" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 21 janvier 2023

Sainte Marie, la nouvelle Ève, "cause de notre salut", selon les Pères de l'Église

« Tu es belle, ô Marie, Ève nouvelle »[1]. Tel est le début d’un hymne que chantent aujourd’hui les cisterciennes. Sainte Marie, une nouvelle Ève… Nombreux sont les chants liturgiques modernes qui reprennent cette expression depuis qu’elle ait été utilisée par le concile de Vatican II[2], expression qu’emploie aussi Pie XII dans la constitution[3] qui proclame le dogme de l’Assomption en 1950. Lorsque nous contemplons la vie de Sainte Marie et méditons sur son rôle dans l’œuvre de la Rédemption, il est en effet bien difficile de ne pas songer à Ève, notre première parente. Comme la beauté d’une pierre précieuse est mise davantage en valeur lorsqu’elle est placée à côté d’une pierre quelconque, le rapprochement entre ces deux femmes produit une plus grande lumière sur les vertus de la Sainte Vierge. Ce parallèle éclaire aussi leurs rôles dans le plan de Dieu et sur l’œuvre de la Rédemption. Il fait briller un mystère qui nous dépasse. Il donne sens à notre histoire

La mise en parallèle d’Ève et de Marie n’est pas une nouveauté. Elle ne date pas de notre temps moderne. Dès les premiers siècles du christianisme, ces deux femmes ont été rapprochées, donnant alors lieu à de belles pages de vérité qui ont enrichi l’enseignement de l’Eglise. Par ce rapprochement, Saint Justin, Saint Irène et bien d’autres Pères de l’Eglise nous aident à mieux percevoir l’œuvre de la Rédemption. Ainsi, invitons ceux qui doutent encore du rôle de Sainte Marie dans notre salut et de ses privilèges à les rejoindre et à les écouter librement …

Saint Justin (v.100-v.165) : Ève, la mort, Sainte Marie, la vie

Dans son dialogue avec le philosophe juif Tryphon, destiné à répondre aux critiques à l’égard des chrétiens et à faire connaître leur croyance, Saint Justin évoque la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ : « nous comprenons encore que si, d’un côté, il est fils de Dieu, de l’autre, il est homme, fils d’une vierge, afin que le péché, introduit par le serpent, fût détruit par les moyens qui l’avaient fait naître. Ève, encore vierge et sans tache, écoute le démon : elle enfante le péché et la mort ; Marie, également vierge, écoute l’ange qui lui parle ; elle croit à sa parole, elle en ressent de la joie lorsqu’il lui annonce l’heureuse nouvelle […] ; elle lui répond : Qu’il soit fait selon votre parole ! C’est alors que naquit d’elle le salut du monde »[4] Ève, la mort, Sainte Marie, la vie…

Dans ce court passage, Saint Justin met en opposition les dispositions d’Ève et de Sainte Marie, toutes deux vierges, Ève se soumettant au démon et désobéissant à Dieu, Sainte Marie acquiesçant à l’ange et faisant la volonté divine, dispositions aux conséquences contraires, Ève conduisant Adam au péché et donc tout le genre humain à la mort, Sainte Marie ouvrant la porte au Sauveur et donc à la vie. Saint Justin met ainsi en parallèle leur responsabilité, négative d’Ève et positive de Sainte Marie.

Sainte Irénée (v.140-v.202) : Sainte Marie, « cause de salut » et Mère des vivants

Avant de mettre en parallèle Ève et Marie, Saint Irène commence toujours par rapprocher Adam et Notre Seigneur Jésus-Christ. Par son obéissance jusqu’à la Croix, Notre Sauveur a libéré les hommes qui avaient été enfermés dans la mort par la désobéissance d’Adam. Il est ainsi le Nouvel Adam, celui qui « a récapitulé, par son obéissance sur le bois, la désobéissance qui avait été perpétré par le bois. »[5]

Saint Iréné rapproche ensuite Ève et Marie, toutes deux vierges, toutes deux sujettes à un discours qui les posent devant un choix à l’égard de Dieu. Sont alors mises en parallèle deux scènes, celle de la tentation du serpent qui séduit Ève et celle de l’Annonciation où l’ange annonce la bonne nouvelle à la Sainte Vierge. « De même donc qu’Ève, en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour tout leur genre humain, de même, […], devint en obéissant, cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain. »[6] Ainsi, « de même que celle-là avait été séduite de manière à désobéir à Dieu, de même, celle-ci se laissa persuader d’obéir à Dieu, […] de même que le genre humain avait été assujetti à la mort par une vierge, il en fut libéré par une vierge »[7].

Comme Adam est récapitulé en Notre Seigneur Jésus-Christ, Ève l’est aussi en Sainte Marie. Comme le Christ et Adam sont liés, la Sainte Vierge et la première femme doit l’être aussi. Puisque le péché est entré dans le monde par une femme vierge, le Sauveur naît d’une vierge également afin d’obéir au commandement de Dieu, « en naissant d’une femme, en réduisant à néant notre adversaire et en parfaisant l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu. »[8] Il en conclut alors deux conséquences : Sainte Marie peut porter Dieu et devenir l’avocate de la première femme

En raison de son incrédulité en la parole divine, Ève transgresse le commandement de Dieu et à son tour, elle pousse Adam à la faute. Parce qu’elle a cru en l’ange, Sainte Marie obéit par sa foi. « L’obéissance de Sainte Marie contrebalance, détruit, abolit la désobéissance d’Ève ; elle dénoue ou délie le nœud de la désobéissance d’Ève. La misérable séduction est ainsi dissipée par la magnifique annonce de la bonne nouvelle de vérité. » Ainsi, non seulement Sainte Marie peut plaider en faveur d’Ève, mais elle est surtout « cause de salut » selon l’expression forte qu’emploie Saint Irène. Et parce qu’elle a obéi qu’elle devient Mère de Dieu. Elle met au monde Notre Seigneur, c’est-à-dire la Vie. « C’est par le fait que la Vierge qui a obéi à la parole de Dieu que l’homme ranimé a, par la Vie, reçu la Vie. »[9] Saint Irène fait alors le rapprochement entre Adam modelé à partir de la terre vierge et Notre Seigneur Jésus-Christ, né de la Vierge, entre la postérité d’Adam et celle de Notre Sauveur. Alors que tous les enfants issus d’Ève sont enfantés pour la mort, Ève étant ainsi frappée dans sa maternité, Sainte Marie est véritablement Mère des vivants.

Sainte Marie opère ainsi un retournement de situation ou encore, selon l’enseignement actuel, une « recirculation » : « Ce qui a été lié ne peut être délié que si l’on refait en sens inverse les boucles du nœud, en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes et qu’inversement les secondes libèrent les premières : il se trouve de la sorte qu’un premier lien est dénoué par un second et que le second tient de dénouement à l’égard du premier. […] Ainsi également le nœud de la désobéissance d’Ève a été dénoué par l’obéissance de Marie, car ce que la vierge Ève avait lié par son incrédulité, la Vierge Marie l’a délié par sa foi. »[10] Le plan de la Rédemption correspond ainsi mais de manière inverse à l’histoire de la chute. Dans ce plan, Sainte Marie est l’antitype d’Ève.

Saint Irène insiste sur le rôle de la Sainte Vierge dans l’œuvre de la Rédemption. Il montre que Sainte Marie coopère à l’œuvre du salut entreprise par Notre Seigneur Jésus-Christ, le nouvel Adam.

Tertullien (v.160-v.220) : reprise des responsabilités d’Ève et de Sainte Marie

Pour répondre aux critiques des hérétiques, Tertullien veut expliquer les raisons qui expliquent la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ d’une vierge. Comme Adam a été formé de terre, le nouvel Adam devait aussi formé « d’une chair toute pure et dont l’intégrité n’avait point été offensée »[11] En outre, reprenant sans-doute l’idée de Saint Irénée, Dieu a voulu mener « une opération contraire à celle du démon […] Ève étant encore vierge, une parole était entrée dans son âme, qui y avait élevé l’édifice de mort ; il fallait donc que le Verbe de Dieu entrât une vierge pour y rétablir l’édifice de vie. » Ainsi, « le crime que l’une avait commis en croyant, l’autre aussi en croyant l’a effacé. » En raison de sa faute, Ève a enfanté dans la douleur Caïn qui a tué son frère. En raison de sa soumission, Sainte Marie a conçu Notre Seigneur Jésus-Christ, Notre Sauveur.

Comme Saint Justin et Saint Irène, Tertullien oppose « la crédulité mauvaise d’Ève et la foi de la Sainte Vierge, le caractère néfaste de la responsabilité qui lie et rend esclave et le caractère libérateur d’une coopération ordonnée au salut. »[12]

Nous pouvons encore citer d’autres Pères de l’Eglise qui opposent Ève et Sainte Marie dans leur responsabilité à l’égard des hommes. Pour, Origène, Ève a été source de souffrance et Sainte Marie source de bénédiction et de joie[13]. Pour Saint Jérôme, « la malédiction a été brisée. La mort par Ève, la vie par Marie »[14]. Pour Jean Chrysostome, une « vierge nous a chassés du paradis, par une vierge, nous avons trouvé la vie éternelle. »[15]

Ainsi, comme Ève est associée à Adam dans le péché originel et dans ses conséquences, le rendant auteur de mort, et donc associée à la corruption de la nature humaine et à la ruine du genre humain, Sainte Marie est associée à Notre Seigneur Jésus-Christ dont l’œuvre n’aurait pas pu avoir lieu sans la coopération de la Sainte Vierge. Le rapprochement entre ces deux femmes souligne ainsi le rôle actif de Sainte Marie dans notre Salut. Comme l’écrit encore Saint Ephrem dans une de ses hymnes, au IVe siècle, « Ève ouvre les portes fermées de la mort ainsi que les portes fermées de l’enfer ; elle ouvre une voie inconnue, celle de la tombe. […] L’origine de notre salut ; l’origine de notre mort, c’est Ève »[16]. Enfin, pour Saint Augustin, « Voyez encore cet admirable mystère : le grand mystère : la mort nous était venue par la femme, c’est par la femme que la vie devait nous être rendue »[17]

Conclusions

Dès le IIe siècle, d’Orient et d’Occident, les Pères de l’Eglise ont bien perçu la place active et privilégiée de Sainte Marie dans l’œuvre de Notre Rédemption. Saint Pierre Damien en conclut que nous sommes redevables à la bienheureuse Mère de Dieu et que nous lui devons d’immenses actions de grâces. Leur enseignement, nous le retrouvons naturellement dans l’expression de la foi au travers des prières et des chants religieux ainsi que des nombreuses œuvres d’art que le christianisme a enfantées. C’est donc avec confiance que les chrétiens tournent leurs regards vers Sainte Marie. Si elle est cause de notre salut, réparant la faute d’Ève, comment pourrait-elle ne pas entendre nos peines et nos larmes, ou nous laisser dans nos péchés ? Comment son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, ne pourrait-Il pas entendre sa Mère ?

En comparant Ève et Sainte Marie, la scène de la séduction de la première femme et celle de l'Annonciation, nous pouvons entendre la Sainte Écriture qui nous fait ainsi saisir l'œuvre de la Rédemption au travers de deux épisodes clés de notre histoire. Les Pères de l'Eglise puisent en effet leur enseignement dans la Génèse, l'Évangile selon Saint Luc et les Épitres de Saint Paul. C'est ainsi que par la Sainte Écriture et la Tradition, l'Église nous transmet les vérités que nous devons connaître.

Après avoir entendu les Pères de l’Eglise, unanime dans leur enseignement, il nous est bien difficile de comprendre la position des protestants qui refusent de croire au rôle privilégié de Sainte Marie dans l’œuvre de la Rédemption. Luther lui-même n’a pas osé clairement la remettre en question. Comme se fait-il alors que comparant Ève et Sainte Marie, ils ne puissent pas arriver à la même conclusion ? Et encore récemment, une théologienne qui se disait catholique s'offusquait de la place qu'occupe Sainte Marie dans l'Église ! Pourtant, ce que nous croyons, nous ne l’inventons pas, nous le recevons. « Cause de salut » pour Saint Irénée, « trésor de notre félicité » pour Saint Ephrem, « unique espérance des pécheurs », pour Saint Augustin. La vérité est dite. Nous préférons suivre la Sainte Tradition qu’accepter la voie de l’orgueilleuse et insolente nouveauté ! Nouveauté qui passe ...

 « Salut, étoile de la mer, ô très sainte mère de Dieu, toi qui est vierge à tout jamais, ô bienheureuse porte du ciel, toi qui accueille cet Ave de la bouche de Gabriel, affermis nos cœurs dans la paix : tu as inversé le nom d’Ève.»[18]


Notes et références

[1] Hymne moderne reprenant les paroles d’un hymne ancien Tota pluchra est.

[2] Constitution sur l'Église, Lumen Gentium, n°63, Vatican 2, 21 novembre 1964.

[3] Pie XII, Munificentissumus Deus, constitution  apostolique, 1er novembre 1950.

[4] Saint Justin, Dialogue avec le Juif Tryphon, C, 4-6, trad. M. de Genoude, 1848.

[5] Saint Irénée, Contre les Hérésies, V, 19, 1.

[6] Saint Irène, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, III, 22, 4, trad. Adelin Rousseau, les éditions du Cerf, 2001.

[7] Saint Irénée, Contre les Hérésies, V, 19, 1.

[8] Saint Irénée, Contre les Hérésies, V, 19, 1.

[9] Saint Irénée, Démonstration de la prédication apostolique, 33.

[10] Saint Irénée, Contre les Hérésies, III, 22, 4.

[11] Tertullien, Traité de la chair de Jésus-Christ, Chapitre XVII, 1844.

[12] B. Sesboué, Les Signes du Salut, Troisième partie, Chapitre XVII, I, 3, Desclée, 1995.

[13] Voir In Lucam, Origène, fragment 12, SC 87, In Mattheum, homélie, 1, 5.

[14] Saint Jérôme, Epître XXII.

[15] Saint Jean Chrysostome, In Psalmis, 44, 7.

[16] Saint Ephrem, Semon exegeticus, 2 dans La Sainte Vierge d’après les Pères, l’Abbé Barbier, tome III, chap. CL, 1867.

[17] Saint Augustin, Le Combat chrétien, chap. XXII, 1024, 24, trad. de M. Thénard, dans Œuvres complètes de Saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, 1869, Tome XII.

[18] Hymne Ave, maris stella.

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