" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 7 juillet 2014

La connaissance naturelle de Dieu

Dieu est connaissable par les mystères qu’Il a révélés et que l’Église enseigne par ses dogmes. Cette connaissance atteint sa plénitude en Notre Seigneur Jésus-Christ. Cette vérité de foi a fait l'objet de nombreuses attaques. Le philosophe païen Porphyre (234-305) souligne notamment l’injustice d’un Dieu qui a laissé les hommes antérieurs à la venue du Christ dans l’ignorance du salut [1]L’homme devait-il attendre la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ pour connaître Dieu ? Est-il en effet possible que les hommes soient plongés dans une telle ignorance pendant des siècles, incapables de vivre dans la vérité de Dieu ? De telles objections seraient peut-être recevables si Dieu n’était connaissable que par Révélation. Or Dieu est aussi connaissable par nos propres moyens. L’Église nous enseigne en effet que nous pouvons connaître Dieu naturellement même si cette connaissance demeure difficile et imparfaite.

La connaissance naturelle de Dieu

Dans une de ses épîtres, Saint Paul nous rappelle que Dieu est connaissable par la lumière naturelle de la raison humaine : « ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité » (Romain, I, 20). L’apôtre dénonce alors l’incrédulité inexcusable des païens et leur idolâtrie. La Sainte Écriture insiste sur ce point : « insensés sont tous les hommes, qui ont ignoré Dieu, dans lesquels ne se trouve pas la science de Dieu et qui n’ont pas su par les biens visibles s’élever à la connaissance de Celui qui est, ni par la considération de ses œuvres reconnaître l’Ouvrier » (Sagesse, XIII, 1-5). 


Saint Paul devant l’aréopage d'Athènes
Cette connaissance est rendue possible par l'existence même des choses. Depuis la Création, ce qui est invisible en Dieu peut être perçu en ses créaturesSaint Paul précise en outre que Dieu est rendu visible par sa bonté. Il n’a cessé de témoigner de Lui-même, « faisant du bien, dispensant du ciel les pluies et les temps fertiles, nous donnant la nourriture avec abondance et remplissent nos cœurs de joie » (Actes des Apôtres, XIV, 15-16). Notre vie quotidienne manifeste l’amour de Dieu. Enfin, dans le discours qu’il adresse aux philosophes réunis à l’Aréopage, Saint Paul rappelle que Dieu est aussi accessible par l’histoire. « Il a fait habiter tout le genre humain, qui est issu d’un seul sang, sur toute la surface de la terre, ayant déterminé pour chaque nation la durée de son existence et les bornes de son domaine, afin que les hommes le cherchent et le trouvent comme à tâtons » (Actes des Apôtres, XVII, 26-27).

La Création nous fait donc connaître Dieu et précisément son existence et ses attributs. Ils sont rendus visibles soit par le monde extérieur à nous, soit par le monde intérieur en nous. Et cette double connaissance nous conduit naturellement à Dieu. Cette connaissance peut être en outre étendue par le témoignage qu’apportent les peuples de manière générale. Généralement, ces trois catégories de preuves suffisent pour nous conduire à la connaissance de Dieu. Notre article rappelle les arguments classiques en faveur de la connaissance naturelle de Dieu…

Par l’existence et l’observation du monde

Face aux païens, les apologistes en appellent au fait de la Création et particulièrement à la sagesse, à l’ordre et à la raison qui se manifestent dans la Création. Elle ne peut qu’être l’œuvre d’une Intelligence extérieure à la Création. « Quand on voit un vaisseau naviguer en mer et se diriger vers la rive, on ne doute pas qu’il y ait dans le bateau un pilote qui les guide. De même, il faut admettre un Dieu comme conducteur de toutes les choses, bien qu’on ne le voie pas avec des yeux de chair »[9]. 

L’ordre révèle un ordonnateur, c’est-à-dire une intelligence capable de penser à l’ordre et une volonté capable de l’appliquer et de le maintenir. Sans cet ordre, il ne serait point possible de concevoir une science telle qu’elle existe de nos jours. Elle implique en effet des lois naturelles et universelles qu’elle est censée exprimer. Ainsi l’observation de la nature oriente notre regard vers une Intelligence supérieure, vers une puissance capable de créer et de maintenir son œuvre, vers Dieu…

Rare sont ceux qui ne peuvent observer la nature sans l’admirer. Cette beauté n’est pas le fruit du hasard. Elle est le reflet de la beauté du Créateur. Tel est un des arguments classiques des Pères de l’Église. « Dieu remplit la nature de sa beauté. »[2] La contemplation de la beauté terrestre doit donc conduire à celle de la beauté divine et donc à la connaissance de l’existence de Dieu, de son action créatrice et organisatrice, de sa puissance.


Saint Thomas d'Aquin


L’existence de Dieu n’est pas seulement connaissable mais également démontrable en s’appuyant sur le principe de causalité qui remonte des effets à la cause. En utilisant ce principe et en partant des choses observables, Saint Thomas d'Aquin aboutit à des attributs de Dieu qui impliquent son existence. L’existence de la Création, le mouvement dont il est animé et l’ordre qui y règne supposent en dehors du monde une cause de son existence, une source de son activité et un principe de l’ordre. Par ces voies [5], il démontre l'existence nécessaire de Dieu

Par notre aspiration au bonheur

Les Pères de l’Église en appellent aussi à des motifs d'ordre psychologique. Le besoin naturel de tendre vers Dieu, de pressentir l’éternité et de l’exprimer ne peuvent s’expliquer que par l’existence de Dieu. Un désir de la nature ne saurait être vain. Si l’homme éprouve le désir de Dieu, Dieu doit exister car les instincts sont toujours en rapport avec des objets réels. 

Pour Saint Augustin, l’inspiration morale de notre être à une plus grande perfection ne peut s’expliquer sans l’existence d’un modèle. Et compte tenu de notre insuffisance et de notre imperfection, nous tendons vers Celui qui est parfait. « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi. »[10] Le vrai, le beau et le bien ne peuvent s’imposer à notre esprit sans qu’il n’y ait un être capable de nous les imprimer, sans que la vérité, la beauté et le bien n’existent hors de l’homme. « Ne vas pas au dehors, rentre en toi-même, c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité. »[11] Le désir naturel de Dieu est en nous. Nous tendons vers le « souverainement désirable » selon Aristote.

Or nous avons bien une intelligence capable d’arriver au vrai, une volonté qui aspire au bien et un cœur insatiable de bonheur. Nous disposons donc des moyens pour satisfaire nos désirs. Mais nous connaissons aussi nos faiblesses et nos lacunes. Et plus nos désirs sont grands, plus nous constatons notre misère. 

Si ce désir est alors inaccessible, comment pouvons-nous l’expliquer ? Cette soif inassouvie, ce besoin impérieux, cet instinct de bonheur si fort en nous et si général ne peuvent exister que s’il existe une source capable de les satisfaire. Il faut qu’il y ait un bien éternel capable d’étancher notre soif. De même, pour qu’il y ait vérité, faut-il aussi une source première de tout être et de toute vérité. Cette source ne peut qu’être Dieu…

Par notre conscience du bien et du mal

« Quand des païens, qui n’ont pas de loi, accomplissent naturellement ce que la Loi commande, n’ayant pas de loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes ; ils montrent que l’œuvre de la Loi est écrite dans leurs cœur, leur conscience rendant en même temps témoignage […] » (Épître aux Romain, II, 14). Pour que la voix de notre conscience condamne ou défende, faut-il que Dieu ait inscrit la Loi dans notre cœur. La conscience nous interpelle quand il y a désaccord entre cette loi non écrite et notre comportement ou nos pensées. Certes nous avons la liberté de violer la voix de notre conscience mais nous ne pouvons pas la supprimer. 

Au fond de nous-mêmes et chez tous les peuples, une voix intérieure nous commande donc le bien et nous défend le mal. Reprenant l’argument de Saint Paul, de cette obligation générale existant en toute conscience de pratiquer le bien et d’observer l’ordre moral, Saint Augustin tire l’existence de Dieu. Il existe bien une conception du bien et du mal en chacun de nous. Qu’importe pour notre sujet si nous nous trompons souvent sur cette conception, le fait de constater sa présence universelle en chaque homme nous suffit. Cette obligation est donc indépendante de l’homme particulier comme de l’humanité en général. 

Tout cela suppose un législateur. S’imposant à tous, elle ne peut pas en effet s’imposer d’un seul. Seul Dieu peut revêtir une telle autorité. Nous craignons aussi la sanction en cas de violation. Pour qu’il y ait obligation et sanction, faut-il aussi un Juge capable de s’imposer à toutes les consciences. Le mal mérite un châtiment comme la bonté a droit à la récompense. Dieu seul peut appliquer à nos actes une sanction équitable et proportionnée à leur valeur.

Par le consentement unanime des peuples

Comme le rappellent les philosophes antiques, « aucune nation n’est si grossière si sauvage, qu’elle ne croie à l’existence des dieux, encore qu’elle se trompe sur leur nature »[6]. L’athéisme est une innovation moderne comme nous le confirme l’histoire des religions. « Obligé par mon enseignement même de passer en revue toutes les races humaines, j’ai cherché l’athéisme chez les plus inférieures, comme chez les plus élevées. Je ne l’ai rencontré nulle part si ce n’est à l’état individuel ou à celui d’écoles plus ou moins restreintes, comme on l’a vu en Europe au siècle dernier, comme on le voit encore aujourd'hui. L’athéisme n’est nulle part qu’à l’état erratique. »[7] Ce sentiment déjà ancien d’un spécialiste est fortement confirmé par les découverts archéologiques ou historiques. De nombreux détails semblent faire croire que les hommes préhistoriques aient éprouvé des sentiments religieux, voire suivi un rituel religieux.

Pouvons-nous alors considérer que ce qui est affirmé d’un commun accord soit entièrement faux ? Il pourrait découler d’un sentiment religieux général. Mais qui l’a déposé au fond de notre âme ? Il pourrait pourrait aussi provenir d'un raisonnement, d'une réflexion, ce qui nous conduit encore à confirmer que la connaissance naturelle est possible.

Ainsi diverses voies permettent de connaître l’existence de Dieu. C’est pourquoi l’Église a toujours défendu la capacité rationnelle de l’homme de connaître naturellement Dieu. « Tout homme a la faculté naturelle de connaître Dieu […] et cette faculté est fondée »[3]. Son existence peut donc être connue par tout homme raisonnable « et démontrée avec certitude par la lumière naturelle de la raison au moyen des choses qui ont été faites, c’est-à-dire par les ouvrages visibles de la création, comme la cause par ses effets. »[4] Ainsi toute incrédulité est inexcusable...


Références
[1]
Voir Sébastien Morlet, Christianisme et philosophie, Les premières confrontations (Ier-Vie siècle), Le Livre de Poche, 2014.
[2] Athénagore d'Athènes cité dans Le Concept de beauté chez les apologistes grecs dans B. Pouderon, La beauté chez les Pères, n°111, septembre 2008, éditions Nouvelle Cité.
[3] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 93, 4.
[4] Saint Pie X, Motu proprio Sacrorum antistitum, 1er septembre 1910.
[5] Un prochain article rappellera les cinq voies.
[6] Cicéron, Da natura deorum.
[7] Quatrefages, cité dans Manuel apologétique de l’abbé Boulanger, chapitre I, 1928. L'étude de l'athéisme que nous avons entreprise confirme ce fait historique. Voir les articles du mois d'août et de septembre 2014.
[8] Concile de Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique, chap. 2, Den. 3004.
[9]  Saint Théophile, évêque d'Antioche, Traité à Autolycus, I, 1, 5.
[10] Saint Augustin, Confession, I, 1. 
[11] Saint Augustin, De la vraie religion, XXXIX, 72. 

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