" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 10 août 2013

Bergson : Intuition, autre mode de connaissance

Intelligence et intuition, deux formes de connaissance issues de l’évolution

Selon Bergson, il existe deux modes de connaissance différentes et divergentes : l’intelligence et l’intuition. « La première atteint immédiatement, dans leur matérialité même, des objets déterminés. Elle dit : « voici ce qui est ». La seconde n'atteint aucun objet en particulier; elle n'est qu'une puissance naturelle de rapporter un objet à un objet, ou une partie à une partie, ou un aspect à un aspect, enfin de tirer des conclusions quand on possède des prémisses et d'aller de ce qu'on a appris à ce qu'on ignore. Elle ne dit plus « ceci est »; elle dit seulement que si les conditions sont telles, tel sera le conditionné ». Cette distinction « implique deux espèces de connaissance radicalement différentes ».

L’intelligence et l’instinct ne sont pas de même ordre. « Ce sont des tendances et non pas des choses faites ». « On trouve entre eux une différence essentielle : l'instinct achevé est une faculté d'utiliser et même de construire des instruments organisés ; l'intelligence achevée est la faculté de fabriquer et d'employer des instruments inorganisés ». L’intelligence a l’avantage d’ouvrir la voie à des champs d’action infini contrairement à l’instinct. « Un être intelligent porte en lui de quoi se dépasser lui-même ». 

Chacune de ces formes est limitée : « l'une portant sur l'extension de la connaissance, l'autre sur sa compréhension. Dans le premier cas, la connaissance pourra être étoffée et pleine, mais elle se restreindra alors à un objet déterminé ; dans le second, elle ne limite plus son objet, mais c'est parce qu'elle ne contient plus rien, n'étant qu'une forme sans matière. Les deux tendances, d'abord impliquées l'une dans l'autre, ont dû se séparer pour grandir. Elles sont allées, chacune de son côté, chercher fortune dans le monde. Elle sont abouti à l'instinct et à l'intelligence ». Elles sont chacune le résultat de l’Evolution…

L’intuition, seule forme de connaissance susceptible de saisir la Vie

Comme nous l'avons vu dans les deux précédents articles, selon Bergson, l'intelligence ne peut pas expliquer la Vie. L'homme ne peut pénétrer dans l’instinct puisqu'il  ne peut que le traduire en termes d’intelligence. Il ne peut que s’en approcher. « Ce qu'il y a d'essentiel dans l'instinct ne saurait s'exprimer en termes intellectuels, ni par conséquent s'analyser ». L’instinct n’est pas intelligible. « Mais, pour n'être pas du domaine de l'intelligence, l'instinct n'est pas situé hors des limites de l'esprit ». Il est du domaine de la philosophie, et plus proprement de la métaphysique.

L’intuition,  forme de connaissance de la Vie, complémentaire de l’intelligence

« […] Nous ne saurions trop le répéter, l'intelligence et l'instinct sont tournés dans deux sens opposés, celle-là vers la matière inerte, celui-ci vers la vie. L'intelligence, par l'intermédiaire de la science qui est son œuvre, nous livrera de plus en plus complètement le secret des opérations physiques ; de la vie elle ne nous apporte, et ne prétend d'ailleurs nous apporter, qu'une traduction en termes d'inertie. Elle tourne tout autour, prenant, du dehors, le plus grand nombre possible de vues sur cet objet qu'elle attire chez elle, au lieu d'entrer chez lui. Mais c'est à l'intérieur même de la vie que nous conduirait l'intuition, je veux dire l'instinct devenu désintéressé, conscient de lui-même, capable de réfléchir sur son objet et de l'élargir indéfiniment ».

Néanmoins, « l'intelligence reste le noyau lumineux autour duquel l'instinct, même élargi et épuré en intuition, ne forme qu'une nébulosité vague. Mais, à défaut de la connaissance proprement dite, réservée à la pure intelligence, l'intuition pourra nous faire saisir ce que les données de l'intelligence ont ici d'insuffisant et nous laisser entrevoir le moyen de les compléter ». 

L’intuition nous montre l’insuffisance du cadre intellectuel pour comprendre la Vie et le remplace par un cadre plus adapté. « Elle nous introduira dans le domaine propre de la vie, qui est compénétration réciproque, création indéfiniment continuée ». L’intelligence élève l’instinct à la connaissance. « Intuition et intelligence représentent deux directions opposées au travail conscient : l’intuition marche dans le sens même de la vie, l’intelligence va en sens inverse, et se trouve ainsi tout naturellement réglée sur le mouvement de la matière ». Or nous ne reconnaissons la vie qu’« en se plaçant dans l’intuition pour aller de là à l’intelligence, car de l’intelligence, on ne passera jamais à l’intuition ». 

L’intuition se concentre sur la Vie. L’intelligence se porte sur l’extérieur de la conscience et se concentre sur la matière.

La philosophie doit se placer au niveau de l’intuition. Elle entre ainsi dans la vie spirituelle. Mais si elle est livrée à elle-même, fermée à l’intelligence, « une philosophie de l’intuition serait la négation de la science, tôt ou tard, elle sera balayée par la science, si elle ne se décide pas à voir la vie du corps là où elle est réellement, sur le chemin qui mène à la vie de l’esprit ».




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