" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 8 mai 2021

Tertullien contre l'anthropologie gnostique. Le christianisme ne méprise pas le corps...

« L’histoire est maîtresse de vie. »[1] Elle a des avantages que nous ne devons pas ignorer. La contemplation des siècles passés est source d’émulation et de confiance. Elle nous écarte du découragement et de la lassitude quand elle nous présente de nombreux exemples de combats réussis et d’éclatantes victoires contre les fauteurs de mal et de division. Elle contient aussi des leçons admirables dans lesquelles nous pouvons puiser des réponses aux erreurs et aux mensonges. Si elle est vécue par des hommes, l’histoire, une fois écrite, ne le leur appartient plus. Certes, le récit du passé n’est pas à l’abri de la faiblesse et de la malveillance humaine. Son interprétation peut alors détourner l’homme de la vérité et de son véritable bonheur. Cependant, l’histoire reste un livre ouvert, instructive et d’une grande richesse, une œuvre dont une lecture prudente et vigilante suffit parfois à renverser bien des objections. Celles-ci peuvent paraître des nouveautés et donc nous désemparer mais l’histoire nous montre souvent qu’elles ne sont qu’une réminiscence d’erreurs déjà combattues. Les armes, certes rouillées voire usées, sont toutes prêtes. Il suffit parfois d’un léger nettoyage pour les remettre en service. Et à une époque où l’évolution est au cœur des objections, nous ne pouvons guère ignorer le passé, qui, contrairement à bien des idéologies, est un appui sur lequel nous pouvons repousser leurs attaques.

Au IIe siècle, dans tous les coins de l’empire romain et au-delà des limes, des erreurs semblables se diffusent sous de multiples formes. Des hommes pris dans les mêmes filets se réunissent en petites communautés sous la direction d’un maître qui prétend leur donner les moyens d’accéder au bonheur. Ce « gourou » livre à ses disciples une connaissance supposée bienfaitrice et les élève dans la pratique d’exercices qui doivent leur permettre d’accéder au graal. La portée de son enseignement dépasse parfois leur secte pour s’étendre dans la population qui lentement se montre réceptive à ses leçons. Par leur comportement, par leur prosélytisme, les disciples diffusent en effet la bonne parole autour d’eux. Par la diffusion d’ouvrages des maîtres, par la complicité des autorités, leur enseignement finit par gagner la société. Le contexte social, psychologique, économique ou encore intellectuelle peut aussi faciliter la diffusion de nouvelles idées en les rendant plus attrayantes. Elles peuvent paraître des bouées en un temps de crise où bien des esprits sont désappointés, perdus, sans repère ni fondement. Le même phénomène se poursuit de nos jours avec des moyens beaucoup plus performants, avec des publics plus vastes, dans un monde encore plus bien désorienté.

Mais, conscients des erreurs que contient cet enseignement et de leurs conséquences, des hommes se sont levés pour les combattre. Épris de vérité, ils ont aussi voulu protéger ceux qui pouvaient s’égarer. À Lyon, c’est l’évêque Saint Irénée[2], qui prend les armes avec une vigueur et une intelligence incroyables. En Égypte, à Alexandrie, c’est Saint Clément[3], chef d’une école chrétienne, qui se lève avec un style passionné et foudroyant. En Afrique du Nord, un autre se lève, Tertullien (v.160-v. 220). Leur ennemi commun est connu aujourd’hui sous le nom de gnosticisme.

Nous revenons à ce combat contre cette doctrine[4] pour deux raisons. D’une part, les réponses aux erreurs gnostiques remettent en cause l’idée selon laquelle le christianisme a méprisé le corps et les valeurs humaines, idée bien répandue depuis les années 60 et qui a justifié un revirement du discours catholique. D’autre part, ce combat nous instruit sur l’enseignement de l’Église et nous permet de mieux le comprendre. Et comme nous le découvrons au fur et à mesure, il nous fournit aussi des arguments solides contre des doctrines erronées qui se diffusent peu à peu dans notre société, y compris parmi les chrétiens, notamment des doctrines ésotériques et bouddhistes. « L’histoire est maîtresse de vie. » L’Église détient un trésor empli de deux mille ans d’histoire que nous ne devons jamais hésiter à utiliser sous la lumière de la raison éclairée par la foi. Après Saint Clément puis Saint Irénée, nous allons désormais écouter Tertullien…

Tertullien a entrepris de réfuter les doctrines gnostiques qui se diffusent dans les communautés chrétiennes. Comme Saint Irénée, il a compris leurs points essentiels, leurs thèses communes et entreprend de les exposer afin de les réfuter. La méthode est imparable. De forte personnalité, il les combat avec ferveur et parfois avec ironie, avec toutes les armes dont il dispose. « C’est que, pour lui, il y va de la cause, il y va de la vérité et de l’existence du christianisme. »[5] En effet, par  leur dualisme qui sépare l’esprit et la matière, leurs thèses remettent en cause radicalement la doctrine chrétienne portant sur l’œuvre de la Création ainsi que sur celle de la Rédemption.

Parmi les œuvres qu’il a écrites pour combattre les différentes doctrines gnostiques, nous pouvons citer le Contre Marcion, œuvre monumental composée de cinq livres. Il s’est aussi opposé aux Valentiniens et à tous les hérétiques gnostiques. Dans certaines œuvres dédiées à des points de doctrines, il revient sur leurs erreurs des gnostiques, en particulier sur la résurrection de la chair.

Les raisons du mépris du corps

Dans son œuvre Contre Hermogène, ou contre l’éternité de la Matière, rédigé en 205, Tertullien nous donne une explication de la doctrine erronée d’un chrétien hérétique, Hermogène, qui décrit l’origine du mal dans l’œuvre de la Création. Refusant de l’imputer à Dieu, il en vient à une cosmologie particulière où le mal serait l’œuvre d’une matière que Dieu aurait utilisée pour créer le monde. Dieu aurait alors organisé cette matière préexistante animée de mouvements incohérents, désordonnés, mais, en raison de son infinité, elle n’aurait pas pu être mise en ordre totalement. Le résidu de cette matière inorganisée serait alors la source du mal. Tertullien démontre sans difficulté que la doctrine d’Hermogène revient à rendre cette matière l’égale de Dieu. Non seulement elle s’oppose au mystère de la Création ex nihilo mais également au dogme de l’unicité de Dieu. En outre, si Dieu n’a pas pu ou voulu organiser toute la matière, ce qui génère le mal, Il demeure encore tenu responsable de l’existence du mal. Par conséquent, Hermogène ne résolve pas le problème auquel il est confronté.

Dans un autre livre, Tertullien explique aussi le mépris du corps qu’enseigne le gnosticisme en raison de ses faiblesses, de ses infirmités, et de sa fin lorsqu’il devient cadavre. Le regard d’une chair vouée à retourner à la terre et à s’y dissoudre tend à faire croire qu’elle est de nature mauvaise. Dans son livre intitulé De la Résurrection de la chair, Tertullien revient sur des hérétiques qui « ne reconnaissent qu’une demi-résurrection, la résurrection de l’âme, pleins de mépris pour la chair et pour le Créateur de la chair lui-même. »[6] Ce mépris de la chair ne s’explique pas premièrement par son origine, qui selon les gnostiques serait l’incarnation du mal. C’est en fait une tentative de justifier le dégout qu’ils éprouvent à l’égard du corps, considéré comme « débile et frêle », destiné à n’être qu’un cadavre.

Enfin, les hérétiques gnostiques s’appuient sur des passages de la Sainte Écriture qui semblent montrer une certaine dépréciation du corps ou de la chair. Nombreux sont en effet les versets qui rabaissent la chair. Tertullien n’hésite pas à reprendre chacun de ses passages et leurs interprétations, non de manière isolée. Il en montre leur contradiction lorsqu’elles sont comparées à d’autres versets d’un même auteur inspiré. En effet, comment des auteurs peuvent à la fois dénigrer la chair puis la louer ? Est-ce par incohérence ? Quand l’un affirme qu’il n’y a rien de bon dans la chair, il ne désigne pas le corps dans ses natures mais dans ses actes. Quand l’un affirme que la chair est pécheresse, il ne désigne pas la chair comme l’auteur du péché puisqu’elle n’a ni connaissance ni volonté. C’est bien l’âme qui pèche par son corps. L’homme charnel est celui qui vit selon les lois de la chair, non que la chair soit mauvaise par nature mais parce que son âme est dominée par la concupiscence au lieu d’être souveraine dans le corps. En fait, « il est impossible de rien reprocher à la chair sans que le reproche retombe sur l’âme qui se fait servir par le ministère de la chair. »[7] En effet, la chair exécute « ce qui s’accomplit dans le cœur. »[8] Ainsi, les versets bibliques qui semblent mépriser ou dénigrer la chair désignent l’âme qui use mal de son corps.

Les mauvaises interprétations viennent ainsi d’une lecture superficielle, erronée, biaisée des hérétiques. Ils ne comprennent pas ce que Dieu veut leur enseigner. Ils ne veulent que manipuler des versets bibliques pour justifier leurs thèses. Leur lecture est ainsi guidée non par l’esprit de Dieu mais par leurs propres pensées. Dans son ouvrage Contre Hermogène, Tertullien commente ainsi longuement un verset de Genèse que l’hérétique avait utilisé pour appuyer sa thèse. Toute sa doctrine semble en effet porter sur l’interprétation d’un seul verset extrait de toute la Sainte Écriture, fondement bien peu solide face à la culture de Tertullien et à sa rigueur intellectuelle. Il n’éprouve aucune difficulté pour montrer que cette interprétation vient plutôt de la philosophie païenne que de la pensée de l’auteur inspiré. Dans les deux derniers livres de Contre Marcion, Tertullien s’attaque à la doctrine de son adversaire en revenant sur son interprétation de la Saint Écriture.

La dignité du corps

Tertullien s’oppose clairement à tout mépris à l’égard du corps en raison de son origine divine. Dieu l’a formé du limon de la terre selon les paroles inspirées de la Genèse, manifestant ainsi non seulement sa puissance mais sa bonté. La valeur d’une œuvre se mesure aussi sur celle de l’artisan qui l’a façonnée. Encore de nos jours, une peinture d’un Raphaël ou celle d’un Gauguin n’a pas la même valeur que celle d’un amateur. La remise en cause de la dignité du corps conduit donc à mépriser celui qui l’a conçu. Le livre II de Contre Marcion est une véritable apologie de Notre Créateur dont la bonté se manifeste dans l’œuvre de la Création et plus particulièrement dans celle de l’homme.

Il est ainsi difficile de mépriser ce que Dieu a fait. « Que la chair commence donc à te plaire, puisqu’elle a pour auteur un si merveilleux artisan. »[9] La terre qui a été pétrie par notre Créateur pour nous former peut-il être un élément grossier et méprisable ? Ce serait méprisé la dignité de Celui qui nous a créés. Dans un commentaire du verset de la Genèse qui traite de la formation de l’homme par Dieu à partir du limon de la terre, Tertullien note que « la chair proprement dite est ce qui s’appelle l’homme. »[10] Et en recevant le souffle de vie, l’homme devient vivant. D’abord fait du limon, il est tout entier quand il est placé dans le paradis.

Un corps au service de l’âme

Georges Dorignac   
Etude d'une femme nue 
  

Or si nous croyons à la dignité de l’âme, nous ne pouvons qu’admirer celle du corps qui a été fait pour la recevoir. En effet, comme le note Tertullien, l’âme est venue dans la chair et non le contraire. Le corps est alors jugé digne de recevoir l’âme « qui est si rapprochée de Dieu »[11] et de la servir puisque c’est « par le ministère de la chair que l’âme jouit des dons de la nature, des richesses du monde et du charme des éléments. »[12] Tertullien s’exclame alors devant les services que le corps fournit à l’âme. « La chair ! Elle est le véhicule des arts ! La chair ! Elle soutient les sciences et le génie. La chair ! Elle conduit les actions, l’industrie, les fonctions. »[13] Finalement, « toute la vie de l’âme est si bien de la vie de la chair, que ne plus vivre n’est autre chose pour l’âme que sa séparation d’avec la chair. »[14] Tout en reconnaissant la dignité du corps, Tertullien n’oublie pas que l’âme est souveraine dans cette unité qu’est l’homme. « C’est l’âme qui agit et gouverne, et la chair qui obéit »[15]. Si l’âme soumet toute chose par le corps, celui-ci mérite d’être cohéritier des biens éternels et temporels.

Ainsi, la terre d’où vient le corps nous rappelle certes notre origine mais nous ne devons pas oublier que Dieu nous a « donné d’être quelque chose de plus noble que son origine. »[16] Pourquoi la parole divine nous enseigne cette vérité ? « Afin que tu saches que tous les biens destinés et promis à l’homme par Dieu, sont dus non seulement à l’âme, mais à la chair, sinon par la communauté d’origine, du moins par le privilège du nom. »[17]

Corps participant de l’œuvre du salut de l’homme

Tertullien décrit aussi tous les faits qui témoignent de la participation du corps au salut éternel. « Quand l’âme est enrôlée au service de Dieu, c’est la chair qui la met à même de recevoir cet honneur. »[18] L’âme reçoit la grâce divine au moyen des sacrements par l’entremise du corps. Comment peut-il donc être séparé de la récompense quand il œuvre à son salut ? N’est-il pas non plus associé au travail, c’est-à-dire au sacrifice agréable à Dieu, au laborieux exercice de l’âme, à la mortification des sens ? « C’est la chair qui l’exécute à son détriment »[19] Lorsque le martyr souffre en raison de sa foi, c’est encore le corps qui porte le poids de sa croix. « Ainsi donc, pour récapituler, cette chair que Dieu forma de ces mains à son image, qu’il anime d’un souffle de vie à la ressemblance de son être, qu’il établit dans cet univers pour l’habiter, en jouir et commander à toutes ses œuvres ; qu’il revêtit de ses sacrements et de sa discipline ; dont il aime la pureté, dont il approuve les mortifications, dont il récompense les souffrances : cette même chair ne ressusciterait pas, après avoir tant de fois appartenu à Dieu ! »[20]

Ainsi, Tertullien montre la dignité du corps ainsi que sa participation à l’œuvre du salut. « La vie est la cause du jugement. »[21] Puisque le corps est la compagne de l’âme, que les deux sont comme mêlés à la vie, il y a une communauté des actes. L’âme « ne sort pas plus seule de la vie qu’elle n’a courue seule dans la carrière qu’elle abandonne : je veux parler de la vie. »[22] Ses pensées, ses desseins s’exécutent par la chair. « L’âme s’exécute dans la chair et par la chair ce qui s’accomplit dans le cœur. »[23]

Une bonté défectueuse et impuissante de Dieu ?

Dans son livre I contre Marcion, Tertullien attaque l’hérétique sur un point particulier de sa doctrine. Selon sa doctrine gnostique, comme le corps est matière, puisque relevant du Créateur et donc mauvaise par nature, l’âme seule est l’objet du salut par le Dieu bon. Tertullien montre alors que ce point manifeste plutôt une bonté défectueuse de son Dieu. En effet, « l’insuffisance de sa bonté va ressortir de ses élus eux-mêmes, qu’elle ne sauve que dans leur âme, et qu’elle anéantit pour toujours dans une chair qui chez elle ne ressuscite pas. D’où vient cette moitié de salut, sinon d’impuissance et de défectuosité ? »[24]

   Georges Dorignac, Les Haleuses, 1912 
        

Tertullien considère l’homme dans son intégralité, corps et âme. Si la chair est vouée à disparaître sans participer à la gloire de l’élu, alors « l’homme tout entier est condamné ». Or, le corps participe aux sacrements, aux sacrifices, voire au martyre. Et « si on impute les prévarications à la chair, l’âme a succombé avant lui. » Et peut-il pêcher quand il n’est plus habité par l’âme ? Il y a donc injustice de vouloir condamner la chair et de la laisser seule sous l’empire de la mort alors que l’âme peut être sauvée. Finalement, par cette séparation de destin, l’homme est condamné. « Ressusciter en partie, qu’est-ce après tout ? Un châtiment plutôt qu’une délivrance. » N’est-ce pas l’homme entier qui s’est perdu, corps et âme ? Et « l’homme qui a péri tout entier par sa prévarication »[25] ne sera-t-il pas sauvé tout entier ? « Combien il serait indigne de la majesté divine de ne mettre en possession du salut que la moitié de l’homme […] ! »[26].

Retenons une dernière objection de Marcion. Si le corps n’est qu’un instrument pour l’âme, la justice ne porte que sur l’usage de cet outil. Le corps n’a donc rien à faire avec la sentence. « On ne condamne pas la coupe dans laquelle a été mêlé le poison. »[27] Par conséquent, renchérit-il, pourquoi faut-il que le corps, par conséquent innocent, soit l’objet d’une condamnation ? Cependant, il est difficile de comparer la chair à un instrument puisque « la chair, conçue, formée, engendrée avec l’âme dès le sein maternel, est aussi mêlée à l’âme dans chacune de ses opérations. »[28] C’est pourquoi le corps est appelé « homme extérieur » par Saint Paul. Cet Apôtre l’appelle aussi « vase » puisqu’il contient l’âme. « Par sa communauté de nature », le corps peut bien être appelé « ministre », qui répondra donc au jugement, même s’il est dépourvu de connaissance.

Le mépris du corps rend caduque la doctrine chrétienne

Si le corps est considéré comme mauvais, ce n’est pas seulement la bonté de Dieu qui est remise en cause mais toute la doctrine qu’enseigne l’Église. Mais si la chair est mauvaise par nature, comme le Verbe peut-il se faire chair ? Marcion est alors nécessairement obligé de nier la nature humaine de Notre Seigneur Jésus-Christ, rejetant ainsi le mystère de l’Incarnation et par conséquent l’œuvre de la Rédemption. Dans le livre III de Contre Marcion, Tertullien s’oppose à la doctrine docétiste de son adversaire selon laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ n’aurait eu qu’une apparence humaine. Tertullien souligne alors la réalité concrète de son humanité. Il écrit aussi tout un traité pour démontrer la nature humaine entière de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Conclusions

Tertullien n’est pas avare de titres pour désigner le corps. Il le reconnaît comme la « compagne » de l’âme, ou son « prochain », dont la faiblesse nécessite attention et soin, ou encore comme « ministre »de l’âme, « citadelle de l’âme », voire sa « sœur de lait ». Très réaliste et éloigné des spéculations hasardeuses des gnostiques, il est très conscient des relations qui existent entre l’âme et le corps. Dans l’homme, il ne les entend pas comme deux entités qui s’ignorent et vivent séparément comme si l’un était indifféremment à l’égard de l’autre. Puisque l’âme doit œuvrer pour son salut, pouvons-nous croire que le corps qu’elle anime ne participe pas à cet ouvrage ? Si le corps n’est qu’une prison dans lequel est maintenue l’âme, Notre Créateur ne pourrait être Dieu. Si le corps est un obstacle pour le salut de l’âme, comment pouvons-nous alors expliquer la nature humaine de Notre Seigneur Jésus-Christ ?

Avec sa vigueur légendaire et toute enflammée, Tertullien a combattu les erreurs des gnostiques sous toutes les formes dans de nombreux ouvrages. Très lucide, il a compris tout le danger qu’elles représentaient pour les chrétiens, non seulement pour leur foi mais aussi pour leur attitude morale. Car si le corps est méprisable, non seulement l’enseignement de l’Église n’a plus de sens mais la vie elle-même devient insensée. Les gnostiques sont assez cohérents dans leurs pensées. Leur doctrine les oblige à choisir entre deux attitudes radicales : soit renoncer à la vie par la continence absolue, par le refus de toute procréation et de tout mariage, soit par une existence entièrement tournée vers la chair, le plaisir.

Il est donc difficile de présenter le christianisme comme contempteur du corps et de croire qu’il porte en lui le mépris du corps. Une telle croyance montre avec évidence une profonde ignorance de la doctrine chrétienne. Comme le souligne Tertullien, elle ne dissocie pas le corps et l’âme et affirme leur union. L’un ne vit pas sans impliquer l’autre. Cependant, elle n’élève pas le corps au-dessus de l’âme mais le présente comme soumis à l’âme dont la dignité l’emporte sur celle du corps. C’est pourquoi l’homme ne peut gagner son salut sans le corps, sans un corps dont l’âme reste souveraine. Mais il peut le perdre aussi par son corps et devenir alors charnel. Les relations entre l’âme et le corps sont donc déterminantes pour la vie éternelle, d’où la nécessité à l’âme de pouvoir le maîtriser.

 


Notes et références

[1] Père jean-Dominique, O. P., La Sainte Église à travers son histoire, 2ème édition, éditions du Saint Nom, 2010

[2] Voir Émeraude, mai 2021, article « Saint Irénée de Lyon contre l'anthropologie gnostique ».

[3] Voir Émeraude, avril 2021, article « Saint Cyrille d'Alexandrie : le regard chrétien sur l'homme, un être complet (corps et âme) qui doit préserver en lui l'unité et l'ordre pour parvenir au bonheur véritable ».

[4] Nous avons déjà étudié le combat que Tertullien a mené contre un hérétique gnostique, Marcion. Voir Émeraude, juillet 2015, articles « Tertullien et le judaïsme (1/2) : Contre Marcion » et « Tertullien et le judaïsme (2/2) : Contre les Juifs ». Le sujet portait alors sur la Sainte Écriture.

[5] Hans von Campenhausen, Les Pères Latins, I. Tertullien, éditions de l’Orante, 1967.

[6] Tertullien, De la Résurrection de la chair, II, trad. de M ; de Genoude, dans Œuvres de Tertullien.

[7] Tertullien, De la Résurrection de la chair, X.

[8] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XIV.

[9] Tertullien, De la Résurrection de la chair, V.

[10] Tertullien, De la Résurrection de la chair, V.

[11] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VII.

[12] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VII.

[13] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VII.

[14] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VII.

[15] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XV.

[16] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VII.

[17] Tertullien, De la Résurrection de la chair, V.

[18] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VIII.

[19] Tertullien, De la Résurrection de la chair, VIII.

[20] Tertullien, De la Résurrection de la chair, IX.

[21] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XIV.

[22] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XIV.

[23] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XV.

[24] Tertullien, Chez Marcion, livre I, XXIV, trad. de M. de Genoude, dans Œuvres de Tertullien, seconde édition, Tome Ier, libraire-éditeur Chez Louis Vives, 1852.

[25] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XXXIV.

[26] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XXXIV.

[27] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XVI.

[28] Tertullien, De la Résurrection de la chair, XVI.


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