" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 22 août 2013

Les martyrs en Al-Andalousie, le prix de la tolérance...

Était-il possible de confesser librement sa foi en Espagne au temps de l’Islam ? Les chrétiens pouvaient-ils librement vivre de leur foi sans en être inquiétés ? Pouvons-nous encore croire à une cohabitation pacifique et tolérante entre les musulmans et les chrétiens ? L’exemple des martyrs nous montre toutes les limites d’une politique de tolérance tant vantée.

Des voix subtiles pourraient nous répondre que ces martyres ne montrent que l’exacerbation d’une société face à des individus extrémistes. Lasses de certaines provocations, les autorités musulmanes n'auraient pas d'autres choix que de punir les fauteurs de troubles. Des bourreaux malgré eux ? Que pouvait advenir de Saint Parfait, prêtre de Cordoue, critiquant Mahomet en le traitant de faux prophètes ? Saint Roger et Saint Serdieu, venus d’Orient, prêchant le Christ devant la foule musulmane [1] ? Saint Georges, diacre, qui injure Mahomet devant un cadi [7]? Leur mort est en effet prévisible. Est-elle désirée ? Ce ne serait point la liberté religieuse qui serait remise en cause dans ces morts tragiques mais l’inutile provocation, légitimement condamnable. Les victimes seraient-elles les martyrs et non leurs bourreaux ? Telles sont les accusations classiques qu'on adresse aux chrétiens lorsqu'ils cherchent à montrer la haine et la violence des persécuteurs par la passion des martyrs. Elles ne sont pas nouvelles. Les païens eux-mêmes dénonçaient leur folie, cause de leurs propres malheurs. 

Revenons aux faits. Citons par exemple [2] Saints Aurèle et Félix avec leurs femmes, Sainte Natalie et Sainte Liliose, morts martyrs en 852. Nés de parents musulmans, Sainte Nathalie est instruite secrètement du catéchisme. Dans la rue, Saint Aurèle voit un chrétien nu et tourné en ridicule qui se laisse fouetter pour sa foi. Devant une telle humiliation, il décide de confesser ouvertement sa foi. En effet, Sainte Nathalie et lui-même font semblant d’être des musulmans, refusant de professer extérieurement leur foi. Saint Félix et Sainte Liliose suivent aussi leurs exemples. Ils refusent désormais de se dissimuler. Tous les quatre sont alors arrêtés au motif que Sainte Nathalie et Sainte Liliose sortent sans voile, le visage découvert. Est aussi emprisonné le diacre Saint Georges, qu’abrite Saint Félix. Craignant d’avoir la vie sauve, en qualité d’étranger, Saint Georges injure Mahomet au cours de son entretien. Il est condamné à partager le sort des autres [3].

Probablement sous la pression de la société, du conformisme ou de la crainte, des chrétiens refusent de professer ouvertement leur foi. Ils préfèrent la vivre dans la clandestinité et fait croire à leur adhésion à l’Islam. Il est donc difficile de connaître la sincérité des conversions à l’Islam. Il est ainsi plus facile de tolérer le christianisme quand il se terre. Comment vivre sa foi quand la confession publique vaut condamnation à mort ? En outre, comme le suggère d'autres exemples, contrairement à ce que nous pouvons encore croire, il est possible pour un musulman de se convertir au christianisme, mais l'apostasie est un crime capital...
Nous constatons aussi que déjà emprisonné, Saint Georges injure Mahomet pour partager le sort de ses amis


Saint Rodrigue
Revenons aussi à l’exemple de Saint Parfait, prêtre de Cordoue. En 860, deux musulmans l’abordent dans la rue, désirant, semble-t-il, s’instruire de la foi. Il se met alors à leur prouver que Mahomet est le faux prophète et que seul Jésus est le Sauveur. Quelques jours après, ils le dénoncent. Traduit devant un tribunal, il est condamné à mort avant d’être décapité. Il n'y a donc pas provocation de la part de Saint Parfait. Disons plutôt de l'imprudence peut-être. Il est certainement  tombé dans un piège...  Les dénonciations ne semblent pas être rarissimes. Saint Rodrigue [4] est dénoncé par son frère, qui cherche à le convertir à l’Islam. De même, Sainte Flora... Ils seront considérés comme des apostats. Des martyrs n’ont aucunement cherché la mort. Elle est venue à eux… Il est en effet intolérable de critiquer l’Islam ou pire de le quitter … La mort pour les blasphémateurs et les apostats  !...




En 856, à Cordoue, Saintes Flora et Marie décident de se rendre spontanément auprès du cadi [7] pour confesser leur foi en Jésus-Christ. Sainte Flora a déjà été martyrisé pour avoir embrassé la foi chrétienne. En effet, elle est de père musulman. Par conséquent, selon la loi, elle doit embrasser l’Islam. S’apercevant qu’elle est chrétienne, son frère la dénonce auprès du cadi. Une fois battue de verges, elle est libérée dans l'espoir que son frère la convertisse à l'Islam. De nouveau emprisonnée, Sainte Flora [5] n'échappe pas à la mort comme apostats. Sainte Marie est aussi condamné pour blasphème.


Autre exemple d’apostasie. Sainte Lucrèce, née de parents musulmans, se convertit au christianisme dans sa jeunesse. Elle est par conséquent chassée de sa maison puis persécutée. Elle est flagellée et décapitée. Son corps est jeté dans le fleuve Guadalquivir avant d’être retiré par les chrétiens pour être enterrée avec honneur. Abandonner l’Islam et se convertir au christianisme n’est pas tolérable…

Martyrs de Cordoue


Si un chrétien ose professer la foi chrétienne, la sentence est immédiate : la décapitation et le refus de toute sépulture. La mort est suivie de l’humiliation au-delà de la mort. En 850 ou 854, un groupe de prêtres, de diacres et de moines originaires de Cordoue ont la tête tranchée après avoir confessé Jésus-Christ devant le cadi [7] de la ville. Afin qu’ils n’aient pas de sépulture, les musulmans brûlent les cadavres et jettent leurs cendres dans le fleuve. Parmi ces martyrs : le prêtre Pierre, le diacre Wallabonse, les moines Sabinien, Wistremund et Habence ainsi qu’un vieillard nommé Jérémie. 




La sentence est identique pour ceux qui veulent convertir des musulmans. En 1220, les moines Bérard, Pierre, Accurse, Ajut et Othon, envoyés par Saint François d'Assise pour évangéliser les musulmans d’Espagne, sont torturés et massacrés au Maroc. Ils sont fouettés à différentes reprises et si cruellement que leurs côtes furent à découvert ; après quoi, les musulmans versent sur leurs plaies de l’huile bouillante et du vinaigre et les traînent sur des morceaux de pots cassés. C’est le souverain musulman en personne qui leur fend le crâne d’un coup de sabre. En 1230, Jean de Pérouse et Pierre de Sasso-Ferrato, envoyés eux aussi par Saint François d’Assise en Espagne pour convertir les musulmans, se rendent à Valence, ville sous domination musulmane : ils sont arrêtés et jetés en prison puis, comme ils refusent de se convertir à l’Islam, ils sont décapités. Sous la dernière dynastie musulmane d’Espagne, Pierre Paschase, de l’ordre de la Merci, évêque de Jaén, est décapité pour son zèle le 6 décembre 1300 à l’âge de 72 ans. Fondateurs de plusieurs maisons de son Ordre, il allait souvent à Grenade, ville alors musulmane, pour y racheter les chrétiens captifs, prêcher l’Évangile et gagner ceux qui avaient renié la foi chrétienne. En 1397, les Saints franciscains, Jean de Cétina et Pierre de Duenos se rendent aussi à Grenade pour y prêcher le christianisme. Sommés par le cadi de quitter la ville, ils refusent. Capturés et jetés en prison, les deux franciscains sont torturés. Les musulmans frappent Saint Jean de coups de bâton, lui arrachent un œil, le dépouillent de ses vêtements et lui tranchent la tête avec un glaive. Quant à Pierre de Duenos qui a assisté au martyre de son ami, il subit le même sort quelques jours plus tard.

Le zèle pour la foi est-il aussi une provocation insupportable ? Saint Euloge est condamné à mort pour avoir soutenu les chrétiens dans leurs grandes souffrances, notamment Sainte Lucrèce. Pendant qu’il se rend au lieu de son supplice, un musulman le gifle. Saint Euloge, fidèle au précepte de l’Évangile, tendit l’autre joue et reçut un nouveau soufflet sans rien dire. Il meurt martyr.

L’existence même de communautés chrétiennes est-elle insupportable au point qu’elle donne lieu à des persécutions ? Les communautés chrétiennes sont victimes de grandes persécutions dès 822 sous le règne de l’émir Abd al-Rahman II (822-852). Il ordonne notamment en 851 la conversion forcée à l’Islam de tous les enfants issus d’un mariage mixte. La loi les oblige à suivre la foi de leur père. Ceux qui refusent de renier leur foi, comme Sainte Elodie et Saint Nunilon, sont décapités. Ont-ils tort de ne pas reculer devant la mort ? Le successeur d’Abd al-Rahman poursuit sa politique de persécution en exécutant de nombreux chrétiens et en détruisant les églises construites depuis l’arrivée des Musulmans. En 872, l’abbé bénédictin Saint Étienne de Cardena est massacré avec toute sa communauté monastique par les musulmans à Burgos, en Castille. À la fin du Xe siècle, l’Espagne chrétienne subit les terribles persécutions du général musulman al-Mansur (939-1002). Il mène la guerre sainte ...

Enfin, préserver son âme de toute souillure, est-ce une faute ? Abd al-Rahman III fait torturer jusqu’à la mort, le 26 juin 925, le jeune chrétien Saint Pélage, qui s’était refusé à lui et qui refuse à adhérer à l’Islam [6]? L’adolescent de 13 ans est mis en prison durant 3 ans puis est égorgé, déchiqueté et coupé en morceaux avec des pinces de fer. 

Les quelques exemples que nous avons cités ne masquent pas les nombreux chrétiens anonymes, connus de Dieu seul, qui, pour avoir voulu demeurer fidèles à la foi, ont connu les humiliations, la mort et le déshonneur. Que de souffrances aussi dans ces âmes réfugiées dans le secret pour vivre leur foi et éviter la mort ! Les Chrétiens d’Orient témoignent encore de ce lent et profond martyr, silence jusqu'à l'oubli.


Nous pouvons certes voir dans quelques cas des provocations inutiles mais ces marches inéluctables vers la souffrance et la mort peuvent aussi manifester légitimement l’exacerbation d’hommes et de femmes qui, touchées profondément dans leur âme, ne peuvent que courir vers leur destin pour refuser un état insupportable, une humiliante domination, une persécution silencieuse et sournoise. Nous savons aujourd'hui combien la violence peut être non physique tout en étant efficace et implacable. Imprudence certes mais cri de l’âme assurément. Signe de désespoir, aucunement. Force d’âmes plutôt. Admirables témoignages de résistance ! Devons-nous aujourd’hui condamner des résistants qui face à l’occupation allemande ont osé chanter la Marseillaise sans craindre l’inéluctable sentence qui les attendait ? Il est plus facile de tolérer ceux qui se taisent et s’enterrent dans le silence et la crainte. Il est plus facile d’accepter ceux qui se plient. Il est plus difficile d’accepter ceux qui refusent les chaînes et se redressent … Rappelons enfin l’esprit du Coran : le chrétien peut survivre dans une société musulmane s’il accepte son statut d’infériorité dans lequel il est placé. L’humiliation ou la mort …




Références
[1] www.nominis.cef.fr, fête le 16 septembre. 
[2] www.historia-ecclesiia.overblog.com, fête du 27 juillet. 
[3] www.stmaterne.blogspot.fr.
[4] www.nominis.cef.fr, fête le 13 mars. 
[5] http://christroi.over-blog.com, fête le 24 novembre. 
[6] www.nominis.cef.fr, fête le 26 juin.
[7] Le cadi désigne "le juge musulman remplissant des fonctions civiles, judiciaires et religieuses. Le cadi est un juge de paix et un notaire, réglant les problèmes de vie quotidienne" (Wikipédia).

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