" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 12 décembre 2013

Les déterminismes scientifiques

Dans un sens général, le déterminisme est le principe selon lequel tout phénomène s’explique par une cause. Elle s’exprime sous forme d’une loi scientifique que décrit une formule mathématique. Il se fonde aussi sur le principe que les causes identiques produisent les mêmes phénomènes. Par conséquent, il est possible à partir de la connaissance du présent au sens scientifique, c’est-à-dire de l’ensemble des phénomènes observés, de prévoir l’avenir et de reconstituer le passé


Le déterminisme est souvent lié au nécessitarisme : rien n’arrive qui ne soit nécessaire et qui ne pouvait être prédit. La différence entre ces deux principes est que le premier est calculable quand l’autre n’est que philosophique[1]. 

Ce déterminisme est dit local ou encore régional s’il ne s’applique qu’à une zone de l’Univers, qu’à un système particulier. Il est dit universel s’il s’applique sur l’Univers entier. 




Déterminisme exact, approché ou statistique

Le scientifique français Pierre-Simon Laplace (1749-1827) a défini le déterminisme le plus radicale. Plusieurs philosophes des sciences ont montré son impossibilité, qu’il soit universel ou même local, notamment Alexandre Kojève (1902-1968)[2]. Ce dernier distingue le déterminisme causal exact, celui de Laplace [6], du déterminisme causal approché. Si le premier repose sur le principe « mêmes causes, mêmes effets », le second prend davantage compte des difficultés pratiques de la connaissance. Le déterminisme causal approché repose en effet sur le principe : « causes semblables produisent effets semblables ». La notion d’identité est remplacée par la notion de similitude. La similitude dépend des conditions de l’observation du phénomène, c’est-à-dire de la précision des mesures effectuées sur un système pour quantifier les grandeurs qui le caractérisent, et de l’interprétation de l’observateur. L’observation est donc primordiale. Ce déterminisme est actuellement utilisé en science. Les prédictions sont ainsi approximatives.



Il existe aussi un déterminisme dit statistique. Il repose sur la description et l’évolution des propriétés statistiques d’un ensemble d’objets indifférenciés. La description de l’Univers repose alors sur des lois statistiques. La prédiction est aussi statistique : au terme d’une évolution considérée d’un système physique, tel pourcentage de ses composants aura acquis la propriété X pendant que le reste aura acquis la propriété Y. Mais il sera impossible de dire pour tel composant donné quelle sera sa propriété. Nous pourrons que dégager une probabilité que le composant soit de propriété X ou Y. Le déterminisme statistique repose sur des lois statistiques. Cela présuppose alors que l’Univers ait une structure statistique, c’est-à-dire qu’il admet le calcul des probabilités et des statistiques ou encore que les théorie mathématiques des probabilités et des statistiques puissent s’appliquer dans la réalité.

Qu’il soit exacte, approché ou statistique, le déterminisme repose sur une description mathématique des objets. Elle nécessite la capacité de les traduire en grandeurs calculables et en relations mathématiques. Elle impose aussi que ces relations conduisent à des réponses claires. En clair, il est fortement imprégné de la conviction que le Monde s’inscrit dans des structures mathématiques accessibles aux hommes

Indétermination par complétude et par nature

Depuis le début du XXème siècle, nous savons que des équations déterministes peuvent définir des systèmes indéterministes au sens où elles peuvent donner des solutions divergentes quelle que soient la précision des informations que nous disposons. Ce n’est pas un problème de qualité ou de quantité d’informations. Ce point est essentiel. Nous y reviendrons dans un prochain article…

Certes un problème peut ne pas avoir de réponses satisfaisantes faute de précision dans la loi ou dans les informations disponibles. Le système est alors indéterminé par incomplétude. Mais il existe aussi une indétermination plus fondamentale. Ainsi dans un système physique, nous pouvons ne pas être capables à l'instant t de prédire si le système évolue vers X ou vers Y non pas parce que nous ne disposons pas suffisamment d’informations pour le savoir mais parce que le système peut évoluer vers X et Y à la fois. C’est le cas par exemple de la mécanique quantique qui admet l’existence d’états superposés pour un système physique.

Principe d'Heisenberg

L’indétermination repose sur un principe connu sous le nom de son auteur, Heisenberg. Il énonce que pour une certaine particule, sa position et sa vitesse ne peuvent pas être définies au même instant. Et plus généralement, dans la physique quantique, il n’est pas possible de connaître l’infiniment petit sans le perturber. Mesurer la position d’une particule perturbe sa vitesse et inversement mesurer sa vitesse implique une modification de sa position. Or la définition scientifique d’un objet est associée à des mesures. Dans le monde quantique, la connaissance au sens classique n’a donc pas de sens. Le déterminisme universel est invalidé.

Mais soyons presque rassurés. La physique quantique est restreinte à un certain cadre. Elle n’est viable qu’à une très petite échelle. A partir d’un certain seuil, à une échelle macroscopique, la physique classique reprend ses droits. Les difficultés résident dans le passage du monde quantique au monde classique. 

Selon certains scientifiques, la physique quantique est un outil prédictif complet et un outil explicatif incomplet. Elle ne décrit pas la réalité mais formalise les connaissances que nous en avons. Il n’y a donc pas de sens à en trouver une signification profonde. D’autres scientifiques ne voient pas uniquement dans la théorie quantique un outil formel efficace. Certaines de ses interprétations peuvent revêtir un sens métaphysique pour donner du sens à cette étrange théorie et la relier à la réalité. 

En conclusion, la Science du XXème siècle a réintroduit la philosophie dans la Science. Et ce n’est pas un hasard si l’épistémologie s’est développée au siècle dernier. Car la Science nous apporte plus de questions que de réponses, questions dont elle ne pourra peut-être jamais apporter de réponse. 

« Le XVIIIème siècle fut celui des Lumières : la raison y relégua de plus en plus la foi au second plan »[3]. Nous pouvons croire que le XXème siècle a montré toutes les limites de la « raison » et l’a délogée de son piédestal pour la réintégrer parmi d’autres sources de connaissance aussi valables qu’elle. « L'idée d'un divorce entre les sciences et la philosophie est aujourd'hui en train de s'effriter. On a cru longtemps que les sciences n'avaient pu progresser puissamment qu'en se libérant de la «tutelle» des doctrines philosophiques. […]. On s'aperçoit que la conception purement instrumentale des sciences n'est qu'un leurre. L'exigence philosophique se fait entendre nettement »[4]. La physique quantique, les théories relativistes, mais aussi le développement des sciences du vivant nous obligent à nous poser des questions philosophiques fondamentales. « Il est clair que cette situation, de l'avis des scientifiques eux-mêmes, est aujourd'hui en pleine mutation » [5]. 





Références
[1] Wikipédia, article « déterminisme ». 
[2] Dans son livre posthume L’idée du déterminisme (1990). Voir Introduction à la pensée scientifique moderne de Pierre Sagaut, Institut Jean Le Rond d’Alembert, Université Pierre et Marie Curie – Paris 6. 
[3] Trinh Xuan Thuan, Origine, La nostalgie des commencements, chap.I, Gallimard, 2003. 
[4] Dominique Delcourt, La fin du divorce entre sciences et philosophie, encyclopédie de l’Agora, passage d'une entrevue de Roger-Paul Droit, parue initialement dans Le Monde du 7 juin 1985.
[5] Dominique Delcourt, La fin du divorce entre sciences et philosophie.
[6] Nous appellerons déterminisme laplacien ce déterminisme exact. Il serait développé dans le prochain article.

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