" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 9 octobre 2021

"Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites, car le temps est proche." (Apocalypse, I, 3)

Nous Le suivons avec les Apôtres dans les rues de Jérusalem, sur les terres de la Galilée ou de la Samarie. Ses paroles nous sont chères. Nous ne cessons de les écouter et de les ressasser en nous. Sa voix nous pénètre et nous élève. Qui peut ne plus l’entendre quand une fois, elle a retenti en  nous et éclairé, fortifié notre âme ? Notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigne ce qu’il nous attend après notre mort. Le sujet est suffisamment grave et essentiel pour qu’Il insiste particulièrement sur ce sujet. La mort annonce la fin de notre existence ici-bas et nous ouvre la porte à une éternité de bonheur ou de malheur selon les œuvres que nous avons réalisées ici-bas, c’est-à-dire selon notre foi et notre charité. Notre sort est en effet définitivement fixé quand notre âme et notre corps se séparent. Or, nous ignorons l’heure de notre mort. Nous connaissons tous des proches qui brutalement nous ont quittés rapidement, dans un accident ou suite à une maladie imprévue. Ainsi, tant qu’il fait jour, il est encore possible de travailler pour notre vie éternelle mais quand le rideau tombe, quand la nuit nous prend, nous ne pouvons plus rien faire…

Nous comprenons alors les avertissements de Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous demande avec insistance d’être vigilants et persévérants, d’être fidèles jusqu’au bout afin qu’au moment où nous devons rendre l’âme, nous soyons prêts à paraître devant Lui et à écouter sa sentence. Quel chrétien pourra Lui dire sans rougir qu’il ne le savait pas ? S’il ne veut point entendre et examiner ses paroles, qu’ils écoutent les paraboles qu’Il nous a laissées. Elles sont suffisamment claires et simples pour qu’elles nous livrent sans difficulté ce que nous devons savoir…

La parabole du riche et du mendiant Lazare

Notre Seigneur Jésus-Christ traite souvent de nos liens de dépendance avec les biens d’ici-bas. Contre ceux qui aiment l’argent et en font un mauvais usage, Il nous avertit que nous ne pouvons pas servir deux maîtres puisque notre cœur ne peut s’attacher à l’un sans mépriser l’autre. Pour répondre aux moqueries des pharisiens qui n’apprécient guère ce discours, Notre Seigneur Jésus-Christ leur livre une parabole que l’Évangile selon Saint Luc nous transmet. La parabole comprend deux actes, le premier se déroule ici-bas, le second dans l’autre vie. Elle met en scène deux personnages, un homme riche et un mendiant appelé Lazare.

Quelque part sur la terre, un homme richement vêtu mène une vie splendide comme toute personne fortunée. Puis, au pied de sa porte, un pauvre, couché et affamé, rêve aux miettes qui tombent de sa table. Personne ne l’aide. Il est comme ignoré. Sa condition est bien misérable, son physique repoussant. Il est malade. « Les chiens venaient et léchaient ses lèvres. »(Luc, XVI, 21) Il est comme un de ces sans-domiciles fixes qui parfois errent dans les rues et que  les passants cherchent à ne pas voir…

Puis, « il arriva que le mendiant mourût », et « le riche mourut aussi » (Luc, XVI, 22). À sa mort, Lazare est « porté par les anges dans le sein d’Abraham. »(Luc, XVI, 22) L’expression « sein d’Abraham » désigne le séjour des justes, là où demeure le grand patriarche. La situation de l’homme riche est toute différente. Il « fut enseveli dans l’enfer. » (Luc, XVI, 22) Il est alors tourmenté par les flammes.

Levant les yeux, voyant Lazare au paradis, le riche s’écrie : « Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare, afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir la langue ; car je suis tourmenté dans cette flamme. »(Luc, XVI, 23) À cet homme qui crie sa souffrance, Abraham répond avec calme et sérénité, lui rappelant son existence et celle de Lazare. L’homme riche a connu son temps de bonheur ici-bas et ne peut pas prétendre aux félicités célestes contrairement au mendiant qui a connu tant de maux. Chacun possède l’éternité qu’il a voulue. Chacun est donc dans l’état qu’il mérite. Puis, Abraham rappelle l’abîme qui sépare de manière radicale et pour toujours le paradis de l’enfer. Les justes ne peuvent donc pas adoucir le châtiment de ceux qui résident en enfer.

Alors, s’il n’est plus temps pour lui de réparer ses fautes, l’homme riche songe à ceux qui sont encore vivants et qui demeurent dans la maison de ses pères. Il supplie alors Abraham d’envoyer Lazare auprès de ses frères pour qu’ils évitent « ce lieu de tourments. » (Luc, XVI, 23) Mais Abraham refuse. « Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent. » (Luc, XVI, 29) La réponse ne le satisfait pas. Il insiste. Il discute en effet et songeant à sa famille, implore de nouveau Abraham : « Non, père Abraham ; mais si quelqu’un va des morts vers eux, ils feront pénitence. » (Luc, XVI, 30) Abraham est inflexible. Les miracles ne leur serviront à rien s’ils n’ont pas la foi en la parole divine. « S’ils n’écoutent point Moïse et les prophètes, quand même quelqu’un des morts ressusciterait, ils ne croiraient pas. » (Luc, XVI, 31) Nous devinons alors le mal qui l’a conduit aux enfers. Il est le même que celui qui habite chez les Juifs incrédules, qui ne croient pas, alors qu’ils sont témoins des miracles que les prophètes ont pourtant annoncés. Il n’est guère possible à un homme de croire s’il manque d’humilité, de docilité et finalement de liberté intérieure. L’homme riche représente ainsi les pharisiens trop attachés aux biens de ce monde qui, aveuglés, ne veulent pas comprendre ce qu’ils se passent devant eux.

Notre Seigneur Jésus-Christ ne nous enseigne pas que l’homme riche est nécessairement voué aux enfers alors que le pauvre est destiné au paradis. Cependant, il nous rappelle que notre misère ou notre richesse ne nous destinent pas nécessairement à un destin. La pauvreté n’est pas signe de damnation comme la fortune, celui des félicités célestes. Il nous apprend aussi que l’existence que nous menons ici-bas a une fin, et qu’elle se poursuit au-delà vers une autre vie qui, elle, ne connaît pas de fin, une vie qui dépend de ce que nous avons été auparavant. Après la mort, les bons et les méchants sont ainsi définitivement séparés. Ce destin irrévocable qui récompense ou punit les œuvres réalisées ici-bas n’est pas une surprise. Il a été annoncé, prédit, enseigné. Celui qui entend la parole de Dieu le choisit donc volontairement. Leur sort est donc parfaitement juste. Tant qu’il vit sur la terre, il peut encore agir pour choisir l’éternité qu’il désire mais quand l’heure de la mort est arrivée, tout est fini...

Prenons deux autres paraboles aussi instructives, par exemple celle des talents puis des dix vierges. Elles soulignent aussi la fin de toute espérance quand sonne l’heure du jugement. Notre Seigneur Jésus-Christ nous avertit que le temps nous est alors compté. « Veillez donc, parce que vous n’en savez ni le jour ni l’heure. »(Matthieu, XXV, 13)

La parabole des talents

Avant de partir pour un voyage, le maitre donne à ses serviteurs un nombre différent de talents selon leurs capacités, nous précise Notre Seigneur Jésus-Christ. Plus tard, longtemps après, le maître revient et regarde ce que ses serviteurs ont fait de leurs talents. Ceux qui ont fait fructifier l’argent reçu sont félicités par le maître. « Fort bien, serviteur bon et fidèle, […] entre dans la joie de ton maître. » (Matthieu, XXV, 21, 23) Mais le dernier serviteur, celui qui n’a reçu qu’un talent, préfère enterrer son argent de peur de le perdre. En effet, comme il dit lui-même, il le considère comme « un homme sévère », et même injuste puisqu’il moissonne là où il n’a pas semé, recueille là où il n’a rien mis. La réponse du maître est nette et claire. Il le condamne comme « serviteur mauvais et paresseux » (Matthieu, XXV, 26). Et « serviteur inutile », il est jeté « dans les ténèbres extérieurs ».

Notre Seigneur Jésus-Christ conclue la parabole par cet avertissement : « quand le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, et tous les anges avec lui, alors il s’assiéra sur le trône de sa majesté. Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les séparera les uns d’avec les autres, comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs ; et il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. » (Matthieu, XXV, 31-33) Puis, Notre Seigneur Jésus-Christ décrit le jugement que chacun recevra selon les œuvres qu’il a réalisées à l’égard de leurs prochains, séparant les justes et les méchants, ceux qui iront à sa droite, c’est-à-dire dans le royaume de Dieu, « les bénis de mon Père » (Matthieu, XXV, 34), et ceux qui iront à sa gauche, les « maudits », pour connaître le « feu éternel » (Matthieu, XXV, 42).

La joie d’un maître est aussi celle de son serviteur. Elle est sans-doute une des images de ce qu’est la béatitude. Notre joie est celle même de Dieu. Les bons serviteurs font tout pour que leur maître soit content d’eux et de la confiance qu’il leur a accordée. Quand arrive le troisième serviteur, il n’y a pas de joie dans sa parole. Son verbe est dur. Devant son maître qui lui demande ce qu’il a fait du bien qu’il lui ait donné, il évoque ce qu’il estime son droit. Il rend intact ce qu’il a reçu. Mais ce n’est pas de l’amour. Son attitude est stérile. Le bien qu’il lui a donné ainsi que la confiance qui lui a été accordée ne lui ont servi à rien. En effet, nous pouvons rendre inutiles les grâces et les bienfaits que Dieu nous donne de manière à rendre notre vie stérile. Le serviteur a rendu vaine la confiance que Dieu lui a apportée. Mieux vaut pour nous de ne pas les avoir reçus !

La parabole des vierges

Les vierges, qui représentent les âmes pures, attendent la venue des jeunes mariés. Au jour du mariage, selon la coutume juive, l’époux doit conduire son épouse à sa maison où se fait alors un banquet somptueux. Et ces noces ont lieu à la nuit. C’est pourquoi leurs amis et amies les éclairent avec leurs lampes. Mais comme celles-ci ne sont guère grandes, ils emportent un vase contenant de l’huile pour compléter les lampes. Cependant, dans la parabole, cinq vierges sur les dix sont imprudentes et étourdies. Contrairement aux cinq autres, elles n’ont pas pris de provision d’huile. Or, comme cela pouvait arriver, les époux tardent à venir. Et au milieu de la nuit, « voici l’époux qui vient » (Matthieu, XXV, 6). Les vierges se lèvent donc pour l’accueillir et préparent les lampes. Mais les cinq vierges qui n’ont point emporté d’huile se rendent compte que leur lampe s’éteigne. Elles demandent alors aux autres de leur donner de leur huile. Mais celles-ci refusent de peur de ne pas en avoir assez à leur tour. Elles doivent alors en acheter mais quand elles reviennent, les noces ayant commencé, la porte est fermée. Elles demandent donc à l’époux de l’ouvrir. Mais en vain, l’époux refuse. La porte reste close. « En vérité, je vous dis que je ne vous connais point. » (Matthieu, XXV, 13).

Comme les âmes purifiées par les eaux du baptême, les dix vierges sont toutes pures, sans tâche ni souillures. Les lampes représentent la foi qui éclaire l’âme. Mais au cours de notre vie, cette foi faiblie et la vie divine qui nous anime décroit. Or quand des voix annoncent l’arrivée de l’époux, tant désiré et espéré, elles veulent briller comme le visage éclairé par la foi et resplendissant de lumière. Elles s’empressent de rejoindre celui qu’elles attendaient. Mais, n’ayant plus de provisions, les cinq folles demandent alors aux autres un peu de lumière, mais cela est bien inutile. Les mérites sont personnels. « Ni la vertu des autres, ni notre règle, ni notre profession même ne nous sauveront sans notre travail. »[1] C’est alors que les vierges folles doivent se séparer des sages pour aller acheter de l’huile. Et lors de leur absence, l’époux arrive enfin…

La remarque de Notre Seigneur Jésus-Christ donne le sens exact de la parabole. Il demande de veiller sur notre âme, sur cette lumière qui brûle et resplendit en nous puisqu’à tout moment, nous pouvons paraître devant Lui. Or, « c’est le travail de la vie entière qui amasse toute l’huile nécessaire, qui entretient en nous la foi efficace, alerte, ardente, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. Il y aurait une imprudence infinie à escompter, pour notre salut, les œuvres et les élans de la dernière heure : le drame de la mort ne s’improvise pas. »[2]

Or, pour entrer dans les noces, c’est-à-dire au paradis, là où demeure Notre Seigneur Jésus-Christ, l’époux par excellence, l’âme doit être encore vivante lorsqu’elle doit se présenter à Lui. Il est toujours possible de renaître quand l’âme connaît la mort spirituelle mais faut-il en avoir le temps. C’est ainsi que les cinq vierges qui ne se préoccupent guère de l’huile de leur lampe alors qu’elles attendent, c’est-à-dire qu’elles croient en Lui et en ses paroles, sont appelées « folles » alors que les autres sont des « sages ». En dépit de leur foi, les « folles » ne se sont pas préparées à leur mort.

Conclusions

Notre Seigneur Jésus-Christ insiste sur le moment décisif qu’est la mort. « Heureux ce serviteur que son maître lorsqu’il viendra, le trouvera agissant ainsi » (Matthieu, XXIV, 46), c’est-à-dire prenant soin des serviteurs qu’il lui a confiés. Son sort sera différent s’il « dit en son cœur : mon maître tarde à venir ; et qu’il se mette à battre ses compagnons, à manger et à boire avec des ivrognes. » (Matthieu, XXIV, 49) Or, « le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas, et à l’heure qu’il ignore. » (Matthieu, XXIV, 50) Il sera alors condamné et jeté dans les ténèbres. Dans l’Évangile selon Saint Luc, les paroles de Notre Seigneur sont encore plus claires. « Ce serviteur, qui a connu la volonté de son maître, et ne s’est pas tenu prêt, et de cette manière n’a pas agi selon sa volonté  recevra un grand nombre de coups » (Luc, XII, 47) Il sera moins châtié que celui qui ne l’a pas connue mais qui a fait des choses dignes de châtiment. « Car à celui à qui on a donné beaucoup, on demandera beaucoup ; et de celui à qui on a confié beaucoup, on exigera davantage. » (Luc, XII, 48) Malheureux celui qui a tant reçu et a si peu donné….

Tous n’ont pas reçu les mêmes grâces. Mais chacun devra rendre compte de la vie qui lui a été donnée et des biens qu’il a reçus. Il est donc demandé à chacun de bien user de ce que Dieu lui a donné et de le faire fructifier selon sa volonté. Quand l’heure de la mort sera venue, il ne sera plus temps de travailler. Avec la mort, s’achève le temps du mérite et du démérite.

Tout dépend donc de notre attitude envers Notre Seigneur Jésus-Christ et finalement de nos œuvres qui témoigneront à notre place. Il faut donc vivre de la foi vivante. « Qui croit en lui n’est pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné » (Jean, III, 18) Celui qui croit en Lui, « il a passé de la mort à la vie. » (Jean, V, 24) Cela signifie que la condamnation ne vient que de l’homme. Il prononce son propre jugement ici-bas. Mais lorsque survient la mort, ce jugement devient définitif. La mort entérine ainsi ce que l’homme a voulu.

« Veillez donc parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir. » (Matthieu, XXIV, 42)

 

 


Notes et références

[1] Dom Paul Delatte, L’Évangile selon Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, sixième partie, chapitre III, Maison Alfred Mame et fils, 3ème édition, 1926.

[2] Dom Paul Delatte, L’Évangile selon Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, sixième partie, chapitre III.

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