" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 7 décembre 2019

Laïcité : mensonges et ignorances au détriment des enfants. Que fais-tu de son âme ?

Depuis 1880, par les lois de Jules Ferry, l’enseignement est rendu public et gratuit. Nous pouvons nous en féliciter. « C’est le fruit d’un long chemin que celui qui a mené à l’école d’aujourd’hui. »[1] Précisons néanmoins que cette gratuité ne concerne que l’école primaire. Le site gouvernemental nous informe que de 1880 à 1900, « l’école élémentaire accueille la quasi-totalité des enfants scolarisables »[2]. Mais avant ces fameuses lois, comment était instruits les enfants ? Ou dit autrement, les fondateurs de l’école laïques sont-ils les bienfaiteurs de la nation en raison de la laïcité qu’ils nous imposée à l’enseignement public et à l’école primaire ?

Pourtant, selon de nombreux discours, la réponse peut paraître évidente. Certains documents nous informent en effet qu’avant ces fameuses lois, seuls les bourgeois pouvaient s’instruire ou que l’école se faisait par l’intermédiaire de précepteurs. Nous pouvons lire dans une revue que le savoir était inaccessible aux enfants des classes populaires[3].  Manuel Valls, alors premier ministre, s’exclame que « parmi les grandes avancées républicaines, il y a l’école. L’école laïque, gratuite et obligatoire. »[4] Il rajoute que « la république a fait l’école ». Finalement, nous finirions par croire qu’avant la IIIe république, il n’y avait pas d’école ou que l’école n’était réservée qu’à une élite. Pouvons-nous vraiment y croire ? Pourtant, nombreux sont ceux qui croient encore que la république a institué l’école gratuite, ce qui a mis fin à l’obscurantisme.

L’école au XIXe siècle avant les lois Jules Ferry

Au XIXe siècle, le système scolaire est composé de lycées d’état, d’écoles secondaires, constituées de collèges communaux, d’institutions privées, ou encore de pensionnats et d’écoles primaires dont certains relèvent de l’État, d’autres de l’Église ou d’associations.

Sous la Monarchie de Juillet, Guizot[5] réorganise l’école primaire, obligeant les municipalités de créer une école primaire de garçon et de payer le maître. L’enseignement public est payant. Les instituteurs étant mal rémunérés sont dans l’obligation d’occuper un second emploi.

Sous la IIe république, il est rappelé que toutes les communes doivent entretenir une école, y compris pour les filles selon le nombre d’habitants. L’école est toujours payante, sauf pour les pauvres qui reçoivent une bourse.
Mais l’école ne se résume pas à celle qui relève de l’État. Plus de la moitié des enfants sont en effet scolarisés dans les écoles catholiques, tenues soit par des religieux, soit par des congrégations. En outre, certains enseignants des écoles publiques sont des religieux ou des congréganistes. Il existe aussi des écoles relevant d’associations comme celles de la Libre pensée.

L’école, une constante préoccupation de l’Église

Les écoles ont en fait toujours subsisté, y compris au Moyen-âge. Les guerres et les épidémies ont certes ralenti, voire les ont remises en cause, mais la paix revenue, elles se sont développées de nouveau. « On a cru longtemps que le Moyen-âge n’avait connu rien qui ressemblât à ce que nous appelons l’instruction primaire. C’est une grave erreur ; il est fait à chaque instant mention d’écoles dans les documents où on s’attendait le moins à trouver des renseignements de ce genre, et l’on ne peut douter que pendant les années, même les plus agitées du XIVe siècle. Ce siècle, la plupart des villages n’aient eu des maîtres enseignants aux enfants la lecture, l’écriture et un peu de calcul. »[6]


Nous le savons en partie grâce aux procès-verbaux des évêques qui avaient la charge de visiter les paroisses et d’inspecter leur école. Les registres des anciennes chancelleries épiscopales permettent aussi d’accéder aux actes de nominations des maîtres et aux discussions touchant les difficultés de l’administration.


 
L’instruction aux pauvres est une préoccupation de l’Église. Nous avons déjà aperçu le système scolaire mis en place au Moyen-âge avec les écoles épiscopales et monastiques[7]. C’est par ses soins que se sont aussi développées les universités[8]. Elle se préoccupe surtout de l’instruction des pauvres et de la rémunération des maîtres d’école. En 1179, le troisième concile de Latran précise que « l’Église de Dieu […] est soucieuse de ne point écarter les pauvres, qui ne sauraient compter sur les ressources de leurs parents, de toute possibilité d’étude et d’avancement. »[9] Le même canon précise les moyens qui permettent de rémunérer les maîtres d’école. Les évêques doivent notamment réserver une partie de leur bénéfice pour leur entretien. Les écoles primaires relèvent généralement des ecclésiastiques ou des clercs qui aspirent à le devenir.

Cependant, au XVe siècle et jusqu’à la moitié du XVIe siècle, l’enseignement primaire est déplorable. Les différentes guerres, qui ont affligé l’Europe et dévasté le royaume de France, en sont certainement la raison principale. En 1576, l’évêque d’Évreux admire le zèle de ses pères pour l’instruction de la jeunesse pour mieux déplorer « la négligence ou plutôt la conduite sacrilège de notre siècle où l’on a vu les gentilshommes, les paroissiens usurper ou aliéner les maisons d’école et les biens qui y avaient été affectés, de telle sorte qu’à peine trouve-t-on maintenant une école ou un maître, nous ne dirons pas dans les campagnes, mais dans les villes et même les cités les plus considérables. »[10]

Le développement des écoles à partir du XVIIIe siècle

Les écoles se développent surtout à partir du XVIII siècle. L’ordonnance royale de 1698 en est probablement un des facteurs. Louis XIV demande en effet l’établissement des écoles dans toutes les paroisses afin d’y instruire les enfants, garçons et filles. Les parents sont tenus d’y envoyer leurs enfants jusqu’à l’âge de quatorze ans sous peine de se voir privés de l’aide aux pauvres distribuée par les paroisses. Le retour de la paix est aussi une autre raison de leur développement. Dans certaines régions, comme l’Est du royaume, de nombreuses écoles ont dû être fermées durant la guerre de Trente ans. Le nombre d’écoles varient ainsi en fonction des régions.

Au XVIIIe siècle, les enfants sont instruits soit par des cours particuliers données par des précepteurs, soit par des écoles. Peu confiante à l’instruction fournie au niveau de la commune, les familles les plus aisées choisissent le préceptorat. Celle-ci reste néanmoins marginale. La plupart des enfants sont instruits dans les écoles communales, paroissiales ou encore dans les écoles dites de charité. Cependant, quelle que soit l’école, sa fondation nécessite l’autorisation de l’évêque, que rappelle une déclaration royale de février 1657.

Les différents types d’écoles

Il faut en effet distinguer plusieurs types d’écoles. Les écoles que nous appelons écoles communales relèvent des habitants de la commune. Ces derniers en assurent le financement, notamment le paiement du maître d’école, par l’impôt, par des dons ou encore par un droit d’écolage. L’école peut aussi devenir payante. Les écoles paroissiales relèvent du curé. Elle est gratuite. Le curé peut s’appuyer sur l’aide des congrégations enseignantes qui apporte alors une instruction de qualité. Enfin, les écoles de charité sont dédiées aux orphelins et aux enfants abandonnés. Elles sont entretenues par les bureaux des pauvres en charge des hôpitaux généraux. Des prêtes se dévouent aussi à cette tâche comme ceux de la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris dès 1636.

Les écoles communales peuvent être mixtes. Cependant, un concile réuni à Bourges en 1584, puis des Ordonnances diocésaines (1641, 1666) demandent la mise en place d’écoles de garçons tenues par les hommes, et de filles tenues par des femmes sans que les garçons et les filles ne puissent être reçus dans les mêmes écoles. L’instruction des filles, qui se développe depuis le XVIe siècle, est en très grande majorité assurée par des congrégations.

À partir de la fin du XVIe siècle, nombreuses sont les congrégations qui se dévouent à l’instruction. Avec l’approbation de l’évêque, elles fondent des écoles accessibles à tous et gratuites. Elles fondent aussi des écoles de formation d’enseignants. De leurs séminaires de formation, sortiront aussi de nombreux maîtres d’école. Leur développement a été encouragé par le concile de Trente. La commune peut leur donner une aide, par exemple pour se loger, ou leur fournir des sources de revenus.

Le corps des enseignants

Le corps des enseignants est formé des « maîtres des petites écoles et de pension », qui reçoivent les enfants de moins de neuf ans, et des « maîtres écrivains, experts jurés près des tribunaux », qui apprennent à écrire et poussent l’instruction au-delà des premiers rudiments de grammaire et d’arithmétique. Ils assurent l’enseignement dans les écoles communales et exercent parfois d’autres fonctions en raison d’un revenu faible et précaire. Choisi par la paroisse sur avis du prêtre, ils reçoivent l’approbation de l’évêque comme tout enseignant. Depuis le XVIe siècle, les chapitres des églises cathédrales « ont droit de juridiction sur les maîtres d’école de la ville, excepté sur ceux qui sont sur les ordres des curés et exercent dans les écoles de charité des paroisses »[11].

La rémunération des maîtres est constituée du droit d’écolage et d’avantages en nature. Les parents y contribuent aussi, même si les maîtres des petites écoles sont tenus de recevoir gratuitement les enfants pauvres. Après l’ordonnance royale de Louis XIV, nombreux sont ceux qui demandent des gages fixes. Pour s’assurer de bons maîtres, les habitants sollicitent souvent eux-mêmes des impositions spéciales. Le départ d’un maître entraîne généralement la disparition de l’école.

Les difficultés de l’enseignement

L’instruction des élèves est rudimentaire, la discipline plutôt faible. En effet, une classe[12] regroupe des élèves mais leur instruction se fait individuellement, laissant donc les autres dans une certaine oisiveté. Il y enseigne la lecture, l’écriture et le calcul. Le catéchisme et la prière occupent une grande place.

En outre, il est difficile de garantir l’assiduité à l’école toute l’année ou sur plusieurs années. Les enfants sont une aide précieuse pour les familles, soit par leur participation aux travaux des champs, soit par les salaires qu’ils peuvent recevoir. Néanmoins, dans certaines régions, comme sur les terres du duc de Rethel-Mazarin en 1684, dans les Ardennes, il est ordonné aux différents employeurs de ne pas embaucher des enfants de moins de quatorze ans. L’école est en effet obligatoire pour tous les enfants jusqu’à cet âge à partir de celui de six ans.

Cette volonté d’instruire les enfants, y compris les plus pauvres, présente encore d’autres difficultés. D’abord, les maîtres sont en nombre insuffisant pour répondre aux besoins. La concurrence entre les écoles est plutôt rude. De nombreux recours judiciaires entre les différents maîtres et les curés en témoignent. Le développement des congrégations enseignantes pour répondre aux besoins feront aussi tendre les tensions entre les différentes catégories d’enseignants. Enfin, si les congrégations de religieuses développent des écoles de formations au profit de leurs enseignants, ce n’est pas encore le cas pour les écoles de garçons.

Finalement, avant la révolution de 1789, il existe dans le royaume de France un système éducatif plutôt bien développé, marqué par la diversité et par l’hétérogénéité géographique. Un effort est mené pour rendre obligatoire l’école dans les faits et pour prendre en compte les pauvres. Mais est-il efficace ? En 1686, 21% des mariés savent signer leur acte de mariage. En 1787, le taux est de 37%. Dans certaines régions comme le Nord et le Nord-est, et dans les grandes villes comme Paris et Lyon, le taux est de 80% pour les hommes[13]. Certains historiens ont ainsi montré que l’alphabétisation des Français ne doit rien à la révolution. Une des principales difficultés du système éducatif réside dans l’absence de formations de maîtres pour les écoles de garçon…

Les petites écoles de Démia

À la fin du XVIIe siècle, de nombreuses écoles tenues par des religieuses sont proposées aux jeunes filles. À Lyon, nombreuses sont les congrégations enseignantes dédiées à cette tâche : Ursulines (1606), Tiers-Ordre de Saint François de Salle (1608), Sœurs de la Visitation (1617), Compagnie de Marie Notre-Dame (1618), Filles de la Providence (1630)… Notons que certaines d’entre elles ne sont pas cloîtrées comme les Filles de la Croix (1625) ou ne sont pas obligées à vivre en communauté comme les Filles séculières de Saint-Charles (1624), les Filles de Sainte-Geneviève (1658). Certaines de ces écoles se préoccupent des orphelines. En dépit de frais de scolarité plutôt faibles, les filles scolarisées appartiennent généralement à des classes sociales plutôt aisées. La compagnie du Saint-Sacrement contribue aux financements de ces œuvres multiples. Parmi ces membres actifs, se trouve Charles Démia (1637-1689).

Charles Démia, prêtre lyonnais, est un des acteurs de l’enseignement populaire en France que suscite la réforme catholique. Il est entré au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où il est témoin du succès des petites écoles gratuites de Batancourt, auteur d’un ouvrage intitulé L’Escole paroissiale, puis accède au séminaire de Saint-Sulpice établi par Jean-Jacques Olier, dans lequel il est témoin d’une autre œuvre scolaire.

Ordonné prêtre en 1663, Démia doit visiter les églises et à leur entretien. Lors de ses missions, il découvre l’absence d’instruction religieuse des enfants et le manque de formation des maîtres et des maîtresses. Ainsi, en 1665, au titre de « prêtre, commissaire député pour la visite des églises de Bresse, Bugey, Dombes, etc. », il soumet ses Remontrances… touchant l’établissement des écoles chrétiennes pour l’instruction des enfants pauvres [14]. Humbles prières et honnêtes supplications, elles proposent la fondation d’école primaire gratuite à l’imitation de celle de Saint-Nicolas-de-Chardonnet pour mieux ouvrir la jeunesse aux vérités de la foi et à l’aider à prendre de bonnes habitudes de vie et de prière. Elle est donc avant tout un lieu d’éducation chrétienne. Elle sert aussi à apprendre à lire et à écrire.

Avec le concours des membres de la compagnie du Saint-Sacrement et de ses amis personnels, et l’appui d’un héritage, il ouvre une école de garçon gratuite sur une paroisse de Lyon en 1667. D’autres écoles suivront…

En 1672, Démia est désigné pour diriger les petites écoles du diocèse. Il en a déjà fondé cinq. Quelques mois avant sa désignation, il a établi le premier séminaire français formateur de maîtres, le séminaire Saint-Charles, qui forme des ecclésiastiques notamment à la pastorale scolaire indispensable pour tenir les petites écoles. Démia fonde aussi le bureau des écoles composées de prêtres et de laïcs, et rédige des règlements pédagogiques pour les écoles de Lyon et du diocèse, ce qui assure une direction et une cohérence dans l’enseignement. La formation des maîtresses est aussi prise en compte. Il fonde deux écoles gratuites de filles puis la communauté des sœurs de Saint-Charles pour le recrutement des maîtresses.

L’œuvre de Démia se développe en-dehors du diocèse. Elle suscite en effet de nombreuses émulations. Son séminaire reçoit aussi de nombreux disciples de tout le royaume.

De nouvelles pédagogies

Les écoles de Démia se caractérise par de grandes nouveautés en termes de pédagogies : cadre scolaire rigoureux, horaire chargé, enseignement méticuleusement progressif et lent, enseignement mutuel compensant ainsi le manque de maîtres, souci de stimuler les élèves par la répartition en niveaux de connaissances et par un système de questions, de « disputes » et d’émulation. L’autre caractéristique, moins innovant, est l’encadrement de ses écoles uniquement par des ecclésiastiques.

Pour subvenir aux besoins de l’école, Démia a généralement recours aux subventions municipales. Ses Remontrances sont adressées aux autorités municipales et tentent d’éveiller leur attention pour les écoles.

Une expérience diverse et féconde

Démia n’est pas le seul à se préoccuper de l’éducation des pauvres. Nous pouvons citer le mouvement scolaire mis en place à Rouen par Adrien Nyel, un pieux laïc, qui travaille à l’Hôpital général et du bureau des pauvres, et par le Père Nicolas Barré, spécialiste de la formation des maîtres et des maîtresses et fondateur d’une congrégation vouée à l’éducation des filles. Nous pouvons aussi noter le travail du chanoine Nicolas Rolland (1642-1678), fondateur  des Sœurs de l’Enfant Jésus de Reims. La naissance de la maison royale de Saint-Cyr répond aussi aux besoins d’instruire les jeunes filles pauvres de la noblesse. L’abbé Nyel formera les maîtresses des petites classes aux nouvelles pédagogies.

Les Remontrances comme les différentes œuvres scolaires font non seulement de nombreux émules mais elles se stimulent réciproquement.

La fin du XVIIe siècle voit donc se développer de nombreuses écoles pour les pauvres ainsi que de nouvelles pédagogies plus adaptées au temps, notamment pour faire face à la pénurie des maîtres.

L’œuvre de Saint Jean-Baptiste de la Salle

En dépit des travaux remarquables de Démia, celui-ci demeure aujourd’hui bien inconnu. Il est vrai qu’une autre œuvre scolaire l’a éclipsé dans notre mémoire, celle de Saint Jean-Baptiste de la Salle.

L’Institut des Frères des écoles chrétiennes est l’œuvre de Saint Jean-Baptiste de La Salle. C’est une congrégation religieuse de droit pontifical à vœux simples, solennellement approuvée par Benoît XIII en 1725. Aux vœux classiques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, les membres ajoutent une consécration totale de leur personne à la Sainte Trinité. Le règlement établi en 1718 définit l’institut comme une « Société dans laquelle on fait profession de tenir les écoles gratuitement. »[RC, f2, 1][15] Il définit que « la fin de cet Institut est de donner une éducation chrétienne aux Enfans et cest pour ce sujet qu’on y tient les Ecoles afin que les enfans y etant sous conduite des maîtres depuis le matin jusqu’au soir, ces maîtres puissent leur apprendre abien vivre en les instruisant des misteres de notre Religion en leur inspirant les maximes chretiennes et ainsi leur donner l’education qui leur convient. »[RC, f3, 1]  L’œuvre est donc dédiée à l’éducation chrétienne des enfants, et plus précisément aux enfants des artisans et des pauvres. Les règles précisent en effet que les artisans et les pauvres n’ont guère le temps de s’occuper de leurs enfants et de les instruire. « Il faut donc qu’il y ait des personnes substituées aux pères et aux mères pour instruire les Enfans autant qu’ils le doivent être des misteres de la Religion et des principes d’une vie chretienne. » [RC, f3, 4] Livrés à eux-mêmes et mal élevés, ces enfants contractent les mauvaises habitudes qui génèrent souvent péchés et désordre. Le but de l’Institut est de prévenir ces désordres et de procurer le salut aux enfants en les élevant dans la piété et dans un véritable esprit chrétien.

Dès l’origine, les membres de l’institut sont tous des laïcs afin qu’ils se consacrent entièrement, du matin au soir, à l’œuvre. Néanmoins, ils sont religieux par les vœux et les différents exercices de piété auxquels ils sont soumis. Tous sont appelés frères, portent un habit identique et doivent vivre en communauté. Les règles définissent leurs activités quotidiennes, les actes de piété, les vertus à pratiquer, etc.

Les règles définissent l’enseignement à fournir, les comportements à avoir à l’égard des enfants et bien d’autres points importants et pratiques. Il est notamment précisé que « ils prendront tres particuliere garde de ne jamais toucher ni frapper aucun Ecolier de la main ni du pied et de ne les pas rebuter ni pousser rudement. » [RC f.33 VIII.5]

Les innovations de Saint Jean-Baptiste de la Salle


 
Comme nous l’avons déjà évoqué, les membres de l’institut ne sont que des laïcs religieux afin qu’ils se dévouent entièrement à l’œuvre scolaire. Ils ne peuvent pas accéder à la prêtrise pour être totalement dévoué aux écoles.

Les écoles reçoivent gratuitement tous les pauvres et les moins nécessiteux. Ils ne sont pas tous inscrits sur les listes de l’aumône publique. Les enfants reçoivent une éducation et une instruction parfois meilleures que celle des écoles payantes. En raison de leurs succès, certains peuvent être de modestes familles bourgeoises. Des familles aisées n’hésitent pas à envoyer leurs enfants dans ces écoles où se mêlent pauvres et riches. Tous ont droit, gratuitement, à une même instruction et éducation.

Les maîtres des petites écoles, qui enseignent, moyennant finance, protestent contre cette concurrence et en arrivent à perturber les classes, à semer le troubler. Des municipalités veulent aussi limiter la gratuité aux seuls pauvres. Mais Saint Jean-Baptiste et ses successeurs maintiennent le principe de gratuité pour tous.

Les écoles des Frères des écoles chrétiennes ressemblent beaucoup à nos classes. Les cours sont donnés en français. Certes, des leçons demeurent encore individuelles mais des explications sont données aux élèves regroupés selon leur niveau. Chaque enfant appartient en effet à des groupes de niveau, que des contrôles mensuels refaçonnent.

À l’origine, conformément aux règles, les cours sont limités au français, à l’arithmétique et à l’écriture. Cependant, le programme évolue au fil du temps et s’est étendu à d’autres matières. La géographie, la philosophie, la littérature y sont ajoutés. Des écoles sont aussi ouvertes à ceux qui veulent des compléments d’instruction. L’écriture est perfectionnée. Des notions de comptabilités ou encore des approfondissements en arithmétique leur sont procurés. Les Frères des écoles chrétiennes ouvrent aussi des écoles professionnelles.

Les programmes et les méthodes sont unifiés. La cohérence est aussi assurée par des inspections « qui veillera sur toutes les Écoles » [RC f.35 1]. La publication de manuels pour les enseignants et les élèves conforte encore l’unité du système. Cela permet ainsi à tous les élèves de s’adapter rapidement quand ils accèdent à des classes supérieures ou rejoignent d’autres écoles. Cela garantit aussi le progrès des formations et l’enrichissement de la pédagogie.

Le système scolaire est tourné vers l’élève dans son individualité. Chaque enfant est en effet suivi individuellement tout au long de sa scolarité par un document confidentiel, une fiche de ses aptitudes, qualités et défauts. Y sont aussi mentionnés ses punitions, ses récompenses, etc. Il est l’ancêtre de nos carnets de note. Enfin, les enfants assument diverses responsabilités pour le bon ordre général. Ils gagnent en maturité et en confiance.

« C’est contre cette promotion du peuple, des fils de valets, de manœuvres et d’artisans que les encyclopédistes et les philosophes luttaient. Pour un La Chalotais ou un Voltaire, le peuple n’avait pas besoin d’instruction »[16]. Ces « philosophes » ont qualifié les Frères des écoles chrétiennes sous le sobriquet de « frères ignorantins ».

Conclusions



 
Depuis le XVIe siècle, de nombreux chrétiens, ecclésiastiques et laïcs, ont œuvré pour éduquer et instruire la population, notamment les plus pauvres, afin que tous accèdent aux vérités et à la connaissance. Cet effort de charité a donné lieu à des écoles gratuites et au développement de la pédagogie. Les Frères des écoles chrétiennes poursuivent cet élan et fondent des écoles dont le succès est indéniable. De nouvelles pédagogies plus adaptées, une cohérence de l’enseignement, notamment dans la durée, et la formation des maîtres sans oublier leur dévouement pour leurs élèves expliquent probablement leur succès bien mérité. Leur œuvre et bien d’autres encore auraient pu donner d’excellents fruits si la révolution n’avait pas stoppé nette toute cette émulation.

Les écoles gratuites ont eu plusieurs adversaires : les maîtres d’école qui ne supportaient pas la concurrence, certaines familles aisées qui n’appréciaient guère la mixité entre les pauvres et les riches, et les « philosophes » des Lumières qui veulent préserver leurs privilèges. L’Église a été suffisamment forte pour s’opposer à leurs vanités et à leurs intérêts. Elle gêne en effet tous ceux qui veulent exploiter la misère, se pavaner et s’enrichir au détriment des plus démunis. Une société telle que nous connaissons aujourd’hui, une société de consommation, de concurrence, de jouissance, ne peut guère apprécier l’Église…

Avant que la révolution ne les frappe comme les autres religieux, un millier de Frères des écoles chrétiennes enseignaient gratuitement environ 36 000 élèves dans 125 écoles. Les écoles gratuites s’achèvent brutalement en 1792. Mais, en dilapidant la richesse de l’Église, l’œuvre scolaire s’est effondrée. L’assemblée nationale a certes évoqué la gratuité de l’école primaire mais face aux oppositions, elle n’a jamais eu lieu alors qu’elle disposait de la fortune ecclésiastique !

Il faut attendre 1880 pour que Jules Ferry fasse voter ses lois sur l’école gratuite et obligatoire, la présentant comme une modernité, un pas de l’humanité vers le progrès ! Mais ce pas, l’Église l’avait déjà fait plus d’un siècle auparavant avant que sa marche ne soit brutalement interrompue. Et on ose accuser l’Église d’obscurantisme, opposée à la connaissance ! On ose dénoncer l’emprise des prêtres auprès de la jeunesse quand ce ne sont finalement que des laïcs religieux qui se dévouent à l’éducation et à l’instruction des pauvres avec un esprit de pauvreté et d’obéissance ! Mais pouvons-nous demander un tel dévouement aux instituteurs de la république ! Buisson appelait ces « hussards noirs » à la même abnégation mais c’était oublier qu’ils devaient aussi se dévouer à leur famille, et qu’ils étaient bien peu payés… Que d’accusations erronées et scandaleuse qui sous la lumière de l’histoire ne peuvent que se dissiper et montrer finalement le vrai visage de la laïcité ! ...




Notes et références
[1] Jérôme Prod Homme, L’école gratuite, laïque et obligatoire pour les garçons et pour les filles, c’est 1882, francebleue.fr.
[2] gouvernement.fr.
[3] Katia Baron-Deleu, Historia, mensuel 681, septembre 2013, historia.fr.
[4] Manuels Valls, Libération, 17 mai 2015.
[5] Voir Émeraude, septembre 2019, article « Laïcité : la mise en place de l'État laïque ».
[6] Siméon Luce, Histoire de Duguesclin, 1876 dans L’instruction primaire en France avant la révolution, Ernest Allain, 1970.
[7] Voir Émeraude, juin 2017, article « La scolastique, œuvre chrétienne du Moyen-âge ».
[8] Voir Émeraude, juin 2017, article « La scolastique, œuvre chrétienne du Moyen-âge ».
[9] Canon 18, décrets du IIIe concile de Latran, Histoire des conciles œcuméniques, tome II, Raymonde Foreville, sous la direction de G. Dumeige, Fayard, 1965.
[10] Cl. De Sainctes, évêque d’Évreux, dans L’instruction primaire en France avant la révolution, Ernest Allain.
[11] Mémoire du clergé, 1771, tome XIV dans les Cahiers lasalliens, Charles Démia (1637-1689), Journal de 1685-1689, présenté, transcrit et annoté par Frère Yves Poutet.
[12] Le terme d’« école » peut désigner ce que nous nommes « classe ».
[13] Les chiffres sont fournis par Histoire de l’enseignement en France, Léon A. et Roche P, 1967. La signature des actes de mariage est le seul critère retenu sur lequel on puisse fonder des études statistiques sur l’alphabétisation.
[14] Charles Démia, Remontrances faites à Messieurs les prévôts des marchands, échevins et principaux habitants de la ville de Lyon, touchant la nécessité et utilité des écoles chrétiennes pour l’instruction des enfants pauvres.
[15] Règles et constitutions de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, approuvées par Notre Saint Père Benois XIII, à Rouen, 1721, dans les cahiers Lassalliens n°25, maison Saint Jean-Baptiste de la Salle, Rome, 1966.
[16] Frère Yves Poutet, Les ordres religieux sous la direction de Gabriel Le Bras, tome II, Les Frères des Écoles chrétiennes, Flammarion, 1980.

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