" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 10 juillet 2021

La Mettrie (3/3) : piètre philosophe à la fervente imagination

L’homme ne serait qu’une machine complexe. Les pensées et les sentiments, la joie comme le remord, la haine comme la peur, le courage ou la lâcheté ne seraient que des produits de la matière savamment organisée, d’un mécanisme ingénieux ou d’un assemblage d’atomes. La raison, pure maillage neuronal ? La morale, une œuvre de l’imagination ? Et que dire de la religion ? Pure invention d’un cerveau défectueux ?...

Alors que l’homme se réduit à n’être qu’un automate subtile, sans âme ni esprit, l’animal se voit doter de facultés qui lui étaient autrefois réservées. Bientôt, il sera plus facile de mettre fin à une vie humaine qu’à celle d’une bête. Et dans notre siècle de modernité, la machine elle-même se dote d’une intelligence, d’une parole, d’un visage qui pleure ou sourit. Et, dans un mouvement apparemment irrésistible, l’homme humanise le monde qui l’entoure et les œuvres qu’il produit quand lui-même se déshumanise lentement. Puis, sans-doute pris d’un élan de lucidité ou de colère, il s’alarme de la perte de sens de son existence, dénonce les violences et les monstruosités de ses contemporains et se lève pour accuser sa marchandisation. Telles sont les conséquences d’une déconstruction de la conception que l’homme a de lui-même

La Mettrie est sans-doute un des premiers à vouloir pervertir notre perception de l’homme pour le rendre égal à l’animal, pour réduire notre âme et notre conscience à une pure organisation de la matière. Dans nos précédents articles, nous avons décrit rapidement sa vie puis présenter ses idées. Il est temps désormais de montrer les erreurs et les faussetés de son raisonnement.

La vérité uniquement accessible par l’observation et l’expérience ?

La Mettrie refuse d’entendre des hommes qui ne sont ni anatomistes ni philosophes du corps humain. Les théologiens, les métaphysiciens et toutes les écoles philosophiques ne sont que de « faibles roseaux »[1], nous dit-il. Pourquoi ? Parce que, nous explique-t-il, les lumières de la foi et même celles de la raison sont bien faibles face à la complexité de l’homme. La Mettrie récuse tout raisonnement à posteriori.

Selon La Mettrie, l’observation de la nature et l’expérience expérimentale permettent seules de connaître réellement la vérité sur l’homme. Pour connaître ce qu’il est, il nous affirme qu’il est préférable d’entendre un médecin philosophe qu’un philosophe. Hors de la connaissance expérimentale, tout n’est que fiction, préjugés, fanatisme. Lisons le premier paragraphe de son ouvrage. Il est en effet révélateur. La Mettrie dit de lui-même qu’il écrit comme « un sage qui étudie la nature et la vérité » et qui « doit oser la dire en faveur du petit nombre de ceux qui veulent et peuvent penser ; car pour les autres, qui sont volontairement esclaves des préjugés, il ne leur est pas plus possible d’atteindre la vérité, qu’aux grenouilles de voler. »[1]

Pourtant, La Mettrie s’oppose aussi à des médecins comme Stahl et à des naturalistes comme Aristote. Comme nous l’avons déjà évoqué, nombreux sont les médecins et biologistes de son temps qui sont convaincus de l’existence de l’âme comme le définit l’Église. En outre, la multiplicité des doctrines sur l’âme provenant de la science médicale semble contredire la naïve certitude de La Mettrie. Notons qu’il n’hésite pas à appeler à l’autorité des philosophes, sans les nommer, pour justifier ses affirmations. Il y a finalement une science expérimentale qui dit vraie, et une autre qui s’égare…

Selon La Mettrie, tous les philosophes, dont les théologiens, étudient la nature à partir uniquement de leur raison et donc édifient leurs pensées sur un raisonnement uniquement déductif. Or, nous le savons bien, l’aristotélisme défend l’idée d’une intelligibilité de la nature à partir des sens, c’est-à-dire de faits concrets et positifs. Les données observées sont alors exploitées par l’intelligence en quête d’intelligibilité afin de découvrir les causes permanentes des phénomènes. Nombreux sont aussi les théologiens, notamment les thomistes, qui utilisent sa méthode. N’oublions pas que certains d’entre eux étudient aussi la nature.

Un raisonnement bien peu honnête

La Mettrie s’oppose en fait clairement au raisonnement de Descartes qui, à partir du cogito, établit sa conception de l’homme et du monde. Il dénie catégoriquement à la raison seule de connaître l’homme par ses seules lumières. Il ressemble à un scientifique qui croit que son laboratoire renferme l’Univers entier et que ses instruments sont seuls capables de percer ses mystères, oubliant que tout cela repose nécessairement sur des principes et des théories. Que vaut la théorie de Newton sans le principe d’un temps défini comme valeur absolue ? Aristote applique lui-aussi aux faits observés des principes pour les comprendre. Un fait en lui-même, isolé de toute théorie, n’est guère intelligible. Un instrument et la recherche ne sont pas non plus indépendants d’une doctrine…

Nous savons aussi que les connaissances que nous obtenons sont limitées par les limites mêmes des moyens que nous utilisons. La science n’ignore plus les faiblesses inhérentes à ses méthodes, gagnant ainsi en humilité. Certes, il a fallu les progrès du XXe siècle et les échecs de la science pour prendre conscience de ses limites. Pourtant, cela n’est pas nouveau. Aristote encore mais aussi d’autres philosophes antiques ont été bien conscients des limites que posent nos sens et donc les connaissances qu’ils peuvent acquérir. Quelles que soient ses qualités, les faiblesses d’un instrument se reportent sur celles de la connaissance qu’il nous livre. Ainsi, l’œil ne peut voir que ce qu’il est capable de voir. C’est évident et pourtant, encore de nos jours, nous avons une telle confiance en la science, sans-doute par les progrès acquis, que nous oublions encore ses limites.

Par conséquent, la connaissance par l’observation ou par toute expérience est limitée par les outils que nous utilisons et les conditions dans lesquelles ils sont utilisés. La première limite, et elle est de taille, est de réduire son périmètre à de la matière. Par principe, la science expérimentale ne se limite qu’au monde matériel. Il est donc difficile et même stupide de vouloir montrer l’existence ou l’inexistence de l’âme comme entité spirituelle par nos seuls sens. Par conséquent, en affirmant que seules l’observation et l’expérience permettent de saisir la vérité, cela revient nécessairement à rejeter toute notion d’âme. Ainsi, quand La Mettrie affirme que la connaissance de l’homme ne peut provenir que par l’observation et l’expérience, cela implique à enfermer l’homme dans la matière ou encore de le réduire au corps. Il cherche finalement à démontrer ce qu’il présuppose…

En outre, si nos connaissances sont limitées à une partie de la nature, faut-il en conclure que celle-ci est réellement réduite au champ de connaissance que nous pouvons acquérir de manière idéale ? C’est admettre que toute la nature et ses mystères insondables nous sont accessibles par nos seuls moyens. La Mettrie commet la même erreur que celle que Descartes. Il confond le monde réel avec le monde connaissable et le monde connu.

Certes, cette philosophie, sensualiste ou empiriste, peut se défendre mais faut-il encore le faire. La Mettrie affirme avec hardiesse ce qu’il croît être vérité certaine mais sans aucune argumentation réelle. Et pire encore, il ose appeler « esclaves des préjugés » ceux qui ne partagent pas ses convictions.

L’âme, une notion obscure ?

La Mettrie  affirme que la notion de l’âme n’est pas connue et que les philosophes non médecins ne peuvent pas en parler à cause de la complexité de l’homme. Elle est trop obscure pour qu’elle soit compréhensible. Or, cette objection vise encore directement la conception cartésienne de l’âme qui s’appuie sur l’évidence de la perception de soi pour en démontrer sa nécessité. Par conséquent, ce n’est pas la notion de l’âme en elle-même qui est obscure mais les principes du raisonnement de Descartes qui établit son existence. Nous comprenons alors pourquoi La Mettrie confond l’âme avec le « je » comme le faisait Descartes.

Par conséquent, La Mettrie cherche à démonter l’argumentation de Descartes. Puisque ce dernier affirme que l’animal n’a pas d’âme telle qu’il la définit parce qu’il ne sait pas parler, La Mettrie montre qu’il est en fait capable de parler si sa physiologie est modifiée.

Or, comme nous l’avons déjà évoqué dans un article précédent[2], la notion cartésienne de l’âme est une nouveauté qui remet en cause celle définie par l’aristotélisme et le christianisme. Contrairement à ce que pense Descartes, la notion chrétienne de l’âme ne se fonde pas sur la raison mais sur une réalité observable par tous.

Raisonnement ou pure imagination ?

La Mettrie traite longuement sur un fait bien connu, l’interdépendance entre le corps et l’âme, comme si elle était une nouveauté. Pourtant, comme nous l’avons aussi exposé, elle est non seulement longuement traitée par Descartes mais aussi par tous ceux qui l’ont précédé. Elle est en effet au cœur du dualisme cartésien comme des autres philosophies.

La Mettrie s’appuie alors sur de nombreux faits observés ou d’expérience pour montrer les interactions entre le corps et l’âme afin de prouver qu’ils ne sont pas indépendants. Puisque l’âme, tel qu’il le conçoit, est influencé par le corps, il en déduit alors que la cause réside en lui. Le raisonnement est un peu simpliste. Il oublie que les relations de corrélation ne sont pas nécessairement des rapports de causalités. Ce n’est pas parce qu’un mal frappe un organe et diminue nos facultés intellectuelles que notre intelligence réside dans le corps. L’explication nous semble bien dérisoire. Par conséquent, son interprétation et ses conclusions ne peuvent être des arguments démonstratifs suffisants et convaincants, même si les faits observés peuvent les rendre probables mais comme hypothèses. Elles n’acquièrent pas le niveau de certitude qu’il proclame…




Notons que dans ces différents raisonnements, La Mettrie n’élude guère la difficulté question des liens de causalité, sujet proprement philosophique, et pourtant au cœur du problème. Comme nous venons de le noter, il confond relations de corrélations et relations cause à effet. Pour rédiger un mail, nous utilisons nécessairement un ordinateur. Si la messagerie ne fonctionne plus en raison d’un bug, nous ne pourrons pas l’envoyer. Il y a bien un rapport entre le mail et l’application mais pouvons-nous affirmer que l’application est la cause ou le principe du mail ? L’ordinateur est-il capable d’écrire ce que nous voulons ? L’application comme notre poste informatique ne sont que des causes dites instrumentales. Pouvons-nous aussi dire que la main sans laquelle nous ne pouvons taper sur le clavier en est le principe ? Nous pouvons aussi énumérer d’autres organes qui contribuent à l’élaboration du mail sans qu’ils ne soient autre chose que causes instrumentales. L’ordinateur ignore aussi les raisons qui nous ont déterminés à écrire. Mais la finalité de la lettre, si elle explique la rédaction, n’en est pas non plus le principe. Cet exemple simple montre toute la complexité qui réside dans les relations entre un fait et les différentes causes qui l’expliquent. Ce problème n’est pas non plus nouveau. Les philosophes antiques ainsi que les théologiens l’ont bien cerné. Mais La Mettrie ?

Enfin, à plusieurs reprises, La Mettrie ironise sur l’inintelligibilité de la notion d‘âme alors que celle-ci lui est inutile pour expliquer les facultés propres à l’homme. Quelle certitude en cet homme ! Il n’hésite pas à nous expliquer comment un animal pourrait parler même s’il avoue son ignorance. Tout cela n’est en fait qu’imagination. Mais, faut-il en être surpris quand pour lui, la pensée n’est que l’œuvre de l’imagination ?

Un esprit bien confus et naïf

Revenons sur le raisonnement qu’il utilise pour démontrer que la faculté de parler n’est qu’un phénomène mécanique. Certes, il utilise encore de nombreuses analogies comme si elles suffisaient pour démontrer sa thèse, mais sa principale faiblesse est encore ailleurs.

Pour lui, il n’est pas de doute : tout animal est capable de parler. Il prend comme exemple le perroquet. Bel exemple, n’est-ce pas ? Faut-il qu’un animal répète des mots et des phrases audibles pour affirmer qu’il sait parler ? Alors, les applications qui lisent un texte à haute voix savent-elles aussi parler ? Il compare aussi un sourd à un animal. Puisque, de manière virtuelle, il est possible mécaniquement de donner au sourd la faculté de parler, La Mettrie en déduit que par une intervention médicale, le singe serait capable de parler à son tour. Ce  n’est en effet qu’un problème mécanique que peut résoudre la chirurgie. Certes, La Mettrie parle de projet d’apprentissage des langues auprès des animaux mais ce projet n’est que virtuel, c’est-à-dire imaginaire. Mais, la faculté de parler se réduit-elle à un mécanisme ou à des organes, ou encore à un exercice d’apprentissage ?

La Mettrie ne fait finalement guère de différences entre les organes qui permettent à l’homme d’entendre et de parler et le processus même du langage, de la pensée jusqu’aux paroles. Certes, un automate armé d’une « intelligence artificielle » peut tenir une conversion sans-doute cohérente avec un homme mais en raison de ce qu’il a mémorisé et d’un programme qu’une intelligence a conçu. Il ne fera que reproduire ce qu’il a ingurgité. Nous retrouvons encore la confusion entre cause instrumentale et principe. Ou dit tout simplement, il réduit la faculté de parler à la prononciation de mots ou de phrases intelligibles. Le médecin se fait ainsi expert en phonologie.

L’homme rabaissé à l’animal

Mais en attribuant à l’animal ce qui était autrefois dévolu à l’âme, La Mettrie réduit l’homme à l’animal, ne faisant plus de différences de nature entre eux. Il élève ainsi l’animal pour rabaisser l’homme. Pourtant, il est aussi conscient que l’homme est différent de l’animal. Comment peut-il expliquer leur distinction ? Par l’organisation physiologique. Ce n’est qu’une affaire d’organisation donc de complexité au niveau du cerveau puisque que là réside l’imagination, la raison, la morale, etc. Et c’est alors que la comparaison des cerveaux, notamment de la taille et du poids, vient accréditer son hypothèse. Puisqu’ils se ressemblent, ils devraient être dotés des mêmes facultés ? Mais puisque l’un est plus gros que l’autre, il est alors plus développé. Ainsi, l’homme se distingue essentiellement de l’animal par sa physiologie dont la perfection lui permet d’acquérir de plus grandes facultés.

La Mettrie conclue alors que si la notion d’âme est incompréhensible et inutile pour expliquer des facultés propres à l’homme, autant la supprimer !

Une argumentation dérisoire contre Stahl

La Mettrie ne  s’oppose pas seulement à la notion de l’âme telle qu’elle est définie par Descartes, ne gardant que la moitié de sa théorie et finalement l’amputant de la partie métaphysique pourtant indissociablement liée. Il rejette aussi celle de l’Église et d’Aristote sans néanmoins apporter de réfutation. Il la récuse par ironie et mépris. Pourtant, il devrait s’y attaquer sérieusement puisque Leibniz renoue avec la pensée aristotélicienne et que la pensée cartésienne n’est guère appréciée par les médecins. La Mettrie s’attaque aussi longuement à la doctrine de Stahl. « Ce grand chimiste a voulu nous persuader que l’âme était la seule cause de tous nos mouvements. Mais c’est parler en fanatique en non en philosophe. »[1]

Qui est Georg Ernst Stahl (1659-1734) ? Certes, il est chimiste mais il est aussi et surtout docteur en médecin et très renommé dans toute l’Europe. Il est notamment le médecin du duc de Saxe-Weimar puis de Frédéric-Guillaume 1er de Prusse. Un médecin peut-il donc se tromper dans la connaissance de l’homme ?...Nombreux sont aussi ceux qui suivront les traces de Stahl, notamment la faculté médicale de Montpellier.

Stahl reprend la notion aristotélicienne de l’âme comme principe de vie, s’opposant ouvertement à l’homme de Descartes et à tous ceux qui réduisent le corps humain à un automate ou explique les fonctions vitales comme on explique le jeu d’une horloge. « La vie suppose un principe supérieur au mécanisme, voilà la grande et durable conquête de Stahl »[2]. Assignant à l’âme un rôle souverain dans les fonctions organiques, la doctrine de Stahl est dite animisme. Dans sa Theorica medica vera (1708), il décrit l’âme comme cause de « l’action vivificatrice, régulatrice, correctrice »[3]. Elle est une force qui s’oppose à tout ce qui peut corrompre l’organisation de la matière organique, ou de manière plus brève à tout ce qui concourt à la mort. Elle est « ensemble, raisonnante et vitale, ayant à remplir des tâches différentes et qui interfèrent constamment »[4].

Stahl soulève donc la question de la cause du mouvement à laquelle la physiologie mécaniste est incapable de répondre. Pour qu’il y ait organisation et fonctions, il faut bien une force interne qui la réalise ou plus simplement une intelligence. Elle suppose une « force intelligente puisqu’elle doit avoir une notion exacte des proportions mécaniques de ces mêmes organes, destinés à exécuter des actes propres à telle ou telle fin ». Un ordinateur ne peut fonctionner s’il ne détient pas des programmes conçus par des intelligences. Toute organisation est en fait le fruit d’un mouvement et donc d’une cause.

Mais Stahl va très loin dans sa conception de l’âme, ramenant toute cause de mouvement en elle, y compris le battement du cœur, la circulation du sang, la respiration du poumon, confondant ainsi les différents degrés de cause. C’est ainsi que l’âme devient le principe de toute chose. Elle n’est plus le premier principe de la vie…

Certes, avec ses exemples, La Mettrie n’a pas de difficulté pour montrer ses erreurs en décrivant ses membres morts bougeant tout seul mais il réduit la pensée de Stahl à ses exagérations sans s’attaquer à sa doctrine comme à celle d’Aristote et de l’Église. Et de tels mouvements, est-ce vraiment de la vie ?

Conclusions

Comme l’écrivaient Frédéric II et Maupertuis, La Mettrie est un piètre philosophe. En lisant son ouvrage l’Homme machine, nous découvrons en effet bien des erreurs de raisonnement, des confusions et une incompréhension ou ignorance des véritables problèmes qu’il traite pourtant avec une simplicité et une hardiesse incroyable. Il n’y a point de philosophie dans son ouvrage mais de virulentes affirmations dénuées de démonstration.

Sa force, car il en a une, réside dans son style frénétique et dans une imagination sans borne. Il se plaît à écrire et à laisser divaguer son esprit dans des expériences virtuelles. Son ironie peut aussi plaire des esprits soucieux de se moquer de la morale commune et désireux d’éteindre en eux les remords d’une existence peu convenable. Sa pensée matérialiste s’incarne dans ses mots et ses formules. Elle s’incarne ensuite dans la vie. Délaissant l’exercice de la médecine pour écrire et vivre ses plaisirs à la cour, La Mettrie est sans-doute la plus belle démonstration de ce qu’est l’homme quand il méprise son âme.

La Mettrie s’oppose à Descartes avec force et semble percevoir les failles de son raisonnement mais au lieu de réfuter sa thèse, il en prend un morceau pour en jeter l’autre. Pourquoi ne jette-t-il pas la notion de l’âme telle que Descartes a définie alors qu’il récuse celle d’Aristote comme une philosophie dépassée ? Car la notion de l’âme réduite à la pensée ou à notre moi est plus facilement attaquable. En montrant que l’homme n’est qu’un animal et qu’il ne diffère pas de lui si n’est dans sa physiologie et ses qualités intrinsèques, il est alors possible d’imaginer que la pensée ne résulte que d’une organisation particulière de la matière. En un mot, un esprit bien imaginatif peut concevoir que l’homme n’est que de la matière et que tout s’explique par elle.

Mais, si l’âme reprend sa définition ancienne, si elle est premier principe de vie, la chose est beaucoup plus délicate, plus sérieuse. Cela revient à poser la question de la vie et celle de son origine, questions rapidement élucidées par Le Mettrie en évoquant l’ignorance humaine ou en la réduisant aux mouvements désordonnés d’un être mort. Pourtant, les véritables et seules questions qui méritent tous nos efforts est bien celles-ci. Comment la matière peut-elle créer d’elle-même de la vie ? L’homme machine en est incapable. Ce n’est qu’une métaphore et comme toute métaphore impropre au raisonnement scientifique…

 


Notes et références

[1] gallica.bnf.fr : L'Homme machine, La Mettrie, avec une introduction et des notes d’Assézat et éloge de l'auteur par Frédéric II, roi de Prusse, 1865, libraire-éditeur Frédéric Henry.

[2] Voir Émeraude, mai 2021, article « Descartes, une nouvelle conception de l'homme, de l'âme et de la vie ».

[3] Émile Saisset, Recherches nouvelles sur l’âme et sur la vie, dans Revue des deux mondes, 2ème période, tome 40, 1862.

[4] Paul Hoffmann, L’âme et les passions de la philosophie médicale de Georg-Ernst Stahl, dans Dix-huitième siècle, n°23, 1991, Physiologie et médecine, www.persee.fr.

[5] Paul Hoffmann, L’âme et les passions de la philosophie médicale de Georg-Ernst Stahl.

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