Dans
nos récentes recherches sur le modernisme et la Tradition, nous voyons ainsi souvent
apparaître le nom de John Newman (1801-1890) dans des textes et des
discours en faveur de l’idée de la « tradition
vivante ». Influencé par Mölher[1],
nous dit-on[2],
Saint John Newman aurait été un des maillons qui ont conduit à son
développement et à son succès. Il est aussi souvent présenté comme le
précurseur du deuxième concile de Vatican, voire de la « synodalité ». Des partisans de
l’évolutionnisme religieux le considèrent parfois comme un de leurs précurseurs.
Il aurait même « déblayé en
précurseur le chemin de l’œcuménisme »[3],
œcuménisme entendu dans son sens moderne. Il est vrai que la pensée de Newman
était plutôt novatrice au XIXe siècle au point d’en inquiéter momentanément
Rome. Les modernistes qu’étaient Loisy et Bremond l’ont même désigné comme une
autorité pour stimuler la théologie catholique et s’opposer ainsi à la
domination de la théologie thomiste. Finalement, John Newman est souvent
présenté comme un acteur du libéralisme et du modernisme au sein de l’Église. Est-ce vraiment le cas ?
Nos
recherches sur les rapports entre l’histoire et le dogme, ou encore sur la
Tradition, nous conduit donc à John Newman et à son livre. Notre article a pour
but de présenter cet ouvrage afin de mieux connaître sa conception de
l’évolution de la doctrine chrétienne.
L’histoire,
argument apologétique contre le protestantisme
L’ouvrage
Essai
sur le développement de la doctrine chrétienne est d’abord et avant
tout une œuvre apologétique. Ancien anglican de la Haute Église, John Newman vient juste de
convertir au catholicisme avant de publier son livre en 1845. Cet ouvrage est
le fruit de recherches historiques qu’il mène depuis 1839 et qui le conduisent
progressivement vers l’Église.
L’essai est une réponse aux arguments
des anglicans. Ces derniers affirment qu’ils sont les seuls fidèles à l’Église et accusent les catholiques
d’avoir corrompu la doctrine chrétienne.
Newman
ne doute pas que les anglicans sont conscients de l’incompatibilité entre le protestantisme et le christianisme
historique. Néanmoins, il reconnaît aussi les variations de l’Église à travers les âges, dans sa
doctrine et dans son culte. En apparence, celles-ci peuvent apparaître comme
des altérations ou des incohérences. Les questions qu’il se pose sont d’en vérifier
leur nature et d’en connaître les raisons. Car si effectivement ces variations
témoignaient d’une corruption de l’enseignement ou d’une incohérence, le
christianisme ne peut guère se prévaloir d’une révélation divine, ce qui nous
obligerait à suivre notre propre jugement personnel. L’explication du développement du christianisme peut donc remettre en
cause l’Église
elle-même d’où l’importance de son étude pour notre foi.
Le
principe de Saint Vincent de Lérins, insatisfaisant dans son application
Newman
présente plusieurs hypothèses pour expliquer ces variations. Le christianisme
ne ferait que s’adapter aux
circonstances, et cela depuis le début. Ceux qui défendent cette thèse ont
alors naturellement abandonné la prétention du christianisme à une origine
surnaturelle.
Cependant,
l’application de cette règle soulève bien des difficultés. Elle apporte que des réponses négatives sans définir
positivement ce qu’est le christianisme. Elle est en effet utile pour
déterminer ce qu’il n’est pas plutôt que ce qu’il est. En outre, elle frappe
autant Rome que l’Angleterre comme elle peut ne pas exclure ce que croit Rome
et ce que l’Angleterre rejette. « Elle
ne permet pas de condamner Saint Thomas et Saint Bernard mais en même temps
qu’on défend Saint Athanase et Saint Grégoire de Nazianze. » (Introduction,
8) Ce principe présente donc des limites dans son application. Que signifie en effet en pratique ce qu’on
a partout enseigné, toujours et par tous ?
Newman
nous donne plusieurs exemples sur les difficultés que présente le principe de
Saint Vincent de Lérins pour les anglicans. Si en effet nous devons admettre
que « tout le corps de doctrine qui
concerne Notre Seigneur Jésus-Christ a été professé de manière cohérente et
uniforme par l’Église
primitive, bien qu’elle ne l’ait pas formellement ratifié en concile. » (Introduction, 10), nous ne
pourrions guère invoquer un consentement des théologiens antérieurs au concile
de Nicée en faveur de la doctrine relative à la Trinité, doctrine qu’admettent pourtant
les anglicans. La doctrines sur la primauté du pape qu’ils rejettent,
s’appuient pourtant sur des témoignages bien plus solides, respectant davantage
le principe de Saint Vincent de Lérins, que celle de la Présence réelle dans
l’Eucharistie, qu’ils acceptent. Ainsi, l’utilisation de ce principe est plus
ou moins rigide selon les cas.
La
théorie du développement des dogmes
L’Essai
comprend deux chapitres. La première partie porte sur le développement des
idées quand la seconde définit les sept notes ou marques d’un authentique
développement.
Le
nécessaire développement de toute idée forte
Newman
analyse le développement d’une idée au cours du temps et décrit les différents
processus qui sont soumis à son développement.
Quand
des choses se présentent à l’homme, il est de sa nature d’y porter un jugement.
Nous ne restons pas passifs devant elles ; nous les analysons, les
comparons, les critiquons. Si elles demeurent sous forme d’opinions, elles
s’évanouiront mais si elles se fixent en
lui, elles prendront possession de son esprit. Ses idées se présentent à
nous sous différents aspects, et plus ses aspects sont divers, plus elle a de
force et de profondeur, plus sa réalité s’impose. « Leur multiplicité témoigne de son originalité
et de sa force. » (chap. I, section 1, 2) L’idée est tellement
profonde en ses différents aspects qu’il est difficile de la saisir par une seule représentation ou définition.
Chacun de ses aspects peut être considéré comme autant d’idées séparées. C’est
pourquoi, pour reconstituer l’idée maîtresse, il est possible de s’en servir
d’une pour regrouper l’ensemble autour d’elle, considérée comme point central
de l’idée, sans cependant négliger les autres ou les obscurcir.
Quand
une idée s’impose à notre esprit, « on peut dire qu’elle a une vie, en ce
sens qu’elle vit dans l’esprit qui l’a reçue. » (chap. I, section 1,
4) De même, lorsqu’elle est lancée dans une
société, celle-ci ne reçoit pas passivement. Elle devient dans de nombreux esprits un principe actif, qui les pousse à la
reconsidérer, à en trouver des applications dans de nombreux domaines, à la
propager de tous côtés. Puis, elle fait l’objet de différentes interprétations,
vraies et fausses, qui apportent de la confusion et des confrontations. Les
jugements et les points de vue se multiplient. Enfin, en émerge un enseignement
qui fera face à d’autres doctrines, lois ou systèmes. Cet enseignement est à
son tour classé, comparé, critiqué, choisi ou rejeté. Il finit par s’introduire dans la vie sociale, dans
l’opinion publique, fortifiant ou minant les fondements de l’ordre social. Avec
le temps, il se développe pour former un système de gouvernement, un code de
morale ou une théologie, un rituel selon ses possibilités. « Le corps de pensée ainsi laborieusement
constitué ne sera en définitive guère autre chose que la représentation propre
d’une seule idée, identique en substance à sa signification primitive, ce sera
cette image complète, vue dans la synthèse de ses différents aspects, enrichie
des suggestions et des corrections des nombreux esprits, et illustrée par de
nombreuses expériences » (chap. I, section 1, 4).
Finalement,
selon Newman, le « développement »
est « la germination, la maturation
d’une vérité, réelle ou apparente, dans un vaste champ mental. »
(chap. I, section 1, 5). Cependant, précise-t-il, il n’y a véritablement
développement que « si les aspects
dont la synthèse constitue sa forme définitive appartient réellement à l’idée
originale. »
Le
développement : le résultat d’un combat
Le
développement implique l’engagement puisque l’idée, en progressant, doit exercer une action sur la société,
c’est-à-dire « détruire, modifier ou
s’incorporer les modes existants de pensée et d’action. » Portée par
des hommes, elle progresse en développant des relations entre elle et eux, leur
donnant une nouvelle direction. « Elle
croit par incorporation, et conserve son identité non dans l’isolement, mais
dans une continuité souveraine. » Cela explique la guerre des idées,
qui luttent pour la suprématie, chacune « ralliant des partisans ou suscitant des adversaires, selon sa
répercussion sur les croyances, les préjugés ou les intérêts des partis et des
classes sociales. »
L’environnement dans
lequel une idée progresse n’est pas sans influence ni importance. Au cours de ses différentes phases,
l’idée, en se modifiant, peut en effet être modifiée à son tour. En outre, il a
un impact sur sa vitesse de progression, notamment par les actions adverses
qu’elle rencontre du monde externe, la force que lui opposent des idées
contraires, la corruption de principes étrangers ou par la dissension interne.
Une
grande idée doit néanmoins prendre le risque que pose le monde environnant, y
compris le risque de corruption afin que par ce contact, elle puisse se présenter dans toute sa plénitude puisque
« elle s’explicite et s’étend dans
l’épreuve, et n’arrive que par la lutte à la perfection et à la domination. »
(chap. I, section 1, 7) Finalement, elle doit engager le combat pour que son élément vital se dégage de ce qui
est étranger et temporaire, pour qu’elle s’en délivre.
Le
résultat de sa progression n’est pas certain lorsque l’idée commence à jaillir.
Au commencement, ses capacités ne sont pas mesurables, son but
connaissable. « Au début,
personne ne sait ce qu’elle est, ni ce qu’elle vaut. » (chap. I,
section 1, 7) Sa marche n’est pas non plus tracée, surtout lorsqu’elle doit
rencontrer, tôt ou tard, d’autres idées en territoire étranger. Elle doit même évoluer pour rester fidèle
à elle-même car « ici-bas, vivre
c’est changer ; être parfait, c’est avoir changé souvent. » (chap.
I, section 1, 7)
Sens
équivoque du mot « développement »
Newman
distingue deux sens dans le terme de « développement »
: la marche du développement et son résultat. Il souligne que le mot ne permet
pas de tenir compte de la vérité,
c’est-à-dire de la fidélité à l’idée originelle, c’est-à-dire s’il est
exclusivement authentique ou faux, ou encore infidèle. Dans les deux derniers
cas, il parle plutôt de corruption. Le terme de « développement » est enfin employé dans le sens de « manifestation » d’une idée.
Newman
distingue et analyse les différents développements en fonction des domaines
(physique, politique, logique, historique, éthique, morale, religieuse,
métaphysique). Il constate que des développements, comme ceux relevant de la
politique, sont en dépendance logique avec des idées dont ils sont la mise en
œuvre. Il constate aussi certains ne peuvent pas être corrompus, par exemple
les développements mathématiques, puisqu’ils se reposent sur une démonstration
stricte, les développements physiques, comme la croissance d’un animal ou d’un
végétal, ou encore les développements matériels.
Le
christianisme, lui-aussi objet de développements vrais et légitimes
Faut-il
croire que le fait de les considérer comme faisant l’objet d’un développement
les dégrade au point de considérer le christianisme au niveau des sectes et des
doctrines du monde ? Il n’y a rien
d’irrespectueux de les considérer sous une forme terrestre. « Le christianisme diffère des autres
religions et philosophies en tout ce que le ciel vient y ajouter à la
terre ; non par son espèce, mais par son origine ; non par sa nature,
mais par ses qualités propres et caractéristiques, car il est informé et vivifié
par quelque chose qui dépasse l’intelligence humaine, à savoir un esprit divin. »
(Chap. II, section I, 2) Comme un vase d’argile, il doit croître en taille et en sagesse, étant une religion pour les
hommes, même s’il est d’origine divine
Ainsi,
« il est évident que le
christianisme, en tant que doctrine et pratique, subira un développement dans
les esprits qui le recevront, qu’il est évident qu’il se conforme sous d’autres
rapports, dans sa propagation extérieure ou son organisation politique, aux
voies générales selon lesquelles progresse le cours des choses. »
En
outre, le christianisme est une religion
universelle qui convient à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux. Il doit donc être capable de
s’adapter à l’environnement dans lequel il évolue et alors de varier dans ses
relations et sa conduite à l’égard du monde ainsi que dans sa pratique selon la
société dans laquelle il exerce une action.
Enfin,
la corruption ou le faux développement au sein du christianisme, que nous
constatons dans l’histoire, implique la manifestation correspondante des vrais
développements. Dans les controverses, tous les partis argumentent à partir de
la Sainte Écriture, or,
« raisonnement implique
développement. » (Chap. II, section I, 3)
Finalement,
la lecture de la Sainte Écriture est insuffisante en elle-même. L’homme a besoin du temps pour comprendre,
dans une certaine mesure, les paroles de la Bible, et pour répondre aux
difficultés qu’elles soulèvent. « La
décision a été laissée au temps, au lent progrès de la pensée, à l’influence
d’esprit en esprit, au résultat des controverses, et au développement de
l’opinion. » (Chap. II, section I, 5) C’est pourquoi, ce que
reprochent les protestants à l’égard des catholiques, c’est-à-dire d’avoir fait
évoluer la doctrine et les usages, Newman dénonce aussi les protestants d’en
faire autant. Il est en effet impossible de faire autrement et de se tenir
purement à la lecture de la Sainte Écriture.
Parce
que voulu par Dieu lui-même
« On ne pourrait citer aucune doctrine qui
soit complète, dès son point de départ, et qui n’ait plus rien à gagner des
réflexions de la foi et des attaques de l’hérésie. » (Chap. II,
section I, 12) Car « le
développement du christianisme correspondent au dessein de son divin
Auteur » (Chap. II, section I, 6) comme le témoigne la méthode de
révélation suivie dans la Sainte Écriture,
une révélation progressive, une
révélation qui est « une suite de
développement » (Chap. II, section I, 9) La Bible elle-même est
écrite conformément au principe du développement. Notre Seigneur Jésus-Christ
affirme qu’Il n’est pas venu pour détruire la Loi mais pour L’accomplir. Il ne renverse pas, Il perfectionne.
Le
développement du christianisme, qui ne se limite pas à l’enseignement ou aux
prophéties, n’est pas le fruit d’un désir, d’une émotion, d’un mécanisme
rationnel ou de la spéculation, « il
est le fruit d’un pouvoir naturel d’expansion qui agit dans l’esprit en son
temps, tout en faisant appel plus ou moins, suivant les circonstances, à la
réflexion, au raisonnement logique, à la pensée originale ; il dépend du
degré de croissance morale de l’esprit lui-même. » (Chap. II, section
I, 16)
Mais,
puisque les développements sont voulus par son divin Auteur, le christianisme
admet des développements formels,
légitimes et vrais sans exclure des principes qui régissent la nature.
D’où
la nécessité d’une autorité infaillible
S’il
existe des marques d’authenticité de vrais développements, celles-ci restent
insuffisantes pour guider les individus quand il s’agit d’un problème aussi vaste et complexe que le
christianisme. Ces marques ont un « caractère
scientifique » dans le cadre d’une controverse. Elles se présentent
comme « des instruments »
pour décider correctement mais elles
n’ont aucun caractère pratique et ne peuvent garantir la rectitude des
décisions. Car pour reconnaître la véracité et la légitimité des
développements, les « moyens doivent
nécessairement être extérieurs aux développements eux-mêmes. » (Chap.
II, section II, 3)[6]
Ainsi,
Newman démontre, que pour écarter les corruptions et les erreurs, ces moyens
résident dans une autorité extérieure. « Ce n’est pas autre chose que la doctrine de l’infaillibilité de l’Église » (Chap. II, section II, 4), qui
consiste à décider si une assertion théologique ou morale est vraie. Si Dieu a prévu dans son plan un
développement vrai de doctrine et de pratique, Il a naturellement aussi donné à
une institution le pouvoir de mettre le sceau de son autorité sur ce
développement afin de le garantir contre la perversion et la corruption.
Les
sept notes d’un développement vrai
Newman
propose sept notes ou marques qui permettent de discriminer les développements
sains d’une idée, de ce qui ne serait que corruption et décadence.
« Il n’y a pas corruption si l’idée conserve
un seul et même type, les mêmes principes ; la même organisation ; si
ses commencements font pressentir les phases subséquentes, et que ses formes
les plus récentes protègent et conservent les plus anciennes ; si elle a
un pouvoir d’assimilation et de reviviscence, et garde du début à la fin une
vigoureuse activité. » (Chap. V, 4)
-
la préservation du type : par
analogie avec la croissance physique, les parties et les proportionnées de la
forme développée correspondent à celles de l’état initiale, préservant ainsi la
structure originale. L’apparence extérieure, lorsqu’elle subsiste malgré les
variations, peut-être une garantie en faveur de son identité de fond ;
-
la continuité ou la permanence des
principes : les principes, abstraits et généraux, donnent vie aux
doctrines qui les incarnent et dont ils donnent vie. Pour que le développement
soit vrai, ils ne doivent être ni perdus ni altérés ;
-
la puissance d’assimilation :
le pouvoir de développement est une preuve de vie, surtout dans ses succès, et
une idée ne peut durer que si elle incorpore des éléments extérieurs. Le développement est même un processus
d’incorporation ;
-
une conséquence logique : comme
toute développement intellectuel, la logique est une sûre garantie de fidélité.
Un progrès suit toujours une ligne continue, déterminée qui caractérise
l’histoire d’une doctrine, d’une théorie ou d’une institution. Et selon la
Sainte Écriture, nous
reconnaissons les faux prophètes par leurs fruits. Une doctrine est le résultat
d’un vrai développement dans la mesure où elle paraît être l’aboutissement logique de sa forme originelle ;
-
l’anticipation de l’avenir :
une idée peut contenir dès ses premiers pas des indices qui montrent son
développement futur, ou encore des expressions qui ne se retrouveront que
beaucoup plus tard ;
-
la conservation active du passé :
un développement vrai n’est qu’une addition qui éclaircit et corrobore le corps
de pensée d’où il procède. Il tend donc à conserver
ce qui l’a précédé ;
-
la vigueur durable : la
corruption étant une sorte d’accident ou de maladie, ou encore la fin d’un
progrès, la durée, c’est-à-dire la présente
vivante dans l’esprit humain, est un signe de fidélité d’un développement
vrai. Cela ne signifie pas que la corruption manque d’énergie comme la
décadence, bien au contraire, mais elle se distingue d’un vrai développement
par son caractère transitoire.
Après
les avoir définies, Newman applique les sept notes aux développements
historiques de la doctrine chrétienne.
Conclusion
Newman
s’appuie sur une idée simple, sur la nature du christianisme. Si celui-ci est
d’origine divine, il n’échappe pas à notre condition humaine et donc à notre
temporalité. La doctrine relève bien de notre réalité et s’élabore selon un
processus naturel et humain, qui nécessite en particulier de notre part, une
maturation afin que nous puissions nous approprier de la vérité sous toutes ses
formes. Notre connaissance se développe ainsi au cours du temps, non pas parce
que la vérité évolue mais parce que l’homme a nécessairement besoin de temps
pour exprimer la vérité dans tout son éclat et toute son ampleur en raison
de ses propres faiblesses. Cela est aussi vrai pour tout autre type de
connaissance.
En
outre, Newman nous rappelle aussi que la doctrine évolue dans un
environnement qui peut lui être étranger ou hostile. Elle évolue
nécessairement au contact d’autres idées et dans les adversités. L’évolution
peut impliquer l’incorporation d’idées tout en préservant l’idée maîtresse de
la doctrine ou encore le principe sur laquelle elle se repose.
Enfin,
si le développement de la doctrine respecte les lois qui régissent celles de
tout développement, Newman rappelle qu’il est voulu par Dieu, et qu’excellent
pédagogue, parfait connaisseur de l’homme, Il ne laisse pas son enseignement se
corrompre. Le développement de la doctrine implique alors la nécessité
d’une autorité infaillible capable de garantir sa véracité. Newman justifie
alors le magistère de l’Église
sans lequel il ne peut y avoir de légitimité dans son enseignement. La
pédagogie de Dieu ne se réduit pas à l’histoire sainte comme s’Il n’agissait
plus de nos jours. Nous en sommes encore ses bénéficiaires. Nous avons besoin
de temps pour grandir et entendre la parole divine. Ainsi, l’enseignement
chrétien est encore bien vivant et le sera jusqu’au jour où nous saisirons
toute la plénitude de la vérité…
Notes et références
[1] Voir Émeraude, article « La notion de tradition depuis le concile de Trente », avril 2024.
[2]
Charles
Wackenheim, Écriture et Tradition depuis le concile de Trente : histoire d'un faux
problème dans Revue des Sciences Religieuses, tome
55, fascicule 4, 1981.
[3] La Croix, article « Newman, la passion du dogme, pour défricher l’œcuménisme », 24 février 2010, lu le 28 mars 2024, la-croix.com.
[4]
John Henry Newman, Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, édition
Ad Solem, Écrits newmaniens,
2007. Toutes nos citations viennent de cet ouvrage sauf note contraire. Nous
précisons alors sa référence.
[5]
Voir Émeraude, Le commonitorium de Saint Vincent de Lérins,
janvier 2018.
[6]
Ce principe est aussi vrai en mathématiques dans un certain sens. Voir Émeraude, Incomplétude des théories, mars 2012.