Le bouddhisme, une
thérapeutique au profit du culte du bien-être
Le néo-bouddhisme occidental
est donc parfaitement attirant dans une société où le culte du bien-être ne
cesse de croître. Il répond parfaitement
à ce moi qui s’exalte et s’élève de manière démesurée. Et c’est ainsi que
certains lecteurs décident de se rendre dans des centres bouddhiques afin de
trouver ce qu’il leur manque, un mieux-être.
Le bouddhisme, une sagesse
et une morale laïque
Les livres et revues ne
manquent pas pour vanter toutes les
vertus des pratiques bouddhistes : sa rationalité, son universalisme
ou encore la liberté d’être. Le bouddhisme apparaît alors différent du
christianisme avec ses dogmes, sa morale et ses rites tout en apportant une
certaine spiritualité. Il n’est plus qu’une
sagesse rationnelle plus élevée que toutes les religions.
Ce n’est pas seulement une
idée d’un siècle dépassé. Le néo-bouddhisme d’origine asiatique et influencé
par les pensées occidentales a agi de même. Tout ce qui peut caractériser une
religion, un dogme ou un rite a été soigneusement retiré de leur description. C’est
ainsi qu’il se présente comme une morale
laïque suffisamment élevée pour concurrencer le christianisme.
Un bouddhisme identique au
christianisme idéal mais supérieur
Il est par ailleurs étrange
que le bouddhisme soit si souvent comparé
au christianisme au point que certains y voient des ressemblances. On
n’hésite même pas à voir dans Notre Seigneur Jésus-Christ un Bouddha qui
s’ignore ! Il est vrai que, parfois, de nombreuses notions chrétiennes
sont subtilement utilisées pour présenter le néo-bouddhisme et l’enseigner.
Mais contrairement au
christianisme, le néo-bouddhisme apparaît plus sympathique, moins rigide, moins
dogmatique. L’absence de « dogme »
et de « rite » est en effet
souvent soulignée pour le caractériser. À l’opposé du bouddhisme traditionnel
qu’il considère comme décadente et superstitieux, obsolète pour notre temps, le
néo-bouddhisme a réussi à retrouver sa pureté originelle. Sa modernité est un retour à sa source.
Par conséquent, le
néo-bouddhisme a toute sa place dans une société anciennement chrétienne, qui
relègue le christianisme dans le passé et rejette ses dogmes comme sa morale. Il
lui apporte une spiritualité aussi
élevée tout en lui laissant la liberté d’être. Une telle image ne peut
qu’être attrayante pour nos contemporains.
Un bouddhisme au secours du
christianisme ?
Des chrétiens s’imaginent
même que le néo-bouddhisme pourra leur apporter
ce que le christianisme ne peut pas leur donner. Sa spiritualité, ses
méditations et bien d’autres pratiques se mêlent à la vie chrétienne de
certains fidèles. Ceux-ci en viennent même à le louer, voire à les confondre.
Jésus et Bouddha, même chose…
Un bouddhisme, sauveur de la
civilisation
Le néo-bouddhisme est aussi
associé à une certaine conscience de la
décadence de notre société, et ce depuis le XIXe siècle. L’une des premiers
adeptes et apôtres français du bouddhisme, Alexandra David-Neel, le désigne en
effet comme un remède à la décrépitude de la civilisation occidentale qui
génère angoisse et souffrance. « Est-on
encore justifié en parlant de la faillite de notre civilisation, ou faut-il
employer le terme de catastrophe ? […] Il est, cependant, une autre
expression, moins dramatique, mais plus poignante […] : c’est celle de
décrépitude. […] Ne convient-il pas que nous nous efforcions d’écarter de nous,
hommes de l’époque actuelle, le plus grand nombre possible d’éléments
producteurs de souffrance, et de multiplier les facteurs susceptibles de
contribuer à notre confort matériel et spirituel ? Or, il existe un
enseignement dont le but, formellement affirmé, consiste précisément dans la
Suppression de la Souffrance. Ne serait-il pas sage de lui accorder notre
attention ? »[2]
Ce n’est pas un hasard si la souffrance est l’un des thèmes majeurs du
néo-bouddhisme.
L’activisme des maîtres
bouddhistes
C’est ainsi que depuis deux
siècles, le bouddhisme sous sa forme occidentale ou moderniste est revêtu d’une
image plaisante pour une société déchristianisée, en proie à la souffrance
qu’elle génère et à la recherche du bien-être. Le discrédit des religions poussent
les déçus et les révoltés vers le centres ou groupes bouddhistes de toute sorte.
Le mal-être ambiant, le matérialisme étouffant et le vide spirituel de notre
société y poussent aussi tous ceux qui ne supportent plus leur existence sans
consistance. Tous espèrent y trouver du sens à leur vie. L’image d’un bouddhisme propice à l’épanouissement personnel, non
religieux et remède à la souffrance attire ainsi bien des contemporains
désarmés et conscients d’un manque de bonheur certain.
Les néo-bouddhismes
asiatiques ont développée cette image idyllique du bouddhisme, avec l’aide et
le soutien des bouddhistes occidentaux. Ils sont intervenus aux États-Unis et
en Europe pour la diffuser et gagner de la notoriété. Ce ne sont pas des
asiatiques aux mœurs étranges et inquiétants. Ce sont en effet généralement des intellectuels et des universitaires
qui ont su admirablement adapter leur vocabulaire et leur doctrine à la culture
occidentale.
Des maîtres asiatiques se
sont installés en Occident, fondant des sociétés et centres bouddhistes, offrant
des stages et des méditations répondant aux vœux de nos contemporains. Leurs
ouvrages se sont diffusés avec souvent du succès. En outre, ils ont cultivé
leur image médiatique, rayonnant de tolérance et de quiétude.
Une manne financière
N’oublions pas en effet que
ces derniers ne travaillent pas et doivent être soutenus par les fidèles. Or
ces maîtres n’ont guère de fidèles dans leurs pays d’origine. En Asie, sont-ils
vraiment appréciés, ces laïcs qui dénaturent les religions traditionnelles, et
souvent insuffisamment formés ? D’origine asiatique ou occidentaux, ils
sont en fait bien différents des véritables
maîtres religieux du bouddhisme et de leurs ancêtres. Et en Europe, les
communautés asiatiques de bouddhisme traditionnel ne les apprécient guère.
Un témoignage intéressant
Dapsance s’engage dans un
centre bouddhiste par curiosité, par
attractivité. « Je souhaitais
éprouver moi-même ce que pouvait réellement apporter une « pratique spirituelle
» si positivement perçue – non seulement des membres du centre, ce qui va de
soi, mais également par de nombreux intellectuels occidentaux dont j’avais lu
les témoignages. » Elle constate rapidement que bien de « pratiquants » exercent réellement
la méditation. L’essentiel est ailleurs…
Notons ses premières appréciations.
Elle est d’abord agacée par une présentation d’accueil qui lui paraît trop
commercial et stéréotypée. Dans la bibliothèque d’un centre, elle découvre des
ouvrages de bouddhisme, d’ésotérisme, de yoga, de théosophisme [5],
de végétarisme. Progressivement, pris par une curiosité plus grande à l’égard
d’un univers inconnu, elle s’enthousiasme et approfondit sérieusement ses
découvertes. L’étrangeté et le mystère
qui enveloppent la liturgie et les rites la galvanisent.
En outre, d’une manière
répétée, les discours comparent le
bouddhisme avec le christianisme. « Le dispositif de transmission mis en place par ce centre faisait
émerger et entretenait constamment la comparaison entre un christianisme
délétère et dégénéré et un bouddhisme salvateur, que les observateurs
reprenaient à leur compte en privilégiant les discours des convertis plutôt que
l'analyse de leurs pratiques effectives. » Elle note que la plupart
des adeptes sont des chrétiens déçus.
Enfin, l’enthousiasme en
elle se transforme rapidement en incompréhension, voire en colère, devant l’aveuglement ou la mauvaise foi des
adeptes. En effet, Dapsance constate le caractère éminemment religieux de
leurs pratiques alors qu’ils se déclarent pratiquer uniquement une sagesse ou
une science de l’esprit sans aucun rapport avec la religion. Les discussions
qu’elle engage avec eux aboutissent aussi toujours à une comparaison entre le
bouddhisme et le christianisme, sur leurs avantages et désavantages, sur la
supériorité du bouddhisme sur le christianisme.
Conclusion
L’objectif n’a pas évolué
depuis les travaux de Burnouf [7]
et de ceux qui ont utilisé une interprétation biaisée des textes sacrés du
bouddhisme dans un but de supplanter le christianisme et de développer une
morale laïque. La situation a néanmoins
changé depuis le XIXe siècle.
D’autre part, la déchristianisation de la société, la
pauvreté spiritualité, l’absence du sacré et le vide des rites chrétiens
actuels poussent d’anciens chrétiens déçus vers d’autres formes de religiosité.
La réalité est claire pour celui qui veut la voir. La nature n’aime pas le
vide. Ce que les hommes d’Église ne proposent plus est recherché ailleurs,
laissant alors bien d’individus aux mains des maîtres et des gourous. Voilà sans-doute un des fruits amers
de la révolution qui frappe l’Église depuis plus cinquante ans. Est-ce cela la
charité chrétienne ?...
[1] Voir Émeraude,
novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur
produit des idéologies du XIXe siècle ».
[2]Alexandra
David-Neel, Le Bouddhisme du Bouddha, édition de 1989 dans Sur
le déni de la religiosité du bouddhisme. Un instrument dans la polémique
antichrétienne, Le Débat, 2015.
[3]
Dapsance, « Ceci n’est pas une religion » L’apprentissage du dharma selon Rigpa
(France), thèse de doctorant d’anthropologie, mention « religion et système de pensée », école
pratique des hautes études, 7 décembre 2013.
[4] L’organisation
internationale Rigpa a été fondée en 1978 par Sogyal
Rinpoché, célèbre depuis un livre devenu un best-seller. Or Dapsance a dénoncé ses
pratiques du lama, fondateur des centres tibétains Rigpa,
en 2016 dans son ouvrage Les dévots du bouddhisme. Quelques
mois plus tard, la direction de l’organisation Rigpa l’a démis de ses fonctions
pour « abus psychiques, émotionnels,
psychologiques et sexuels » (La Croix, 29 août 2017). Et
pourtant, certains intellectuels ont dénoncé cet ouvrage.
[5] Voir le centre de
théosophie dans Émeraude, article « Le "bouddhisme occidental",
pur produit des idéologies du XIXe siècle ».
[6] Dapsance, Qu’ont-ils
fait du bouddhisme ?, Bayard, 2018.
[7] Voir Émeraude,
[8] Dapsance dénonce
notamment quatre auteurs, qui, en effet, s’active dans les médias et publient
de nombreux ouvrages sur le sujet, comme nous avons pu le constater. Ce sont Matthieu Ricard, Christophe André, Fabrice Midal et Frédéric
Lenoir. Je rajouterai un autre auteur prolifique Raphaël Liogier.
[9] Voir Bouddhisme et Occident. La diffusion du bouddhisme
tibétain en France, Lionel Obadia, L’Harmattan, 1999, La rencontre du bouddhisme et de
l’Occident et Le bouddhisme en France, Fayard, 1999, et Être bouddhiste en France
aujourd’hui, Bruno Etienne et Raphaël Liogier
Paris, Hachette, 1997.
[10] Voir Le maître dans la diffusion et la transmission du
bouddhisme tibétain en France,
Cécile Campergue, thèse soutenue en 2008 et publiée en 2012 chez L’Harmattan, Le bouddhisme des Français, Thierry Mathé, L’Harmattan, 2005
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire