" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 22 avril 2017

Calvin, le procureur de Dieu

Luther a ébranlé l’Occident chrétien, séparant et divisant les consciences. Refusant toute opposition et réagissant avec fureur à toute contrariété, pris de haine contre le Pape, il a développé une doctrine en rupture avec celle de l’Église catholique. Ses discours ont enflammé les cœurs et ravagé les campagnes. Ses paroles ont livré les âmes à leurs passions,  apportant désordre et violence. Face aux révoltes, les maîtres de ce monde, princes et magistrats, ont pris en main les rênes de la prétendue réforme de peur de voir la société se perdre dans l’immoralité et l’anarchie. En Suisse, l’autre « réformateur », Zwingli, déchaîne aussi ses partisans avant qu’il ne meurt sur un champ de bataille. La fureur des « innovateurs » ne s’abat pas uniquement sur l’Église catholique. Elle divise aussi le camp des « réformateurs ». Ils se déchirent à coup de pamphlets injurieux et de menaces terribles. Certes, face à l’ennemi commun, ils s’unissent dans leurs propos véhéments, mais la désunion est grande entre eux. Combat de personnalité, combat d’idées également. Par leurs disputes, ils montrent combien leurs idées sont erronées et leurs critiques infondées. Ce temps de révolte et de violence nous suffit pour nous détourner de leurs folles doctrines qui prétendaient apporter la vérité et le salut au monde.

Il est facile de se lancer dans les critiques et de détruire ce qui a été longuement mûri et bâti au cours des siècles, surtout lorsque de criants abus fragilisent l’édifice. Il est encore plus aisé de concevoir un système et de convaincre une foule prête à entendre de beaux discours qui le bercent dans ses illusions et semblent répondre à ses intérêts. Mais dur est de construire dans le temps. Plus dur encore de s’opposer à ses rêves.

Luther a réussi à imposer ses idées et à enlever à l’Église catholique une partie de ses fidèles. Embourbée dans de profonds abus, Rome vacille sous ses coups redoutables. Les terres germaniques de l’Empire et la Suisse sont emportées par une tempête qui les mettra à feu et à sang. La révolte gagne d’autres pays comme l’Angleterre et la France, puis l’Est de l’Europe. Le succès de Luther est rapide …

Sans l’appui et le soutien des princes et des magistrats, Luther aurait-il pu réussir ? Sa révolte a permis aux politiques de prendre la main sur les âmes. La situation peut paraître paradoxale. La confusion entre le religieux et le temporel est si grande que l’Église catholique connaît de graves maux, maux qui ont conduit les hommes à suivre Luther qui finalement conduit le temporel à diriger le religieux ! Ce sont finalement les princes et les magistrats qui en sortent vainqueurs de la révolte de Luther. Triste réussite à vraie dire...

Conscient probablement de cette situation paradoxale, un autre prétendu « réformateur » va tenter de redresser la situation, apportant ordre et autorité là où il y avait désordre et individualisme, soumettant le temporel au religieux. Cet homme, c’est Calvin…

La formation de Calvin

Jean Cauvin (1509-1564), « calvinus » en latin, d’où le nom de Calvin, est le fils d’un personnage puissant de Noyon. Il est d’une bourgeoisie aisée. De bonne heure, il perd sa mère qui l’a éveillé à la foi et à la piété. Son père autoritaire et violent se remarie. Sa nouvelle épouse n’a pas la même tendresse. Elle est plutôt indifférente. Son enfance explique probablement la tristesse et la gravité qui le caractérisent. C’est en effet un homme « froid et résolu, réservé, mais capable de violences terribles, et sévères aux autres autant qu’à soi. »[1]

Calvin est destiné à une carrière ecclésiastique. C’est un brillant élève. Son intelligence et sa force de travail lui permettent de suivre de bonnes études à Paris, grâce aussi aux revenus[2] de son père et de la protection d’une puissante famille de Noyon. Au collège de la Marche, à Paris, il suit les cours de Mathurin Cordier (1479-1564) qui devient son maître. C’est un éminent prêtre humaniste, soucieux des lettres mais aussi du développement d’un français correct. En 1524, il entre au célèbre collège de Montaigu. Les élèves y sont soumis à une sévère discipline. Ils doivent par exemple se dénoncer les uns les autres. Calvin se montre particulièrement impitoyable pour ses camarades : il surveille tous leurs actes et relève leur moindre faute. Il est surnommé « l’accusatif ». Dans cette école, on apprend aussi à raisonner et à argumenter. Calvin apprend ainsi la dialectique et tout l’art de la controverse.

Alors que Calvin s‘apprêtait à commencer la théologie à la Sorbonne, son père refuse qu’il entre dans les ordres et l’envoie à l’université d’Orléans puis à Bourges pour des études de droit. Après la scolastique, il découvre le droit mais surtout l’hellénisme avec l’humaniste et luthérien Melchior Wolmar (1492-1560). À la mort de son père en 1531, Calvin retourne à Paris et poursuit ses études de lettres au Collège des lecteurs royaux, que le roi vient d’instituer, le futur Collège de France. Il suit les cours de grec et d’hébreu. Il publie en 1532 des commentaires sur De clementia de Sénèque. Ainsi finit-il sa formation d’humaniste.

Vers le protestantisme

Pendant de nombreuses années, Calvin côtoie un milieu favorable aux idées religieuses nouvelles. À Paris, il côtoie des hommes qui discutent des écrits d’Érasme, de Lefèvre d’Etaples, de Luther, de Melanchthon. Son maître Wolmar est un luthérien convaincu. Un de ses cousins, Pierre Robert, le futur Olivétain, est déjà gagné à la « réforme ». Selon Théodore de Bèze, son disciple, il l’aurait instruit à la nouvelle religion. À Orléans et à Bourges, les questions religieuses passionnent la jeunesse. De retour à Paris, il est introduit dans la famille de Cop, médecin du roi, qui adhère aux idées audacieuses du groupe de Meaux. Sans être luthériens, ses partisans, les « fabristes », nom tiré de leur chef Lefèvre d’Etaples, défend une religion toute personnelle et des thèses toutes équivoques, qui rappellent étrangement celles de Luther. Calvin lit aussi des œuvres de Luther. Soulignons que le spectacle des abus de l’Église ne semble pas avoir joué un grand rôle dans son adhésion aux idées luthériennes. L’idée que les scandales du catholicisme soit à l’origine de la prétendue réforme est bien erronée …

Naturellement, au contact de ce beau monde, Calvin s’interroge à son tour sur la nature de l’homme et sur la valeur des pratiques religieuses extérieures. En 1532, dans ses commentaires sur De clementia de Sénèque, il s’interroge sur les hommes qui pèchent sans motif et sur les prédicateurs qui « vendent les tristes pratiques de sainteté ». Maintes pointes frondeuses visent la scolastique et l’Église. Il ne cesse pas pourtant d’être un bon catholique, participant notamment à une prière publique en vue d’obtenir la cessation de la peste à Noyon. Lors d’un conflit de libelles entre des « fabristes », qui veulent « épurer » l’Église, et les gens de la Sorbonne, qui s’opposent à leurs propositions de réforme, Calvin prend parti pour Gérard Roussel, un des réformistes. C’est chez lui qu’il rencontre le luthérien Etienne de la Forge, qui l’influencera fortement, et de nombreux partisans exaltés de Luther.

Puis, le 1er novembre 1533, Nicolas Cop, fils du médecin du roi, prononce un discours inaugurant sa charge de recteur temporaire à l’université de Paris. Dans l’église des Mathurins, il commente le sermon de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la montagne de manière peu conformiste. C’est en fait un vrai manifeste contre la théologie traditionnelle sur la valeur des œuvres. Il soutient la doctrine luthérienne de la justification par la foi seule à l’exclusion des œuvres. Il contient des passages du commentaire de Saint Matthieu par Luther. Or Nicolas Cop est un ami de Calvin. Certains disent, encore aujourd’hui, que Calvin l’a sous-doute rédigé ou du moins a participé à sa rédaction. Dénoncé par des franciscains, le discours provoque tant d’agitation que Nicolas Cop est convoqué par le Parlement. Il s’empresse alors de quitter Paris pour rejoindre Bâle. Alerté à temps, Calvin quitte aussi précipitamment la capitale pour se réfugier chez un ami luthérien. En mai 1534, résignant tous ses bénéfices, il finit par abandonner la foi catholique. « Au respect va succéder la haine, une haine farouche et implacable, et tous ses efforts vont tendre à la détruire pour édifier sur ses ruines une Église nouvelle, reconstruite soi-disant sur le modèle de l’Église primitive. »[3]

Dans une lettre qu’il adresse au cardinal Sadolet en 1539, Calvin nous renseigne sur les motifs de sa rupture. Il lui déclare qu’il a longtemps gardé la foi de son enfance et a fidèlement suivi les pratiques religieuses malgré le peu de confiance qu’elles lui inspiraient du fait qu’elles ne lui apportaient pas une suffisante tranquillité de conscience. Retenu par le respect à l’égard de l’Église, il a résisté aux idées nouvelles mais tourmenté par une grande inquiétude religieuse, Il a fini par adopter la doctrine consolante de la justification par la foi seule qu’il a découverte par les œuvres de Luther ou par ses relations avec le groupe de Meaux.

Mais contrairement à Luther, Calvin est un homme profondément logique ou rationnel. Il tire rigoureusement toutes les conséquences de la justification par la foi seule. Si l’homme est corrompu par le péché originel au point de ne plus être libre et ne pas pouvoir se justifier par les œuvres, il en conclut que c’est Dieu seul qui sauve ou damne, sans mérite ou démérite de sa part. En clair, les moyens proposés par l’Église sont inutiles contrairement à ce qu’Elle enseigne. Si Elle se trompe, c’est qu’Elle n’est pas infaillible. Il faut donc chercher une autre autorité à laquelle il peut se rapporter. Pour Calvin, c’est la Sainte Écriture. Elle est la seule règle de foi. Il est alors décidé de détruire la religion catholique.

Première tentative pour imposer son idéal

La situation en France change. La protestantisme s'est bien répandu dans le royaume. Mais les protestants commencent à être persécutés après l’affaire des Placards. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, un « réformateur » placarde des affiches offensantes et injurieuses pour les catholiques à Paris et sur les principales villes du royaume jusque sur les murs des appartements royaux du roi François 1er. Le roi s’indigne, le Parlement et la Sorbonne protestent. Un édit est publié, demandant l’extermination de l’hérésie.

Calvin fuit la France. Il rejoint d’abord Strasbourg, ville de Bucer, puis se rend à Bâle, haut lieu de la « réforme » en 1535, sans-doute pour rejoindre Nicolas Cop. Il reprend avec ardeur ses études littéraires et bibliques, étudiant la théologie qu’il connaît peu. C’est dans cette ville qu’il finit de rédiger l’Institution de la religion chrétienne, véritable manifeste et programme d’action, ou encore exposé complet de ce qui deviendra le calvinisme. « Je voudrais que ce livre confessât la foi des fidèles pourchassés », écrit-il dans la dédicace qu’il adresse au roi. Son ouvrage est un véritable succès dans les rangs protestants. Il est reconnu comme étant le livre fondamental du protestantisme. Calvin s’impose comme un maître et un chef, une des grandes personnalités de la « réforme ». Mais à Bâle, il ne parvient pas à passer ses idées sur le plan des faits. Il voyage alors en Italie mais le bûcher ne l’attire guère. Profitant d’un édit de tolérance, il se rend une dernière fois en France où son autorité grandit. Puis, souhaitant s’installer à Strasbourg, il quitte définitivement sa patrie pour prendre la route du sud, par la Savoie et Genève. Mais Genève ne sera pas une ville étape. Calvin y reste sur l’insistance de Guillaume Farel.

Genève est une ville impériale, fière de sa liberté, une liberté cependant menacée par le duc de Savoie. Le gouvernement est exercé par l’évêque et par le peuple, lequel exprime ses vœux dans le conseil général, qui délègue son autorité à trois conseils, le Petit conseil, le Sénat et le Grand conseil. 

Ancien élève de Lefèvre d’Étaples, Guillaume Farel (1489-1565) est un prédicateur que Berne, gagnée à la « réforme », envoie à travers la Suisse pour répandre les idées luthériennes. Il se rend alors à Genève pour introduire la foi nouvelle. Or il y rencontre de véritables difficultés. La population a certes embrassé le protestantisme mais beaucoup plus par hostilité contre l’évêque et le duc de Savoie que par conviction et esprit de foi. 

En 1532, l’évêque est chassé, laissant les conseils seuls maîtres de la ville. Après une dispute publique, qui semble avoir été remportée par les luthériens, la messe catholique est interdite. En 1535, soutenus par François Ier et les Bernois, les Genevois parviennent à repousser le duc de Savoie, appelé à l’aide par les catholiques. Cependant, un groupe de catholiques convaincus s’y maintient et tente de regagner le terrain perdu. Enfin, Farel est opposé à un autre groupe qui pour défendre la liberté de leur cité a combattu en faveur de la  « réforme » tout en étant indifférent aux questions religieuses. Se sentant impuissant face à tant de résistance et d'indifférence, Farel voit en Calvin l’homme de la situation. Il réussit à le convaincre de rester à Genève.

Nommé « lecteur de la Sainte Écriture en l’église de Genève », Calvin enseigne la Sainte Écriture devant un public réduit. Les Genevois ne se montrent peu empressés à l’entendre. Lors d’une dispute publique à Lausanne en 1536, entre protestants et catholiques, puis dans une rencontre entre les luthériens et les zwingliens, Calvin se révèle brillant controversiste et excellent orateur. Son autorité à Genève en sort grandie.

De retour à Genève, Calvin décide avec Farel d’organiser la nouvelle Église suivant son idéal. Par les Articles sur la Discipline ecclésiastique, rédigés en novembre 1536, ils demandent la destruction de toutes les images dans les églises, la suppression de toutes les croix, la proscription de la messe, l’obligation d’assister au service divin, réduit à des prêches, accompagnés de prières et de chants de psaumes, la pratique de la Cène quelques fois l’an. Ils réussissent ainsi à substituer au culte catholique le culte réformé. Pour implanter leurs doctrines, ils publient ensuite un catéchisme puis une confession de foi à partir de son Institution. Ils obtiennent du Grand conseil un décret ordonnant aux citoyens d’adhérer à cette confession sous peine de bannissement. Enfin, ils veulent réformer les mœurs de la ville. Pour cela, ils obtiennent le pouvoir d’excommunication, c’est-à-dire le droit d’écarter de la cène ceux dont les mœurs ne correspondent pas à la dignité de chrétien. « La force de l’Église est dans la discipline, et la force de la discipline est dans l’excommunication », dit en chaire le terrible prédicateur. Il demande alors la création d’un organisme chargé de surveiller la vie privée de chaque citoyen et d’écarter de la cène ceux qui en sont indignes.

La réaction des Genevois est vive. Sa demande est de trop pour eux qui n’ont pas voulu se débarrasser de l’autorité du duc de Savoie pour se plier au joug de ces deux étrangers, qui veulent non seulement imposer leurs doctrines mais aussi s’ingérer dans leur vie. Beaucoup d’entre eux refusent d’adhérer à la confession de foi. Les Bernois s’opposent aussi à Calvin car ce dernier ne se conforme pas à leurs usages liturgiques. Lors des élections du 3 février 1538, la majorité du Grand Conseil passe aux adversaires de Calvin et de Farel. Il leur est demandé de ne plus se mêler à la politique et de suivre les usages liturgiques de Bernes. Calvin refuse de se soumettre à leurs décisions. Il est alors interdit de prêcher. Pour riposter, le jour de Pâques, il refuse de distribuer la cène à un peuple qu'il considère comme dissolu, sacrilège, blasphémateur. La population se trouve ainsi excommuniée. L’effusion de sang est évitée de justesse. Le Grand Conseil finit par les expulser de Genève. En dépit de leur intervention auprès du synode des pasteurs suisses, devant lequel Calvin s’accuse de ses maladresses, les Genevois confirment l’arrêt d’exil.

Les raisons du succès de Calvin

Appelé par Bucer, Calvin se rend à Strasbourg, où collaborent les autorités civiles et religieuses. Il dirige une petite communauté de réfugiés français. Menant une vie relativement calme et studieuse, il reprend ses études bibliques, participe aux colloques qu’organise Charles Quint pour réconcilier les chrétiens et gagne en autorité. Il se montre plus souple, moins exigeant. Avec la publication en français de son Institution, sa notoriété devient incontestable. Elle se répand partout. Puis un jour, il voit venir à lui une délégation de Genevois le suppliant de revenir dans leur ville.

Genève est l’objet d’un violent désordre entre les partis protestants, qui s’opposent en véritables clans ennemis, se bannissant mutuellement. Profitant des dissensions entre les « réformés », les catholiques commencent à progresser. Mais les élections du 8 février 1840 permettent la victoire des partisans de Guillaume Farel. Le conseil vote alors une mention réclamant le retour de Calvin. Après avoir résisté pendant plus d’un an aux sollicitations des Genevois, Calvin finit par céder. Le 13 septembre 1541, il revient à Genève en triomphateur, c’est-à-dire en maître absolu. De 1541 à 1561, Calvin se consacre alors entièrement à l’organisation de l’Église calviniste, cherchant à appliquer son Institution. Sa ville sera son œuvre…

Lors de son séjour à Strasbourg, Calvin a cherché à comprendre son échec. D’une part, il a compris que la théorie de la justification par la foi sans les œuvres aggrave le relâchement des mœurs. Pour réduire les méfaits de la doctrine sans l’abandonner, Calvin affirme la nécessité des bonnes œuvres comme signe de la foi. Par les bonnes œuvres, l’homme montre qu’il a la foi. Si nous nous comportons comme des saints, nous prouvons notre élection ! Nous constatons que face au même constat que Luther, Calvin arrive à la même solution mais avec plus de fermeté et de logique. Sa doctrine garde plus solidement une morale. 

D’autre part, il constate que l’autorité civile s’est attribuée un pouvoir suprême. Il professe alors que l’État doit être soumis à l’Église, même si les deux autorités, civiles et religieuses, doivent coopérer pour maintenir la pureté des mœurs et de la doctrine. Les magistrats ne doivent toutefois agir que sous les directives des pasteurs, unissant leurs efforts pour la gloire de Dieu. Finalement, Calvin impose la théocratie. Et surtout, en écartant le pouvoir des autorités civile sur la religion, l’Église de Calvin n’est plus limitée aux intérêts de la cité, elle devient universelle. tout le contraire du luthéranisme...

Le despotisme religieux de Calvin

En 1541, le 20 novembre, Calvin fait approuver les Ordonnances ecclésiastiques que le Conseil de Genève promulgue. Elles définissent le statut de la ville, y établissant le règne de Dieu. Il constitue l’Église de Genève en guide et en censeur. Il impose une discipline rigide et met en place les moyens pour surveiller les mœurs des citoyens. Une véritable terreur est installée avec l’accord d’un peuple, ou du moins ceux qui l’approuvent. Ses adversaires sont néanmoins nombreux, y compris chez les pasteurs. À force de lutter, Calvin parvient à dompter les pasteurs, ou plutôt à les épurer, puis à restreindre les pouvoirs de l’autorité civile et enfin à supprimer le régime démocratique, qui lui a été octroyé par les évêques. Il réussit finalement à se débarrasser de ses adversaires, notamment par de multiples exécutions. Gruet, qui ose afficher un manifeste contre le régime mis en place et sa doctrine, est arrêté, torturé, décapité. Il a aussi demandé l’aide de François Ier. Bolsec accuse également Calvin d’être hérétique. Il est aussitôt banni. Cependant, dans les élections de 1553, Calvin perd la majorité. Son règne est menacé. Mais l’affaire Servet lui procure une victoire définitive.

L'affaire Servet

Avant son arrivée à Genève, Michel Servet est connu pour deux ouvrages contre le dogme de la Sainte Trinité. Pratiquant le libre examen, il étudie avec vigueur la Sainte Écriture. Or il n’y trouve aucune preuve de la doctrine trinitaire. Convaincu d’être guidé par le Saint Esprit, Servet veut alors ramener le christianisme à sa pureté, croyant qu’il a été falsifié par les Pères de l’Église puis par l’Église et enfin par les réformateurs. Il conçoit un christianisme gnostique, mêlé de platonisme et de nombreuses élucubrations. Les réformistes de Bâle et de Strasbourg l’ont condamné. Or, dans son Institution, Calvin évoque peu le dogme trinitaire au point que certains de ses adversaires l’accusent aussi d’hérésie. En outre, Servet remet en question le cœur de la doctrine de Calvin et de sa piété, c'est-à-dire l’exaltation de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il s’oppose alors violemment à Servet. « Je ne souffrirai pas qu’il s’en retourne vivant », écrit-il à Farel.

En 1353, Servet arrive à Genève après quatre mois d’errance. Convoqué par l'Inquisition, il vient de fuir la France. Il a été dénoncé comme hérétique. Il semble en fait que Calvin ait joué un rôle dans cette dénonciation. Des lettres que Servet lui a envoyées ont en effet été remises aux autorités catholiques. 

À peine est-il arrivé à Genève que Servet est arrêté. Calvin l'a accusé d’hérésie et de blasphème. Un procès est ouvert. On n’hésite pas à demander aux enquêteurs inquisitoriaux des pièces à conviction. Au lieu de se défendre, Servet attaque Calvin de manière maladroite. Certains bourgeois de la ville le soutiennent afin de détrôner Calvin. Il devient alors vite un enjeu entre les calvinistes et leurs adversaires. Finalement, Servet est condamné à mort. Il est brûlé vif avec ses écrits. Ce n’est pas vraiment pour des raisons religieuses qu’il a connu un tel sort. Ce qui était en cause est d'ordre politique. C’était Servet ou Calvin. Sa condamnation est une approbation de son œuvre. Après l’affaire Servet, l’autorité de Calvin est indiscutable. Il devient le maître absolu de la cité.

Une étrange intolérance

Servet n’est pas le seul à mourir pour s’être opposé à Calvin. Ce dernier entend ainsi châtier les coupables, c'est-à-dire les résistants à sa politique, sans le moindre scrupule. Pourtant, ne prétend-il pas que l’homme ne peut ni accomplir le bien ni se sauver par ses actes, ne disposant pas de liberté ? Par conséquent, selon sa doctrine, il devrait être irresponsable de ses actes ! Pourquoi doit-il donc juger les Genevois si sévèrement et les conduire à la mort ? « Il faut procurer leur bonheur malgré eux. » Il faut les contraindre au bien puisque les hommes sont des pécheurs par nature. Telle est la conviction de Calvin. Seul maître de Genève, il accentue sa domination et renforce la discipline. Une véritable dictature morale s’abat sur la ville. Il est le « Procureur de Dieu ».

Calvin ne s’occupe pas uniquement de doctrine et de discipline. Il oeuvre pour bâtir des hôpitaux, des asiles de nuit, des ouvroirs. Il introduit l’industrie de la laine et de la soie. Genève lui doit aussi une organisation économique efficace. Aucun domaine ne lui est étranger. Il finit par tout réglementer, y compris la propreté des latrines. Effets naturels du totalitarisme...

Une de ses autres œuvres est la création de l’Académie de Genève, destinée à la formation des pasteurs. Elle attirera de nombreux auditeurs de toute l’Europe. Contrairement à Luther, Calvin donne à son Église les moyens de se fournir d’un corps pastoral de bonne qualité et finalement d’une élite protestante.

Finalement, par le travail acharné de Calvin et par son intransigeance implacable, Genève finit par être un des phares du protestantisme, voire une nouvelle Rome, d’où rayonne sa doctrine, où règne un nouveau pape au pouvoir sans égal.

Conclusion

Perspicace et brillant orateur, Calvin est certainement l’un des esprits les plus vigoureux de son temps. Sûr de lui-même, il dispose d’une volonté froide et inflexible à la hauteur de son intelligence, qui fait de lui un véritable chef. Rigoureux et clair dans ses écrits et ses discours, « nul mieux que Calvin n’a l’art de bien poser les problèmes et de les résoudre par des raisonnements serrés et parfaitement enchaînés dans un ordre lumineux »[4]. Il réussit à exprimer ses pensées dans des formules brèves et fortes qui se gravent facilement dans l’esprit. Ainsi armé d’une ténacité incroyable et servi par belles qualités littéraires, il surmonte toutes les adversités. Car il est convaincu qu’il tient sa mission de Dieu. Il est persuadé qu’il est dans la vérité. Il a appris néanmoins à être tempérant aux intransigeances de sa doctrine. Il se plie aux circonstances.

Contrairement à Luther, Calvin a donc mis en place une organisation et une élite capables de propager sa doctrine, de concentrer les efforts et de l’imposer. Il a donné à la « réforme » un principe d’autorité suffisamment fort. Cependant, si Genève devient une capitale du protestantisme au temps du « réformateur », le calvinisme ne se cloisonne pas dans les murs de la cité. Calvin construit une Église à vocation universelle. Sa doctrine gagne l’Écosse, les Pays-Bas, la Hongrie. Néanmoins, s’il absorbe le zwinglianisme et se substitue au luthéranisme dans de nombreuses régions, il se heurte aux luthériens qui refusent toute négociation. Ainsi, le protestantisme doit à Calvin son ordre, ses cadres, ses méthodes et ce visage grave si facilement reconnaissable. Calvin lui a donné l’idée-force du chef, inflexible et droit, intraitable avec ceux qui ne partagent pas ses convictions.

Lorsque nous regardons le travail de Calvin, nous pouvons constater qu’il a bâti une nouvelle Église, reprenant les mêmes idées d’autorité et d’universalisme de l’Église catholique, cherchant à le rendre indépendante des pouvoirs temporels. Il a pris conscience des néfastes conséquences de la doctrine luthérienne. Grâce à lui, le protestantisme a évité l’anarchie et la dissolution dans lesquelles il sombrait. Mais à quel prix ! 

Certes Calvin impressionne par sa puissance de travail, sa force de volonté et son génie d’organisation mais il a certainement oublié les deux plus grands préceptes que Notre Seigneur Jésus-Christ nous a laissés : l’humilité et la bonté. Plus sûr de lui-même et de ses convictions, tyrannique et sans scrupule pour se défendre, d’un cœur endurci, Calvin est surtout l’homme de la rupture décisive. Avec rigueur, il est l’homme qui a contribué à dresser un mur infranchissable entre l’Église catholique et son œuvre. Qui pourrait oublier cette faute ?




Notes et références

[1] Daniel-Rops, L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une Révolution religieuse : la réforme protestante, VI, Fayard, 1955.
[2] Calvin se voit attribuer des bénéfices d’une chapellerie puis d’une cure.
[3] Abbé Boulanger, Histoire générale de l’Église, Tome III, Les Temps Modernes, Volume VII, XVIème et XVIIème siècle, 1ère partie, La Réforme protestante, n°58, Librairie catholique Emmanuelle Vitte, 1938.
[4] Abbé A. Boulanger, Histoire générale de l’Église, Tome III, Volume VII, 1ère partie, n°68.

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