifie-t-il que son prédécesseur Robert de Genève, a aussi agi comme tel ?...

Revenons au cas de Grégoire XII. Avant de démissionner, celui-ci convoque le concile qu’il considère comme « un concile générale ». Ce même concile statue et ordonne que « tout ce que, en vertu de l’autorité apostolique, […] celui que l’on appelle Grégoire VII a canoniquement ou raisonnablement accompli, fait, ordonné, concédé, accordé […] ne peuvent être cassées, qu’on ne peut faire appel contre elles, qu’elles ne peuvent pas être mises en doute pour raison ou sous prétexte de schisme ou faute quelconque et inhabilité qui proviendraient de celui-ci »[21]. Rappelons surtout que le concile accepte sa démission, ce qui signifie clairement qu’il était reconnu comme pape. En outre, comme le pape seul a droit de le faire, il convoque le concile, pourtant déjà réuni, convocation que le concile ne récuse pas.







Notes et références
[1] La voie de cession : abdication des deux papes puis élection d’un nouveau pape à la légitimité incontestable. La voie de conciliation : entente entre les deux « papes » pour remédier à la crise. La voie conciliaire : un concile général ou œcuménique impose la solution. Voir l’article précédent.
[2] Dès le « concile national » de 1395, le clergé de France prévoit la soustraction d’obédience en cas de refus de Benoît XIII. Il propose aussi la réunion d’un concile général pour élire notamment un Pape si les deux prétendants refusent d’abdiquer. Au deuxième concile tenu en 1396, le parti modéré parvient à s’imposer.
[3] 17 cardinaux sur 22 adhèrent à l’acte de soustraction d’obédience.
[4] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tomes III, chap. III, VII.
[5] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tomes III, chap. III, VII.
[6] Il est défini que les primats confirmeraient les archevêques, les sacraient et connaîtraient des appels de leurs sentences.
[7] Le « concile de Pise » n’est pas reconnu par l’Église. Ainsi pour le désigner, on utilise les guillemets ou l’expression « assemblée de Pise ».
[8] Le sacré collège de Rome est composé de quinze cardinaux dont quatre nouvellement nommés par Grégoire XII en dépit de sa promesse.
[9] Le concile a compté environ trois cents représentants de l’Église, provenant essentiellement de Castille, d’Aragon et du Navarrais, avec quelques Lorrains et Savoyards : 8 archevêques, 33 évêques, 83 abbés, 4 chefs d'ordres religieux, 5 dignitaires d'ordres militaires, et des représentants d’une dizaine d'évêques, une quarantaine d'abbés, d'autant de chapitres cathédraux, de quatre Universités et d'environ quatre-vingts monastères.
[10] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tomes IV, chap. I, IV.
[11] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tomes IV, chap. I, V.
[12] Gien Dominici Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1784 dans La question de la vérité dans la résolution du Grand Schisme d’Occident (1378-1417), Hélène Millet, p.461-480, éditions de la Sorbonne, books.openedition.org/psorbonne.
[13] Notons que certaines de ces décimes, prévues pour la convocation d’un concile de réforme, ont été détournées par le roi de France.
[14] Thierry de Nieheim, De scismate. Il a travaillé successivement à la chancellerie pontificale d’Urbain VI et de Boniface IX. Il est une source d’informations du Grand Schisme. Il donne l’exemple des nouveaux archevêques de Bourges, de Reims, évêques de Carcassonne, de Mende, de Coutances.
[15] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tomes IV, chap. II, IV.
[16] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, tomes IV, chap. II, IV.
[17] Le corps électoral est composé de vingt-trois cardinaux et trente délégués des nations (Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie). L’élu doit emporter les deux-tiers du suffrage dans le sacré collège mais aussi dans chaque nation. Le but est de sauvegarder la tradition (vote par le sacré-collège) et de garantir à l’élu l’adhésion des nations (vote par chaque nation).
[18] Concile de Constance, 12e session, 29 mai 1415, Mansi, XXVII, 715, E-716 C, dans Constance et Bâle-Florence, Joseph Gill, S. J., Textes, IV Déposition du Pape Jean XXIII.
[19] Concile de Constance 37e session, 26 juillet 1417, Mansi, XXVII, 1141 B-1142 A dans Constance et Bâle-Florence, Joseph Gill, S. J., Textes, VIII, Déposition de Benoît XIII.
[20] Concile de Constance 37e session, 26 juillet 1417, Mansi, XXVII, 1141 B-1142 A dans Constance et Bâle-Florence, Joseph Gill, S. J., Textes, VIII, Déposition de Benoît XIII.
[21] Concile de Constance 14e session, 4 juillet 1415, Mansi, XXVII, 734 dans Constance et Bâle-Florence, Joseph Gill, S. J., Textes, VIII, Déposition de Benoît XIII.

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