" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 13 mars 2021

La réalité concrète du mystère de l'Incarnation pour le salut et l'élévation de l'homme, de l'homme tout entier, corps et âme.

L’actualité est riche en enseignement lorsque nous quittons la foule et le bruit qui agite le monde et les cœurs. Elle nous donne au travers de différents prismes des faits qui nous révèlent une réalité profonde, parfois seulement accessible aux observateurs attentifs. De nos jours, la mort se montre d’un visage bien redoutable, prête à mordre le passant. Le monde semble ne plus guère chercher à satisfaire ses plaisirs et ce bien-être, pourtant objet d’incroyables dépenses il n’y a pas si longtemps encore. Aujourd’hui, tout ce commerce si rentable se trouve péniblement en difficulté. La mort fait peur. Le temps est fini de jouir de la vie telle qu’elle est éprouvée et sentie dans et par le corps. Il s’agit désormais de préserver ce corps de toute douleur au point que la vie ne se réduit qu’à un espace, à une distance, voire à un épouvantable monologue. Cependant, notre époque si curieuse ne peut guère nous surprendre. Depuis si longtemps déjà, nos contemporains tentent de cacher la mort en apaisant les souffrances qui affligent le corps, ne laissant guère sa conscience les surmonter. L’homme ne serait-il finalement qu’un corps ?

Pendant que nos contemporains s’agitent et se battent contre un ennemi invisible, nous pensons à ses nombreuses voix qui condamnent l’Église et ses autorités de mépriser le corps, voire de le haïr. Le christianisme est « une religion populaire qui a été ordonnée au peuple et, avec elle, son exaltation de la souffrance, sa glorification de la résignation, son goût morbide pour le sang, sa haine du corps, sa morale sexuelle répressive, etc. »[1] Dans son combat insensé pour l’athéisme, englobant le christianisme dans sa haine contre les religions monothéistes, Michel Onfray les peint comme « animées par une même pulsion de mort généalogique », celle de partager « une série de mépris identique »  dont la « haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir, haine des corps, des désirs, des pulsions »[2]. Nietzche accusait déjà la pratique de l’Église d’« être nuisible à la vie »[3].

Plus sérieusement, un de nos proches nous avouait avec tristesse qu’il ne pouvait se convertir à la foi en raison d’une discipline qu’il jugeait trop dure à l’égard du corps. Il se sentait incapable de suivre ses exigences. Mais, derrière les critiques qu’il portait sur la morale chrétienne et ses interdits, nous sentions une incompréhension à l’égard d’une Église qu’il jugeait comme ennemie de la chair.

À l’écoute de ces plaintes, il est alors tentant pour des chrétiens de renvoyer cette image aux erreurs du temps passé, à l’époque médiévale, ou encore à la vie monastique, et de décrire une Église contemporaine plus souple et plus proche du monde, voire d’accuser les papes, les évêques et les prêtres d’avoir forgé une morale désormais injustifiée. Ils en viennent alors à leur tour à exalter le corps, à le sublimer, comme le fait si bien le monde. Mais ne serait-il pas plus judicieux de mettre en lumière la vérité et de combattre les mensonges, œuvrant ainsi dans la véritable charité ? Tel est en effet notre objectif…

Les accusations portées contre l’Église à l’égard de son attitude à l’encontre du corps nous semblent bien étranges et inconcevables quand notre regard porte sur l’enseignement qu’elle nous livre sans rien nous cacher. Le corps y occupe en effet une place particulière. Prenons simplement deux exemples, deux vérités qu’elle nous demande de croire. Commençons par le mystère de l’Incarnation..

Une vérité de foi

Nous croyons en effet que Notre Seigneur Jésus-Christ est non seulement vrai Dieu mais aussi vrai homme. Dans son prologue sublime, Saint Jean emploie une expression remarquable et étonnante : « le Verbe s’est fait chair » (Jean, I, 14). Sans-doute, à force de l’employer, nous oublions combien ces quelques mots renferment une force inouïe qui a bouleversé le monde. Avant de les écrire, Saint Jean nous rappelle ce qu’est le Verbe : « le Verbe était en Dieu, et le Verbe était DieuIl était au commencement en Dieu. » (Jean, I, 1-2). Et c’est le Verbe qui est devenu homme. Nous professons ainsi chaque dimanche la même vérité : nous croyons « en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, […] vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé, […] qui a pris chair par l’action du Saint Esprit dans le sein de la Vierge Marie et s’est fait homme. » Le symbole de Saint Épiphane, évêque de Salamine est encore plus clair sous sa forme dite longue : « nous croyons en un seul Seigneur Jésus-Christ, engendré de Dieu, unique engendré, […], vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, […], a été engendré parfaitement de Marie la sainte, toujours vierge par l’Esprit Saint, c’est-à-dire a pris l’homme complet, l’âme, le corps et l’esprit et tout ce qu’est l’homme, à l’exception du péché »[4].

Nous croyons ainsi fermement au mystère de l’Incarnation, c’est-à-dire à l’union de la nature divine et de la nature humaine dans l’unique personne du Fils de Dieu, Jésus-Christ, distinctement et indivisiblement vrai Dieu et vrai homme. Notre article n’a pas pour objectif de justifier ce mystère fondamental ou de montrer qu’il ne s’oppose pas à notre raison ou encore de répondre à tous ceux qui combattent cette vérité de foi. Nous cherchons plutôt à le clarifier afin de montrer ce qu’il signifie au regard de notre étude sur la nature humaine. 

Ce qu’il ne faut pas croire

N’imaginons pas d’abord que Notre Seigneur Jésus-Christ a pris en apparence un corps comme un vêtement, paraissant homme sans y être comme le prétendait le gnostique Marcion. D’autres gnostiques Apelle ou Valentin défendaient aussi l’idée que son corps n’était pas un corps humain mais un corps astral, céleste ou spirituel. Ces différentes formes de docétismes[5], qui nient une véritable nature humaine en Notre Seigneur Jésus-Christ, ont été les premières erreurs que les défenseurs de la foi ont combattues. Saint Jean, Saint Ignace d’Antioche, Saint Polycarpe ou encore Saint Irénée ont en effet défendu fermement la réalité de l’Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le Concile de Nicée (324) professe ainsi que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, s’est fait chair et ajoute aussitôt qu’Il s’est fait homme. « Ce que nous disons de la chair, nous le disons de l’homme »[6], de l’homme tout entier, corps et âme. Saint Athanase rappellera que « le Verbe ne s’est pas seulement fait chair, il s’est fait homme ».

N’imaginons pas non plus l’idée qu’en Notre Seigneur Jésus-Christ, il n’y ait qu’un seul principe de vie et d’activité comme le soutenait Apollinaire, évêque de Laodicée en Syrie. Si cela était vrai, il n’y aurait alors pas d’âme humaine en Lui. Le Verbe habiterait dans un corps sans âme comme dans un temple. Ainsi, Notre Seigneur Jésus-Christ serait l’âme de sa chair pour s’unir à elle en un seul être concret, c’est-à-dire en une seule nature. Le pape Saint Damase a vigoureusement réagi contre les idées d’Apollinaire en rappelant la complétude de l’humanité en Notre Seigneur Jésus-Christ. « Nous professons que Dieu parfait a assumé un homme complet. »[7] Et qu’est-ce que l’homme complet ? L’âme et le corps.

N’imaginons pas enfin que les deux natures, divine et humaine, sont si éloignées en Notre Seigneur Jésus-Christ que leur union n’est que purement morale ou psychologique. Comme le soutenait Nestorius, Il serait alors appelé Dieu parce qu’il se serait uni au Verbe en dignité, en autorité. Il insiste en fait tellement sur la distinction des deux natures qu’il en vient à défendre deux personnes, ou encore deux sujets autonomes en Notre Seigneur Jésus-Christ, confondant en fait nature et personne. Comprenant bien son enseignement, Proclus, évêque de Cyzique, met alors en lumière les conséquences de son erreur. « Le Christ n’est pas devenu Dieu au terme d’un progrès, mais il s’est fait homme […]. Nous ne prêchons pas un homme divinisé, mais un Dieu fait chair»[8]

Il ne faut pas non plus imaginer que la nature humaine ait été absorbée par la nature divine comme une goutte d’eau dissoute dans la mer. Telle était l’erreur d’Eutychès. Des deux natures, il ne resterait plus qu’une seule au point que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ ne serait point identique au nôtre. Contre cette nouvelle erreur, l’Église enseigne qu’en Notre Seigneur Jésus-Christ, les natures humaine et divine n’ont pas été transformées, supprimées ou confondues.

Ce qu’il faut croire

Au concile de Chalcédoine (451), retenant toutes ces leçons, l’Église a défini notre profession de foi sur Notre Seigneur Jésus-Christ : « nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe Seigneur Jésus-Christ […]. »[9] Plus tard, en 680, le VIème concile de Constantinople précisera qu’il y a, en Notre Seigneur Jésus-Christ, deux volontés, la volonté divine et la volonté humaine, la première étant subordonnée à la seconde.

Comme nous le constatons, la définition de Notre Seigneur Jésus-Christ a fait l’objet de nombreuses controverses dès le temps apostolique, avant même que l’Église ne puisse enseigner librement les vérités de foi. Face aux erreurs, les Pères de l’Église ont défendu avec fermeté et vigueur la pleine réalité de la nature humaine en Notre Seigneur Jésus-Christ. En notre temps, de tels combats, parfois violents, peuvent nous surprendre, voire nous choquer. Mais n’essayons pas de juger ce que nous ne pouvons pas juger et laissons les contingences de cette époque hors de notre étude. Pour bien comprendre les enjeux de cette définition et ainsi mieux la saisir, revenons plutôt sur les raisons de leur combat tel qu’elles sont évoquées par les défenseurs de la foi.

Ce que les Pères de l’Église nous enseigne

Parmi les arguments qu’ils développent pour défendre la foi, les Pères de l’Église insistent particulièrement sur notre salut. Saint Irénée perçoit en effet les conséquences des erreurs du gnosticisme. Si le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ n’était qu’un corps apparent, « il n’aurait pas eu réellement le sang et la chair par lesquels Il nous a rachetés, s’il n’avait récapitulé en lui-même l’antique ouvrage modelé, c’est-à-dire Adam. Vains sont donc les disciples de Valentin, qui enseignent cette doctrine afin de pouvoir exclure de la chair la vie et rejeter l’ouvrage modelé par Dieu. »[10] Saint Grégoire de Nazianze le dit simplement : « cela seul est sauvé qui est assumé. »[11] Si Notre Sauveur n’a pas pris une nature humaine complète, Il n’a pas pu sauver l’humanité. « Ce n’est pas le corps seul, mais l’âme aussi qui a été sauvée dans le Verbe. »[12] Saint Damase justifie aussi sa condamnation de l’apollinarisme par la réalité de notre salut. « Si un homme incomplet a été pris, incomplet est notre salut, parce que ce n’est pas l’homme tout entier qui a été sauvé. […] Tout entier, c’est-à-dire dans l’âme et dans le corps, dans l’esprit et dans toute la nature de sa substance. Si donc l’homme tout entier était perdu, il était nécessaire que ce qui était perdu fût sauvé. »[13] Le mystère de l’Incarnation nous renvoie donc à notre nature humaine blessée par le péché originel. « Quant à nous, qui savons que nous avons été sauvés complètement et parfaitement, conformément à la profession de foi de l’Église catholique, nous professons que Dieu parfait a assumé un homme complet. »[14]

En outre, si Notre Seigneur Jésus-Christ n’était pas véritablement homme, Il n’aurait pu ni mourir ni ressusciter. La terrible agonie, la sanglante flagellation ou encore l’infâmant couronnement d’épine n’auraient été qu’un leurre, la Croix, une vaste comédie. Et comme le dit Saint Paul, notre salut vient de sa résurrection. Par conséquent, s’Il n’est pas vrai homme, vain est notre salut, vaine est aussi notre foi.

Puis, les Pères de l’Église insistent sur l’échange qui s’accomplit entre Dieu et les hommes par Notre Seigneur Jésus-Christ. Selon Saint Irénée, le mystère de l’Incarnation s’est réalisé « pour que l’homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu. Nous ne pouvions en effet avoir part à l’incorruptibilité et à l’immortalité que si nous étions unis à l’humanité. Mais comment aurions-nous pu être unis à l’incorruptibilité et à l’immortalité, si l’Incorruptibilité et l’Immortalité ne s’étaient préalablement faites cela même que nous sommes »[15]. Selon Saint Athanase, le Verbe « s’est lui-même fait homme, pour que nous soyons faits Dieu »[16]. Selon Saint Augustin, « devenu participant de notre mortalité, il nous a rendu participants de sa divinité. »[17]

Ainsi, le mystère de l’Incarnation révèle non seulement le salut de l’homme, et donc sa restauration, mais aussi sa participation à la vie divine, son élévation. Pour notre salut et notre divinisation, il ne peut y avoir un fossé entre l’homme et Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ assure cette médiation. Or, elle ne peut être réelle sans qu’il n’y ait une unité en Lui. Il ne serait donc véritablement médiateur si les deux natures, humaine et divine, ne s’unissaient pas dans une unique personne. En Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu accueille l’homme et l’homme s’offre en Dieu comme le dit merveilleusement Saint Irénée. Il est notre unique médiateur parce qu’Il peut poser des actes, notamment un acte d’obéissance, qui est à la fois humain et divinement filial.

Écoutons ensuite ceux qui ont nié que Notre Seigneur Jésus-Christ a assumé complètement une nature humaine. Pourquoi ont-ils en effet refusé d’y croire ?

Ce que les erreurs enseignent

La principale raison de leur refus porte sur l’honneur de Dieu qui aurait été souillé par l’union avec la matière. Ils se scandalisent que Notre Seigneur Jésus-Christ ait réellement assumé un corps tel que le nôtre. Ils n’admettent pas sa mort sur la Croix et toute souffrance, prétendant qu’Il ait mort et souffert en apparence.

Prenons le cas significatif d’Apollinaire. Il ne peut en effet admettre en Notre Seigneur Jésus-Christ la présence divine, sainte et sanctifiante, avec la présence humaine, responsable et libre, capable de pécher. Il ne peut non plus supporter qu’Il ait subi des passions humaines comme la colère et la tristesse, des passions de la chair comme la faim et la soif. La naissance et la mort paraissent aussi inconcevables. En outre, comment deux natures complètes diamétralement opposées peuvent-elles coexister s’unir sans que l’une gêne l’autre ? En refusant l’âme à Notre Seigneur Jésus-Christ, Apollinaire résout ces problèmes. Il ne possède plus le principe de vie humaine. Il est donc à l’abri du péché, des tentations et des passions. Ainsi, Apollinaire défend l’idée que « le Verbe n’a pas assumé une âme humaine mais seulement la semence d’Abraham. »[18] Cela signifie alors qu’en Notre Seigneur Jésus-Christ, il n’existe pas d’homme réel qui a eu faim et soif, qui a souffert la mort.

Dans le cas du nestorianisme, la confusion entre les termes « nature » et « personne », c’est-à-dire entre ce qui est abstrait et ce qui est concret, est caractéristique. Si Nestorius peut concevoir les deux natures, il ne peut admettre une communication entre elles au point de vouloir distinguer deux personnes en un seul personnage. Il est ainsi scandalisé dans l’idée de voir le Verbe de Dieu être allaité par la Sainte Vierge Marie. Finalement, il ne peut croire que Notre Seigneur Jésus-Christ puisse agir réellement en homme, qu’il puisse souffrir et mourir comme nous.

Le mystère de l’Incarnation est une réalité concrète. Notre Seigneur Jésus-Christ a accompli réellement en sa passion et en sa mort des actes authentiquement et intégralement humains, c’est-à-dire des actes vraiment volontaires et libres. Les natures humaine et divine de Notre Seigneur Jésus-Christ disposent chacune de leur propre volonté. Elles ne sont pas néanmoins étrangères l’une de l’autre puisque « l’une se soumet à l’autre, non pas comme un sujet se soumet à un sujet, mais en tant que le vouloir naturel humain du Christ est le vouloir même du Dieu Verbe »[19] Comme le dit Saint Léon, « la volonté inférieure céda à la supérieure. »[20] Répétons-le. Le mystère de l’incarnation est bien une réalité concrète. « Chacune des deux formes [natures] accomplit sa tâche propre en communion avec l’autre, le Verbe opérant ce qui est du Verbe, la chair effectuant ce qui est de la chair. »[21]

Les lumières du mystère de l’Incarnation

Nous pouvons constater qu’en voulant mieux connaître et définir Notre Seigneur Jésus-Christ pour répondre aux contradictions que soulèvent les erreurs des hérétiques, l’Église est conduite à mieux connaître l’homme. Cela ne peut guère nous surprendre puisque nous croyons que Notre Seigneur Jésus-Christ est notre modèle, notre voie. Il est l’homme parfait. Il est le nouvel Adam. Il nous renvoie donc à l’œuvre de la Création, c’est-à-dire à nos origines, à la bonté de Dieu qui nous a créés selon son image et sa ressemblance. Et comme toute œuvre divine, l’homme est né bon. S’Il est homme parfait, alors nous ne pouvons que L’imiter pour Lui ressembler de plus en plus et ainsi vivre pleinement.

Et, de manière encore plus concrète, dans sa vie ici-bas, Notre Seigneur Jésus-Christ a vécu humainement, réalisant des actes humains, éprouvant des sentiments humains. Qui ne peut alors comprendre qu’en assumant réellement notre chair, Notre Seigneur Jésus-Christ a changé la signification du corps humain et de tous ce que nous faisons par lui. « L’unité de l’homme et la bonté radicale de toutes ses dimensions et composantes sont soulignées par le fait que tout peut être mis en relation avec Jésus. […] La plénitude de l’être humain est essentiellement liée au Christ. »[22] Par ce qu’Il a vécu, Notre Seigneur Jésus-Christ a en quelques sortes divinisé tous les actes qu’Il a réalisés par sa nature humaine, tous les sentiments qu’Il a éprouvés. « Je vis … mais ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi. La vie dont je vis maintenant en la chair, est une vie dans la foi au Fils de Dieu » (Paul, Épître aux Corinthiens, II, 20). Toute notre vie est ainsi élevée par la grâce divine.

Le mystère de l’Incarnation révèle alors le dessein de Dieu sur chacun d’entre nous, individuellement, personnellement. Il nous montre ce que nous pouvons être pleinement si nous suivons ses pas, si nous vivons de Lui, par Lui et en Lui. « Il s’est fait homme de notre race pour que nous puissions être participants de la nature divine. »[23]

Conclusions

Pendant les premiers siècles, certains ont refusé de voir en Notre Seigneur Jésus-Christ un homme véritable, ne pouvant songer que la toute-puissance divine puisse se mêler à la misère d’un corps périssable. L’Église a alors défendu la réalité de la nature humaine, complète et intégrale, en Notre Seigneur Jésus-Christ. Sans cette plénitude, le salut de l’homme ne serait pas effectif. Nous ne pourrions pas non plus participer à la vie divine. Les définitions christologiques, de plus en plus rigoureuses, soulignent ainsi notre fin. L’homme, ce composé du corps et de l’âme, est destiné à être sauvé entièrement et à vivre de la vie de Dieu. Ce n’est pas l’âme seule qui est l’objet de toute l’attention de Dieu mais l’homme entier, corps et âme.

Créé à l’image de Dieu dans son amitié, corps et âme, l’homme est destiné à vivre de Lui en Notre Seigneur Jésus-Christ afin qu’au jour voulu, habité de la vie éternelle, il puisse connaître et aimer pleinement Dieu, corps et âme, et de manière définitive. La mort est une porte qui lui ouvre l’accès à cette vie sans fin. Mais séparé de Lui, l’homme devient un être blessé, tronqué, déséquilibré, désorienté. Il est comme un infirme, incapable d’épanouissement. Par le péché, il se sépare de Dieu. Seul, il ne peut pas s’en sortir. Il a besoin d’être sauvé pour de nouveau vivre de l’amitié de Dieu et devenir pleinement homme selon la volonté même de Dieu

Est-ce méprisant de dire qu’un homme est malade et a besoin d’un médecin ? Est-ce méprisant pour le corps de croire et d’enseigner le mystère de l’Incarnation ? L’Église, peut-elle mépriser ce que Notre Seigneur Jésus-Christ a assumé ? C’est méconnaître le mystère de l’Incarnation qu’elle n’a pas cessé de défendre et de mieux nous faire connaître. Or cette vérité est le fondement de notre foi.

À la messe de Minuit, alors que l’enfant est posé dans la crèche, nos lèvres entonnent avec une véritable joie cette belle prière : « O Dieu, par qui resplendit en cette nuit très sainte l’éclat de la vraie lumière, faites qu’après avoir connu ici-bas le mystère de cette lumière, nous puissions au Ciel en goûter aussi les joies ».

 

Notes et références

[1] Éric Stemmelen, La religions des seigneurs. Histoire de l’essor du christianisme entre le 1er et le VIe siècle, éditions Michalan, 2010, dans L’humanité, 15 novembre 2010, humanite.fr, lu le 29 janvier 2020.

[2] Michel Onfray Traité d’athéologie, Le livre de poche, 2006.

[3] Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, La morale en tant que manifestation contre-nature, trad. par Henri Albert, 1908, Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, volume 12, Mercure de France. Un prochain article d’Émeraude traitera des critiques que porte Nietzsche sur le christianisme au sujet du mépris du corps.

[4] Saint Épiphane, évêque de Salamine, Ancoratus, forme longue, 374, Denzinger 44.

[5] Voir Émeraude, mars 2015, article « Le docétisme ».

[6] Saint Cyrille d’Alexandrie dans Éphèse et Chalcédoine, 432 et 451, Pierre-Thomas Camelot, Histoire des conciles œcuméniques, tome II, Éphèse, Fayard, 2006.

[7] Saint Damase, Lettres à des évêques d’Orient, vers 374, Denzinger 146.

[8] Proclus, dans Éphèse et Chalcédoine, 432 et 451, Pierre-Thomas Camelot, Histoire des conciles œcuméniques, tome II, Éphèse, chapitre 2.

[9] Profession de foi, Concile de Chalcédoine, 5ème session, 22 octobre 451, Denzinger 301-302.

[10] Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, V,1, 2, traduit par Adelin Rousseau, Sagesses chrétiennes, les éditions du Cerf, 2001.

[11] Saint Grégoire de Nazianze, épître 107 dans Éphèse et Chalcédoine, 432 et 451, Pierre-Thomas Camelot, Histoire des conciles œcuméniques, tome II, Éphèse, chapitre 1.

[12] Saint Athanase dans Histoire des conciles œcuméniques, Camelot, tome II, Éphèse,

[13] Saint Damase, Lettre à des évêques d’Orient, vers 374, Denzinger 146.

[14] Saint Damase, Lettre à des évêques d’Orient, vers 374, Denzinger 146.

[15] Saint Irénée, Contre les hérésies, III, 19, 1.

[16] Saint Athanase, Sur l’Incarnation du Verbe, 54, 3 dans Le Dieu du Salut, Bernard Sesboüé et Joseph Wolinski, Histoire des Dogmes, tome I, Christologie et Sotériologie. Éphèse et Chalcédoine, Bernard Sesboüé, chap. VII, I, 1, Desclée, 1994.

[17] Saint Augustin, La Trinité, IV, 2, 4 dans Le Dieu du Salut, Bernard Sesboüé et Joseph Wolinski.

[18] Apollinaire, Fragment 2, dans Le Dieu du Salut, Bernard Sesboüé et Joseph Wolinski, VIII, I, 3.

[19] Bernard Sesboüé Le Dieu du Salut, I, 2.

[20] Saint Léon, sermon V sur la passion, dans Sermons, Saint Léon Le Grand, 2ème édition, Les éditions du Cerf, 2008.

[21] Saint Léon, Lettre à Flavien de Constantinople, 13 juin 449, Denzinger 294

[22] L. F. Ladaria, L’homme et son salut, Histoire des dogmes, tome II, chapitre II, L’homme créé à l’image de Dieu, 1, Desclée, 1995.

[23] Saint Léon, 5ème sermon en la nativité du Seigneur, dans Sermons, Léon le Grand, Tome I, traduction Dom René Dolle, 2ème édition, Les éditions du Cerf, 2008.

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