Au
début du XXe siècle, les études liturgiques se poursuivent. Un véritable réveil liturgique élève toute
l’Église vers une meilleure connaissance de la
liturgie et une plus grande participation des fidèles à la Sainte Messe.
Le pape Saint Pie X se félicite de ce renouveau et exprime aussi sa volonté de rendre la liturgie la plus efficace et
digne possible. « Notre plus vif
désir étant, en effet, que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute
façon et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir
avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunissent
précisément pour puiser cet esprit à sa source première et indispensable :
la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et
solennelle de l’Église. »[3] Témoin
de trop d’abus et désireux de restaurer la liturgie, il met en place tout un
programme de renouveau liturgique : restauration de la musique sacrée,
développement de la communion fréquente et abaissement de l’âge de la première
communion des enfants, insertion dans le catéchisme d’une introduction sur les
fêtes liturgiques, réforme du bréviaire…
C’est
ainsi qu’au XXe siècle, tout un mouvement se dessine en faveur de la
liturgie. Selon de nombreuses publications, Dom Lambert est considéré comme l’un des grands représentants de ce
mouvement depuis le jour, où au Congrès des Œuvres catholiques à Malines, en
1909, il suggère un programme de renouveau pour la liturgie destinée principalement
aux paroisses. C’est par ce discours qu’il donne le départ de ce qui sera à
l’origine du mouvement liturgique.
Dom
Lambert, né Octave Beauduin (1873-1960)
En
1906, Octave Beauduin entre à l’abbaye
bénédictine du Mont-César que les moines de Maredsous avaient fondée à
Louvain en 1899. Il porte désormais le nom religieux de Dom Lambert. Cette
abbaye appartient à la congrégation bénédictine que Dom Guéranger a fondée.
Convaincu
de l’importance de la liturgie et de sa restauration, Dom Lambert lance dès
1909 de nombreuses initiatives pour favoriser sa connaissance dans les
paroisses et les monastères. Il est surtout remarqué à partir de son intervention
au Congrès des Œuvres catholiques de Malines, en septembre de cette année. Pendant
cinq ans, il publie une revue, intitulée Questions liturgiques et paroissiales,
et divers ouvrages, réalise des sessions et des retraites liturgiques, et tente
en vain de fonder une école liturgique. En mai 1914, il élabore le livret La
Piété de l’Eglise : principes et faits, véritable charte du
mouvement liturgique belge dans laquelle il exprime toute la richesse de la
liturgie de l’Église. En 1921, Dom Lambert quitte le monastère du Mont-César
qu’il trouve trop « observant » pour le collège international
bénédictin Saint Anselme de Rome où il enseignera l’ecclésiologie de la
liturgie.
Mais
rapidement, Dom Lambert dépasse
l’apostolat russe pour s’immiscer dans l’église anglicane, contrairement
aux directives de Vatican. Son monastère connaît aussi des difficultés d’ordre
financier. Il finit par céder sa place de prieur. Le monastère est désormais
sous contrôle de Rome. Mais encore sous son influence, le monastère et sa revue
ne sont guère appréciés par Rome. Des moines se convertissent à l’orthodoxie.
La situation est jugée inacceptable. Rome exile Dom Lambert dans un monastère
plus stricte…
A
partir de 1943, dans son exile, Dom Lambert participe aux différents mouvements
liturgiques français, notamment au Centre pastoral liturgique de Paris, à la
revue La Maison-Dieu ou encore aux Semaines d’Etudes liturgiques.
En 1951, il est autorisé à revenir dans son monastère désormais transféré à
Chevetogne où il passera ses dernières années…
L’apostolat liturgique
Dans son livret La piété liturgique, Dom Lambert développe encore son constat. Il dénonce l’esprit de laïcité qui a contaminé le peuple chrétien et s’est infiltré dans son cœur. Il précise alors son programme en matière de renouveau liturgique : « l’idée maîtresse dont l’action liturgique poursuit la réalisation est celle-ci : faire vivre le peuple chrétien tout entier d’une même vie spirituelle, alimentée au cœur de sa Mère la sainte Eglise. »[8] Or « toutes les manifestations liturgiques extérieures que la piété liturgique inspire, anime et conserve, protestant contre cette sécularisation athée et constituent, au milieu de nous, une constante affirmation du surnaturel et des droits de Dieu. » Son apostolat se réalise désormais par la liturgie. C’est pourquoi il parle d’apostolat liturgique, qui lui apparaît fondamentalement social. « Le culte de l’Église, nous dit-il, sera nécessairement extériorisé ». Il attend alors de la liturgie le moyen de développer profondément le sens social du catholicisme.
La
liturgie présente alors trois caractères. Elle est d’abord « latreutique ».
Ce terme vient de « latrie »
qui désigne l’adoration de Dieu. Celle-ci domine dans le culte de l’Église en
vue de la gloire de Dieu. Dom Lambert l’oppose au culte privé qui devient très
facilement centré sur des préoccupations et des intérêts individuels. La
liturgie est aussi « didactique ». Elle enseigne la
doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ « avec une puissance incomparable » en vue de la sanctification
des fidèles. Enfin, la liturgique est sanctifiante
en produisant la grâce par les sacrements et en nous disposant à la recevoir
« par les sentiments de la foi, de
confiance et de componction qu’elle excite en nous. »
Tourné vers
l’aspect social de la liturgie, Dom Lambert y rejette l’individualisme qu’il considère comme « la conception la plus opposée au
catholicisme »[9]. « Le chrétien, au cours de son pèlerinage,
n’est pas isolé dans son moi ; Dieu a voulu autre chose que des adorateurs
individuels allant chacun à lui pour son compte. » Ainsi, par la
liturgie, les chrétiens prennent conscience de leur appartenance à « une fraternité surnaturelle », à
leur « union dans le corps mystique
du Christ ».
Sa
pensée est centrée sur le corps mystique du Christ. Il considère que la prière
doit être tout entière ecclésiale, communautaire. Il ne conçoit pas que la pratique religieuse soit individuelle, hors
d’une participation collective.
Conclusions
Cependant,
concentré sur l’aspect uniquement pastoral de la liturgie et donc sur la
participation des fidèles, Dom Lambert
oppose clairement la prière collective, la seule justifiée à ses yeux, à la prière individuelle qu’il rejette,
la considérant comme un signe d’individualisme. Contrairement à Dom Guéranger,
il ne s’intéresse guère à la prière contemplative et au lyrisme désintéressé de
la liturgie. « Il considère plutôt
la liturgie dans son action sur les âmes que dans son rôle de sanctification. »[10] Puis,
plus porté sur l’apostolat, il met l’accent sur l’aspect didactique de la
liturgie. « Il ne s’agit donc plus
tout à fait de la liturgie, mais bien plutôt de pastorale liturgique. »[11]
En
outre, comme le soulignent certains biographes, ses réflexions et sa recherche ne s’appuient guère sur l’histoire de la
liturgie. Contrairement à Dom Guéranger, ce ne sont pas des études approfondies
qui fondent sa pensée. Il est guidé par son expérience dans les paroisses
ouvrières et déchristianisées et par une vive volonté d’action au profit d’une
idée phare qu’il découvre au gré d’une rencontre et dans laquelle il s’investit
activement. La liturgie ne devient-elle pas pour lui un terrain dans lequel il
peut développer son désir réel d’apostolat ? Cependant, sans-doute emporté
par son tempérament, Dom Lambert ne réduit-il pas le sens profond de la
liturgie au point d’oublier ses deux finalités qu’il a pourtant
définies ? Enfin, tourné uniquement sur la communauté chrétienne,
n’oublie-t-il pas non plus l’homme intérieur qui éprouve le besoin
d’adorer et de prier seul, y compris durant la Sainte Messe ?
[1] Émeraude,
avril 2023, article « Guéranger et le vrai sens de la liturgie ».
[2]
Fondation de Maredsous en 1872, de Mont-César en 1889, restauration de Silos en
Espagen en 1880.
[3] Saint
Pie X, Motus proprio Tra sollecitudini sur la restauration de la
musique sacrée, 22 novembre 1903
[4] François
Werbert, Dom Lambert Beauduin (1873-1960) et sa vision de pastorale liturgique,
contribution au colloque pour le 50ème anniversaire de l’Institut
Supérieur de Liturgie de Paris, 2009, theocatho.unista.fr.
[5] Voir Émeraude,
mai 2016, article « L'œcuménisme » et autres…
[6] Bref de
Pie XI, Equidem Verba, du 21 mars 1924 demande au Primat bénédictin de
créer dans divers pays des communautés monastiques vouées au travail pour
l’union des Églises afin d’instituer plus tard un monastère slave avec deux
limitations : seul l’ordre bénédictin est concerné et seule l’Église
orthodoxe russe est envisagée dans les rapprochements.
[7] Dom
Lambert, Congrès des œuvres catholiques de Malines en 1909 dans Dom
Lambert Beauduin (1873-1960) et sa vision de pastorale liturgique,
François Werbert.
[8] Dom
Lambert, La piété liturgique, chap. V, Le Mouvement liturgique
actuel, projet et programme, Paris, Fides, 1914, dans Dom Lambert Beauduin (1873-1960)
et sa vision de pastorale liturgique, François Werbert.
[9] Dom
Lambert, La piété liturgique, dans La Pédagogie de Dom Lambert Beauduin
(1873-1960), jalons pour aujourd’hui, François Wernert, dans Revue
des sciences religieuses, 84, n°1, 2009, journals.edition.org.
[10] Dom F.
Froger, L’encyclique Mediator Dei sur la liturgie, dans La pensée catholique, n°7, 1948.
[11] Dom F.
Froger, L’encyclique Mediator Dei sur la liturgie, dans La pensée catholique, n°7.