" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 26 mai 2015

Exemple d'une vision anachronique et erronée du christianisme et du judaïsme

Lors de nos recherches sur Internet, nous avons trouvé un site particulièrement intéressant. Il est en effet intéressant par les erreurs qu’il colporte. Il s’agit du CICAD[1], association qui œuvre contre l’antisémitisme. Un des articles[2] décrit comment le christianisme s’est séparé du judaïsme

Mur des Lamentations

« Deux siècles avant la naissance de Jésus apparaît, au sein du judaïsme, une littérature spirituelle nouvelle selon laquelle la demeure de Dieu est céleste et les institutions traditionnelles ne sont que les reflets des réalités "d'en-haut" et à venir. » 



L’auteur de l’article parle sans doute des écrits apocryphes ou esséniens. Rappelons que le Temple demeure pour tous la seule réalité religieuse, le centre de la religion juive. Seuls les Esséniens prônent la maison de Dieu comme un lieu céleste, considérant le Temple comme souillé par la dynastie asmonéenne. Cependant, les Esséniens créent de nouvelles institutions non comme « reflets des réalités supérieures » mais comme substitutions aux anciennes. En outre, chez les Esséniens comme dans la communauté de Qumrân, l’obéissance à la Loi et les prescriptions de la pureté corporelle sont encore accentuées. Nous sommes loin d’une religion toute spirituelle. La religion reste de manière générale charnelle.

« Jésus, Juif de Palestine, inscrit sa démarche dans la même optique en annonçant le Temple céleste et l'imminence du monde à venir. Il dispense son enseignement autour de la Torah qu'il affirme vouloir approfondir. » 

Notre Seigneur ne parle pas d’approfondissement mais d’accomplissement de la Loi. Son enseignement ne tourne pas autour de la Torah. Il y apporte un regard lumineux, redressant sa compréhension et corrigeant les fausses interprétations. Nous sommes aussi loin des écrits apocryphes et esséniens.

 « Proches de toutes les couches sociales, mais surtout des exclus et des marginalisés […]» 

Il y a évidement un anachronisme évident dans ces termes très modernes. Par ailleurs, de quelle exclusion parle-t-il ? Le publicain n’est ni un exclu de la société, ni un marginal. Dirons-nous aujourd'hui que le percepteur des impôts ou le fonctionnaire est un marginal ? Le Samaritain n’est pas non plus un exclu en Samarie. 

Notre Seigneur Jésus-Christ n’hésite pas à rencontrer des personnes que les Pharisiens et les Sadducéens jugent souillées et méprisées. Il est proche de toutes les « classes » de la population, sans exception. Sa démarche est bien différente de celle des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens. Dans l’article, Notre Seigneur Jésus-Christ semble se réduire à un abbé Pierre.

« […] il propose un comportement basé sur une nouvelle vision de la vie. Certains disciples retrouvent en Jésus un profil messianique. Jésus ne s'annonce jamais lui-même comme le Messie, mais il affirme la proximité du règne de Dieu, un Dieu de justice et d'amour qui ressuscitera les justes. » 

Nous rencontrons une des critiques les plus classiques de nos jours. Elle consiste à dire que Notre Seigneur ne s’est jamais proclamé Messie et donc que sa messianité n’est qu’une invention de ses disciples. Plusieurs de nos articles traiteront prochainement de cette erreur. Soulignons cependant que par ses paroles et ses gestes, Notre Seigneur Jésus-Christ s'est affirmé comme étant le Messie. En outre, ce n’est pas une nouvelle vision de la vie qu’il propose mais un nouvel esprit, une meilleure connaissance de Dieu, une nouvelle Loi. Il ne propose pas non plus un nouveau comportement mais une nouvelle vie, une nouvelle voie.

« Les autorités romaines, qui contrôlent le territoire d'Israël, s'inquiètent de l'agitation autour de Jésus et, en accord avec les prêtres sadducéens (l'une des tendances du judaïsme antique proche du pouvoir romain), décident de l'exécuter sur une croix, supplice romain infligé habituellement aux prisonniers de droit commun. » 

Ecce homo !
Mihaly Munkacsy (1844-1900)
L’auteur de l’article rend les Romains directement responsables de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les Sadducéens n’auraient donné que leur accord. Pourquoi auraient-ils besoin de leur accord pour condamner Notre Seigneur Jésus-Christ lorsqu'ils en avaient le droit ? C'est plutôt les autorités juives qui ont besoin de l'accord des Romains. Des agitateurs juifs ont été condamnés sans leur aide comme le montre Flavius Joseph. Par ailleurs, à de nombreuses reprises, les autorités romaines ont refusé de condamner des hommes que les Juifs ont voulu punir de mort. En outre, l’auteur ne parle que des Sadducéens et oublie le rôle des Pharisiens, qui forment aussi « une des tendances du judaïsme antique ».

« Après la mort de Jésus, les disciples, tous juifs, font l'expérience d'une "résurrection" de Jésus qu'ils expriment par des récits d'apparitions. » 

La foi se présenterait donc comme le témoignage d’une expérience et non d’une réalité. La Résurrection ne serait qu’imaginaire, le fruit d’une « expérience ». Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Les disciples ont-ils été des rêveurs ou eu des hallucinations ?

« Paul de Tarse s'attache à diffuser l'essentiel du message aux païens. » 

Saint Paul s’est d’abord adressé aux Juifs avant de se tourner vers les Gentils. Saint Pierre a aussi enseigné aux païens. L'auteur simplifie la réalité historique.

« En désaccord avec la communauté-mère de Jérusalem dirigée par Jacques, Paul s'oppose à ce que les convertis d'origine païenne adoptent tous les rites juifs (circoncision, règles alimentaires). » 

C’est oublier que c’est sous l’impulsion de Saint Pierre que les Gentils convertis ont d’abord été exemptés des prescriptions de la Loi. C’est parce que des chrétiens circoncis veulent leur imposer l’observance de la Loi que Saint Paul réagit. Saint Paul ne s’oppose pas à « la communauté-mère de Jérusalem ». Et que signifie « communauté-mère » ? Nous savons enfin que réunis, les Apôtres confirment que la Loi n’étant pas la source de la justification ne peut être imposée aux Gentils sauf certains rites précis à la demande de Saint Jacques pour éviter des scandales.

« Progressivement, une église autonome se constitue et prend ses distances du judaïsme. » 

Les synagogues et le Temple formeraient-elles une église ? Ou la « communauté-mère de Jérusalem » est-elle considérée comme une église attachée au judaïsme ? Au-delà de ces questions, nous voyons plutôt les Juifs chasser les chrétiens des synagogues. Ce rejet les conduit à se tourner vers les païens.

 « Durant tout le premier siècle, les disciples de Jésus n'ont que la Bible hébraïque comme Écriture sainte, ils pratiquent la liturgie juive et vénèrent la Torah à la synagogue. »

Rappelons que la Bible du premier siècle n'est pas la Bible hébraïque puisqu'elle a été définie bien après les événements. Au premier siècle, on pouvait lire la bible palestinienne ou grecque ou samaritaine. « Les disciples de Jésus » utilisent plutôt la Septante. 

Il est étrange que l’auteur ne parle pas du Temple qui est le centre de la foi juive mais des synagogues, lieux privilégiés des Pharisiens. La Torah est d’abord vénérée au Temple.

« En l'an 70 de notre ère, la catastrophe s'abat sur Jérusalem : le Temple est détruit par les armées romaines, les populations juives massacrées ou déportées. Exilés à Jamnia, une partie des rabbins de la tendance pharisienne (prônant une observance stricte à la Loi) travaillent à élaborer de nouveaux repères pour que le judaïsme surmonte la perte du Temple. Ils définissent les critères du judaïsme orthodoxe en 90, en excluant les croyants qui ne sont pas en conformité avec leurs vues. » 

Effectivement, le judaïsme actuel est d’origine pharisienne. À Jamnia, les rabbins n’élaborent pas de nouveaux repères. Ils retranscrivent la tradition héritée des Pharisiens et définissent le canon biblique avant de fixer les textes bibliques. Ils ne prônent pas seulement l’observance stricte de la Loi, qui est la position des Sadducéens, mais l’observance de la Loi et de la Tradition. 

Le baptême du centurion Corneille par Saint Pierre
Michel II Corneille (1642-1708)
« Face à l'élan de ces rabbins, Paul et ses collaborateurs réorganisent les communautés chrétiennes hors de la synagogue. » 

Saint Paul réagit plutôt à l’exclusion des chrétiens des synagogues. Il comprend que les circonstances le tournent vers les Gentils. Le terme d’« élan des rabbins » cache un peu la réalité. Il s’agit plus précisément de « persécutions » que mènent notamment les Pharisiens. Une des conséquences de ces violences est l’expansion du christianisme hors de Jérusalem et de la Judée. Saint Paul n’est pas non plus le seul à organiser les communautés chrétiennes hors de la synagogue. Saint Pierre en a été le premier, ayant dispensé les chrétiens d’origine païenne le joug de la Loi. Il n’y a pas non plus de réorganisation. Et nous le répétons, la synagogue n’est pas le centre de la foi juive mais bien le Temple.

« Les premiers écrits de ce qui deviendra le "Nouveau Testament" circulent. Ce sont des commentaires des événements et du message de Jésus. » 

Ce ne sont pas des commentaires mais des témoignages (évangiles) ou des éclaircissements de l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ (épîtres)[3]. Ils font partie avant tout de la Révélation à l’égal de l’Ancien Testament.

« Au début du IIe siècle, les liens entre judaïsme et christianisme se distendent jusqu'à une rupture qui va se préciser dans les écrits spirituels de chacune des deux traditions issues de la même origine. » 

L’auteur de l’article présente ainsi le judaïsme et le christianisme comme deux « traditions issues d’une même origine ». Il est vrai que son article commence par renier ce qui fait la nouveauté de Notre Seigneur et oublie les différences fondamentales entre ces « deux traditions ». Notre Seigneur Jésus-Christ montre justement que le pharisaïsme, à l’origine du judaïsme orthodoxe, n’est pas fidèle à la volonté divine mais mélange la Loi avec des pensées humaines tout en oubliant l’esprit de Dieu. Toute la question est justement de voir qui est vraiment fidèle à la volonté divine. Enfin, comme l’article l’a souvent noté, la rupture a bien eu lieu avant le IIe siècle.

« L'arrivée en masse de païens convertis dans les communautés chrétiennes accentue cette distanciation, d'autant plus que le grec prend le dessus sur la langue araméenne (que parlait Jésus et ses disciples). Les Chrétiens vont s'intégrer dans la société romaine et Rome va devenir un pôle important dans la vie des Églises. » 

Les Chrétiens peuvent-ils vraiment s’intégrer dans une société qui va les exclure et les persécuter, parfois avec l’aide des Juifs ? Ce sont des exclus comme le dirait l’auteur. L’auteur a tendance à oublier que la « distanciation » vient aussi des Juifs qui persécutent les chrétiens en demandant le soutien des autorités romaines. Remarquons le refus implicite de nommer l’Église au singulier. L’auteur voit le christianisme comme un ensemble d’Églises.

Cet article ramasse finalement en quelques lignes quatre principales erreurs :
  •  le christianisme ne représenterait qu’un mouvement religieux issu du judaïsme antique comme le judaïsme actuel. Ils exprimeraient chacun une « sensibilité » ou un aspect d’une même religion ;
  • Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait jamais affirmé être le Messie. Ce seraient ses disciples qui l’auraient présenté comme le Christ, imaginant par ailleurs sa Résurrection ;
  • les principaux responsables de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ seraient les Romains aidés des Sadducéens, déresponsabilisant ainsi les Pharisiens, probablement pour éviter de ternir le judaïsme actuel ;
  • ce seraient les chrétiens qui se seraient seuls exclus des synagogues, notamment par la volonté de Saint Paul et par l’incorporation des païens. La synagogue apparaît comme le centre du judaïsme, oubliant le rôle du Temple.

Il nous semble que l’auteur tente de montrer que le judaïsme contemporain et le christianisme sont deux mouvements égaux, deux « traditions issues d’une même origine ». La rupture entre ces deux « traditions » s’expliqueraient uniquement par des circonstances : « l’expérience des disciples », « l’élan des rabbins », « l’approfondissement des pharisiens », « la prédication de Saint Paul », « l’incorporation des païens »… Le problème est beaucoup plus profond. Ces « circonstances » ne sont que des manifestations d’une rupture et non ses causes. Pourquoi les autorités juives réagissent-elles aux discours des chrétiens, notamment par la persécution ? Pourquoi Saint Paul se tourne-t-il vers les Gentils ? L’incorporation des païens est-elle si simple ?

L’auteur semble oublier le cœur du problème. Ces « deux traditions » qui se réclameraient d’une même religion sont-elles vraiment les dignes héritiers de leur « mère » ? Sont-elles en rupture ou la continuité avec la religion juive qu'elles remplacent ? S’il y a nouveauté, en quoi consiste-t-elle ? Nous voyons aussi dans cet article l’intention de ne pas ternir les Pharisiens et d’oublier le rôle du Temple. Est-ce pour protéger le judaïsme actuel ? L’article n’est qu’une série d’affirmations qui présentent une vision erronée et anachronique d’une réalité beaucoup plus complexe et profonde…





Notes et références
[1] CICAD Centre Intercommunautaire contre l'Antisémitisme et la Diffamation, http://www.cicad.ch/.
[2] CICAD, article « La séparation du christianisme et du judaïsme », cicad.html.

[3] Le terme de "commentaire" est trop imprécis et peut porter confusion car il porte en soi un aspect subjectif fort qui s'adapte mal avec la Révélation. Saint Paul n'est pas un commentateur. Il explique, dénonce, éclaircit, répond aux questions qu'on lui pose... 

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