" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 3 juin 2017

Luther vs l'Épître de Saint Jacques

« Épître de paille , qui n’avait rien d’évangélique, rien d’apostolique »[1], telle est l’expression qu’utilise Luther pour qualifier l’Épître de Saint Jacques. Il ne l’apprécie guère. Il remet même en question sa canonicité et son authenticité, voire son esprit chrétien. Il lui dénie tout intérêt. Pourtant, les autres prétendus réformateurs ne l’ont pas remise en cause. Il ne faudrait pas néanmoins nous tromper. Calvin minimise aussi son importance. Leurs critiques nous ont donc amené à l’étudier. Elle est en fait peu connue, voire peu utilisée, y compris par les catholiques. Cela est en bien regrettable. Elle condamne la doctrine de Luther à double titre tout en nous donnant une véritable leçon pour vivre selon les vertus chrétiennes. 

Une épître avant tout pratique

L’Épître de Saint Jacques est la première des épîtres catholiques. Elle est adressée aux judéo-chrétiens, c’est-à-dire aux Juifs convertis au christianisme, dispersés parmi les nations païennes. Elle est destinée à les encourager dans les persécutions, à les exhorter à la patience et à la docilité, et à les soutenir à conformer leur vie à la foi chrétienne. Elle veut surtout les mettre en garde contre des hommes qui disent que la foi suffit sans les œuvres. Elle insiste donc sur la justice et sur la pratique des vertus chrétiennes. Enfin, elle rappelle que ceux qui supportent avec patience les épreuves recevront la couronne de vie que Notre Seigneur Jésus-Christ a promise à ceux qui L’aime. 

Très pratique, l’Épître de Saint Jacques peut désorienter le lecteur car à première vue, elle se présente plutôt comme une suite de sentences qu’un discours logiquement enchaîné. Cependant, elle développe la même idée, corrigeant les défauts de ses lecteurs. Elle s’oppose à tout facteur de division, insistant sur l’intégrité individuelle.

Une exhortation à la patience

Une première partie exhorte « les Juifs aux douze tribus qui sont dans la dispersion » (I, 1) à la patience dans les épreuves. Les épreuves auxquelles ils sont exposés sont présentées comme un bon moyen pour éprouver leur foi. Elle produit la persévérance et les conduit à la perfection. Qu’ils demandent donc à Dieu la sagesse afin qu’ils puissent les supporter patiemment. De Dieu vient en effet toute grâce et tout don parfait.

L’auteur de la lettre disculpe Dieu de tout mal et décrit comment le mal atteint l’homme. « Chacun est tenté par sa concupiscence, qui l’entraîne et le séduit. Puis la concupiscence, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché, et le péché, quand il a été consommé, engendre la mort. » (I, 14-15) Le péché est engendré par la concupiscence lorsque la volonté s’y unit. Saint Jacques distingue bien la concupiscence du péché. Luther n’a guère goûté à la profondeur des paroles venant d’un Apôtre.

La nécessité des œuvres

Toute grâce ne provient que de Dieu. « C’est volontairement qu’Il nous a engendré par la parole de vérité » (I, 18). Il nous a fait passer de l’esclavage du péché à la liberté. Il faut recevoir sa parole qui peut sauver les âmes. Mais, et c’est le sujet central de son épître, « pratiquez cette parole, et ne l’écoutez pas seulement, vous trompant vous-même. » (I, 22) Le fidèle écoute « la loi de la liberté » et s’y attache pour agir.

Saint Jacques dénonce ceux qui se proclament fidèles de Dieu sans pratiquer les vertus chrétiennes. Leur religion est vaine s’ils ne mettent pas un frein à leur langue. Car la vraie religion consiste à « visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et se conserver sans être souillé par ce siècle » (I, 27), à éviter les souillures du monde, à ne pas mépriser les pauvres. Saint Jacques est très clair : «  si vous faites acception des personnes, vous commettez un péché » (II, 8). Ceux qui croient en Notre Seigneur Jésus-Christ doivent donc aimer tous leurs frères sans acception de personne.

Si un fidèle obéit à toute la loi en acceptant d’en violer un seul point, il est en effet condamnable. Il agit comme s’il l’a violée toute entière puisqu’elle vient d’un même législateur. Celui qui suit toute la loi tout en oubliant la pratique de la vertu chrétienne est un violateur de la loi. « Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde. » (II, 13) C’est pourquoi cela ne sert à rien d’avoir la loi si les œuvres manquent. « La foi, si elle n’a pas les œuvres, est morte en elle-même. »(II, 17)

La véritable sagesse

Saint Jacques demande ensuite aux judéo-chrétiens de ne pas s’ériger en maître. Or ils commettent de nombreuses fautes, notamment par la langue qui, non maîtrisée, est source de péchés. Elle « est un feu, un monde d’iniquité. » (III , 6) Elle est « pleine d’un venin mortel. »(III, 8) Pourtant, de la même bouche, nous pouvons louer et bénir Dieu mais aussi maudire et blasphémer. Or « une source salée ne peut donner de l’eau douce. »(III, 12) Il faut donc maîtriser sa langue. Pourtant « nul homme ne peut la dompter. »(III, 8)

La parole est vaine si elle ne se réduit qu’à de la parole. Le sage et l’instruit ne se manifestent pas par la parole mais par une bonne conduite, par une sagesse pleine de douceur. La sagesse n’est pas celle de l’homme mais la sagesse d’en-haut. Et cette dernière est « premièrement chaste, ensuite pacifique, modeste, facile à persuader, cédant au bien, pleine de miséricorde et de bons fruits, ne jugeant point, et n’étant pas dissimulée. » C’est par les œuvres que la sagesse d’en-haut se manifeste.

Après avoir présenté les caractères de la sagesse de Dieu, Saint Jacques parlent de la sagesse terrestre. Elle est surtout envie, jalousie et convoitise. Elle recherche l’amitié du monde qui est ennemi de Dieu. « Quiconque donc veut être ami du monde se fait ennemi de Dieu. » (IV, 4) Saint Jacques insiste sur le devoir de ne pas médire, ni juger. Enfin, il est vain de s’appuyer sur une vie bien incertaine et encore il est bien mauvais de se complaire dans de vaines présomptions. En conclusion sur la mauvaise sagesse, Saint Jacques est redoutablement clair : « Celui qui sait le bien à faire et qui ne le fait pas est coupable de péché. » (IV, 17)

Le sacrement de l’extrême onction

L’Épître de Saint Jacques décrit un rite que le concile de Trente présente comme le sacrement de l’extrême onction ainsi que la Tradition et des documents du Vème au VIIIème siècle l’attestent aussi. « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient pour lui, après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le relèvera, et s’il a commis des péchés, il sera pardonné. » (V, 14-15) Ce sacrement a été « recommandé et promulgué par jacques, apôtre et frère du Seigneur »[2].

L’efficacité de la prière

Dans le dernier chapitre, Saint Jacques exhorte de nouveau les fidèles à la patience. Face à l’injustice des riches qui amassent des trésors de colère, il leur demande d’être patients et d’affermir leurs cœurs car le temps de l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ est proche. Il leur demande d’imiter les prophètes, modèles de souffrances et de patience. Car Dieu est compatissant. Il leur demande de prier dans la souffrance et de chanter dans la joie. Qu’ils prient « les uns pour les autres afin que vous soyez sauvés car la prière assidue du juste peut beaucoup. »(V, 16) Saint Jacques rappelle avec insistance l’efficacité de la prière. 

Enfin, la dernière œuvre qu’il mentionne est le mérite que le fidèle acquiert pour son salut et pour couvrir une multitude de péchés en ramenant un des frères à la vérité, « un pécheur de l’égarement de sa voie »(V, 20).

La foi sans les œuvres est une foi morte

Ainsi sans oublier les instructions que Saint Jacques nous donne, nous comprenons sans aucune difficulté qu’il défend fermement l’idée selon laquelle la foi sans la pratique des vertus chrétiennes est vaine et que les œuvres sont méritoires pour le salut des âmes. L’épître s’oppose donc à la doctrine de la justification par la foi seule. Luther ne peut donc guère l’apprécier. Faut-il alors suivre ses pensées lorsqu’elles s’opposent à un texte sacré ? Pourtant, Luther ne cesse de demander de nous soumettre à la Sainte Écriture. Mais dans les textes sacrés, il choisit ce qu’il veut comme s’il pouvait choisir. Quelle audace !

Une épître imprégnée de l’Ancien Testament

Saint Jacques s’inspire souvent de l’Ancien Testament sans cependant le citer textuellement. Certaines images rappellent celles employées par les prophètes. Le soleil desséchant la fleur de l’herbe, la faisant tomber (I, 10, 11), ressemble à l’image employée par Isaïe (LX, 6-8). Ses pensées se retrouvent dans l’Ecclésiastique et dans le livre de la Sagesse. « C’est le passage d’une ombre que le temps » (Sagesse, II, 2). Nous retrouvons aussi dans l’Ecclésiastique l’efficacité de la prière, la compassion de Dieu, la patience dans les épreuves… « Tout ce qui t’arrivera de fâcheux, accepte-le,  et dans la douleur, supporte ; et dans ton humiliation, aie patience ; car par le feu s’éprouvent l’or et l’argent, mais les hommes doivent passer par le fourneau de l’humiliation. Crois en Dieu et il te recevra ; dirige bien ta voie, et espère en lui. » (Ecclésiastique, II, 4-6) L’épître présente donc une certaine continuité avec l’ancienne loi.

Et de l’Évangile

Les ressemblances entre l’épître et les autres textes du Nouveau Testament sont aussi frappantes. « Quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les accomplit point, sera semblable à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable », déclare Notre Seigneur Jésus-Christ dans le sermon sur la Montagne (Matthieu, VII, 26) Les critiques contre les riches, nous les retrouvons aussi dans les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. 

Saint Jacques reprend donc de nombreuses paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ dans une forme différente de celle des évangélistes. Les ressemblances littérales sont plutôt faibles. Cependant, l’enseignement de Saint Jacques et l’esprit qui l’anime sont les mêmes que ceux que nous rencontrons dans les Évangiles. « Riches, pleurez poussant des hurlements à cause des misères qui vous surviendront. » (V, 1) « Malheur à vous, riches, parce que vous avez votre consolation. […] Malheur à vous, qui riez maintenant, parce que vous gémirez et vous pleurerez. » (Luc, VI, 24-25) Des exemples montrent aussi une ressemblance entre Saint Jacques et Saint Jean l’évangéliste. « C’est volontairement qu’Il nous a engendrés par la parole de vérité, afin que nous fussions comme les prémices de ses créatures. »(I, 18) La « parole de vérité » nous rappelle de nombreux passage de l’Évangile selon Saint Jean.

Nous pourrions ainsi conclure que l’auteur de l’Épître reprend les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sans avoir connu probablement les Évangiles et qu’ils puisent à la même source, qu’ils ont reçu le même enseignement. L’esprit de la lettre est en fait très imprégné de l’Évangile.

Saint Jacques et Saint Paul, véritable complémentarité

Saint Jacques le Mineur prêchant.
Bible historiale. Guiard des Moulins. XIVe.
L’Épître de Saint Jacques s’oppose fortement à toute idée de justification par la foi seule. Elle la condamne avec vigueur et insistance. Nous pouvons donc comprendre que Luther et bien d’autres ne l’apprécient guère. Ils l’ont rejetée et méprisée. Pour se justifier, ils l’opposent aux épîtres de Saint Paul et soulignent des contradictions entre les deux Apôtres. Avant tout, précisons que les lettres de Saint Paul sont plutôt dogmatiques alors que celle de Saint Jacques est d’ordre pratique. Or il est bien difficile de comparer des textes de genre différent.

Luther voit d’abord dans l’épître une contradiction lorsque son auteur évoque Abraham. « Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres, lorsqu’il offrit son fils Isaac sur l’autel ? » (II, 21) Or s’appuyant sur le livre de la Genèse (XV, 6), Saint Paul nous dit que « si Abraham a été justifié par les œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu. En effet, que dit l’Écriture : Abraham crut à Dieu, et ce lui fut imputé à justice. » (Épître aux Romains, IV, 2-3)

Mais Luther oppose surtout l’Épître à Saint Jacques à la doctrine de Saint Paul selon laquelle « par la foi et pour la foi, ainsi qu’il est écrit : le Juste vit de la foi. » (Épître aux Romains, I, 17) ou encore « nulle chaire ne sera justifiée devant Dieu par les œuvres de la loi. » (Épître aux Romains, I, 20) Mais notons que Saint Paul et Saint Jacques ne parlent pas de la même chose en utilisant le terme « œuvres ». Saint Paul parle de la loi mosaïque grâce à laquelle « on n’a que la connaissance du péché. » (Épître aux Romains, I, 20), montrant qu’elle est inutile au salut alors que Saint Jacques traite des vertus chrétiennes. Ainsi dans sa première Épître aux Corinthiens, Saint Paul rajoute que sans la charité, tout est inutile pour le salut. « Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » (1ère Épître aux Corinthiens, XIII, 2) La justification vient de la foi mais la foi doit être vivifiée par la charité. « Ô homme vain, que la foi sans les œuvres est morte » (II, 19). Les démons croient aussi en Dieu comme tout fidèle ! Saint Paul cible donc les œuvres de la loi quand Saint Jacques parle des œuvres de la foi.

Remarquons aussi que la foi n’a pas la même signification dans leurs écrits. Saint Paul parle en théologien. La foi est celle où le cœur et l’esprit s’unissent. C’est la foi qui nous unit au Christ par la charité, que seul le Chrétien peut posséder. Il souligne la gratuité de la justification. Saint Jacques parle en docteur pratique. La foi est l’adhésion de l’intelligence à la vérité. Ce que croient les Chrétiens, les démons le croient aussi. En fait, les deux auteurs arrivent à la même conclusion : la foi engendre les œuvres et les œuvres témoignent de la foi. Pour Saint Jacques, la foi est la base de la vie chrétienne. Pour Saint Paul, la foi doit agir par les œuvres. Pour les deux, Dieu donnera la vie éternelle à ceux qui auront persévéré dans les bonnes œuvres. La foi sans la charité n’est rien. Leur enseignement ne se contredit pas. Saint Paul et Saint Jacques se complètent et se confirment. Dieu doit « rendre à chacun selon les œuvres, à ceux qui, par la persévérance dans les bonnes œuvres, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité, la vie éternelle » (Épître aux Romains, II, 6).

Abraham n’a-t-il pas été justifié par son obéissance ? Saint Paul loue la foi dans Abraham qui coopérait à ses œuvres. Saint Jacques loue les œuvres qui viennent de la foi.  « C’est par les œuvres que l’homme est justifié, et non par la foi seulement. »(II, 24) La foi ne suffit pas. Elle doit être accompagnée des œuvres. Elle doit se manifester dans les œuvres et pas uniquement par la parole. Rappelons les mots de Saint Jacques condamnant la vanité de ceux qui se disent fidèles à Dieu tout en ne faisant pas ce que Dieu demande. Ils se trompent eux-mêmes. Nous revenons à l’idée d’intégrité de l’homme. Il ne peut se diviser, croire et agir différemment. Plusieurs fois, Saint Jacques insiste : « la foi elle-même sans les œuvres est morte. » (II, 26) Il ne dit pas que nous devons mener des œuvres pour être justifiées. La cause de notre justification ne provient pas de nos œuvres. Tout don vient de Dieu, nous dit-il. Saint Paul ne dit pas autre chose. Après avoir affirmé que nous sommes justifiés par Dieu, il insiste auprès de Tite la nécessité des œuvres de la foi. « C’est une vérité certaine, et je veux que tu assures fortement ces choses, afin que ceux qui croient en Dieu aient soin de se mettre à la tête des bonnes œuvres. »(Tite, III, 8)

Saint Paul écrit surtout à des judéo-chrétiens qui prétendent que seuls ceux qui observent la loi mosaïque seront sauvés. Saint Jacques parle des vertus chrétiennes, de la charité. Ils ne répondent donc pas aux mêmes enjeux. En outre, Saint Paul ne peut se contredire puisqu’il nous affirme aussi que ce ne sont pas ceux qui écoutent la parole de vie qui sont justes devant Dieu mais ceux qui la pratique. « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ; mais ce sont les observateurs de la loi qui seront justifiés. » (Romains, II, 13) Il serait difficile de rejeter ce verset sous prétexte qu’il ne s’appuie pas implicitement sur l’Ancien Testament comme le font certains protestants pour justifier leur choix. Pourtant, ce verset rappelle bien l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ dans sa parabole de la semence jetée le long du chemin (cf Matthieu, XIII).

Certains commentateurs résolvent l’apparente contradiction en montrant les différents points de vue de Saint Paul et de Saint Jacques. Saint Paul traiterait de son sujet au regard de Dieu quand Saint Jacques parlerait au regard des hommes. Rappelons encore que l’Épître aux Romains est dogmatique quand l’Épître de Saint Jacques est pratique. Cela ne signifie pas qu’il faut dissocier le dogme de la pratique – ce serait même ne pas comprendre l’Épître de Saint Jacques.

D’après Saint Augustin et Saint Jean Chrysostome, Saint Jacques aurait écrit pour instruire ceux qui n’avaient pas compris la doctrine de Saint Paul sur la foi et en abusaient. Cependant, les protestants pensent que Saint Jacques a voulu combattre directement l’enseignement de Saint Paul. Certains commentateurs voient dans son épître le parti judéo-chrétien qui s’affirme devant l’Apôtre des Gentils.

Une épître instructive

Luther prétend aussi que l’Épître de Saint Jacques ne présente guère d’intérêt puisqu’elle est pauvre en christologie. À la fin XIXème siècle, on a prétendu qu’elle était d’origine juive avant d’être christianisé ultérieurement par l’adjonction de deux références relatives à Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette thèse ne semble plus être  aujourd’hui défendue.

Saint Jacques écrit en tant que « serviteur de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ » (I, 1) et s’adresse à des Juifs qui ont la foi en Lui (II, 1). Il évoque aussi « la fin du Seigneur » (V, 10) et son prochain avènement, qui lui semble proche (V, 7-8). Il parlerait aussi de la condamnation et de la mort du Juste, qui n’a pas résisté aux Juifs (V, 6). Cependant, certains commentateurs ne voient pas dans ce verset une évocation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous en sommes un peu surpris. Qui pourrait être le Juste docile face à la mort ? Un autre verset est aussi intéressant. Saint Jacques demande de « recevoir avec docilité la parole entée en vous, qui peut sauver les âmes. » (I, 21) Une autre traduction de l’épître est plus explicite. Elle parle de « parole greffée dans la nature humaine », ce qui pourrait faire référence au mystère de l’Incarnation. Elle parle aussi de « loi de liberté », terme qui évoque la Parole de Vérité qui rend libre. Enfin, comme nous l’avons noté, elle reprend de nombreuses paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Certes, Saint Jacques n’évoque pas explicitement des dogmes relatifs à la christologie mais Notre Seigneur Jésus-Christ y est bien présent. Sa lettre est très instructive par son aspect pratique. Mais Luther ne semble guère apprécier les devoirs que réclame la vie authentiquement chrétienne.

Authenticité souvent contestée

L’épître commence par ces mots :. « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ » (I, 1). Mais qui est ce « Jacques » ? De nombreux personnages chrétiens portent ce nom dans la primitive Église. La tradition en connaît au moins deux : Saint Jacques, fils de Zébédée et frère de Saint Jean, dit Jacques le Majeur, mort martyr en 44, et Saint Jacques, fils d’Alphée, « frère du Seigneur », dit aussi Jacques le Mineur, le second Apôtre. Notons que les textes évangéliques parlent de Jacques, fils d’Alphée et Jacques, frère du Seigneur. Les catholiques voient dans ces noms le même personnage au contraire des protestants qui les considèrent comme deux personnes différentes. Les Grecs semblent reconnaître deux personnes mais ils ne se sont guère préoccupés de savoir si ces dénominations portaient sur la même personne sauf Eusèbe. Ce dernier considère qu’elles désignent le même apôtre. Selon l'Eglise catholique, c'est bien Saint Jacques le Mineur, fils d'Alphère et « frère du Seigneur », l'auteur de l'épître.

Origène parle de l’Épître de Jacques en la citant sous le nom de Saint Jacques l’apôtre. Saint Jérôme affirme que Saint Jacques, le « frère du Seigneur » a écrit une des sept épîtres catholiques tout en reconnaissant, comme Hégésippe, que certains doutent de son authenticité. En dépit des doutes qu’il émet sur son authenticité, Eusèbe l’attribue toutefois à Saint Jacques l’Apôtre.

Martyre de saint Jacques le Mineur.

Speculum historiale. V. de Beauvais. XVe.
Saint Jacques, « frère du Seigneur », est, selon Saint Clément, évêque de Jérusalem. Il est en effet certain qu’il est à la tête de la communauté de Jérusalem. Saint Paul le visite lors de son voyage à Jérusalem. « Ayant connu la grâce qui m’a été donnée, Jacques, et Céphas, et Jean qui paraissaient être les colonnes, nous donnèrent la main, à moi et à Barnabé en signe de communion. »(Galates, II, 9) Saint Jacques tient en effet un rôle important dans les premières décisions de l’Église. Au concile de Jérusalem, il est le dernier à parler. Il résume et confirme les discours de Saint Pierre sur l’apostolat auprès des païens puis propose des règles pour leur admission dans l’Église chrétienne (cf. Act. Ap., XV). Il est le seul apôtre qu’il a vu, si ce n’est Saint Pierre. À son dernier voyage à Jérusalem, Saint Paul se rend de nouveau chez Saint Jacques, où les anciens se sont assemblés (cf. Act. Ap., XXI, 18). Notons que Saint Jacques est aussi très estimé des Juifs qui le surnomment Oblias, c’est-à-dire en grec, le rempart du peuple ou justice. Son martyr, confirmé par Joseph Flavien, est raconté par Hégésippe. Il serait mort en l’an 68.

Qui pourrait écrire une lettre à tous les Juifs des douze tribus dispersées si l’auteur ne dispose pas d’une autorité suffisante pour se faire entendre ? Qui pourrait vouloir corriger leur défaut ? Qui pourrait même les connaître avec une telle assurance ? « Aucun autre « Jacques » du christianisme primitif ne jouissait d’une autorité suffisante pour être en mesure de décliner son seul prénom pour toute identité. »[3] Comme nous l’avons noté, l’auteur connaît bien l’Ancien Testament et a été un auditeur de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le terme même de « serviteur » dans l’adresse évoque le titre d’évêque.

L’étude du style et du vocabulaire de l’épître confirme la tradition. Selon les caractères propres de l’épître, les commentateurs notent qu’elle a dû être écrite par un Juif de Galilée en contact fréquent avec les Juifs helléniques. Les souvenirs des écrits bibliques, les images pittoresques orientales, les figures rhétoriques propres au Grec marquent profondément l’épître. La lettre a du être écrite en grec pour être entendue par les Juifs de la diaspora, qui, tous, devaient connaître le grec.

Néanmoins, selon d’autres hypothèses, les mêmes arguments, c’est-à-dire le style hellénistique et la qualité de la langue, ne permettraient pas d’attribuer l’épître à un « frère du Seigneur ». Pourtant, Saint Jacques l’Apôtre, « frère du Seigneur », pourrait être né dans une des nombreuses villes à demi grecque de la Palestine. Selon la plupart des commentateurs récents, l’épître aurait été écrite par un secrétaire de Saint Jacques sous sa dictée, ce qui permet de lever l’objection. La lettre contient d’indéniable sémitisme pour l’attribuer à un Juif hellénique.

Une canonicité reconnue au moins au IVème siècle

Les premières citations de l’épître de Saint Jacques que nous connaissons se trouvent dans des écrits d’Origène[4]. Le texte est cité comme un livre sacré de la Sainte Écriture. L’Église d’Alexandrie l’a admis comme le montrent les écrits de Didyme l’Aveugle, de Saint Athanase et de Saint Cyrille d’Alexandrie. Il fait notamment partie de la liste canonique de Saint Athanase de 367[5]. Par Eusèbe, nous apprenons que l’épître était « publiquement lue dans les églises »[6] tout en reconnaissant que son authenticité n’était pas admise par tous mais elle est approuvée par un grand nombre[7]. Saint Jérôme est aussi convaincu de sa canonicité.

L’épître n’est pas citée dans le Canon de Muratori. Mais elle est reconnue comme étant un livre sacré de la Sainte Écriture au IVème siècle par Rufin, Saint Hilaire de Poitiers, ou encore par Saint Augustin. Elle est inscrite au canon aux conciles d’Hippone (393) et de Carthage (397). Il est étrange que Luther s’appuie sur la doctrine de Saint Augustin tout en refusant ce qu’il reconnaît comme étant une des sources de sa foi !

Concernant l’Église d’Antioche, l’épître fait partie de la version biblique dite de la Peshitta, datant du début du Vème siècle. Il existe peu de témoignage pour en savoir plus sur sa réception parmi les textes sacrés.

L’âge de l’épître ?

Fragment d'un manuscrit de l'épître de saint Jacques. 

Papyrus d'Oxyrhinque, Egypte, IIIe s.
(source : bibletranslation.ws).
Comme nous l’avons déjà noté, Saint Jacques reprend les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sous une forme différente de celle des Évangiles synoptiques. Nous pouvons en déduire qu’ils n’étaient pas encore connus par l’Église chrétienne lorsqu’elle a été écrite. En outre, Saint Jacques annonce que la venue du Christ est proche comme le croyaient les premiers chrétiens. Ces indications pourraient montrer qu’elle date avant le IIème siècle.

Selon une hypothèse[8], certaines absences dans la lettre seraient significatives. Saint Jacques ne parle pas de l’admission des Gentils convertis dans l’Église ou des relations entre les judéo-chrétiens et les Gentils. Rien n’indique une hiérarchie ni une structure ecclésiastique. Saint Jacques s’attaque aussi à l’idée que la connaissance de la loi suffit pour être justifié, idée que Notre Seigneur Jésus-Christ puis Saint Paul combattent. Puisque les œuvres de la loi judaïque sont inutiles pour le salut et que les œuvres morales sont intimement liées aux observances légales, certains Juifs convertis au christianisme en seraient venus peut-être à rejeter les œuvres morales. Ainsi la lettre aurait été écrite avant les écrits pauliniens et le concile de Jérusalem, pendant la période 40-50. Saint Paul aurait ainsi complété l’enseignement de Saint Jacques.

Selon une autre hypothèse[9], comme l’épître ne contient pas d’enseignement dogmatique, cela supposerait que les Chrétiens soient suffisamment instruits sur la foi et que le christianisme se soit déjà bien répandu. Elle supposerait aussi qu’ils aient déjà souffert la persécution et qu’il y ait de riches chrétiens insolents et orgueilleux. La foi aurait donc gagné la société aisée. Et si nous nous appuyons sur Saint Augustin, qui voit l’épître comme une réponse à de fausses interprétations des écrits pauliniennes, l’épître aurait alors été écrite après ses épîtres, notamment l’Épître des Romains soit quelques temps avant la fin de la vie de l’auteur. Elle aurait donc été écrite vers 60-61.

Conclusion

Discrète et peu connue, l’Épître de Saint Jacques est d’une grande richesse. Imprégnée des hautes vérités morales de l’Ancien Testament avec le souffle neuf de l’Évangile, elle est reconnue par l’Église comme étant inspirée de Dieu. Elle a été écrite avant la fin du premier siècle de l’ère chrétienne soit entre 40-50 ou vers 60-61. 

Fortement liée aux lettres de Saint Paul, elle les complète tout en confirmant certains points de la doctrine paulinienne. Elle s’oppose en fait à ceux qui croient que la foi seule suffit pour être sauvé. Elle proclame aussi que la source unique du salut est Dieu seul. Saint Jacques nous rappelle surtout que la foi ne peut être oisive et qu’elle nous appelle à une exigence morale élevéeUne foi sans œuvre chrétienne est une foi stérile et sans vie. Saint Jacques prêche donc les œuvres comme la seule preuve évidente de la foi. 

Luther a ainsi méprisé ce qu’il ne comprenait pas. Il a rejeté un texte sacré en raison d’une lecture erronée. S’il avait mieux connu la Tradition, il aurait peut-être mieux jugé cette épître et changé ses folles prétentions. Est-ce cela le libre examen qu’il a défendu ? L’Épître de Saint Jacques le condamne et condamne sa doctrine. Après une telle condamnation, nous ne pouvons que nous taire. Soyons soumis et docile à la Parole de Dieu à la lumière de la Sainte Tradition ?

Notes et références
[1] Luther, Préface au Nouveau Testament dans Luther, Œuvres I, traduction de P. Hickel, 1529-1532.
[2] Concile de Trente, 14ème session, 25 novembre 1551, Doctrine sur le sacrement de l’extrême-onction, chapitre 1, Denzinger 1695. 
[3] Épître de Saint Jacques, https://bibletraditions.org/vd/frr/10Jc.fr.pdf. 
[4]Voir Origène, In ep. Ad Rom., IV, IX.
[5]Voir Saint Athanase, Ep. Fest, 39.
[6] Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 25, 3. Voir aussi II, 23, 24.
[7] Voir Eusèbe, Histoire ecclésiastique, II, 23, 24.
[8] Hypothèse tenue par Zahn, Mayor, Bonnet, Huther, Beyschlag, etc.
[9] Hypothèse tenue par Bartmann, Cornely, Felten.

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