" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 22 août 2015

Saint Augustin, Contre Les Juifs

« Toutes ces choses ont été pour nous autant de figures » (I. Cor., X, 6-11), nous dit Saint Paul. Elles ont été écrites pour nous afin qu’elles nous servent d’enseignement. L’Ancien Testament contient des prophéties qui s’appliquent à Notre Seigneur Jésus-Christ et à l’Église. Les événements anciens, le culte et les prescriptions juives sont aussi des figures de ce qui devait arriver et ce qui s’est réalisé depuis l’arrivée du Messie. Nous trouvons ainsi dans l’Ancien Testament l’intelligence du Nouveau Testament. Il contient de manière voilée ce dont témoignent les Évangélistes et les Apôtres. 

Les événements annoncés bien avant leur réalisation devaient être accomplis pour que l’Ancien Testament soit en quelques sortes le garant de la vérité. « Il fallait que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes, s'accomplît » (Luc, XXIV, 14). Les prophéties et les figures sont des signes qui permettent à Notre Seigneur Jésus-Christ de légitimer ses actions et de confirmer ses paroles. L’objectif de l’Évangile selon Saint Matthieu est de le prouver. 

Saint Augustin en conclut que l’Ancien Testament établit notre foi au Nouveau Testament. Ainsi pour cette raison, faut-il admettre l’Ancien Testament sans suivre les prescriptions qu’il contient. Il est en effet inutile de se soumettre au rite ancien puisque les mystères qu’il contenait ont été dévoilés par le fait même qu’ils ont été réalisés. Nous ne sommes donc plus astreints aux observations juives. « Elles étaient l'ombre des choses à venir ». Les choses étant venues, elles cessent d’être ce qu’elles ont été.

Mais pour comprendre cet enseignement qui se cache dans les prophéties et les figures, faut-il avant tout croire. Sans la foi, il est en effet impossible de puiser efficacement dans un tel trésor la lumière qu’il contient. Sur le chemin d’Emmaüs, des disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ sont désappointés. Ils ont été témoins des événements qui se sont survenus à Jérusalem mais ils ne les comprennent pas. Ils sont plongés dans le doute et l’inquiétude. En discutant avec Notre Seigneur Jésus-Christ, ils découvrent toute la signification de ces choses. De même, avant la Pentecôte, les Apôtres sont bien ignorants. En dépit des efforts de leur Maître, ils sont incapables de saisir tout son enseignement. L’Ancien Testament et la réalité dont ils sont témoins sont donc incapables à eux seuls de les éclairer Tout cela demeure voilé et obscur, même lorsque les choses signifiées sont clairement là, devant eux. La grâce est nécessaire pour voir et entendre ...

En dépit de leur amour authentique de la Loi, les Juifs rejettent le Christ et son enseignement. Ils ne le reconnaissent pas comme le Messie. Ils ne reconnaissent ni les signes que contient l’Ancien Testament ni leur accomplissement. Ils usent même des textes sacrés pour justifier leur conception erronée de la religion. Ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent. Mais comment peuvent-ils comprendre quand ils refusent la lumière que Dieu leur a envoyée ? Ils ne voient pas. Ils n’entendent pas. L’Ancien Testament leur devient-il alors inutile ? Non puisqu’il jouit chez eux d’une grande autorité. Ce n’est en effet que par son autorité que nous pouvons les convaincre de l’évidence de la vérité. Ainsi faut-il l’utiliser pour témoigner.

Mais les Juifs rétorquent que les Chrétiens ne peuvent comprendre l’Ancien Testament puisqu’ils ne suivent pas ce qu’il demande de suivre. « A quoi vous sert la lecture de la Loi et des Prophètes, puisque vous ne voulez point en observer les préceptes ? »[1]


La manne dans le désert
A l’exemple des Apôtres et des apologistes, Saint Augustin nous rappelle le sens profond des prescriptions bibliques. Les anciens rites ne sont que les ombres des choses futures. Il faut donc se détacher de ses ombres pour en saisir la véritable lumière. Ainsi éclairés, nous pouvons alors véritablement suivre les commandements de Dieu. Par exemple, la véritable circoncision n’est pas celle de la chair mais celle du cœur. Nous accomplissons aussi le véritable sabbat en trouvant en Notre Seigneur Jésus-Christ notre véritable repos. Il faut donc se détacher de la lettre pour être fidèle à la Parole de Dieu. 

Il ne s’agit pas de condamner l’ancien rite ou de le mépriser. Il a été nécessaire au temps prescrit. Il demeure même encore utile au sens où il contient un enseignement profitable. Mais l'ancien rite a été accompli, transformé, dépassé par le nouveau rite. « Le peuple de Dieu, qui est maintenant le peuple chrétien, n'est point obligé d'observer les lois des temps prophétiques, non qu'elles aient été condamnées, mais parce qu'elles ont subi une transformation. »[2]  En les réalisant, Notre Seigneur Jésus-Christ les a changés. Le rite charnel est devenu spirituel. A l’origine adapté à un peuple et à une époque précise, il ne répond plus aux besoins et au temps inauguré par le Messie. Il s’est transformé en se réalisant, non pas dans leurs applications rigoureuses selon la conception erronée des Juifs mais en Celui qui devait les accomplir avec perfection. Les figures sont devenues réalités. Le voile s’est déchiré…

Ainsi, « nous n'observons pas ces rites, parce qu'ils ont été changés : ils ont été changés, parce que leur transformation a été prédite, et nous croyons en Celui qui les a transformés par sa venue en ce monde. Si donc nous n'observons pas les rites, prescrits par la Loi et les Prophètes, c'est que nous comprenons ce qu'ils ont prédit, c'est que nous possédons la réalité de ce qu'ils ont promis. » [3]

Il est donc inutile de suivre l’ancien rite puisqu’il est désormais caduc. Cela ne doit pas nous surprendre. Dieu a bien promis ce changement de rite. L’ancienne alliance devait faire place à une nouvelle alliance. Or ce jour promis a eu lieu. « Le jour commence à luire », « les ombres se dissipent » (Cant., II, 17). Notre Seigneur Jésus-Christ a inauguré la nouvelle alliance.

Mais enfermés dans leurs privilèges, les Juifs prétendent que cette alliance leur est uniquement destinée, qu’eux-seuls sont les destinataires de toutes les promesses divines. Cette prétention s’avère rapidement incompatible avec de nombreuses prophéties qui annoncent clairement la vocation des nations. Le salut n’est pas réservé au peuple juif. Le véritable peuple de Dieu auquel sont rapportées les prophéties est d’ordre spirituel et non charnel. Il faut en effet comprendre la Parole de Dieu selon son Esprit et non selon notre propre pensée. 

Le refus juif n’est pourtant pas vain. En proclamant la Loi de Dieu, Loi qu’ils ne comprennent pas, les Juifs témoignent de leur contradiction avec la vérité. Ils continuent à donner une réalité aux événements qui sont survenus à Jérusalem il y a plus de deux mille ans. Ils demeurent finalement un signe vivant comme le prédit l’Ancien Testament. « Dans la personne de vos ancêtres, vous avez mis le Christ à mort. Depuis lors, vous avez refusé de croire en lui ; vous êtes restés en opposition avec lui ».

Le rejet de Notre Seigneur Jésus-Christ par le peuple juif et la conversion des Gentils accomplissent de manière éclatante des prophéties bibliques. Les circoncis et incirconcis se rejoignent pour former le nouveau peuple de Dieu. L’universalité du culte de Dieu les réalise également. De même, la Sainte Écriture annonce que les Juifs n’accompliront plus de sacrifices comme nous pouvons le constater. Par la bouche des prophètes, Dieu a en effet annoncé qu’Il refuserait le culte d’un peuple orgueilleux tout en prédisant que son culte se répandra dans le monde entier. Ce sont des signes encore présents qui nous témoignent de la réalité de la nouvelle alliance. Ils appartiennent à la réalité et témoignent d’une réalité bien plus haute encore.

Mais cela ne signifie pas que les Juifs sont condamnés en soi. « […] Mais vous n'êtes point encore condamnés sans remède, parce que vous n'êtes pas encore sortis de ce monde : vous avez maintenant facilité de vous repentir; venez donc maintenant ; vous deviez le faire autrefois ; faites-le aujourd'hui. »[4] Le temps de la pénitence leur est aussi ouvert. Compte tenu de leurs privilèges passés, il leur est même facile de suivre la voie du salut. Il n’y a donc pas de malédictions au sens où ils sont condamnés à demeurer dans l’erreur.

Leur opiniâtreté dans l’erreur ne doit pas non plus donner lieu à des ressentiments à leur encontre. Saint Augustin est très clair. « Ne nous élevons point avec orgueil contre les branches séparées du tronc ; souvenons-nous plutôt de la racine sur laquelle nous avons été greffés ; rappelons-nous par la grâce de qui, et avec quelle miséricordieuse bonté, et sur quelle racine nous avons été entés. Ne nous élevons pas, mais tenons-nous dans l'humilité. Ne les insultons pas présomptueusement, mais tressaillons d'une joie mêlée de crainte »[5] Craignons en effet que nous soyons aussi aveuglés par notre orgueil. Craignons que nous ne puissions pas être éclairés par Notre Seigneur Jésus-Christ. Dieu dénonce non le peuple juif en lui-même mais leur orgueil et leurs prétentions qui sont sources d’aveuglement. C’est aussi en ce sens que l’attitude juive nous apparaît comme un enseignement à méditer.

Par amour pour eux, nous devons alors leur rappeler la vérité. « Que les Juifs écoutent volontiers ces divers témoignages, ou qu'ils en ressentent de l'indignation, nous devons, très-chers frères, quand nous le pouvons, les leur rappeler en leur montrant que nous les aimons. »[6] Nous devons en effet leur apporter la bonne nouvelle car « s'ils nous entendent et qu'ils nous écoutent, ils auront place parmi ceux à qui il a été dit : « Approchez-vous de lui, et il vous éclairera. Et vos visages ne rougiront point de honte (Rom., XI) Si, au contraire, ils nous entendent et ne nous écoutent pas, s'ils nous voient et nous portent envie, ils sont du nombre de ceux dont il a été dit : « Le pécheur verra et il en sera irrité ; il grincera des dents et séchera de dépit (Ps., CXI, 10) ». Il ne faut pas en effet hésiter à témoigner de notre foi pour vivre de la véritable charité. Notre silence serait une faute de notre part. Une telle faiblesse serait en effet condamnable. Car au lieu de nous laisser guider par l’amour de Dieu, nous suivrions des pensées bien humaines. Nous répéterions la faute qu'ont commise les Juifs…

Notes et références
[1] Saint Augustin, Contre les Juifs, 3, trad. de M. l'abbé AUBERT, http://www.abbaye-saint-benoit.ch.
[2] Saint Augustin, Contre les Juifs, 3.
[3] Saint Augustin, Contre les Juifs, 6.
[4] Saint Augustin, Contre les Juifs, 29.
[5] Saint Augustin, Contre les Juifs, 15.
[6] Saint Augustin, Contre les Juifs, 15.

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