" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 1 décembre 2017

Les bienfaits de la vie monastique pour notre civilisation

Abbaye de Fontenay




De nos jours encore, en dépit d’une perte de mémoire chronique, il n’est guère envisageable d’imaginer une de nos villes sans monastère ou couvent, ruine ou belle bâtisse monastique. Dans nos campagnes, même les plus isolés, nous pouvons encore admirer des abbayes, même si certaines d’entre elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Le paysage garde ainsi de belles traces de notre histoire. Parfois, touristes d’un jour, emportés par une nostalgie qui chaque année se répète, nos contemporains découvrent un monde étrange, où survit, dans leur subconscient, l’image du moine silencieux et priant. Mais fugace, elle s’évanouit pour laisser place à la rumeur des siècles, aux personnages bedonnants du cinéma, aux religieux ânonnant des livres et des revues, aux êtres hâbleurs et pleins de verbes. Mais le rire méprisant s’efface à son tour quand l’âme du lieu leur fait découvrir toute la richesse et la quiétude d’un monde peut-être envié.

Nombreux sont les caricatures de moines et de moniales que nous ont léguées humanistes et protestants. Leurs critiques acerbes ont suffisamment sali leur mémoire pour qu’elles ne demeurent pas dans nos mémoires. Leurs mots sont encore durs, leurs rires tenaces, leurs railleries mortelles. Derrière les esclafferies de Rabelais, les beaux mots d’Érasme et les beaux sentiments de Luther se cachent des phrases assassines et de cruels mensonges. Pourquoi tant de haine, pourrions-nous dire ? Pourquoi tant de violence contre la vie religieuse ? Ils dénoncent l’inhumanité qui se cache derrière la clôture. Ils accusent des vilenies abominables dans les cellules et les cloîtres. La rage des révolutionnaires saccageant tout est le fruit amer de leurs injures et de leurs mensonges.

Vestiges de l'abbaye de Cluny
Pourtant, que de belles œuvres voyons-nous encore dans nos villes et nos campagnes ? Discrètes et silencieuses, voire enfouies dans la mémoire des temps, elles demeurent visibles, d’une beauté indicible, sans être éclatante, et embaumées d’une quiétude plein de charmes, qui sait encore apaiser les âmes les plus agitées. Ce sont des lieux encore attractifs, voilés de mystères. Nous sommes sans-doute transportés dans un autre temps, une autre dimension. Et que dire de tout ce qui a disparu, de tout ce que nous ne sentons plus, de tout un monde qui n’est plus ? Certes, ici-bas, rien n’est parfait. Tout chef d’œuvre a ses défauts. Tout édifice né de mains d’hommes s’écroulera un jour. Tout œuvre humaine mourra de ses faiblesses. Tout ce qui sort de l’homme ne peut en effet demeurer longtemps dans la pureté de sa jeunesse. Tout rêve perd un peu de sa beauté. Mais faut-il pour cela oublier les bienfaits de la vie religieuse ? Faut-il n’insister que sur les déviations et les erreurs que ses disciples infidèles ont montrées, parfois sans rougir, au point de refuser d’y voir ses éclats et ses lumières ? Un tel discours orienté de si mauvaises manières ne peut que nous avilir et nous livrer à nos pires instincts.

Abbaye de Cîteaux




Les critiques d’Érasme, de Marguerite de Navarre ou de Luther se heurtent en effet à une réalité encore palpable de nos jours. Leurs mensonges sont à dévoiler. Leurs attaques doivent être parées. Tout cela est certes vieux, voire d’un autre âge. Pourquoi se battre contre des mots si poussiéreux ? Parce que les images subsistent encore. Il suffit de lire l’ouvrage Le nom de la Rose pour comprendre tout l’intérêt de ce combat. Il ne s’agit pas non plus de réparer les dégâts qu’ont commis tant injures, et lavé un honneur sali par tant de calomnie et de médisance. Ce combat permet aussi de comprendre l’essence même de leur acrimonie. Au-delà de l’écorce, il faut atteindre la sève et plus profondément encore, les racines. Telle est notre ambition. Leur rancœur toujours existant éloigne encore les hommes de bonne volonté de Celui qui n’est que charité…

La vie monastère dans un monde qui sombre

Examinons les bienfaits qu’a apportés la vie monastique. Pour cela, tentons de rejoindre un temps où elle influençait la société et les hommes, c’est-à-dire entre le Ve et XIIe siècle. Rappelons par exemple cette époque où Romains et Barbares se retrouvaient dans la même maison, sous un même temps, travaillant et priant ensemble, les uns appartenaient peut-être à une famille patricienne, autrefois propriétaires d’un vaste domaine, les autres à une tribu germanique venue enlever aux premiers les rênes du pouvoir et désormais détentrice de leurs terres et de leurs biens. Voyons ces vaincus et ces vainqueurs réunis et même unis dans la même prière ! La société antique s’est écroulée après l’invasion des peuples outre-Rhin. De cette chute est sortie une autre civilisation, celle du Moyen-âge. Les peuples se sont mélangés, fusionnés pour bâtir un autre monde. Et cette fusion des peuples, elle s’est aussi forgée dans les cellules et les monastères, au-delà des rancœurs.

Restons en ce temps de chaos qu’a dû représenter l’invasion des Barbares. Pouvons-nous imaginer ces hommes et ces femmes qui assistent impuissants à l’écroulement de la civilisation romaine avec son administration, sa culture, son intelligence ? Après l’ordre romain, c’est en effet l’anarchie. Elle n’est sans-doute pas immédiate mais lente, progressive, inéluctable. Et pendant que des paysans se font massacrés, que l’héritage des générations brûle, des hommes tentent de sauver ce qu’ils peuvent. Et parmi ces hommes, des moines. « Il ne faut rien négliger de ce qui peut améliorer la condition humaine. »[1] Tel est par exemple le cri de Cassiodore (485-586).

Le monastère, vecteur de transmission de la culture sacrée et profane

Cassiodore[2] est un homme brillant, de grande érudition. Issu d’une famille aristocratique, il a exercé de hautes fonctions à la cour des Ostrogoths. Il est en effet proche du pouvoir, notamment conseiller auprès du roi Théodoric le Grand. En 523, il exerce la plus haute fonction du royaume puis après une disgrâce, il devient préfet du prétoire en 535. Avec le Pape Agapit (535-536), il essaye de fonder une sorte d’université chrétienne à Rome sur le modèle des anciennes écoles bibliques d’Antioche et d’Alexandrie. Mais la prise de Rome par Bélisaire ruine ses plans. Puis vers 555, il décide de quitter la vie publique. Il se retire du monde avec des amis. Il devient moine. Il fonde alors le monastère de Vivarium sur son domaine en Calabre, à l’extrême sud de l’Italie. Mais s’il a renoncé au monde, il n’a pas renoncé à la culture intellectuelle. Son monastère sera une véritable « ville d’étude », destinée à préserver et à transmettre l’héritage gréco-romain aux générations futures.

Cassiodore veut lier la vie religieuse et la vie intellectuelle, ne voulant pas séparer «  le salut de l’âme et l’érudition du siècle », selon ses propres termes. Le monastère est non seulement consacré aux offices liturgiques mais également à l’étude. Une très grande place est en effet accordée à l’enseignement et à la copie des manuscrits. Avec Cassiodore, le moine se fait donc copiste. Il se fait aussi traducteur. Les œuvres grecques sont en effet traduites en latin. Le monastère rassemble alors de nombreux ouvrages et constitue une véritable bibliothèque, regroupant toutes les sciences, répertoriant des livres tant religieux que profanes. Même les livres au contenu dangereux sont conservés mais leurs erreurs sont signalées. Les moines vont ainsi être les traducteurs de la culture antique au monde barbare. Ils ont su aussi transmettre la sagesse antique, le génie de la vieille civilisation. Le monastère devient ainsi vecteur de la continuité intellectuelle de deux civilisations.

Cassiodore compose ses Institutiones à l’intention des moines de Vivarium. Il sert d’introduction à l’étude des Saintes Écritures, et, subsidiairement à celle des arts libéraux. Il est composé de deux livres, le premier consacré aux sciences sacrées, le second aux sciences profanes. Le titre rappelle les ouvrages de Quintilien[3] et de Lactance, ou encore du moine Jean Cassien. Ainsi ses Institutiones se présentent comme un double héritage, profane et chrétien. Ses ouvrages servent de guide pour les moines et leur donnent des méthodes, notamment pour corriger les erreurs de manuscrit. Le second ouvrage consacré aux sciences profanes présentent les disciplines des arts libéraux selon la répartition classique du Moyen-âge : trivium (grammaire, dialectique, rhétorique) puis quadrivium (arithmétique, musique, géométrie, astronomie) à partir des manuels antiques et chrétiens, grecs ou latins. Cassiodore contribue ainsi à fixer le système intellectuel sur lequel vivra le Moyen-âge et même au-delà.


Cassiodore a demandé aux moines d’entretenir et de copier les livres, de les corriger si cela s’avère nécessaire. La bibliothèque du monastère contient des Bibles, des introductions et des commentaires bibliques, des ouvrages d’historiens chrétiens, des œuvres des Pères de l’Église, et aussi, des ouvrages à l’usage des travailleurs manuels et des médecins, des écrits concernant les arts libéraux, des livres sur la dialectique, des textes grecs, selon le bénédictin Dom Cappuyns[4]. Les Papes ont récupéré cette collection au début du VIIe siècle au palais du Latran afin de doter aux missionnaires des livres qui puissent enrichir leur culture et leur foi.

Comme le soupçonne le chanoine Gustave Bardy[5], le monastère de Vivarium a dû être un havre de paix et d’harmonie, un lieu chaleureux et studieux, en ce temps de troubles. En une époque où l’ignorance gagne du terrain, où l’obscurité recouvre de son voile manteau ténébreux les esprits et les âmes, des hommes s’attèlent ainsi à sauvegarder ce qu’ils peuvent parmi les trésors du passé. Et parmi ces hommes, se trouvent des moines. Du VIe au XIIIe siècle, la vie intellectuelle est ainsi préservée. Il est donc étonnant d’entendre les humanistes dénoncer le monachisme sans lequel ils n’auraient pu faire leur humanité.

Ce qui est extraordinaire est que l’exemple de Cassiodore n’est pas unique. Saint Bède le Vénérable (673-735) en est un autre exemple. « Bède représente le plus haut degré de culture intellectuelle en Occident au cours de la période comprise entre la chute de l’Empire et le IXe siècle. »[6] Mais, il est le dernier grand érudit de son temps.

Le monastère, foyer de culture



 
En soi, Cassiodore n’est pas non plus innovant. La règle de Saint Pakhôme mentionne déjà un lieu qui doit fait office de bibliothèque et insiste sur le soin que le monastère doit accorder aux livres. Saint Jérôme recommande aussi aux moines la lecture. Que les moines « copient aussi les livres, pour que la main se procure la nourriture et que l’âme se rassasie de lecture. »[7] Ainsi les monastères se dotent de bibliothèques et scriptorium dans lesquels les moines copient minutieusement les ouvrages. Dès le VIe siècle, des monastères sont réputés pour leur bibliothèque comme celle de Saint Martin de Braga au monastère de Dumio en Galice, celui de Sevitano ou encore celui de Séville. En Irlande du Nord, Bangor est un grand centre culturel, où on étudie les matières sacrées et profanes.

« Bons lecteurs qui vous servez de ce travail, n’oubliez pas, je vous prie, celui qui l’a copié : c’était un pauvre frère, ayant nom Louis, et, tandis qu’il transcrivait le volume apporté d’un pays étranger, il avait froid ; et il a terminé la nuit ce qu’il n’avait pu transcrire à la clarté du jour. Mais vous, Seigneur, vous serez pour lui la digne récompense de ses travaux. »[8]

Les bibliothèques se sont donc multipliées au point qu’au temps du Moyen-âge, chaque monastère avait son scriptorium, son atelier de copistes. « Dans cet humble et monotone labeur, c’est tout l’avenir de la culture européenne qui est en train de se jouer. »[9]

Prenons l’exemple du monastère de Saint-Gall situé au nord-est de la Suisse. Fondé au VIIIe siècle, par l’irlandais Saint Gall, l’abbaye bénédictine dispose d’une bibliothèque et d’un scriptorium les plus réputés du Moyen-âge. Au IXe siècle, cent vingt moines sont affectés au scriptorium à l’abbaye de Saint Gall, ce qui correspond au trois quart de la communauté. En 860, elle détenait déjà 400 volumes écrits. À Tours, Saint-Denis, Corbie, les moines copistes travaillent pour la lecture et l’étude, pour garnir les bibliothèques. La Bibles, les textes des Pères de l’Église, les règles monastiques, les œuvres liturgiques et spirituelles sont ainsi conservés. Les moines ne copient pas uniquement des livres religieux. Les bibliothèques détiennent aussi des œuvres profanes, notamment les livres d’histoire de Tite-Live, de Salluste ou de Suétone, des ouvrages d’Aristote, de Platon, de Virgile ou d’Horace. Les abbayes du Bec et de Cluny possèdent les œuvres morales, philosophiques et rhétoriques de Cicéron dans leur totalité alors que le monastère de Dumio détient celles de Sénèque. S’ajoutent les ouvrages consacrés à la grammaire, la médecine, la musique…

Comme l’indique la Règle de Saint Isidore de Séville, les ouvrages ne sont pas uniquement destinés aux moines. Vers 660, la bibliothèque de l’abbaye de Corbie est à l’extérieur de la clôture, donc plus accessible. L’abbaye de Chelles emploie toute une équipe de moniale pour répondre notamment aux besoins de l’archevêque de Cologne. Au VIIIe siècle, réputée pour la grande qualité de leurs manuscrits, elle est en pleine activité. Les moines de Saint-Rémi de Reims lisent et copient des traités pour leur archevêque Hincmar. Ainsi sa bibliothèque s’enrichit d’œuvres religieux, liturgiques et juridiques. L’abbaye de Wandrille, fondée en 649, en Normandie, compile aussi des documents juridiques pour le roi. Ainsi, par les copies, les ouvrages circulent dans toute l’Europe. La circulation des livres est même intense au VIe siècle entre le Nord de la Gaule, l’Italie, les Iles Britanniques et l’Espagne. Un manuscrit obtenu par prêt venant de Ravenne, de Mont-Cassin ou de Bobbio arrive à Fleury. Copié, il est transmis à Tours, à Saint-Gall, à Fulda. Nombreux sont les ouvrages classiques que nous détenons viennent de ces copies.

Le monastère, lieu de l’enseignement

La culture se diffuse aussi par l’enseignement, qui explique aussi le besoin de livres et d’étude. Avec la chute de l’empire romain par les grandes invasions, l’école antique semble avoir persisté dans certaines grandes villes italienne ou de la Gaule du Sud. Au VIe siècle, elle a probablement disparu. Certains aristocrates dispensent aussi un enseignement classique à leurs enfants comme aujourd’hui des parents tentent de le faire. N’oublions pas non plus que dès le début du christianisme, des chrétiens délivraient déjà un enseignement tant sacré que profane. Origène ou Saint Augustin en sont des exemples. Mais à partir du Ve siècle, la situation de l’enseignement est désastreuse.

Dès le Ve siècle, au sein de l’Église, des écoles se développent, soit au sein des monastères, soit auprès des cathédrales ou dans des paroisses. Nous pouvons distinguer deux types d’écoles au sein des monastères. Les écoles dites claustrales ou monastiques sont ouvertes à tous, généralement des enfants des environs ou d’autres qui veulent devenir des clercs ou entrer dans l’administration. Elles sont à l’intérieur ou à l’extérieur d’un couvent. L’instruction est tantôt gratuite, tantôt payante. Les écoles abbatiales sont destinées aux novices et aux profès dans les écoles abbatiales. De même, les écoles paroissiales accueillent les enfants de la paroisse quand les écoles épiscopales ou cathédrales sont réservées aux futurs clercs. Les monastères et les évêques prennent donc en charge directement l’enseignement. Or, n’oublions pas que souvent les évêques sont des moines et que des moines contribuent à fonder des écoles épiscopales. Il serait en effet bien illusoire de vouloir séparer l’œuvre des moines et des prêtres. C’est à partir de ces écoles, monastiques et cathédrales, que s’élaborent les méthodes scolastiques.

Les écoles monastiques se développent donc dès le Ve siècle. La législation carolingienne consacre un bel effort pour instituer de nombreuses écoles. Au VIIIe siècle, un capitulaire demande que « chaque cathédrale, que chaque abbaye […] ait une école, où les enfants puissent apprendre la lecture, le psautier, le comput, le chant et l’écriture. »[10] Elles œuvrent pour la renaissance que l’Europe a connue au IXe siècle. En France, dans les abbayes clunisiennes, les écoles monastiques tendent néanmoins à disparaître dans les abbayes clunisiennes à la différence d’autres pays éloignés de l’influence de Cluny comme la Belgique, l’Autriche ou l’Angleterre.

Les écoles monastiques fournissent les rudiments de la culture, c’est-à-dire l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Il comprend aussi l’étude du calcul et de la musique. Il fait apprendre le latin. Certains monastères se concentrent sur la formation de leurs moines afin de leur assurer la « lectio divina », le suivi des offices liturgiques, les activités de copistes et aussi toutes les autres activités monastiques. Ainsi, ils deviennent des pôles de cultures et de sciences. L’abbaye de Fleury-sur-Loire est réputée pour sa curiosité à l’égard des sciences. De ces monastères sont ainsi sortis des savants et des maîtres. Citons encore Saint Bède le Vénérable mais aussi Alcuin ou encore Saint Boniface, l’apôtre des Germains, un des grands lettrés. Saint Anselme, abbé du Bec en Normandie, est le premier des scolastiques et porte son école monastique à son apogée.

De tels maîtres enseignent également. Nous pouvons entendre le maître Alcuin à Saint-Martin de Tours ou Paul Diacre (720-797) au Mont-Cassin. Formé à Tours, Raban Maur (784-856) enseigne à l’abbaye de Fulda qu’il transforme en un véritable centre culturel sur la Germanie. De Fulda, Wilfrid Strabon, devenu abbé de Reichenau sur le lac de Constance, y crée un nouveau foyer en 838. Un autre élève de Raban Maur, Loup Servat (v.805-862), humaniste du IXe siècle, est abbé de Ferrières-en-Gâtinais. Son abbaye devient un des phares de la science. De son école sort Heiric d’Auxerre (841-876), un des quatre grands maître de l’école monastique de l’abbaye Saint Germain d’Auxerre.

Le monastère, développement des arts et des sciences

Enfin, rappelons l’œuvre des moines dans l’élaboration du droit et de son interprétation. Gratien, l’auteur du fameux décret, est un moine camaldule. Au XIIe siècle, il réunit l’ensemble des textes existants et discordant pour élaborer le droit classique de l’Église. Son décret sera enseigné et commenté dans les Universités, faisant ainsi développer la science canonique. La part des moines dans l’amélioration du droit s’explique par la nécessité d’administrer leur monastère. En effet, par leur régime d’immunité, à partir du Xe siècle, les monastères acquièrent une véritable autonomie à l’égard des autorités civiles, créant ainsi des enclaves au sein des seigneuries et des royaumes, ce qui conduit à un développement de leur administration. « Moines et, dans une beaucoup moindre mesure, les moniales, ont été de grands artisans et promoteurs du droit. »[11] L’organisation de la vie monastique a très certainement influencé le fonctionnement de la Papauté et de la monarchie. 

Vézelay, fondation clunisienne


Rappelons que la culture profane n’est pas exclue de l’enseignement monastique. Des monastères se préoccupent aussi de l’éducation des clercs et des laïcs. Ils forment des poètes, des historiens, des chroniqueurs, des sculpteurs, ou encore des musiciens comme Notker le Bègue, le plus grand poète allemand du Moyen-âge. Ainsi toutes les branches du savoir sortent grandis dans les monastères. Avant l’essor des Universités, ce sont bien les écoles monastiques qui assument cette charge. Rappelons encore que le premier maître scolastique est Saint Anselme (1033-1109). Il montre en autres le bon usage de la raison.

Le développement du savoir dans les monastères ne peut guère nous surprendre. Car comment les moines, peuvent-ils pénétrer pleinement la Sainte Écriture sans résoudre les multiples questions que posent les textes sacrés ? La lectio divina demande des connaissances en philologie, en grammaire, en géographie, en philosophie, …  Et sans l’étude de la musique, comment la liturgie peut-elle répondre à ses fins ? Même le droit est nécessaire pour les monastères qui souvent sont à la tête de nombreuses propriétés. Ils doivent se faire notaires, juristes, géomètres, etc.

L’art se développe avec le monachisme. Les moines expriment leur foi, leur sensibilité et leur religion à travers l’art, conçu comme une manière de louer Dieu, de favoriser la prière et la méditation, tout en demeurant humble. Ainsi pouvons-nous parler d’un art clunisien, marqué par le faste et le déploiement de luxe et décoration, ou d’un art cistercien, caractérisé par la sobriété et la nudité. Le monachisme est souvent associé à l’art roman, art qui cherche à mettre en valeur la prière et la liturgie par la pierre. L’art gothique est lui aussi d’origine monastique comme le symbolise l’abbatiale de Saint-Denis, reconstruite par l’abbé Suger (1122-1151).

Conclusion

Au lendemain des grandes invasions barbares comme à la veille des raids sarrasins et des Vikings, les monastères maintiennent et préservent ainsi les grands trésors de la connaissance sans lesquels les développements futurs de la civilisation intellectuelle et artistique n’aurait pas pu avoir lieu. Les exemples des bienfaits qu’ont apportés les monastères peuvent encore se multiplier. Par leur travail, les moines ont accompli des merveilles. Que serait aujourd’hui notre civilisation sans l’œuvre des copistes et des bibliothécaires ? Qui enseignaient aux enfants les rudiments de la culture quand la civilisation sombrait dans le chaos ? Qui a relevé les ruines et édifié l’avenir ?

Néanmoins, ne nous trompons pas. Les moines érudits sont peu nombreux. Il est en effet faux de l’imaginer étudier de longues heures, travaillant à l’abri dans son cloître. La grande majorité des moines ne le sont pas. Et nombre d’intellectuels ne sont pas moines à plein temps ou ne représentent pas l’image idéale du moine, davantage orant qu’intellectuel. Le moine n’est pas non plus immobile dans le temps. « Être mort au monde ne signifie donc pas vivre dans l’enfermement et la sclérose. Le moine du Moyen-âge est un homme d’ouverture et d’épanouissement qui, pour autant, ne peut oublier l’un des préceptes de Saint Benoît dans sa Règle : s’éloigner des manières du siècle (XLVIII, 20) »[12] Il peut être mort au monde tout en influençant la société de manière à l’élever selon la foi chrétienne. Le monachisme n'est pas non plus opposé à la raison ni à la culture. Elle a montré qu'elle pouvait la préserver et la développer. Nous ne pouvons ignorer son oeuvre sans nous mentir. Voir dans le monachisme une source d'ignorance ou d'abêtissement, c'est méconnaître notre histoire, c'est tromper notre mémoire. Nous devions plutôt être reconnaissants...





Notes et références
[1] Michel Mourre, Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, V, éd. du Centurion, 1965.
[2] Flavisu Magnus Aurelius Cassiodorus « Senator », d’une famille d’origine orientale.
[3] Institutio oratoria de Quintilien, Institutiones divinae de Lactance, De Institutis coenibiorum de saint Cassien.
[4] Voir le compte rendu de la conférence de V. Zarini, intitulé Cassiodore, un intellectuel latin entre Antiquité et Moyen-âge, au Lycée Henri IV-Sorbonne, Paris, 23 mai 2017, Association le Latin dans les littératures européennes, https://sites.google.com/site/sanslelatin/colloques-et-publications/textes-des-conférences/v-zarini-cassiodore-un-intellectuel-entre-antiquite-et-moyen-age.
[5] Voir L’Église et les derniers Romains, Gustave Bardy, Paris, 1948.
[6] Christopher Dawson, cité dans L’Église des Temps Barbares, Daniel-Rops, V, Fayard, 1950.
[7] Saint Jérôme, 11, 4 dans L’école cathédrale, l’école monastique, www.univ-montp3.fr.
[8] Cité dans Montalembert, Les Moines d’Occident, tome VI, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre, X.
[9] Michel Mourre, Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, X.
[10] Cité dans Histoire des Ordres et congrégations religieuses, en France du Moyen-âge à nos jours, IV, Champ Vallon, 2009.
[11] Le Bras Gabriel, La part du monachisme dans le droit et l'économie du Moyen Âge, dans Revue d'histoire de l'Église de France, tome 47, n°144, 1961, pp. 199-213, www.persee.fr.
[12] Sophie Hasquenoph, Histoire des ordres monastiques et congrégations religieuses, 2ème Partie, IV, Champ Vallon, 2009.

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