" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 5 septembre 2020

Le culte du bien-être : Tocqueville et la démocratie. De l'égalité à la tyrannie moderne.

Le culte du bien-être n’est pas porteur de progrès comme pourraient espérer nos contemporains. Depuis les années 80 et plus particulièrement ces dernières années, des études sociologiques, psychanalytiques et philosophiques [1] révèlent plutôt ses méfaits chez l’homme, notamment son repli sur soi et son appauvrissement intérieur. Égoïsme, solipsisme, narcissisme, voilà ce que dévoile cette recherche excessive du bien-être, devenu impératif absolu, remplaçant finalement le bonheur. Contrairement à ce que nous pourrions croire, elle apporte finalement un véritable mal-être.

Ces études ne font pas que décrire les conséquences du culte du bien-être et le mécanisme qui le génère et l’entretient. Elles désignent aussi des responsables et trouvent des causes, allant jusqu’au temps des Lumières. Le capitalisme, les libéralismes économique et sociale, le marketing sont souvent cités comme les grands coupables. Dans ces études, le phénomène est analysé selon une vision psychologique, psychanalytique ou encore marxiste. Pourtant, plus d’un siècle avant, quand Freud ou Marx n’existaient pas encore, un sociologue et historien perspicace dévoilait déjà ce que nous vivons aujourd’hui. Ce visionnaire, c’est Tocqueville (1805-1859). Au XIXe siècle, il nous avertissait déjà du danger que nous menaçait. La cause ? La démocratie moderne…

L’égalité des conditions, trait caractéristique de la démocratie, responsable de la passion du bien-être

Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, plus connu sous le nom d’Alexis de Tocqueville, part aux États-Unis en 1831 pour étudier le système pénitentiaire américain. Il profite aussi de son voyage pour découvrir les États-Unis et comprendre ce qui semble être l’exemple même de la démocratie moderne. Outre le rapport Du système pénitentiaire aux États-Unis et son application en France, qu’il rédige à son retour, il écrit un autre ouvrage qui obtient un énorme succès, De la Démocratie en Amérique. Publié en 1835, il entre à l’Académie des sciences morales et politiques trois ans plus tard puis à l’Académie française en 1842.

Dans son ouvrage De la Démocratie en Amérique, Tocqueville décrit avec soin la jeune démocratie américaine qu’il observe avec soin et en vient à définir les traits caractéristiques des États démocratiques, non en adversaire de la démocratie mais bien en ami. Il note déjà que ce n’est pas la liberté qui caractérise principalement la démocratie, mais l’égalité des conditions, c’est-à-dire l’effacement des différences, contrairement à ce que nous pensons généralement. Or, nous dit-il, « parmi toutes les passions que l'égalité fait naître ou favorise, il en est une qu'elle rend particulièrement vive et qu'elle dépose en même temps dans le cœur de tous les hommes : c'est l'amour du bien-être. Le goût du bien-être forme comme le trait saillant et indélébile des âges démocratiques. »[2] Cette passion est en effet si forte, continue-t-il, qu’« une religion qui entreprendrait de détruire cette passion-mère, serait à la fin détruite par elle ; si elle voulait arracher entièrement les hommes à la contemplation des biens de ce monde pour les livrer uniquement à la pensée de ceux de l'autre, on peut prévoir que les âmes s'échapperaient enfin d'entre ses mains, pour aller se plonger loin d'elle dans les seules jouissances matérielles et présentes. » Tocqueville est très affirmatif. En démocratie, aucune religion ne serait capable de détourner les hommes de la jouissance des richesses.

La doctrine de l’intérêt

Selon Tocqueville, les moralistes américains ont compris que les concitoyens étaient tournés entièrement vers eux-mêmes « par une force irrésistible »[3]. C’est pourquoi leurs discours traitent de l’utilité des vertus pour eux-mêmes et de leur beauté ou encore du bien qu’elles peuvent procurer aux hommes de manière générale afin de montrer aux Américains qu’il est de leur intérêt de les pratiquer. C’est ce qu’il appelle la « doctrine de l’intérêt ». Elle permet à l’ensemble de la population de s’élever moralement en dépit de ses imperfections. Qu’est-ce que cette doctrine qui lui paraît « claire et sûre » ?

L’intérêt explique tous les actes de leur vie, y compris dans les comportements collectifs et sociaux. « L’amour éclairé d’eux-mêmes les porte sans-cesse à s’aider entre eux, et les dispose volontiers à se sacrifier volontiers au bien de l’État une partie de leur temps et de leur richesse. »[4] Les Américains savent en effet sacrifier une partie de leurs intérêts pour sauver le reste, c’est-à-dire l’essentiel. Or, sans ordre social et politique, ils savent qu’ils peuvent tout perdre. C’est ainsi que cet ordre est assuré. La recherche de l’utile pour soi-même demeure, y compris dans ce cas, le principe de toute action. Tocqueville annonce alors que la recherche de l’intérêt individuel sera le principal, voire l’unique mobile des actions des hommes dans un régime démocratique.

Un nouvel ordre social propice au culte du bien-être

En observant la société américaine du XIXe siècle, Tocqueville fait le constat suivant : « le soin de satisfaire les moindres besoins du corps et de pourvoir aux petites commodités de la vie y préoccupe universellement les esprits »[5]. Il remarque aussi que cette attitude commence à s’étendre en Europe. Dans sa recherche des causes, il note que les Américains sont insatisfaits de leur fortune et redoutent surtout de la perdre puisqu’elle n’est pas héréditaire comme dans les régimes aristocratiques où la richesse est comme une manière de vivre et non un objectif.

Pour les aristocrates, le bien-être est en effet comme un milieu qu’ils héritent. « Le goût naturel et instinctif que tous les hommes ressentent pour le bien-être, étant ainsi satisfait sans peine et sans crainte, leur âme se porte ailleurs et s'attache à quelque entreprise plus difficile et plus grande, qui l'anime et l'entraîne. »[6] Ils peuvent même s’en défaire. Ce n’est pas le cas pour ceux qui, laborieusement, acquièrent de la fortune. Une fois celle-ci obtenues, ils éprouvent bien de difficultés pour accepter de la perdre. De même, les pauvres habitués à vivre de la misère ne cherche pas à acquérir de la richesse car ils ne peuvent la désirer. Selon toujours Tocqueville, les pauvres peuvent alors se projeter sur un autre monde. Quand un ordre social perdure, laissant chacun assuré dans son état, il n’y a pas d’envies ou de désirs de bien-être…

« Lorsque, au contraire, les rangs sont confondus et les privilèges détruits, quand les patrimoines se divisent et que la lumière et la liberté se répandent, l'envie d'acquérir le bien-être se présente à l'imagination du pauvre, et la crainte de le perdre à l'esprit du riche. Il s'établit une multitude de fortunes médiocres. Ceux qui les possèdent ont assez de jouissances matérielles pour concevoir le goût de ces jouissances, et pas assez pour s'en contenter. Ils ne se les procurent jamais, qu'avec effort et ne s'y livrent qu'en tremblant. Ils s'attachent donc sans cesse à poursuivre ou à retenir ces jouissances si précieuses, si incomplètes et si fugitives. »[7] L’instabilité de l’ordre et la fin des états garantis font alors naître les envies et les craintes. Tocqueville décrit finalement l’émergence et le développement de la classe moyenne, un des traits caractéristiques de nos sociétés modernes. C’est par elle que l’ensemble de la population est alors influencé par le goût du bien-être. « La passion du bien-être matériel est essentiellement une passion de classe moyenne ; elle grandit et s'étend avec cette classe ; elle devient prépondérante avec elle. C'est de là qu'elle gagne les rangs supérieurs de la société et descend jusqu'au sein du peuple. »[8] La société est alors organisée de manière à exalter chez les moins riches l’envie et l’espérance de jouir des biens matériels des plus riches et à enivrer les plus riches de la jouissance de leurs propres biens qu’ils ont acquis après d’âpres luttes.

Les méfaits de la passion du bien-être : la route vers la tyrannie



 

Tocqueville nous expose alors les conséquences de l’amour du bien-être, « une passion tenace, exclusive, universelle, mais contenu »[9]. Il n’y voit pas un motif de décadence morale puisque selon la doctrine de l’intérêt, l’homme respecte l’ordre social et politique sans lequel il ne peut satisfaire ses besoins. Il ne voit pas non une jouissance excessive dans le plaisir ou des plaisirs extraordinaires qui pourraient choquer la conscience. Cet amour du bien-être reste en effet modéré. Comme il le constate, l’homme s’attache à respecter « la règle commune », à rester dans une certaine conformité. Nous pouvons en effet comprendre, et c’est nous qui le pensons, que s’aimant eux-mêmes, ils veulent aussi être aimés de leur concitoyens, ou le croire. Ils sont donc respectueux de la conscience sociale, au moins en apparence…

Tocqueville dénonce surtout la mollesse qu’il génère dans l’âme. « Ce que je reproche à l'égalité, ce n'est pas d'entraîner les hommes à la poursuite des jouissances défendues ; c'est de les absorber entièrement dans la recherche des jouissances permises. Ainsi, il pourrait bien s'établir dans le monde une sorte de matérialisme honnête qui ne corromprait pas les âmes, mais qui les amollirait et finirait par détendre sans bruit tous leurs ressorts. »[10] La passion du bien-être, même respectable et modérée, conduit donc au matérialisme qui rabaisse l’âme, devenue incapable de s’élever et d’agir.

De manière inattendue, Tocqueville nous fait découvrir une autre conséquence du culte du bien-être : l’exaltation mystique ou spirituelle de tous ceux qui sortent du cadre dans lequel l’amour du bien-être les a gardés. Ils se jettent en effet d’une manière frénétique dans le monde des esprits de peur de rester emprisonnés dans les entraves trop étroites que veut leur imposer leur corps. « L'âme a des besoins qu'il faille satisfaire ; et, quelque soin que l'on prenne de la distraire d'elle-même, elle s'ennuie bientôt, s'inquiète et s'agite au milieu des jouissances des sens. »[11] L’âme ne peut supporter le cadre matérialiste dans lequel elle est emprisonnée. Elle s’évade dans des mouvements mystiques radicaux…

L’autre conséquence, plus attendue, est l’anxiété, l’inquiétude et l’inconstance que génère cet amour du bien-être. « L'habitant des États-Unis s'attache aux biens de ce monde, comme s'il était assuré de ne point mourir, et il met tant de précipitation à saisir ceux qui passent à sa portée, qu'on dirait qu'il craint à chaque instant de cesser de vivre avant d'en avoir joui. Il les saisit tous, mais sans les étreindre, et il les laisse bientôt échapper de ses mains pour courir après des jouissances nouvelles. »[12] L’homme sait en effet que sa vie connaît un terme et lui paraît bien courte pour jouir de tout ce qu’elle promet. Il est alors ardent dans la recherche de jouissance mais il se rebute facilement devant les efforts à fournir. Finalement, « la plupart des âmes y sont donc à la fois ardentes et molles, violentes et énervées. »[13].

La contradiction entre le désir et sa réalisation est inévitable. Dans un état démocratique, la « même égalité qui permet à chaque citoyen de concevoir de vastes espérances, rend tous les citoyens individuellement faibles. Elle limite de tous côtés leurs forces, en même temps qu'elle permet à leurs désirs de s'étendre. »[14] Lorsqu’une foule d’hommes presque semblables et uniformes doivent passer par la même route, il est bien difficile à l’un d’entre eux de percer cette foule tant il est pressé et concurrencé par les autres. « Cette opposition constante qui règne entre les instincts que fait naître l'égalité, et les moyens qu'elle fournit pour les satisfaire, tourmente et fatigue les âmes. »[15]

Enfin, si la passion des biens se développe dans un peuple démocratique plus rapidement que les lumières et que les habitudes de liberté, alors perdant conscience des liens qui unissent les fortunes particulières à la prospérité de tous, il risque d’abandonner leurs droits et finalement leur liberté. La tyrannie n’est alors pas très loin. Car n’oublions pas, « la liberté n’est pas l’objet principal et continu de leur désir ; ce qu’ils aiment d’un amour éternel, c’est l’égalité. […] Rien ne saurait les satisfaire sans l’égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu’à la perdre. »[16]

Le despotisme de la démocratie moderne

Laissons maintenant Tocqueville décrire ce qu’il pressent. « Je pense donc que l'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l'image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l'idée que je m'en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point : la chose est nouvelle. Il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se reproduire dans le monde. Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres ; ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine. Quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point. Il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul ; et s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.

Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leurs jouissances et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur, mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages. Que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

C'est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du libre arbitre, qu'il renferme l'action de la volonté dans un plus petit espace et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu'à l'usage de lui-même. L'égalité a préparé les hommes à toutes ces choses, elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.

Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit, enfin, chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »[17]

L’individu est ainsi décrit comme un être anxieux et totalement soumis à un pouvoir qui cherche à lui assurer son bonheur, ou du moins à lui donner cette impression. Docile et dépendant de l’État, il n’a ni personnalité ni caractère, totalement étranger aux autres, c’est-à-dire enfermé dans lui-même. La frustration qu’il éprouve ne peut alors conduire qu’à un repli sur soi. Tel est donc le mal inhérent à la démocratie moderne tel qu’elle se dévoile à Tocqueville.

Tocqueville n’est ni un psychanalyste ni un psychiatre. Il est un observateur et pressent déjà ce que peut donner la démocratie moderne en raison de sa passion pour l’égalité, un individualisme radical, source d’un nouvel esclavage.

La religion, un des remèdes

Pour éviter les dérives de la société démocratique, Tocqueville propose notamment la religion comme remède…

Comme l’a très bien compris Tocqueville, la démocratie favorise la passion du bien-être matériel et par conséquent, si cet amour devient excessif, les hommes finissent par croire que tout est matière. Or, le matérialisme à son tour exalte la jouissance de la matière. Le vice inhérent de la démocratie est ainsi perpétué. Ils finissent alors par perdre « le goût de l’infini, le sentiment du grand et l’amour des plaisirs immatériels »[18], c’est-à-dire leurs principales facultés et leurs forces. Les Américains l’ont ainsi bien compris. Ils « montrent, par leur pratique, qu'ils sentent toute la nécessité de moraliser la démocratie par la religion. »[19] Il contrebalance ainsi le poids du matérialisme dans la vie morale…

La religion, en plaçant « le but de la vie après la vie »[20] donne à l’homme le goût de l’avenir et des choses essentiels et durables. « Aussitôt qu'ils ont perdu l'usage de placer leurs principales espérances à long terme, ils sont naturellement portés à vouloir réaliser sans retard leurs moindres désirs, et il semble que du moment où ils désespèrent de vivre une éternité ils sont disposés à agir comme s'ils ne devaient exister qu'un seul jour. »[21] Soulignons que l’existence dans l’immédiateté est aussi soulignée dans l’étude la plus pertinente du culte du bien-être [22]. Il comprend aussi que rien d’essentiel et de durable n’arrive sans peine. Le plaisir temporaire laisse sa place à l’intérêt permanent de la vie. La religion met un terme aux chimères de l’immédiateté et à la dictature du présent, par conséquent modère le goût du bien-être…

Enfin, animé du « goût de l’infini » et conscient de l’essentiel, l’homme est capable de se maîtriser et d’accepter des sacrifices pour des biens qui en vaut la peine. La religion apporte donc à l’homme l’art de combattre, c’est-à-dire la force morale. Il saura faire face aux dangers et donc refuser le despotisme…

Cependant, à son tour, Tocqueville ne voit la religion que selon la doctrine de l’intérêt, la seule qui semble être entendue en Amérique. Nous apporterons dans notre prochain article une critique de sa conception de la religion…

Conclusion

Après avoir observé longuement les États-Unis, Tocqueville comprend que la passion de l’égalité, inhérente à la démocratie moderne, génère naturellement une véritable passion des biens matériels au point qu’elle devient le principe de tout acte. Il en devine les conséquences. Le culte du bien-être rend les individus effrénés et mous, et finalement plus soumis et dépendants de celui qui est la source de ce bien-être, c’est-à-dire l’État, auquel nous pourrons ajouter le monde économique. C’est ainsi que des lois perverses peuvent être votées sans qu’ils ne songent à se révolter tant qu’ils sont assurés de leur confort. C’est ainsi que des minorités imposent leur volonté à une immense majorité, plus soucieuse de satisfaire à leurs besoins qu’à se battre pour la liberté. L’homme finit en fait par ne plus voir au-delà de l’instant, oubliant la permanence du temps et de la vie. Son monde se raccourcisse dans le temps et l’espace. Il n’a plus goût à l’infini et à l’avenir…

Tocqueville craignait pour nous. Il voyait le drame avec frayeur. Il n’avait pas tort. La société actuelle est effrayante quand nous songeons à ce qu’ils passent. Les hommes ne sont que des individus inertes devant l’incohérence des choses qu’ils subissent tant que leur confort est assuré. Hors de ce bien-être, tout lui est indifférent. Des lois iniques peuvent alors tranquillement s’imposer et modifier sa société. Que devient alors sa liberté ? Un jour, il verra son enfant grandi devenir ce qui autrefois, il ne pouvait concevoir. Rien ne le perturbe si ce n’est encore une minorité. Mais ce n’est pas tout.

Quand il n’est plus guidé par une morale qui le dépasse, et qu’il n’est plus habité par une histoire qui le transcende, l’homme finit par s’enfermer en lui-même, dans l’instant, dans sa propre misère, se détestant, se haïssant peut-être, car dans ce face-à-face horrible, étouffant, il n’est qu’un être sans âme ni flamme. Il n’est qu’un esclave… 

 


Notes et références

[1] Voir Émeraude, août 2020, article « Le culte du bien-être : syndrome, obsession, solipsisme. Réalité de l'égoïsme et du solipsisme de l'homme moderne, ».

[2] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 1ère partie, V, 13ème édition, éditeur Pagnerre, 1850, gallica.bnf.fr.

[3] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, VI.

[4] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, VI.

[5] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, X.

[6] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie,  X.

[7] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, X.

[8] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, X.

[9] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XI.

[10] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XI.

[11] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XII.

[12] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XI.

[13] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XIV.

[14] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XIV.

[15] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie,  XIV.

[16] A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome I, Chap. III, Librairie de Charles Gosselin, 1835, gallica.bnf.

[17] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 4ème partie, VI.

[18] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XV.

[19] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XV.

[20] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XVII.

[21] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, XVII.

[22] Voir Émeraude, août 2020, article « Le culte du bien-être : syndrome, obsession, solipsisme. Réalité de l'égoïsme et du solipsisme de l'homme moderne, ».

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