" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


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mercredi 25 mars 2015

Dieu et le temps

Saint Augustin
 
(Philippe de Champaigne)
Il n’est guère possible de parler de la nature du temps sans évoquer Saint Augustin. Aujourd’hui, il demeure une référence incontournable surtout lorsqu’il est question du temps de la conscience. Mais rares sont les discours qui expliquent les raisons de ses réflexions. Effectivement, il ne traite pas du temps dans le but de philosopher.

Temps et éternité

Dans le onzième livre de ses Confessions, il entreprend le commentaire de la Genèse, c’est-à-dire l’œuvre de la Création. Au Xe chapitre, il présente l’erreur de ceux qui disent : « Que faisait Dieu avant de créer le ciel et la terre ? S’il était oisif, s’il ne faisait rien, pourquoi ne s’est-il pas toujours ainsi abstenu de toute œuvre dans la suite du temps comme dans le temps précédent ? »[1] 

Comment pouvons-nous en effet concilier la nouveauté que présente la Création avec un Dieu éternel ? Il est difficile d’entendre que Dieu est véritablement éternel et qu’il ait voulu une chose qui n’existait pas. « Si de toute éternité, Dieu a voulu l’existence de la créature, pourquoi la créature, elle aussi, n’est-elle pas éternelle ? » Dans ses Mémoires, Meslier lève de nouveau cet argument pour montrer l’absurdité de l’idée de Dieu. Nous pouvons aussi évoquer un argument équivalent chez Porphyre qui s’étonne que l’œuvre de la Rédemption s’est réalisée en un temps précis. Finalement, l’acte de la Création est-il compatible avec l’éternité de Dieu ? Telle est donc le sujet de sa réflexion sur le temps.

Saint Augustin différencie le temps et l’éternité. « La longueur du temps n’est faite que d’une succession d’une multitude d’instants » quand dans l’éternité, au contraire, « rien n’est successif, tout est présent ». « L’éternité n’est ni future, ni passée » [2]. L’éternité n’a donc pas de durée contrairement au temps. Il est donc vain de chercher une durée avant que le temps ne soit créé. Avant que Dieu fit toute chose, il n’y avait ni de temps, ni de durée. La question de savoir ce que faisait alors Dieu avant la Création n’a donc pas de sens. « Il n’y avait pas d’ « alors » là où il n’y avait pas de temps. » [3]

Et Dieu demeure dans l’éternité. « Vous précédez tout le passé de la hauteur de votre éternité, et vous dominez tout l’avenir, parce qu’il est l’avenir » [4]. A la différence des créatures qui demeurent dans le temps, « vous demeurez le même, et vos années ne passeront pas ». Les années de Dieu ne passent pas contrairement aux nôtres. « Vos années ne font qu’un seul jour » (II Pier., III, 8). Tout est simultané pour Dieu. Est-ce un présent qui dure perpétuellement ? C’est encore autre chose. « Qu’est-ce qu’un présent qui ne cesse pas d’être, sinon un présent qui ne passe plus ; un tel présent n’est plus du temps, c’est l’éternité. L’éternité, ce n’est pas un présent qui dure, c’est un présent qui ne passe pas, qui ne rejoint pas le passé, c’est donc un présent qui n’est plus la suite d’un présent passé et le début d’un présent à venir ; c’est un présent pour lequel le passé et l’avenir sont présents, en même temps, pour ainsi dire. » [5] Une éternité n’est pas une durée de temps infinie. « Pour Dieu au contraire tout est présent sans avoir été dans le passé ni à être dans l’avenir. » L’éternité et le temps s’opposent donc. Dieu ne peut être dans le temps.

Le paradoxe du temps

Saint Augustin souligne un paradoxe, celui de la fuite du temps : le temps n’a de réalité qu’en tant que chacune de ses parties n’en a pas. Chacune de ses parties que sont le passé, le présent et le futur ne peuvent coexister ensemble. Le temps passe. Le temps est présent s’il passe dans le passé pour se jeter dans le futur. « Le temps est ce qu’il tend à n’être plus » [6].

Pour aller plus loin dans ses réflexions, Saint Augustin cherche à définir la nature du temps et en vient à la conclusion que par abus de langage, nous usons des termes de passé et de futur comme s’il existait au temps présent. « Un langage fait de termes propres est chose rare : très souvent nous parlons sans propriété, mais on comprend ce que nous voulons dire »[7]. Le problème apparaît alors lorsque nous interrogeons notre langage avec rigueur. Il est alors difficile de résoudre les paradoxes apparents du temps puisque notre langage est habitué à obscurcir la notion du temps par des termes impropres.

La mesure du temps

Saint Augustin avoue donc son incapacité à définir ce qu’est la nature du temps. Mais il n’abandonne pas. Il en vient en effet à chercher ce qu’est la mesure du temps. C’est un acte qui peut apparaître simple. Nous le faisons régulièrement. Pourtant, elle comporte des difficultés insurmontables. Il ne peut y avoir de mesure que s’il y a durée, c’est-à-dire un intervalle de temps mesurable. Cela n’est possible que si des parties du passé, du présent et du futur coexistent. Mais ils ne peuvent coexister que s’ils existent simultanément. La durée traduit alors une certaine extension : la mémoire rend présent le passé, l’attention nous met au présent et l’attente nous approche du futur. « Toute la réalité du temps se résume alors dans le présent vivant de la conscience. » [8] Une mélodie dure car les notes déjà jouée sont rendues présentes par notre mémoire, celle en cours par notre attention et celles qui viennent par notre attente. Elle est pourtant jamais entendue toute entière d’un seul coup. La mélodie est « une présence entourée d’une absence toujours changeante, vivante. »[9]
 
La distension de l’âme

Saint Augustin en conclue que « c’est en toi, mon esprit, que je mesure le temps ». « L’impression que produisent en toi les choses qui passent persiste quand elles ont passé : c’est elle que je mesure, elle qui est présente, et non les choses qui l’ont produite et qui ont passé. » [10] Ainsi le temps s’explique parce que « dans l’esprit, auteur de ces transformations, il s’accomplit trois actes : l’esprit attend, il est attentif et il se souvient »[11]. L’esprit se tend vers le passé, le présent et l’avenir. Saint Augustin parle de « distension de l’âme ». La mesure du temps est donc possible car notre esprit reste attentif tout en retenant le proche passé et en anticipant le proche à venir. C’est ainsi que nous percevons que le temps s’écoule. La mesure du temps est finalement l’écoulement du temps en nous.

Insensé ceux qui veulent enfermer Dieu dans le temps…

Dieu demeure dans l’éternité. Immuable, Il n’attend pas et ne se souvient pas car Il demeure attentif dans un présent qui ne cesse pas. Dieu est dans un aujourd'hui qui ne cesse jamais. Tout est présent devant lui, le passé comme le futur. Toutes ses actions et ses pensées, qui sont unes, ne passent pas par des étapes successives. Dieu est immuablement éternel. Il est Celui qui est…

Ainsi il est insensé de vouloir encadrer la volonté divine dans un cadre temporel. Notre langage et notre manière de penser ne peuvent que buter sur des contradictions et des absurdités si nous voulons lier Dieu et le temps. Certes ses actions s’impriment dans notre monde et donc peuvent être perçues et racontées dans un cadre temporel mais nous ne faisons que fixer ces interventions divines puisque par nature, nous n’avons pas d’autres moyens de raconter ce que les yeux ont vu et ce que les oreilles ont entendu. Nous sommes naturellement contraint de temporaliser ce qui est finalement éternel, c’est-à-dire la volonté divine. Notre nature humaine est bien incapable d’exprimer l’ineffable. « Maintenant "mes années s’écoulent dans les gémissements", et vous, ma consolation, ô Seigneur, mon Père, vous êtes éternel. Mais moi, je me suis éparpillé dans le temps, dont j’ignore l’ordre ; de tumultueuses vicissitudes déchirent mes pensées et les profondes entrailles de mon âmes, jusqu'au jour où je m’écoulerai en vous, purifié et fondu au feu de votre amour. »[12]

Mais n’imaginons pas que Dieu nous est inaccessible puisque nous sommes jetés et enfermés dans le temps quand Il demeure dans l’éternité. Kant le croyait. Certes nous ne pouvons ni Le comprendre ni Le connaître parfaitement. Qui est Dieu pour se mesurer à Lui ? Cependant nous pouvons Le connaître par nos moyens naturels. Lui-même s’est fait connaître par sa Parole. Dieu s’est fait aussi visible par le Verbe fait chair.  Toutefois, son existence est connue par ses œuvres et par sa Révélation. Cette connaissance n’est pas parfaite et ne peut l’être. De manière imparfaite, notamment par analogie, nous pouvons connaître ses attributs. Entre l’ignorance et la connaissance parfaite s’élèvent des marches que nous pouvons gravir à l’aide de notre raison et des lumières divines.




Références
[1] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre X, Flammarion, traduction par J. Trabucco, 1964.
[2] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XI.
[3] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XIII.
[4] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XIII.
[5] Sylvain Duforêt, professeur agrégé de philosophie, La Mesure du temps.
[6] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XVI.
[7] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XX.
[8] Sylvain Duforêt, professeur agrégé de philosophie, La Mesure du temps.
[9] Sylvain Duforêt, professeur agrégé de philosophie, La Mesure du temps.
[10] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XXVII.
[11] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XXVIII.
[12] Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chapitre XXIX.

vendredi 3 octobre 2014

Croire ... et alors ?

Pourquoi devons-nous connaître Dieu ? Devant la pluralité des religions et des attitudes religieuses, devant le foisonnement des sentiments religieux, n’est-il pas plus raisonnable de vivre selon notre bon plaisir, dans l’indifférence et dans le refus de toute recherche ? Certes, il est possible de connaître Dieu par nos lumières naturelles mais cette possibilité induise-t-elle des obligations ?...
Grâce en particulier au télescope spatial Hubble, nous pouvons admirer les merveilles qui peuplent l’espace. En soi, cette connaissance n’apporte rien à l’homme. Certes, elle nourrit notre soif de connaissance et cultive notre curiosité mais elle nous semble bien inutile pour notre vie quotidienne bien terrestre. Pourtant, la beauté des nébuleuses, des supernovas et des astres célestes nous élèvent à une connaissance incroyable. Elle nous mène à la contemplation de Dieu. « Bénis, mon âme, le Seigneur ; Seigneur, mon Dieu, votre magnificence a paru avec un grand éclat. » (Psaume CIII, 1).
La connaissance de Dieu n’est pas vaine. Elle nous est en effet utile. Elle implique en outre des exigences. La Sainte Écriture rappelle à plusieurs reprises le manque d’intelligence de ceux qui résistent dans l’incrédulité. « Insensés sont tous les hommes qui ont ignoré Dieu » (Sagesse, XIII, 1-5). En quoi est-il en effet folie de refuser une telle connaissance ?
La réalité qui nous entoure nous répond. La voie qui peut nous conduire à la connaissance de Dieu est source de lumière. L’existence de Dieu s’impose à notre esprit notamment par le principe de causalité que nous appliquons aux choses et aux êtres qui nous entourent. Elle nous montre également leur contingence. Par la raison, Dieu s’impose naturellement comme la cause première, moteur immobile, principe de toute chose et de toute vie. Ainsi nous pouvons reconnaître notre dépendance envers un Être qui est l’Être même. Nous en concluons que nous dépendons entièrement de notre Créateur. Cette dépendance prend naissance dès notre origine et se poursuit dans le temps. Dieu ne laisse pas sa Création se mouvoir seule à travers le temps après avoir déclenché l’impulsion nécessaire. Notre dépendance perdure depuis le commencement. Elle est permanente. Elle est à tout instant. « Ainsi je vous bénirai pendant ma vie ; et en votre nom je lèverai mes mains » (Psaume, LXII, 5).
Notre connaissance naturelle de l’existence de Dieu induit donc une double reconnaissance : 
  • reconnaissance de notre dépendance à l’égard de Dieu qui est puissance et souverain de toute chose ;
  • reconnaissance de sa bonté sans laquelle nous n’aurions point vu le jour

Sans Dieu, nous ne serions point là. Et rien n’oblige Dieu. Rien ne nécessite notre existence. Par conséquent, un double sentiment doit habiter notre âme : le respect et le remerciement
Ce ne sont point des sentiments éphémères mais un devoir impérieux de justice que nous devons envers Dieu. Comme il est juste d’être reconnaissant envers nos parents qui nous ont transmis la vie et nous ont élevés, il est juste et bon de l’être encore plus pour Celui qui en est la source. Cet hommage s’impose donc à tout homme qui reconnaît l’existence de Dieu.
« Le ciel est beau, mais c’est afin que tu te prosternes devant celui qui l’a fait ; le soleil est brillant, mais c’est enfin que tu adores son auteur ; si tu dois t’arrêter à l’admiration de la création et t’en tenir à la beauté des œuvres, la lumière est devenue pour toi obscurité, ou plutôt tu t’es servi de la lumière pour la changer en obscurité. »[1]
Conscients de notre dépendance envers Dieu, nous nous rendons compte que notre destin, notre avenir, notre bonheur sont liés à sa volonté. Nous ne sommes donc pas les seuls acteurs de notre propre existence, de nos joies comme de nos peines. Dieu peut influencer le cours de notre vie.
L’homme n’est donc point seul, pleinement indépendant au sens qu’il serait la cause absolue de ce qu’il entreprend et réalise. Il ne peut maîtriser sa propre existence. Il ne peut donc pas vivre comme s’il était le seul maître à bord. 
Il prend également conscience que le monde dans lequel il vit et agit avec d’autres créatures ne lui appartient pas. Son action sur son environnement est donc limitée et encadrée. Lorsqu’une chose ne nous appartient pas, naturellement, nous en prenons soin car évidemment le véritable propriétaire en demandera des comptes. Nous reconnaissons ses droits comme une voix intérieure nous appelle aux sentiments et aux vertus les plus simples. De même, nous ne pouvons pas abîmer l’œuvre divine. Nous sommes donc redevables envers Celui qui a tout créé et qui maintient son œuvreCela est aussi vrai à l’égard des rapports que nous pouvons établir avec les hommes. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons à l’égard de toute créature. La connaissance de l’existence de Dieu impose aussi des obligations sociales.
L’homme se rend aussi compte qu’il n’est pas non plus maître de lui-même. Si la vie et son existence sont dues à Dieu, elles lui sont aussi redevables. Nous ne pouvons pas agir envers nous-mêmes comme si nous croyons que nous sommes la raison même de notre subsistance. Dieu est notre maître qui légitimement a des droits envers nous. De Lui viennent la vie et l’être…
Notre raison nous montre que Dieu n’est pas simplement Créateur mais aussi Providence. Il donne à chacun les moyens dont il a besoin pour parvenir à une finalité qu’Il a lui-même fixée. Il soutient notre existence. Il nous accompagne dans notre vie afin que nous atteignions notre épanouissement, c’est-à-dire le bien. Dieu est donc aussi source de notre bonheur. Ainsi notre reconnaissance dépasse le simple constat de notre dépendance envers Dieu. La créature que nous sommes ne voit pas simplement en son Créateur un maître à qui nous devons un véritable hommage empli de gratitude, nous voyons aussi en Lui le guide qui nous garantit la plénitude de notre être, la plénitude de notre existence, en un mot, le bien ineffable auquel nous aspirons. 
« Mon Dieu, mon Dieu, je veille et j’aspire vers vous dès la lumière. Mon âme a soif de vous ; en combien de manière ma chair est pour vous ! » (Psaume LXII, 2).
Nous reconnaissons finalement que tout n’est pas vain ici-bas, le fruit d’un hasard ou les résultats d’un jeu de dés machiavélique. Tout a un sens. Tout prend sens. La connaissance prend également tout son sens. La science est ainsi possible.
Et notre connaissance ne se réduit pas à ce que nos sens peuvent nous fournir puisque nous connaissons Dieu et que Dieu n’est point directement accessible à nos sens. Par les choses visibles, nous atteignons l’invisible. Le monde tel qu’il existe prend ainsi une dimension qui dépasse notre nature humaine. Notre perception de l’Univers se trouve ainsi changée. Nous ne sommes plus au centre du monde. L’Univers tourne désormais autour d’un autre pôle, Dieu.
Enfin, la connaissance naturelle de Dieu nous pousse inévitablement à nous poser la question de l’intervention de Dieu dans le monde et dans l’histoire. L’idée de la Révélation devient possible, compréhensible, crédible. Elle peut même s’imposer naturellement. Si Dieu agit ici-bas, ne peut-Il pas aussi parler aux hommes ? Sa bonté se limite-elle à la Création et à la Providence ? …

En accédant à Dieu et en apercevant ses attributs, certes de manière imparfaite, nous arrivons à une meilleure connaissance du monde dans lequel nous vivons et de nous-mêmes. Sa grandeur et sa puissance éclairent notre faiblesse et notre petitesse. Nous prenons conscience de ce que nous sommes réellement. Aujourd’hui, la science nous montre de manière éclatante notre ignorance abyssale et nos vanités. Les connaissances que nous puisons de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand nous montrent notre fragilité et nos prétentions. Que pouvons-nous alors dire quand nous découvrons Dieu ? Nous ne pouvons guère cacher notre misère quand la raison rend visible l’Absolu… Nous sommes peu de choses. Et pourtant, nous sommes encore présents, profitant pleinement du monde qui nous entoure…
Ainsi la connaissance naturelle de Dieu nous impose des obligations, une légitime et profonde reconnaissance de Dieu en tant que Créateur et Providence. Elle encadre aussi nos actions à l’égard de l’Univers et de l’humanité, et envers nous-mêmes. Elle donne sens à notre vie, à notre science, à notre bonheur. Elle rend compte de notre foi sans en être la cause. La connaissance naturelle de Dieu nous pousse finalement à élever notre regard vers Dieu, c’est-à-dire à prier. Le connaissant comme source de tant de bienfaits, pouvons-nous en effet croire qu’Il n’est pas à l’écoute de notre âme ? Une mère si intentionnelle se désintéresserait-elle des pensées de ses enfants, de ses souhaits, de ses peines ? A la connaissance s’ajoute donc la confiance en Dieu.

La connaissance naturelle de Dieu n’est donc pas vaine. Elle est source d’une connaissance plus vaste, plus profonde, qui agit véritablement dans notre vie. Elle nous conduit vers la source de notre bonheur et vers notre fin. Le monde et notre existence finissent par être remplis de Dieu. Dieu finit par être l’objet de nos désirs, l’être aimé. « Je bénirai le Seigneur en tout temps ; toujours sa louage sera dans ma bouche. Mon âme se glorifiera dans le Seigneur ; que les hommes doux m’entendent et qu’ils soient comblés de joie. » (Psaume XXXIII, 2-3).
Mais ce premier contact peut apparaître insatisfaisant, voire déroutant. Comment en effet pouvons-nous répondre aux exigences d’une telle prise de conscience ? Contrairement aux êtres qui l’entourent, l’homme a une conscience. Il sait qu’il sait et donc il vit selon cette connaissance. Comment pouvons-nous en effet être justes et pleins de gratitude envers Dieu, connaissant nos faiblesses et notre misère ? Comment pouvons-nous prier ? Qu’attend Dieu de notre part ? Quand nous prenons conscience de l’existence de Dieu, nous n’en nous contentons pas. Nous avons faim d’une connaissance plus approfondie, plus haute, plus lumineuse encore. Nous voulons encore mieux Le connaître et mieux connaître sa volonté. Et nous découvrons notre misère, notre incapacité de répondre à cette faim qui nous démange. En fait, une conclusion s'impose : seul Dieu peut nous nourrir…
« Si Dieu s’est manifesté à nous dans la Création et se manifeste continuellement, Il veut que nous fassions attention à cette manifestation.»[2]



Références
[1]
Saint Jean Chrysostome, Sermon sur la Genèse, I, 1 cité dans cité dans Connaissance des Pères de l’Église, la Création, décembre 2001, n°84, article La Lecture chrysostomienne des deux premiers chapitre de la Genèse :une Création ordonnée et offert en spectacle à l’homme, Laurence Brottier.
[2] Mgr B. Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, Livre premier, chapitre I, §19, éditions Salvator, 1944.

lundi 12 mai 2014

Quelques impostures sur l'origine de Yahvé

Pour nous attirer, nous qui sommes des pauvres ignorants en quête de connaissances, des revues annoncent souvent de surprenantes révélations en gros titres sur leur couverture. Mais sitôt piégés, nous les oublions vite, nous apercevant peut-être notre regrettable naïveté. Nous surfons aussi parfois sur l’internet à la recherche de surprenantes révélations ou d’une nouvelle extraordinaire, bouleversante, révolutionnaire. Nous finissons par accumuler des informations sans importance, croyant connaître ce qui n’est finalement qu’opinions, mensonges ou paroles ressassées depuis des lustres. Car finalement, le progrès de la connaissance n’est pas aussi rapide que nos désirs et nos attentes. Certes les connaissances nous sont plus accessibles mais sont-elles nouvelles ? Plus facilement manipulées au gré de bonnes ou de mauvaises intentions, elles peuvent aussi nous abuser si nous manquons suffisamment de recul et de culture si indispensables àun jugement sain.

Ainsi encore récemment, une revue prétend nous révéler ce qu’on aurait toujours caché sur la Bible. Elle n’est pas en effet le premier « papier » à vouloir remettre en cause nos connaissances vraies ou fausses sur la Sainte Écriture. A-t-elle encore quelques choses à nous révéler ? Peut-être. Elle ne peut néanmoins qu'être salutaire si effectivement elle cherche à combattre les mensonges et les préjugés. Cette annonce nous fait cependant sourire tant nous avons encore en mémoire les attaques incessantes des deux derniers siècles contre la Sainte Bible. 



Qu'y-a-t-il de nouveau depuis les attaques des païens contre ses incohérences et ses contradictions depuis le IVe siècle ? Porphyre (234-305 ?) n’est que la muse de Voltaire (1694-1778). Cette réminiscence nous rappelle les événements qui ont suivi la parution de Da Vinci Code, autre ramassis de tous les ragots de l’histoire. Rien de nouveau sous le soleil…
Une origine produit d’une évolution religieuse
Une des thèses les plus récurrentes est l’idée que le monothéisme serait une invention des Juifs. Ces derniers seraient en effet passés d’un culte polythéiste sous les patriarches à un culte monothéiste sous l’influence des grands prophètes. Le monothéisme serait ainsi né de leur maturité religieuse ou d’une volonté politique. Les recherches historiques ou archéologiques appuieraient cette thèse et contesteraient donc les vérités de foi.
Nous retrouvons notamment cette thèse sur le site de l’éducation nationale [1] en charge de la formation des enseignants. Fort d’une grande érudition et de l’appui de travaux d'archéologues et d'historiens de renom, un article la développe avec une prudence relative. Le nom de Yahvé serait en fait celui d’un dieu que les Juifs se seraient approprié d’un peuple étranger après avoir rendu un culte à plusieurs dieux. Cette hypothèse n’est pas nouvelle. Elle n’est nullement une vérité même au sens historique tant les suppositions sont nombreuses et les traces archéologiques ou historiques fragiles …
Cette hypothèse est déjà attestée à la fin du XIXe siècle au moyen de l'histoire critique des religions. Cette nouvelle « science » a pour objectif d’appliquer sur les religions et leurs textes fondateurs les méthodes critériologiques des textes. En outre, elle veut s’appuyer sur des découvertes archéologiques, sciences aussi innovantes à l’époque. Elle cherche en fait le plus souvent à rechercher une origine naturelle au nom de « Yahvé » dans l’évolution religieuse d’Israël.
Selon l’hypothèse la plus commune, le terme de « Yahvé » serait un antique nom de Dieu antérieur à Moïse que ce dernier aurait adopté et solennisé pour désigner le Dieu juif. La scène du buisson ardent par laquelle Dieu révèle son nom serait en effet entendue comme l’acception d’un nom païen antique de Dieu. Selon une thèse plus récente, Josué aurait inventé cette légende pour justifier l’instauration d’une théocratie.
Les débats se focalisent donc sur l’origine naturelle du nom de Dieu. Seraient-elles phénicienne, qérite, ou madianites ? Selon les suppositions les plus simples, le trigramme « yhvh » ou « yh » proviendrait de «  » ou «  » d’origine phénicienne.
Une origine médianite

En 1862, F.W. Ghillany, écrivant sous le pseudonyme de Richard Von Der Alm, propose l’idée d’une origine médianite. Moïse est en effet accueilli chez son beau-père Jethro, prêtre de Median  (Ex. XVIII). Il aurait donc connu le nom de « Yahvé » grâce aux Madianites et non par révélation divine. Dans certains textes, Jehtro est considéré comme appartenir aux Qénites.

Le site de l’éducation nationale reprend donc la thèse d’une origine médianite. « En se fondant sur l'étude des traditions anciennes véhiculées dans les textes bibliques, il semble que l'origine du culte de Yahvé soit à rechercher dans le sud du Néguev, à la bordure nord du Sinaï. Avec prudence, on pourra même préciser qu'il s'agissait du dieu tribal des clans madianites dont on dit que le prêtre Jéthro fut le beau-père de Moïse. » Cependant, prudent dans son discours, il nous rappelle la difficulté « de faire le partage entre la légende et l'histoire. » L’article est semé de suppositions : « il semble », « on dit », « on pourra ». Néanmoins, il rappelle une certitude : « ce qui est historiquement assuré, c'est que Yahvé était le dieu national de la monarchie israélite et le souverain tutélaire de ses rois, aussi bien sous la monarchie unifiée des règnes de David et de Salomon que dans les deux royaumes de Samarie et de Jérusalem ».

Prudence ? Une prudence toute relative, voire assassine. L’article n’hésite pas en effet à désigner Yahvé comme le « dieu de l'orage et de la fécondité […] aussi de la guerre et des armées ». Sans une moindre hésitation, sans la moindre preuve, une telle affirmation est lâchée brutalement dans une phrase, lourde de signification. Elle nous affirme que Yahvé est un dieu païen. Après quelques recherches, nous trouvons cette hypothèse chez Wellhausen [2] puis plus récemment chez Knauf [3]. Selon ces spécialistes, le tétragramme aurait une origine sud-sémitique identique. Il pourrait provenir d'un terme arabe dont un des sens serait « souffle ». Ainsi pourrait-il être identifié comme un dieu de la guerre…


L'article de l'Education nationale reprend en fait les thèses d’un livre de I. Finkelstein et N.A. Silberman qui veulent prouver que les récits sur les patriarches ne seraient qu'une «puissante expression des rêves judéens du VIIe siècle av. J.C[4]
Une origine chananéenne
Au début du XXe siècle, un autre chercheur [5] rejette l’idée d’une origine madianite ou qénite, faute de preuves concluantes et émet une autre idée : « cette divinité est d'origine chananéenne ; elle est originaire de la région benjaminite, plus exactement de la petite confédération des Hévéo-Gabaonites, comprenant les quatre villes de Gabaon, Kaphira, Beérot et Kiryat-Yarim. »[6] En envahissant Gabaon, les Hébreux auraient adopté le culte célébré à Gabaon. La difficulté est alors d’expliquer comment on pourrait s’accaparer d’un dieu dont on aurait vaincu son peuple, habitude contraire à celle de l’époque.
Rejetant toute idée de révélation, il tente de démontrer que la religion juive est issue de Chanaan. Il oppose deux cultes : celui d’El Elohim du peuple hébreu et celui de Yahvé. Ce dernier aurait finalement détrôné son concurrent. Quoiqu’ancienne, cette idée est très présente de nos jours. De nombreux experts opposent les deux noms pour tenter d’expliquer deux cultes différents. Nous avons déjà expliqué leur sens non dans une opposition mais dans une complémentarité[7].
Selon cette thèse, le culte d’El Elohim serait le plus ancien. Ce nom étant un pluriel, il est considéré comme polythéiste. Les grands prophètes l’auraient alors supplanté par un culte monothéiste au cours de la déportation du peuple juif. El Elohim serait remplacé par Yahvé, devenu Dieu national et Dieu de l’Univers. Ainsi le peuple d’Israël aurait connu le polythéisme qui aurait évolué en monothéisme.

Il est peut-être utile de rappeler une des significations traditionnelles du pluriel, notamment dans la Sainte Ecriture. Dans certains cas, il peut en effet exprimer le pluriel de majesté. Le sujet et le verbe qui sont associés à El Elohim sont normalement au singulier. Signe très probant de la signification réelle du pluriel utilisé ! Des Pères de l’Église ont aussi interprété le pluriel en usage dans certains versets comme figure ou réalité de la Sainte Trinité.
Forme abrégée de Yahvé
Pour justifier encore l’hypothèse d’une origine étrangère, il est souvent rappelé que la Sainte Écriture emploie les termes Yahu, Yo ou Yah, comme forme abrégée de Yahvé. Dans un papyrus de juifs d’Eléphantine, le terme de Yaho aurait aussi été trouvé[8].
A l’origine, la langue sémitique ignore les voyelles. Nous n’avons donc dans la Sainte Écriture que le trigramme « yhwy », devenu en français « yahveh » ou encore « yahvé ». Les Pères de l’Église le reconstituent comme nous le connaissons aujourd’hui. Origène nous donne la prononciation du nom divin (« yhw »). Dans un fragment ancien de la Bible, le tétragramme est rendu en grec par « ΙΑΩ ». La forme brève « Yahuo » est aussi utilisée dans des noms propres bibliques ou non. Il y a enfin une troisième prononciation : « Yah », probablement pour des besoins liturgiques. Nous la retrouvons dans l’acclamation « Alleluia » (« hallelu-yah »).
Yahvé et Ashérah
Asherah
Dans la Sainte Écriture, nous sommes témoins de la lutte incessante des prophètes contre l’introduction et la diffusion des cultes païens chez le peuple juif. Le dieu étranger le plus cité dans la Bible est Baal. D’après des textes d’Ugarit, « grande ville cananéenne du XIVe siècle avant J.-C. », « on sait bien maintenant que Ba’al était étroitement associé soit à la déesse Anat, soit à la déesse Astarté, pour vaincre les forces mauvaises (la sécheresse et la mer) qui menaçaient sans cesse la fertilité nécessaire à la survie des hommes. ».
Grâce au progrès de la connaissance des peuples anciens, « on sait aussi que le chef du panthéon cananéen s’appelait El et qu’avec l’assistance de la déesse Ashérah, il avait engendré les autres dieux, puis procédé à la création de tout l’univers. Comme Israël s’adressait aussi à son Dieu sous le nom d’El, on comprend facilement que la déesse Ashérah ait pu être une constante tentation de vénération à côté de ce Dieu national. »[9]
Dieu cananéen El
Les archéologues[10] ont trouvé une inscription sur une jarre qui ressemble à une formule de bénédiction à l’égard de « Yahvé et Ashérah ». Les mentions de Baal et d’El sont aussi inscrites auprès de Yahvé. Le terme d’Ashérah désigne soit une déesse, soit un objet qui lui est associé, un pieu généralement. Les spécialistes se débattent sur le sens à donner à ce nom. Avant cette découverte, seule la Bible la mentionnait. Auprès de l’inscription, se trouve aussi un dessin : une « figure féminine assise sur un trône ou une chose, et jouant de la lyre. » [11] Pour certains spécialistes, il désignerait bien une déesse…
Cette découverte archéologique a évidement été reprise pour associer Yahvé avec une déesse : « Yahvé avait une partenaire féminine : Ashéra », qu’aurait ensuite bannie Josias. Il semble même que « les archéologues trouvent d'innombrables traces d'Ashéra datant de la fin du 8e au début du 6e siècle avant Jésus Christ »[12] contrairement aux affirmations d’un autre spécialiste et sans apporter la moindre preuve. Cette découverte, déjà ancienne, est donc utilisée pour annoncer que finalement le peuple juif était polythéiste ! Étonnante nouvelle ?...
Est-ce en effet une nouvelle qui pourrait nous décontenancer ou plutôt une confirmation de ce que nous savons déjà ? La Sainte Écriture nous répond. En effet, dans l’Ancien Testament, les prophètes ne cessent de lutter contre les Juifs qui introduisent les dieux étrangers dans le culte de Yahvé. Le fait que des noms divins soient en outre utilisés par des peuples différents pour signifier des dieux différents ne peut que favoriser des confusions. L’inscription peut donc être simplement considérée comme une manifestation claire d’un syncrétisme religieux que relate la Sainte Écriture. « Les graffiti de Khirbet el-Qôm et de Kuntillet Ajrud mentionnent « Yahvé et son Ashérah », ce qui semble être une attestation du syncrétisme qui devait être la pratique concrète d’une partie de la population »[13]. Le peuple juif a en effet tendance à se tourner vers le polythéisme. Sous la lumière de la foi, les traces découvertes ont un véritable sens…
Le terme El
L’emploi d’un même terme El pour désigner deux dieux différents, est-ce vraiment étonnant quand nous savons que ce mot désigne la divinité pour l’ensemble des sémites?[14] Il est aussi à l’origine du mot « Allah », « Al-ilah », « Ilah » étant un dérivé d’ « Eloah » d’où est tiré l’abrégé « El ».
Notons néanmoins que l’utilisation de ce terme est assez spécifique pour les Juifs. Contrairement aux païens, les Juifs utilisent ce mot au pluriel, Elohim, pluriel de majesté. Comme nous l’avons déjà évoqué [7], il est surtout employé pour désigner Dieu de manière absolue, le terme de Yahvé étant utilisé lorsque Dieu est en rapport avec l’homme.
La mauvaise foi
Certaines critiques tendent pourtant d’imposer une autre vision : les prophètes auraient combattu le polythéisme non pour rétablir le culte ancien mais pour le détrôner par un nouveau culte. Le monothéisme viendrait ainsi du polythéisme, telle est leur thèse. Hypothèse probable mais incertaine. Mais elle a la faveur de certains experts puisqu'elle n’est pas vérité de foi. Elle est prétendue « scientifique ». Ne soyons pas dupes. La vérité de foi est rejetée au profit d’une foi naturelle. Ainsi tourne-t-on en dérision ce que nous croyons pour une autre croyance ! Où est l’esprit de vérité ?
Pour contrer ces remises en cause perpétuelles qui font tant de ravages, il est nécessaire et important de s’instruire et d’instruire, et de former l’intelligence afin de déceler les erreurs et les impostures. C’est par cet effort que les ténèbres reculeront avec l’aide de Dieu. Car « si le Seigneur ne bâtit la maison en vain travaillent ceux qui la bâtissent » (Psaumes, CXXVI, 1)…







Références

[1] Voir Jean-Marie Husser, professeur à l'université Marc-Bloch de Strasbourg, L'approche historique des documents fondateurs : la Bible, 2003, sur le site éduscol, censé fournir des connaissances aux enseignants.
[2] Wellhausen , Israelitische und judische Geschichte, 1914, p. 25 n°1 cité dans Milieux bibliques de M.Thomas Römer, professeur.
[3] E.A. Knauf, Yahweh, 1984 cité dans Milieux bibliques de M.Thomas Römer.
[4] I. Finkelstein et N.A. Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l'archéologie, Paris, Bayard, 2002 cité dans Une relecture de la Bible à partir de l'archéologie, J.-M. Van Cangh, professeur à la faculté théologique d’UCL, publié sur le site upjf.org, le 27 décembre 2005, article paru dans la Nouvelle Revue Théologique, Namur, décembre 2004.
[5] Voir Religions d’Israël et des sémites occidentaux de Maurice Vernes, dans Écoles pratiques des hautes Études, section des sciences religieuses, Annuaire 1918-1919, www.persee.fr.
[6] Voir Religions d’Israël et des sémites occidentaux de Maurice Vernes.
[7] Voir Émeraude, juillet-août 2012, article « La Création selon la Sainte Écriture ».
[8] Voir André PAUL, spécialiste de la société contemporaine de Jésus et de l'histoire de la constitution de la Bible, Encyclopédie Universaliste.
[9] Guy Couturier, professeur émérite, Université de Montréal, La Découverte du monde biblique, 16 janvier 2009.
[10] Découverte faite en 1975-1976 à Kuntillet ‘Ajrud dans un fortin israélite bâti au cours du VIIIe siècle avant J.-C., dans un coin reculé du nord de la péninsule du Sinaï et à Khirbet elQôm.
[11] Guy Couturier, professeur émérite, Université de Montréal, La Découverte du monde biblique, 16 janvier 2009.
[12] Une face cachée du dieu biblique, http://loriginedumonde.hautetfort.com.
[13] Matthieu Richelle, L’épigraphie nord-ouest sémitique et son intérêt pour l’étude de l’Ancien Testament, dans la revue théologie évangélique, vol. 7, n°2, 2008.
[14] André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, article Élohim, Robert Laffont, 1989.

jeudi 8 mai 2014

Le Tétragramme : Dieu se révèle - Dieu est

Depuis des siècles, depuis qu’il se questionne sur lui-même, l’homme cherche à définir ce qu’est la vérité tant cette question est fondamentale pour lui. Car l'homme est avant tout un être en quête de vérité, guidé par le désir du vrai. Or il semble aujourd'hui ne plus entendre cet appel. Mais cette quête est ancrée en lui, qu’il le veuille ou non, en tant qu’être raisonnable.
Ces recherches ont abouti à de nombreuses réponses, à une multitude de notions au point qu’aujourd’hui on affirme cette quête impossible, illusoire, vaine. Cette funeste pensée s’oppose à notre foi qui proclame fermement des vérités à croire. Tout relativisme, tout subjectivisme, tout déflationnisme demeurent incompatibles à la foi. Comment pourrions-nous croire en Dieu si finalement l’idée de Dieu dépend de nous ou du contexte dans lequel nous vivons ? Et si elle ne dépend pas de nous, la vérité de Dieu peut-elle s’imposer ?
Dieu se manifeste
Nous ne puisons pas la notion de Dieu dans une philosophie, dans une vision du monde ou dans notre conscience. Elle n’est pas empruntée au monde qui nous entoure. Elle vient de Dieu même qui se manifeste d’abord avant de se faire connaître dans la Révélation.
Dieu se manifeste avant tout par sa Création. La Sainte Écriture commence par le commencement, par l’instant zéro. Dieu se manifeste d'abord par sa puissance, mieux par sa Parole qui agit. Dieu dit et le monde fut créé. Aujourd’hui encore, quelle plus belle manifestation divine que ce Monde qui se poursuit dans un ordre parfait, sans cesse objet d’émerveillement ? Cette puissance n’est pas en effet aveugle. Elle agit selon un ordre, une volonté bien précise. Dieu est intelligence.
Au delà de sa puissance et d’une crainte légitime, nous sommes aussi témoins et objets de sa bonté, une bonté sans faille, généreuse et paternelle. Sans aucune raison, Dieu a crée le Monde, la vie et surtout l’homme selon son image et sa ressemblance dans un état admirable. Toujours avec la même liberté, Il lui remet son œuvre. Mais séduit et abusé, l’homme ne tarde pas à Le trahir, à Le désobéir pour une vaine ambition. Au lieu de maudire l’ingrat, Dieu le punit sévèrement tout en lui promettant la rédemption alors que le véritable coupable est puni sans espoir de rémission. Dieu est miséricordieux et justice. Adam et Ève tentent de se cacher dans l’espoir insensé de masquer leur faute. Sans aucune surprise, Dieu les retire de leur bien fragile refuge. Que peut-Il ignorer ? La Création ne lui cache rien, le fond de l’âme ne lui est pas inconnu.

Mont Horeb
Ainsi dès les premières pages de la Sainte Écriture, Dieu se manifeste dans toute sa réalité. Il est loin d’être un Être suprême abstrait, philosophique, sans saveur et sans goût. Il apparaît bien vivant, personnel et unique. Une autre scène aussi riche nous révèle encore davantage sur Dieu. Dieu se révèle à Moïse sous l’apparence du buisson ardent …


Le Tétragramme, révélation du nom divin
Sur le mont Horeb, dans le désert du Sinaï, Dieu révèle son nom à Moïse : « Dieu dit à Moïse « Je suis celui qui suis ». Il ajouta : « Tu diras ainsi aux enfants d’Israël : celui qui est m’a envoyé vers vous » (Exode, III, 14). Il est transcrit en hébreu par le tétragramme « yhvh », devenu « yahvé » en français. Il signifie « Il est ». Il provient de la déclaration de Dieu « ‘ehyeh » qui peut être traduite par « je suis ». Une traduction plus proche de l’hébreu propose « je suis qui je suis ». Les Hébreux l’emploient à la troisième personne d’où la traduction de la Septante : « Je suis celui qui est ».  
Le tétragramme « yhvh » pourrait tenir sa racine du terme « hayah », le verbe « être », qui n’existe pas au présent mais à un temps qui indique la durée. Il peut aussi signifier « devenir ». C’est pourquoi dans certaines traductions de la Bible, le nom de Dieu est traduit par « Je suis qui je serai »[1].
Enjeux associés au nom
Dans les civilisations sémantiques, le nom a une importance capitale. Il est le symbole le plus intime de la personne qu’il désigne. Donner un nom revient à le posséder. Ainsi Dieu demande-t-il à Adam de donner un nom à tout ce qui vit comme signe de son pouvoir sur les choses qui lui étaient livrées. « Tous les animaux de la terre et tous les volatiles du ciel, ayant donc été formés de la terre, le Seigneur Dieu les fit venir devant Adam, afin qu’il vit comment il les nommerait ; or le nom qu’Adam donnera à toute âme vivante, est son vrai nom » (Génèse., II, 19).
Selon le troisième commandement de Dieu, il est défendu de prononcer en vain le nom de Dieu. Les Hébreux s’interdisaient de le prononcer sauf une fois par an par le grand prêtre lors de la fête des expiations. D’autres noms lui étaient alors substitués, en particulier Adonaï, « Seigneur ». Cette dernière transcription aurait entraîné le barbarisme « Jéhovah » en voulant adapter « adonaï » au tétragramme « yhvh ».
Un nom révélateur
« Passage d’une extrême importance : d’une part, il souligne la continuité entre la révélation faite aux Pères et celle dont Moïse est gratifié ; d’autre part, il livre le nom propre où s’exprime, autant qu’il peut se faire, l’essence divine. »[2] Nous pouvons en effet interpréter le nom divin sous deux points de vue différents, historique et théologique. Cela ne signifie pas que nous devons les opposer. Ils sont complémentaires.
D'un point de vue historique, il signifie la fidélité ou l’immuabilité, comme le précise Dieu à la suite de sa déclaration. Il précise en effet qu’il est « le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob […] ; c’est là mon nom pour l’éternité. » (Exode, III, 15). Il vient affirmer à Moïse qu’Il est Celui qui a assisté les patriarches. Il est donc le Dieu de l’alliance et de la promesse
Dire que Dieu est « Celui qui est » signifie aussi qu’Il a l’être par lui-même contrairement à tout ce qui existe ici-bas.  Il définit l’être par excellenceD'un point de vue ontologique, Il est la Vérité absolue. Il désigne plus précisément l’attribut d'aséité spécifique à Dieu. Dans une simplicité étonnante et sublime, le nom exprime donc l’essence divine autant qu’il est possible de l’exprimer. La théologie chrétienne tirera toute la richesse du sens théologique de « yahvé ». Les philosophes peuvent aussi atteindre cette connaissance de Dieu par le seul raisonnement. Les Hébreux ont surtout manipulé ce nom sous le sens historique même s’ils ont reconnu la transcendance et l’omnipotence de Dieu.
Ce nom est ainsi d’une très grande richesse. Il désigne Dieu que nous pouvons atteindre par l’Histoire et par la Raison. Il est le Dieu de l’alliance et de la promesse qui, sans cesse, au cours des événements, est intervenu - et intervient encore - au profit de son peuple et de tous les hommes. Il a donc laissé des témoignages que nous pouvons recueillirL’Histoire porte ainsi son empreinte. Il est aussi le Dieu qui réalise sa promesse. Sa fidélité n’est pas du passé, elle persiste encore de nos jours. Dieu se souvient de nous. Il est aussi le Dieu tel que la raison peut le connaître, Celui qui est. Il est donc accessible à la raison.
Nous pouvons aussi souligner que contrairement aux autres peuples que les Hébreux ont connus et côtoyés, le nom de Dieu n’est associé à aucun autre terme. Il est en fait très abstrait contrairement aux notions de dieux des autres religions.
Alleluia
Célèbre acclamation liturgique, l’alléluia se traduirait par «  louez Yah » ou encore plus précisément « louez Yahvé », « Yah »[3] étant un dérivé liturgique de « Yahvé ». Présente dans les Saintes Écritures, elle est aussi utilisée par l’Église catholique dans sa liturgie. « Les chants de l’alléluia sont l’expression vive de notre louange à Dieu, et de nos soupirs vers le ciel. Nous nous laissons aller à la jubilation, plutôt que nous ne chantons, plongeant dans une syllabe en plusieurs neumes, afin que notre âme ravie soit pleine de ces douces mélodies, et s‘élance là où les saints, environnés de gloire, tressaillent de joie. »[4]. Toute louange revient à Dieu. Tout se termine par cette acclamation qui résonne et envahisse le ciel…


 Références
[1] Traduction œcuménique de la Bible, édition du Cerf. Selon Ernst Bloch, Dieu chemine sans cesse avec son peuple et l’humanité en perpétuel devenir.
[2] Initiation biblique, Introduction à l’étude des Saintes Écritures, chap. XXVI, sous la direction de A. Robert et A. Tricot, Desclée et cie, 1938.
[3] Yah serait une prononciation liturgique de Yahvé.
[4] Abbé Ruppert au XIIème siècle.

lundi 5 mai 2014

Qu'est-ce qu'un mystère ?

Au cours des siècles, le sens d’un mot peut évoluer. Il peut s’enrichir, s’appauvrir ou disparaître. Parmi les nombreux sens qu’il peut revêtir au cours du temps, l’un devient généralement prédominant. Nous parlons alors de sens commun. Mais ce qui un jour est le plus utilisé peut ensuite être marginalisé. Ainsi un mot doit être compris dans son contexte sémantique qui au grès du temps évolue. Saint Thomas et Saint Augustin usent par exemple le même terme de vérité sans cependant parler de la même chose. Mais pour éviter de tel malentendu, ces auteurs précisent bien ce qu’ils entendent sous ce terme si complexe. Évidemment, il n’est pas possible de définir tous les mots d’un discours surtout lorsqu'il doit être bref et court. Il est destiné à un public qui justement n’a pas besoin de telles définitions car ils partagent le même contexte sémantique. Or aujourd'hui, nous vivons dans une multiplicité de contextes : multiplicité de religions, de croyances, de traditions, de cultures, de mœurs, etc.
Alors que le sens des mots s'égare dans cette pluralité, nous perdons progressivement notre héritage culturel. La manière de penser de nos ancêtres nous est même devenue difficile à saisir. Comment un historien d'une société déchristianisé peut connaître et comprendre la société médiévale où le christianisme a tant modelé les esprits et les existences ? Certes il peut connaître les règles de foi, les commandements de l’Église, le culte chrétien et tant d'autres choses encore mais de telles connaissances suffiront-elles pour comprendre cette société ? Nous oublions parfois que nous avons véritablement changé de monde au sens où il est perçu différemment car nos connaissances et nos repères ont nettement évolué. Dieu n’est plus aussi présent dans l’esprit des hommes comme Il l’était encore il y a trois siècles. Les mots qu’employaient nos arrières grands parents portent-ils encore aujourd'hui le sens qu’ils avaient dans le passé ?
Or aujourd'hui nous avons tendance à user des mots comme si leur sens était éternel d’où des incompréhensions et un appauvrissement culturel. La multiplicité des contextes et la perte de notre héritage culturel conduisent inévitablement à une certaine confusion.
Heureusement, chaque mot a une origine qui lui donne un sens premier, sens toujours révélateur. Il est ainsi intéressant de toujours y revenir. L’étymologie est ainsi source de connaissance souvent pertinente. Elle retire le mot de son contexte pour en saisir le sens premier.
Prenons par exemple le terme de mystère. Nous pouvons le comprendre de plusieurs manières. Selon le dictionnaire, il désigne dans la religion chrétienne, « le dogme révélé, ce qui est inaccessible à la raison »[1]. Dans la théologie catholique, « le mystère proprement dit est une réalité intrinsèquement surnaturelle qui surpasse, quant à l’existence et quant à l’essence, non seulement les forces de notre esprit mais aussi celles de tout esprit créé ou créable »[2]. Et dans un sens non religieux, il désigne les choses ou les événements dont nous découvrons l’existence sans pouvoir en pénétrer pleinement le sens. Dans cet article, nous allons uniquement nous concentrer sur son sens étymologique sans remettre en cause son sens catholique[6].

Sens étymologique : la nécessité d'une révélation
« Mystère » vient du latin « mysterium », lui-même du grec ancien « μυστήριον » (« mustêrion ») de « μύστης » (« mústês », « initié »), ou de « μυέω » (« muéô », « initier »), ou encore de « μύω », (« múô », « fermer »). Il désigne une chose cachée, secrète qui se dévoile par initiation. Effectivement, « les mystères cachés en Dieu […] peuvent être connus s’ils ne sont divinement révélés. »[3]
Cette définition met l’accent sur la nécessité d’une initiation ou d’une révélation qui éclaire, illumine, fait découvrir ce qui est caché. Une chose peut être cachée à l’homme car inaccessible à sa raison ; selon l’étymologie, rien ne précise la raison de cette impossibilité…

Dans le paganisme : rites initiatiques



Dans les religions païennes, « mystère » peut désigner l’initiation elle-même ou plus exactement le rite d’initiation au cours duquel sera révélée la chose cachée. Ainsi étaient les mystères d’Eleusys effectués en l’honneur de la déesse de la végétation. Ils pouvaient comprendre diverses purifications par l’eau ou le feu, des jeûnes, des bains, des drames symboliques, des exhibitions d’objets sacrés. Les initiés, appelés « mystes », devaient garder le silence sur le mystère. Peu de choses ont ainsi subsisté de ces cultes…

Dans la Sainte Écriture : un secret révélé par Dieu
Dans la Sainte Écriture, nous rencontrons plusieurs termes qui peuvent être traduits par « mystère », par exemple dans le Livre de Daniel pour désigner le sens qui se cache derrière le rêve de Nabuchodonosor. Le prophète Daniel peut interpréter exactement le rêve du roi car Dieu lui en a révélé le sens. Et Nabuchodonosor peut ainsi comprendre ce que le rêve signifie.Les mots hébreux employés sont « razan » ou « razin » qui signifie « secret ». Nous le retrouvons aussi dans le Livre de la Sagesse. La prudence recommande de ne pas confier un secret à un sot ou à un étranger. 
Le même terme apparaît dans les évangiles. « Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? » Notre Seigneur Jésus-Christ leur répond : « Parce que, pour vous, il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais, pour eux, il ne leur a pas été donné »(Matth., XIII, 11). Notre Seigneur fait comprendre aux Apôtres qu’ils ont été choisis pour connaître le sens des paraboles que les autres ne peuvent comprendre « parce que voyant, ils ne voient point et qu’écoutant, ils n’entendent ni ne comprennent. » (Matth., XIII, 12) Il faut en effet être bien disposé pour entendre les mystères de Dieu. Sans êtes appelés et sans révélation, sans être disposé à le recevoir, il n’est point possible de comprendre le sens réel des paraboles...
Un autre terme peut évoquer le mot mystère. Il s’agit du vocable « sod » que nous rencontrons une vingtaine de fois dans l’Ancien Testament. « Qui a assisté au conseil du Seigneur, et a vu, et a entendu ce qu’il a dit ? Qui a médité sa parole et l’a entendue ? » (Jérémie, XXIII, 18). Il désigne un conseil au sens d’une décision prise après concertation ou encore un secret à révéler. « Le Seigneur n’a rien fait s’il n’a auparavant révélé son secret à ses serviteurs les prophètes » (Amos, III, 7). Après « concertation », Dieu transmet ses décisions aux prophètes. La « concertation » a-t-elle lieu au sein de la Sainte Trinité ? L’objet de la concertation demeure caché. Seul Dieu peut le révéler. « […] selon la révélation d’un mystère qui, étant resté caché dans tous les siècles passés […], suivant l’ordre de Dieu éternel, pour qu’on obéisse à la foi » (Rom., XVI, 25).
Saint Paul a fait l’objet de révélations qui lui ont permis de connaître des mystères inconnus aux générations précédentes. Il a pour mission de les enseigner et de répandre la connaissance venue de Dieu. « Vous avez appris sans doute que Dieu m’a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur ; puisque, par révélation, il m’a fait connaître ce mystère, comme je vous l’ai écrit plus haut en peu de mots ; de sorte, qu’en lisant, vous pouvez comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ, mystère qui dans les autres générations n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l’Esprit aux saints apôtres et aux prophètes […] (Eph., III, 2-6).

Une grâce en vue de répandre la connaissance venue de Dieu

A nombreuses reprises, Saint Paul insiste sur la grâce de connaître et de faire connaître les mystères dans sa complétude et avec certitude. « J’ai été fait ministre, selon la dispensation de Dieu, qui m’a été confiée pour que je vous annonce complètement la parole de Dieu ; le mystère qui a été caché dès l’origine des siècles et des générations, et, qui est maintenant révélé à ses saints, auxquels Dieu a voulu faire connaître quelles sont les richesses de la gloire de ce mystère parmi les nations, lequel est le Christ, pour vous l’espérance de la gloire » (Col., I , 24-27). 
Saint Paul associe souvent le terme de « mystère » au Christ, à l’Église, à l’Évangile. Il enseigne en effet le véritable sens des événements de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, de l’existence et des fins de l’Église, des paroles que contient le Livre Saint... Sans cet enseignement, sans cette connaissance révélée par Dieu, ils ne seraient compris « pour parvenir à toutes les richesses d’une parfaite intelligence, et à la connaissance du mystère de Dieu le Père et du Christ Jésus, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés » (Col., II, 2).  

Depuis sa chute sur le chemin de Damas, Saint Paul comprend ce qui est caché derrière le Christ et l’Église. Les événements de Notre Seigneur Jésus-Christ deviennent intelligibles sous la lumière divine. Notre destin s’éclaire aussi. Tout prend véritablement sens non selon le regard de l’homme, imparfait et changeant, mais selon la vue divine. Saint Paul peut ensuite enseigner ces « mystères » pour qu’ils soient connus et compris complètement et avec certitude. Il nous dévoile le plan de Dieu. Les Apôtres deviennent les « dispensateurs des mystères de Dieu » (I.Cor., IV, 1). Leur mission est clair : « annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile » (Eph.,VI, 19). « Nous prêchons la sagesse de Dieu qui a été cachée, que Dieu a prédestinée pendant les siècles pour notre gloire » (I Cor., II, 7).

Saint Paul associe aussi le terme de « mystère » à celui d’« iniquité ». Derrière les événements d’iniquité dont nous sommes témoins et dont l’homme est la victime, se cache Satan. L’abîme de dépravation dans lequel se noie Babylone est aussi un mystère dans lequel se manifeste toute sa perfidie. Notre Seigneur révèle ses artifices et ses œuvres. A la fin des temps, Dieu manifestera sa justice et sa puissance. Tout sera révélé. Le sens de toute chose sera connu. Tous les mystères se dissiperont.
L’aveuglement du peuple d’Israël est aussi un mystère. « Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, (afin que vous ne soyez pas sages à vos propres eux), qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des gentils soit entrée. » (Rom., XI, 25). Il fait aussi partie du plan de Dieu…
L’Église enseigne donc le véritable sens des événements et de la réalité, impénétrables sans lumière divine. Ils dépassent la portée de notre regard. Car ils sont à la mesure de Dieu…
Au sens étymologique, le terme de « mystère » désigne donc ce que Dieu seul peut nous révéler selon « les décrets éternels de sa volonté »[4]. Pourtant même révélé, il demeure encore recouvert d’un voile. « Les mystères divins, par leur nature même, dépassent tellement l’intelligence créée que, transmis par la Révélation et reçus par la foi, ils demeurent encore recouverts du voile de la foi, et comme enveloppés dans une certaine obscurité […]»[5].



Ainsi quand nous parlons de mystères de foi, nous ne désignons pas seulement les choses ou événements inaccessibles à la raison [6] mais aussi le fait que seul Dieu peut nous les révéler pour que nous puissions les connaître avec certitude. Ces vérités sont donc connues uniquement par révélation de Dieu. Elles peuvent ensuite être enseignées afin que le fidèle soit « initié » et que son âme s’ouvre aux choses divines. Mais dans son individualité, l’homme n’en perçoit véritablement le sens que par la lumière divine.
Tout a été dit à la Révélation, et l’Église peut enseigner en toute certitude et pleinement les vérités de foi. Pourtant l’action divine ne finit pas par la Révélation. La foi n’est en effet possible que par intervention divine. La grâce est toujours nécessaire à l’homme pour qu’il saisisse véritablement les vérités divines selon la volonté de Dieu. « Persévérez dans la prière […] priant aussi en même temps pour nous, afin que Dieu ouvre une voie à notre parole, pour publier le mystère du Christ  […] et que je le manifeste comme il convient que j’en parle. » (Col., IV, 2-4). A l’homme ensuite d’y adhérer ou non…
Une des plus grandes désolations de notre temps est peut-être de négliger notre langue et notre culture qui finissent par s’appauvrir. Et pourtant, elles possèdent une richesse et une précision qui nous aident à mieux comprendre ce que nous croyons. Prenons donc le soin de bien nous approprier de notre culture chrétienne afin d’exposer efficacement notre foi selon la vue de Dieu …




Références

[1] Le Robert de Poche, 1995. Définition absurde au sens catholique car le dogme est une vérité révélée.
[2] Abbé Bernard Lucien, Apologétique, éditions Nuntiavit, 2011.
[3] Dei Filius, Chap. IV, Denz. 3015.
[4] Constitution dogmatique Dei Verbum, 2ème Concile du Vatican, Chapitre I, n°6, Denzinger 4206.
[5] Constitution dogmatique Dei Filius, 1er Concile du Vatican, Chapitre 4, Denzinger 3016.

[6] Au sens propre, le mystère de la foi est une réalité intrinsèquement surnaturelle qui surpasse les capacités et les forces de connaissance de notre esprit.