" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


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samedi 7 janvier 2023

Le retable de l'Annonciation de Cortone, Saint Fra Angelico : un exemple d'art pour l'élévation du fidèle et pour la plus grande gloire de Dieu

Les mots sont parfois impuissants à exprimer des réalités. Ils peuvent aussi être inaudibles pour ceux qui ne peuvent pas les entendre. Et quand ils parviennent à nous, ils peuvent encore ne point nous toucher. Leur impuissance ou leur mauvais usage n’en est pas toujours la cause. Nous pouvons également être mal disposés à les saisir. C’est pourquoi la prédication ne se réduit pas à des œuvres écrites ou à des discours bien arrangés. Elle peut en effet revêtir de nombreuses autres formes capables de rendre visibles des réalités invisibles afin de nous instruire puis de nous élever. Et parmi ces réalités, nous pouvons compter celles qui touchent notre foi, par exemple les vérités que Dieu nous a révélées et qu’enseigne l’Eglise. Ces vérités peuvent s’incarner admirablement dans des peintures, des sculptures, des chants, et dans d’autres arts où l’homme s’excelle au travers d’œuvres qui échappent à leur créateur et au temps, œuvres qui ne cessent d’éblouir ceux qui les contemplent. Mais faut-il encore être bien disposé à les saisir convenablement ! Une œuvre religieuses risque de ne toucher que notre cœur et de n’éveiller en nous que de précieuses émotions pour un court instant sans affecter en profondeur notre intelligence et notre âme.

Quand nous songeons à des chefs d’œuvre qui incarnent notre foi de manière admirable, nous nous tournons instinctivement vers Saint Fra Angelico (1395-1455). Ses œuvres, toutes de grande beauté, nous émerveillent et nous élèvent véritablement au point qu’après chaque émerveillement, nous ne sommes plus vraiment ce que nous étions. À force de façonner le ciel et de côtoyer le sacré, il a su peindre avec des doigts d’ange. Parmi ses sources d’inspiration, nous pouvons citer la vie de Sainte Marie et plus particulièrement la scène de l’Annonciation. C’est ainsi que dans le cadre de notre étude, nous allons étudier l’une de ses œuvres, l’Annonciation de Cortone

Fra Angelico, l’artisan de Dieu

En ce début du XVe siècle, Florence est déjà plongée dans la passion bouillonnante de l’art. Peinture, architecture, sculpture, tout est emporté dans un élan irrésistible. La Renaissance émerge et fleurit dans cette cité toscane où s’édifie et s’élève peu à peu un dôme majestueux et gigantesque, œuvre puissante de Brunelleschi. Venus des villes italiennes et de l’Europe, nombreux sont les artisans et les corporations qui s’animent et s’illustrent dans les chapelles et les églises. De leurs mains prodigieuses, délicates et raffinées, naisse et grandit le fameux Quattrocento. Un siècle plus tôt, Giotto y avait déjà renouvelé l’art par son réalisme vivant et concret. Au début du XVe siècle, d’autres grands émergent, tels le peintre et moine camaldule Don Lorenzo (1370-1424) venu de Sienne, avec sa peinture subtile et sa pieuse sensibilité, ses personnages effilés et sa mystérieuse lumière…

Le 31 octobre 1417, un jeune campagnard et déjà peintre, Guido di Pietro, entre dans la fabuleuse cité et adhère à une confrérie religieuse, la compagnie de Saint Nicolas, près de l’église du Carmine en tant que peintre et enlumineur. Sous l’influence de son maître Don Lorenzo, le jeune artiste travaille son art, notamment dans l’église de Santo Stafano al Ponto où il peint un retable d’autel sur bois.

                     Fra Angelico de Fiesole                       
Michel Dumas (1812-1885)
Musée de Langre

Vers 1420, Guido entre au couvent dominicain observant de Fiesole sur les collines qui dominent Florence. Le jeune artiste prend alors le nom de Fra Giovanni, c’est-à-dire de Frère Jean, en souvenir peut-être de Fra Giovanni Dominici (1357-1419), le fondateur du couvent, un de ceux qui ont réformé l’ordre dominicain selon une plus grande rigueur et qui ont œuvré pour résoudre le grand schisme qui a divisé et scandalisé le monde chrétien pendant quarante ans, schisme qui s’achève en 1418[1].

Sous l’autorité du prieur Fra Antonino Pierozzi (1389-1459), futur Saint Antonin, grand théologien et maître spirituel, Fra Giovanni se forme et découvre notamment l’enseignement des grands scolastiques du XIIIe siècle, en particulier Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique. C’est en se nourrissant de leurs manuscrits qu’il peint ses œuvres…

Ordonné prêtre vers 1429, Fra Giovani assume toutes les activités de frère prêcheur et occupe des charges importantes au sein de son couvent, demeurant fidèle aux règles de la communauté dominicaine. En 1432, il exerce la charge de vicaire pendant un an. Comme celle de tous les disciples de Saint Dominique, sa vocation est et reste la prédication auprès des infidèles et des hérétiques pour la plus grande gloire de Dieu. Sa force ne réside pas dans la voix ou dans l’écrit comme ses illustres prédécesseurs. Son art consiste à peindre 

De ses mains et de ses pinceaux délicats et graves, de ses prières et oraisons, sortiront des retables, des fresques et des miniatures, ou encore des volets et panneaux d’armoires, œuvres toutes puissantes et merveilleuses comme provenant d’un ange venu chanter les merveilles de Dieu...

En 1433, le couvent dominicain de Cortone commande à Fra Giovani un retable représentant l’annonciation pour un autel dédié à la Sainte Vierge. Il est actuellement déposé dans le musée diocésain de cette ville.

Le retable, œuvre pour la gloire de Dieu

L’autel représente Notre Seigneur Jésus-Christ. Rien ne doit y être posé hors des célébrations religieuses. C’est pourquoi vers la fin du XIe siècle ou au début du XIIe siècle, parait derrière l’autel un rebord sur laquelle sont posés des objets liturgiques et des candélabres puis une paroi surélevée, de pierre ou de bois, ornée de bas-relief et de peintures. C’est ainsi que naît le retable[2], d’abord de faible taille, désignant alors le tableau d’autel, puis de grandes dimensions, surtout à partir du XVIe siècle, devenant de véritables œuvres d’art, vrais monuments de niches, de statues, de colonnes encadrant parfois un grand tableau…

Le retable est structuré en compartiments horizontaux, les registres, et verticaux, les travées. Dans sa partie inférieure du retable, la prédelle, peinte ou sculptée, le plus souvent divisée en plusieurs panneaux, illustre des épisodes de Notre Seigneur Jésus-Christ, de Sainte Marie ou d’un Saint. Elle est une sorte de gradin intermédiaire posé sur l’autel. Dans sa partie centrale, des piliers de bois, les pilastres, entourent ou séparent un ou plusieurs panneaux sculptés ou peints[3], comprenant souvent des volets mobiles qui se replient sur la partie centrale. Enfin, dans sa partie supérieure, le retable peut être surmonté de différents ornements comme des frontons, des clochetons, un gâble[4],…

Ainsi, au-delà de sa fonction utilitaire, le retable est devenu un véritable livre d’illustration ouvert à tous, support favorable à l’instruction des fidèles. L’abondance décorative et la richesse constituent aussi un hommage à Dieu. Les meilleurs artistes sont alors appelés pour le décorer et en faire un véritable chef d’œuvre …

L’Annonciation, source d’inspiration

Fra Giovanni a réalisé de nombreuses peintures ou miniatures représentant la scène de l’Annonciation[5], le jour où l’archange Saint Gabriel annonce à Sainte Marie la bonne et heureuse nouvelle, jour où humble et obéissante, la Sainte Vierge prononce son Fiat, jour enfin où se produit un autre mystère, celui de l’Incarnation…

         Domenico  Veneziano, Prédelle du retable de           
Santa Lucia dei Magnoli, 1445, Cambridge

Il n’est pas le seul à être inspiré par ce mystère. Nombreux sont en effet les artistes chrétiens qui multiplient les images de cet instant solennel où le ciel et la terre se rencontrent, où se réalise la promesse tant annoncée, tant attendue, selon l’Évangile selon Saint Luc (Luc, I, 26-38). L’image de Saint Gabriel et de Sainte Marie réunis se retrouve partout dans les églises, en Orient comme en Occident. La plus ancienne encore visible se trouve dans les catacombes de Priscille à Rome, dans la peinture d’une voûte, datant du IVe siècle. Dans la basilique romaine de Sainte-Marie-Majeur, construite au Ve siècle, elle est la première scène à gauche dans l’arc de triomphe. Dans l’église byzantine, elle est au-dessous de la coupole, où resplendit au milieu des ors le Christ Pantocrator, entre le ciel et la terre, sur les vantaux de l’iconostase qui marque la limite au-delà de laquelle les simples fidèles ne peuvent accéder, ou encore peinte sur de nombreuses icônes. Dans la chrétienté latine, les Annonciations se multiplient dans les églises, notamment sur les panneaux centraux des retables comme celui de Cortone...


Le retable de Cortone [6]

La Visitation,
                    détail de la  palestre                  

Maître de l’Annonciation, Fra Giovanni réalise donc les peintures du retable de Cortone dont le panneau central représente l’Annonciation. C’est un cadre carré qui mesure cent quatre-vingt centimètres de large. Il est somptueusement encadré de pilastres corinthiens cannelés. La palestre illustre cinq scènes de la vie de Sainte Marie, depuis le mariage de Sainte Marie jusqu’à sa Dormition[7] sans vraiment de séparation comme si elles font partie d’un même paysage. Dans la scène de la Visitation, où Sainte Marie et Sainte Élisabeth sont seules près d’un mur ombragé, nous distinguons le lac de Trasimène[8], discrète allusion locale. Sous les pilastres, sont peintes deux scènes de la vie de Saint Dominique[9], à gauche, sa naissance, et à droite, l’apparition de Sainte Marie à Saint Dominique lui remettant l’habit de l’ordre dominicain.

La scène de l’Annonciation se déroule dans une loggia à l’architecture spacieuse au plafond bleu couvert d’étoiles soutenu par des colonnes aux chapiteaux corinthiens. Ce ciel nous rappelle la bande bleue que nous retrouvons généralement dans les peintures représentant le couronnement de Sainte Marie. Le sol est en marbre avec des écailles peintes. La loggia donne accès à deux chambres…

En regardant la loggia, avec ses trois arcades latérales, nous devinons la présence d’une troisième colonne. Sainte Marie est ainsi au centre de la pièce.

Adam et Ève chassés du Paradis

En pleine nuit, Sainte Marie et l’ange Gabriel sont face à face, éclairés par leur présence et leur auréole. Pourtant, notre regard se laisse aussitôt emmené au-delà du portique vers l’extérieur, très loin, en haut et à gauche, dans l’obscurité. Une autre scène s’y déroule au sommet d’une montagne. Un ange brandit un glaive et chasse un homme désespéré, les mains posées sur le visage, et une femme aux mains jointes en un geste d’imploration. Au bras droit de l’homme est accrochée une houe. Nous assistons ainsi à une scène de la Genèse[10] au cours de laquelle Adam et Ève sont chassés du paradis, les deux punis par Dieu après leur désobéissance, portant avec eux le péché originel[11]. Ils avancent tous les deux dans la même direction sur une crête brune et aride sous un ciel de plomb menaçant. À leur tour, ils nous conduisent à la loggia comme les arcades latérales…

Le jardin fleuri

Entre ces deux scènes, entre la condamnation des premiers parents et l’annonce à Sainte Marie, depuis l’ocre de la pente rocheuse au portique illuminé, se déploie un paysage. Une barrière de bois clôture un jardin fleuri, allusion à l’emblème marial que chante le Cantique des cantiques. Le jardin clos qui entoure la loggia symbolise la pureté et la virginité. Sainte Marie est le jardin clos virginal destiné à recevoir la fleur divine.

Derrière cette barrière, se détachent deux arbres. Le premier porte de multiples fruits, un feuillage dense et sombre : représente-t-il l’arbre de la science, l’arbre du fruit défendu ? Le second arbre est un palmier dont le feuillage est l’attribut du martyr ou encore la récompense de la victoire : il rappelle l’arbre de la vie, la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. Aux pieds du palmier, nous distinguons deux roses blanches qui débordent de la clôture, détail qui nous renvoie encore à Sainte Marie, la rose mystique. Nous distinguons aussi des roses rouges…

Enfin, au premier plan, sur une étendue plate, se dispose un pré fleuri, qui suggère parfum et fraîcheur, assez gracieux pour recevoir les premiers pas de l’ange venu du ciel annoncer la maternité divine…


L’ange Saint Gabriel en génuflexion devant la Sainte Vierge

De retour à la loggia, nous contemplons à notre droite Saint Gabriel. Aux ailes largement déployés, recouvertes de fines glaçures de lumière et de couleur, l’ange s’avance et s’incline devant Sainte Marie. Il est vêtu d’un habit rose richement brodé d’or et de pierres précieuses, orné d’un somptueux parement tout au long duquel court une écriture mystérieuse faites de belles lettres enlacées, imbriquées les unes dans les autres.

Le visage de l’ange se tend vers la Sainte Vierge avec un regard soutenu et des mains expressives. L’index gauche semble indiquer la colombe qui apparaît au-dessus de la Sainte Vierge dans une boule de feu et représente le Saint Esprit. De ses lèvres sortent des paroles qui s’élèvent selon une ligne incurvée : « Spiritus Sanctus superveniet in te », c’est-à-dire « Le Saint Esprit viendra sur toi ». Puis l’index de la main droite est tendu vers Sainte Marie. Il poursuit alors son discours : « virtus Altissimi obumbrabit tibi », « et la puissance du Très-Haut te prendra sous ton ombre ». Les paroles descendent en direction de la Sainte Vierge.

Sainte Marie

Assise sur un siège recouvert d’un drap or, Sainte Marie est à droite, occupant ainsi la place privilégiée, celle de la bénédiction. Légèrement penchée vers l’ange, elle semble se lever de son siège à l’approche de Saint Gabriel. Sa silhouette aux lignes adoucies reflète la soumission, l’obéissance. Elle est toute humble dans sa robe rouge enveloppée dans un manteau bleu. Son visage au teint de nacre est illuminé. Son regard exprime l’acquiescement, le consentement. Un voile transparent se repose sur sa chevelure blonde et descend jusqu’à son cou d’une grande blancheur. Ses mains croisées sur sa poitrine proclament son offrande généreuse. L’annulaire gauche porte une bague. Un livre ouvert est posé sur son genou droit, la Saint-Écriture qu’elle lisait avant l’arrivée de l’ange...

Comme pour l’ange, des paroles sortent des lèvres de Sainte Marie : « Ecce ancilla Domini. Fiat mihi secundum verbum tuum », « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il m’advienne selon ta parole. » Le texte suit un tracé rectiligne et horizontal. Il s’imbrique entre les deux paroles de l’ange. Les mots se déroulent de droite à gauche, les lettres dessinées la tête en bas. Ses paroles sont adressées en effet à Dieu dont elle est l’humble servante. Elles sont donc destinées à être lues d’en haut. En outre, une partie de sa réponse, « Fiat mihi scundum », est cachée par une colonne contrairement aux paroles de l’ange. Or, la colonne est le symbole traditionnel de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce détail révèle-t-il alors le mystère de l’Incarnation ? Par le « fiat », « le Verbe s’est fait chair » ?...

Au centre de la peinture, derrière l’auréole de l’ange, nous distinguons une porte qui donne sur une chambre et un rideau écarlate. Est-ce une allusion au texte apocryphe décrivant Marie filant le pourpre destiné à la confection du rideau du Temple ? Ou bien serait-il le voile du Temple qui se déchirera au moment de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Dans ce dernier cas, la porte serait-elle alors celle qui conduit au salut, porte que seul son sacrifice ouvrira ?

Enfin, au-dessus de la scène, au premier plan, dans un médaillon entre deux colonnes, est représentée la figure d’Isaïe se penchant vers Sainte Marie. Sa main droite est levée en signe de ravissement. Sa main droite porte déployé un parchemin, celui de la prophétie[12] : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils. »(Isaïe, VII, 14)

Conclusions

Par sa peinture lumineuse et transparente, Fra Giovanni rattache l’expulsion d’Adam et d’Eve du paradis et l’Annonciation, ou encore le péché originel et le mystère de l’Incarnation. Le premier plus lointain dans notre histoire mais bien actuel encore par ses effets ne peut être vu sans le second qui marque un instant solennel. Tout l’art du peintre angélique nous invite par sa profondeur et sa précision à relier ces deux scènes historiques. Nous percevons alors nettement le plan de la Rédemption, longuement préparé depuis des siècles. Le mystère de l’Incarnation nous est ainsi rendu accessible.

Fra Giovanni n’a pu réaliser une telle œuvre que par son seul art. Il s’est nourri du symbolisme chrétien transmis de génération en génération depuis les premiers temps du christianisme. Ces symboles ne sont pas l’apanage de l’artiste et de ses pairs. Ils sont aussi saisissables par le simple fidèle qui en connaît le sens. C’est par eux que la Sainte Ecriture se donne aussi aux simples fidèles. Il s’est aussi nourri d’ouvrages théologiques sur lesquels s’appuie toute sa brillante illustration. Enfin, que représenterait cette peinture sans la profondeur de la foi de Saint Fra Angelico ? Le génie associé à de telles richesses produit ainsi de vrais chef d’œuvre de l’âme. L’image de Saint Gabriel et de Sainte Marie, qui échangent des paroles sans remuer leurs lèvres ni ouvrir leur bouche, nous invite aux silences de la contemplation qui nous ouvrent les portes d’un monde invisible mais si présent...

 


Notes et références

[1] Voir Émeraude, août et septembre 2018, articles « Le Grand Schisme d'Occident, un événement pour l'Église ».

[2] « Retro », arrière, et « tabula », table.

[3] Le polyptique comprend plusieurs panneaux. Le triptyque est constitué d’une partie centrale et de deux volets, fixes ou mobiles.

[4] Le gâble est le fronton triangulaire, surmontant l’arc supérieur d’un retable.

[5] Voir Émeraude, janvier 2016, article « L’Annonciation et la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des faits historiques ».

[6] Nous nous inspirons fortement de l’ouvrage Fra Angelico, L’invisible dans le visible, de Michel Feuillet, édition Mame, 2017.

[7] Dans l’ordre, de gauche à droite : le Mariage de Sainte Marie, la Visitation, l’Adoration des Mages, la Présentation dans le Temple et la Dormition.

[8] Lac italien au sud de Cortone.

[9] Selon certains commentaires, il s’agirait plutôt de la naissance de Sainte Marie.

[10] Voir Émeraude, février 2013, article « Adam et Ève : le châtiment ».

[11] Voir Émeraude, février 2013, article « Péché d'origine, péché originel »

[12] Voir Émeraude, août 2015, article « La prophétie d’Isaïe « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils. »

dimanche 4 décembre 2022

La Querelle des images

Lorsqu’un catholique rentre dans un temple, il est surpris de sa nudité et du vide qui y règne. Aucune peinture ni statue. Des vitraux sont simplement ornés d’une croix. Au contraire, son église ou sa chapelle sont riches de belles fresques, de tableaux et de vitraux qui représentent de belles scènes bibliques ou illustrent des vies de saints. Sur les retables, de part et d’autre de l’autel, dans des niches ou sur les piliers, des statues nous renvoient à Notre Seigneur Jésus-Christ, à Sainte Marie et à de nombreux saints renommés…

D’une manière générale, les mouvements protestants sont défavorables à l’usage de l’image comme objet de dévotion, quelle soit sa forme. Ils la considèrent en effet comme le support d’une piété de superstition[1] alors que pour les catholiques, elle est au contraire l’objet d’une véritable piété profondément chrétienne. C’est pourquoi l’usage de l’image et sa finalité sont une des questions qui opposent les protestants et les catholiques. Elles soulèvent aussi des questions au sein du protestantisme. Si Luther est plutôt favorable à l’image mais uniquement comme support pédagogique de transmission de la foi sans-doute par pragmatisme, Calvin et Zwingli n’y voient qu’idolâtrie et superstition. Mais, en dépit de cette différence, d’une voix unanime, ils accusent l’Église d’avoir perverti le christianisme en inventant et en développant le culte de l’image. Leurs vives oppositions n’ont pas été sans conséquence dans la diffusion du protestantisme auprès de la population. Sa propagation a souvent été accompagnée de la destruction de peintures, de sculptures et finalement de toutes images religieuses…

Icône de la Vierge 
         attribuée à Jean Damascène       
Monastère de Hilandar

L’accusation qu’adressent les protestants à l’égard des catholiques sur le culte des images nous ramène à une époque lointaine sur une terre étrangère, au temps de l’empire byzantin du VIIIe siècle. Elle nous renvoie en effet à la Querelle des Images. Si elle a été douloureuse pour l’Église, comme toute hérésie et schisme, elle apporte un enseignement précieux pour répondre à ceux qui remettent en question l’Église.

La Querelle des Images est une des grandes crises qu’a connue l’Église au VIIIe siècle, au temps de l’empire byzantin, plus particulièrement en Orient. Elle oppose ceux qui refusent les représentations religieuses sous toutes leurs formes et veulent les briser afin de supprimer le culte des images alors très répandues à cette époque et ceux qui veulent le défendre. Tout commence en 726 par un édit de l’empereur byzantin Léon III (v. 680-741), dit l’Isaurien, qui proscrit le culte des images et ordonne de les détruire dans tous les édifices sacrés ou profanes. Conformément à ses ordres, les statues des églises et les icônes sont alors brisées. Les briseurs d’image, appelés iconoclastes, mènent aussi de violentes représailles contre tous ceux qui veulent les défendre et les protéger. Pour faire cesser cette crise, il a fallu deux conciles œcuméniques, le deuxième concile de Nicée (787) et le sixième concile de Constantinople (869-870).

Les origines de la Querelle des Images

Au début du VIIIème siècle, l’empire byzantin est en grande difficulté. Il lutte encore pour sa survie. Alors que les guerres civiles se succèdent et que les empereurs changent rapidement, les forces de l’empire ottoman s‘apprêtent à lancer une nouvelle attaques sur Constantinople. L’arrivée au pouvoir de Léon III en 717 met fin aux troubles dynastiques et assure à l’empire une véritable stabilité. L’élaboration d’un nouveau code juridique et d’autres œuvres illustrent sa volonté de réformer l’empire. Sur le plan militaire, le nouvel empereur défait en 718 les armées ennemies parvenues aux portes de la cité impériale. Plus tard, en 740, il emportera une victoire décisive sur l’empire ottoman qui mettra Byzance à l’abri pendant quelques siècles. Finalement, avec l’accession au trône de l’empereur Léon III, l’empire byzantin entre dans une ère d’apogée. Cependant, cette période de puissance débute par une crise grave, celle de l’iconoclasme connue aussi sous le nom de Querelle des images, qui sera à l’origine de violence et d’une nouvelle guerre civile.

D’origine syrienne et autrefois paysan, Léon se met au service d’un des empereurs déchus de son trône dans sa reconquête du pouvoir. Il mène alors des campagnes militaires et diplomatiques dans la région du Caucase puis brillant général, il exerce de hautes fonctions militaires en Anatolie, dans une des plus importantes provinces de l’empire. Il est aussi en relations avec les Arabes pour conclure des accords afin d’entrer en lutte contre le gouvernement de Byzance. Ainsi, Léon connaît bien la culture arabe qu’il apprécie selon des commentateurs de l’époque. Il est en effet considéré comme un « arabophile » même s’il mène contre eux des campagnes militaires victorieuses…

Or, à la même époque, l’empire ottoman réagit contre le culte des images que suivent les chrétiens sur son territoire. Comme les Juifs, les Musulmans rejettent toute représentation religieuse. En 723, considérant le culte des images comme une idolâtrie, le calife ordonne aux chrétiens d’enlever les images de toutes leurs églises de son territoire.

En Asie, depuis quelques siècles, la vénération des images des saints s’est répandue et affermie dans l’empire byzantin au point de devenir une des manifestations les plus importantes du christianisme oriental. Au VIIIe siècle, sans-doute animé par une foi avide de pure spiritualité ou choqués par des pratiques superstitieuses qu’ils considèrent comme un retour au paganisme, un courant d’hostilité parmi les chrétiens s’est levé contre les excès de ce culte. Nombreux sont alors les évêques qui s’opposent au culte des images. Toujours dans les régions orientales, des hérésies chrétiennes se lèvent aussi contre cette pratique.

Des considérations politiques peuvent aussi expliquer le combat contre le culte des images. Léon III est effrayé par l’influence grandissante des moines sur la population, par la multiplication de leurs monastères ainsi que leurs grandes richesses qui, en raison de leur impunité financière, échappent au trésor impérial. Or les moines sont de grands partisans du culte des images. La remise en cause du culte des images lui permet alors d’amoindrir leur puissance.

De la persécution sous Léon III…

    Jean Grammairien    
      détruisant une peinture      
Miniature, Psautier de Chludov       
IXème siècle

Finalement, Léon III est très sensible aux critiques des musulmans et des chrétiens hostiles au culte des images. Alors, quand de nombreuses catastrophes naturelles s’abat sur son empire, il est convaincu qu’elles manifestent la colère divine contre cette pratique. En 726, il tente d’abord de convaincre son peuple de l’incongruité de ce culte. Il ordonne ensuite d’enlever une célèbre image du Christ à Byzance alors qu’elle jouit d’une très grande vénération populaire. Ce geste soulève aussitôt une forte colère de la foule qui massacre aussitôt sur place le malheureux mandataire envoyé par l’empereur. L’attitude iconophobe de l’empereur finit par provoquer un soulèvement en Grèce. Enfin, quelques années après, et après l’échec d’âpres négociations avec le patriarche de Constantinople Germain et le Pape Grégoire II, Léon III promulgue en 730 un édit ordonnant la destruction de toutes les images des saints, ce qui entraînera la persécution de leurs dévots.

L’édit soulève aussitôt des oppositions. Comme il refuse de signer l’édit, le patriarche de Constantinople est chassé de son siège. Grec au service du calife ottoman, Saint Jean Damascène est un de ses grands opposants. Il écrit de fougueuses apologies pour le culte des images. En Occident, l’édit n’est pas non plus accepté. En dépit des menaces impériales, le pape Grégoire II proteste par une lettre vigoureuse dans laquelle il fustige les mesures de l’empereur. Il convoque un concile qui fait condamner l’iconoclasme byzantin. Son refus publique produit un soulèvement général en Italie en sa faveur et contre les fonctionnaires byzantins. L’exhortation du pape au calme auprès de la population fait alors cesser l’agitation. Les relations sont néanmoins tendues entre son successeur Grégoire III et l’empereur Léon III au point de créer une rupture entre l’Occident et l’empire.

La promulgation de l’édit impérial provoque la destruction des images et la mise au ban des défenseurs du culte des images. Cette persécution devient plus violente et systématique sous le règne de Constantin V, fils de Léon III.

À la lutte acharnée sous Constantin V…

Le nouvel empereur est en effet un iconoclaste encore plus acharné que son père. Il poursuit donc sa politique contre le culte des images. Il réduit en silence ses opposants, les remplace sur les sièges épiscopaux, et en crée d’autres qu’il réserve aux partisans de l’iconoclasme. Il écrit aussi des traités théologiques pour défendre sa position et développer une doctrine défavorable au culte des images. Il défend d’une part une pleine identité entre l’image et ce qu’elle représente, voire une consubstantialité. Mais, il développe une argumentation plus solide que ceux qui voient seulement dans le culte des images une renaissance de l’idolâtrie. Il évoque en effet la nature divine de Notre Seigneur Jésus-Christ pour nier la possibilité d’une véritable représentation du Christ. Il rattache alors le problème des images aux dogmes christologiques. Parmi les plus hostiles à l’iconoclasme, se trouvent des monophysites qui ne voient en Notre Seigneur Jésus-Christ qu’une seule nature, une nature divine.

Par ses mesures ecclésiastiques, une propagation active et de nombreuses publications, Constantin V parvient à étendre son influence et à imposer plus profondément ses décisions. Le 10 février 754, il réunit un concile à Hiéreia, qu’il revendique comme œcuménique en dépit du refus du pape d’y participer. Ce concile comprend 358 évêques qui tous sont des partisans de l’iconoclasme. Se fondant sur les écrits de l’empereur, il rejette de manière absolue les images des saints sans aucune distinction et toute vénération des images. Enfin, il prescrit la destruction de toutes les images religieuses, anathématise le patriarche Germain, Saint Jean Damascène et de nombreux défenseurs du culte des images, et menace tous leurs partisans non seulement de l’anathème mais aussi de les remettre à la vindicte de l’état. L’empereur met en pratique les décisions du concile. Les images religieuses sont remplacées par des peintures profanes, surtout par des images de l’empereur et des représentations à sa gloire. Il n’admet aucune résistance et applique par le feu et le sang son programme.

Mais sa politique soulève une vive résistance et déclenche une lutte acharnée entre iconoclaste et partisans du culte des images. Une violente persécution s’abat notamment sur les moines qui sont alors emprisonnés, flagellés et offerts en dérision au peuple, et leurs biens sont confisqués. Un grand nombre de moines s’exilent en Occident. Des conciles sont de nouveau tenus à Rome pour condamner l’iconoclasme et défendre le culte des images.

La détente sous Irène

Léon IV, empereur de 775 à 780, demeure attaché au parti iconoclaste mais sans véritable conviction, contrairement à son épouse, l’impératrice Irène, très favorable au culte des images. Quand meurt l’empereur, elle est chargée de la régence au nom de son fils, Constantin VI, alors âgé de dix ans, elle met fin à la persécution et instaure la détente. En 787, en accord avec le pape Hadrien, elle convoque le deuxième concile de Nicée qui casse les décisions du concile iconoclaste de 724 et défend le culte des images qu’il précise. Sous la présidence du patriarche de Constantinople, 350 évêques y sont présents avec un très grand nombre de moines. Rome et les autres patriarches orientaux y sont représentés.

Le IIe concile de Nicée distingue bien clairement la représentation religieuse de ce qu’elle représente. Grâce à la représentation des saints par l’image, « on est amené à se rappeler et à aimer les modèles originaux et à leur donner salutations et respectueuses vénérations »[2]. Ainsi, « celui qui vénère l’image vénère en elle la personne de celui qu’elle représente. » Car « l’honneur rendu à l’image s’en va au modèle original ». Ainsi, la vénération ne s’adresse pas à l’image mais au saint qu’elle représente. Le concile refuse fermement toute consubstantialité entre l’image et ce qu’elle représente. Il affirme aussi que cette vénération n’a rien de commun avec l’adoration due à Dieu seul. L’image d’un saint ne doit pas conduire à « l’adoration véritable propre à notre foi, qui convient à la nature divine seule ». Enfin, le concile légitime l’image par le recours de la Sainte Tradition et par l’autorité de l’Église. Ceux qui refusent cet enseignement « méprise les traditions de l’Église et imagine quelque nouveauté, ou rejette l’un des objets consacrés offerts par l’Église »[3]. L’iconoclasme est ainsi condamné comme hérésie…

Ainsi, le concile défend l’utilité des images et affirme la conformité du culte des images avec la tradition de l’Église tout en écartant le reproche d’idolâtrie.

Le dernier sursaut de l’iconoclasme

Cependant, le parti des iconoclastes reprend de l’influence dans l’empire byzantin sous les règnes de Léon V l’Arménien (813-820), de Michel II (820-829) et de Théophile (829-842).

Hostile aux images, Léon V reprend le combat de l’iconoclasme et n’hésite pas à s’immiscer dans cette question de foi. Pour préparer un prochain concile, il  demande à Jean le Grammairien le soin de rassembler la documentation théologique. Sa position fait face à la résistance du patriarche de Constantinople Nicéphore Ier et de Théodore Studite. Ce dernier ainsi que ses partisans sont alors contraints à l’exil. Nicéphore est déposé. Le concile que convoque Léon V en 815 rejette le deuxième concile de Nicée et se rallie aux décisions du concile iconoclaste de 754. Cependant, s’il demande la destruction des images, il ne considère pas les images comme des idoles, ce qui reflète une absence de fondement solide dans leurs décisions et illustre finalement la faiblesse des iconoclastes. Seule la force impériale leur permet encore d’imposer leurs mesures. L’empereur persécute avec une grande rigueur les récalcitrants.

Plus censé et plus mesuré, l’empereur Michel II, son successeur, cesse la persécution et rappelle les partisans des images sans néanmoins restaurer le culte des images. Il ne connaît aucun des conciles et interdit toute discussion sur le problème des images bien qu’il soit lui-même iconoclaste.

Son fils, Théophile, dont le précepteur était le savant et iconoclaste Jean le Grammairien, n’est pas aussi réservé et mesuré que son père. Admiratif de l’art et de la civilisation arabe, il est un iconoclaste intransigeant. En 837, il fait monter Jean le Grammairien sur le trône patriarcal et déclenche une violente persécution contre les partisans des images, persécution qui dégénère en guerre contre le monachisme. Mais son influence se réduit peu à peu. Son champ d’action finit par se limiter à la capitale. L’iconoclasme ne survit pas à sa mort en 842…

L’impératrice Théodora, régente pendant la minorité de Michel III (842-859), met fin définitivement à la Querelle des Images. En 843, un concile proclame le solennel rétablissement des images, que l’Église orthodoxe célèbre chaque année comme la « fête de l’orthodoxie ». Plus tard, le IVe concile de Constantinople (869-870) renouvelle les décisions du 2ème concile de Nicée en proclamant de nouveau l’utilité et la légitimité des images des saints.

Conclusions

Le combat qu’a mené l’Église pour défendre l’usage des images dans la piété et les protéger de la destruction des iconoclastes lui a permis de mieux justifier sa doctrine et de développer son utilité dans la foi tout en maîtrisant davantage son usage. Il s’agissait aussi pour elle de faire face à l’influence religieuse et culturelle de la civilisation arabe. Ce n’est pas un hasard si le cœur de la crise résidait en Orient. Elle en est finalement sortie victorieuse…

La Querelle des Images était aussi née d’une bonne intention, de ceux qui aspiraient à une spiritualité plus élevée, détachée de toute matérialité, ou encore de ceux qui voulaient combattre les abus du culte des images. Mais ils ont oublié que la piété d’un plus grand nombre a besoin de se nourrir d’images pour se tourner vers les cieux. Corps et âme, l’homme a besoin de recourir à tous ses sens pour prier et s’élever vers Dieu. Au lieu de vouloir combattre contre un usage convenable et légitime pour en supprimer les excès, la meilleure solution aurait été de lutter contre l’ignorance qui génère de tel abus. De bonnes intentions peuvent parfois conduire à des drames et à des violences, surtout lorsqu’elles sont guidées par l’intransigeance et l’aveuglement

Épilogue

Pour répondre aux critiques des protestants sur le culte des images, le concile de Trente reprend la doctrine de l’Église qu’ a formulée le IIe concile de Nicée : « on doit avoir et garder, surtout dans les églises, les images du Christ, de la Vierge Marie Mère de Dieu et des autres saints et leur rendre honneur et la vénération qui leur sont dus. Non pas parce que l’on croit qu’il y a en elles quelques divinités ou quelques vertu justifiant leur culte, ou parce qu’on doit leur demander quelque chose ou mettre sa confiance dans des images, comme le faisaient autrefois les païens qui plaçaient leur espérance dans des idoles, mais parce que l’honneur qui est leur est rendu renvoie aux modèles originaux que ces images représentent. Aussi, à travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous agenouillons, nous adorons le Christ et nous honorons les saints que ces images représentent. »[4] Il rappelle aussi aux évêques d’utiliser les peintures et autres représentations comme moyen d’enseignement de la foi et de modèles à imiter. Il exige enfin que les abus soient abolis « en sorte qu’on expose aucune image porteuse d’une fausse doctrine et pouvant être l’occasion d’une erreur dangereuse pour les gens simples. »[5] Enfin, le concile met en place des mesures pour maîtriser le culte des images et éviter tout excès. Quand un usage est convenable et légitime, mieux vaut en effet préciser ou rappeler la doctrine sur lequel il s’appuie tout en maîtrisant sa mise en pratique au lieu de vouloir les mépriser, les renier et les supprimer. Telle est sans-doute une des règles d’une véritable réforme de l’Église…

 


Notes et références

[1] Il est vrai que de nos jours, des protestants semblent redécouvrir l’image comme un lieu privilégié de la foi chrétienne, surtout dans notre monde d’images.

[2] 2ème concile de Nicée (24 septembre au 23 octobre 787), 7ème session, 13 octobre 787, Denzinger 601.

[3] 2ème concile de Nicée, 7ème session, 13 octobre 787, Denzinger 603.

[4] Concile de Trente, Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques de saints, et sur les saintes images, 3 décembre 1563, Denzinger 1823.

[5] Concile de Trente, Décret sur l’invocation, la vénération et les reliques de saints, et sur les saintes images, 3 décembre 1563, Denzinger 1825.

samedi 7 juillet 2018

La primauté de l'Église par l'image


Sur les murs de l’abbatiale de Prüfening en Bavière, nous pouvons admirer une fresque très ancienne, datée du second quart du XIIe siècle (autour de 1130). À cette époque, l’abbaye appartenait à la congrégation bénédictine de Hirsau, une congrégation réformiste. Une fresque n’est pas simplement une magnifique peinture destinée à soulever l’admiration des fidèles. Comme un livre ouvert, elle porte un enseignement à ceux qui peuvent le lire. « À Prüfening, le contenu doctrinal remarquablement médité et structuré va de pair avec la forme de haute qualité artistique. » Dans une thèse de doctorat[1], Heidrun Stein nous donne un accès à cette doctrine. Cette thèse est en effet une « monographie complète de ce décor » qui nous « rendre parfaitement l’envergure du message ».

Le thème principal de la fresque est l’Église selon différents aspects. Dans le chœur, couvrant la coupole, elle est représentée sous la forme d’une impératrice. Par ses dimensions, cette personnification domine toutes les autres images. Monumentale, enveloppant l’autel majeur, elle est véritablement au centre de la fresque. Vêtue des vêtements impériaux, elle représente l’Église triomphale.

Voir https://arsartisticadventureofmankind.wordpress.com/2016/04/09/romanesque-painting-and-sculpture-in-germany-and-england/

Sous son règne, nous pouvons admirer le chœur des saints. Dans la vaste fresque, deux personnages tiennent une place particulière : Saint Otton, évêque de Bamberg, le fondateur de l’abbaye (111), et l’Empereur Henri IV. Le premier représente l’autorité religieuse, le second, l’autorité impériale. Alors que les saints apparaissent immuables, les deux personnages se hâtent vers le Christ situé à l’abside. Ils sont encore en quête de leur salut. Ainsi est représentée l’Église militante, celle qui marche vers Dieu alors que le chœur des saints symbolise ceux qui reposent déjà en Lui, l’Église triomphante.




L’évêque est paré de tous les insignes de son autorité sacerdotale. Il est devant l’empereur qui ne dispose que d’une couronne. Cette représentation évoque clairement la prééminence du sacerdoce.

Voir https://artealasocho.com/tag/l-klosterkirche-st-georg-prufening/

Heidrun Stein examine ensuite la fresque peinte sur les piliers de la croisée. Sur le pilier Nord-Est, Saint Pierre en vêtement pontifical remet les glaives à un évêque et à un roi. Au-dessus de son trône, l’Église est encore représentée. Elle semble embrasser les trois personnages pour montrer certainement qu’ils sont dans l’Église. En ayant au-dessus de lui une personnification de l’Église, Saint Pierre semble représenter l’Église romaine, voire s’identifie avec elle, ou encore ses successeurs. L’Église en la personne des successeurs de Saint Pierre remet donc les deux glaives à l’évêque et au roi. Ainsi les pouvoirs religieux et temporels proviennent directement du Pape. L’image évoque donc clairement la théorie des deux glaives.

Sur le pilier Sud-Est, se trouve une représentation de Moïse, accompagné d’Aaron et de Hur. Il nous renvoie à la précédente image. Aaron et Hur sont des personnages de l’Ancien Testament, le premier prêtre, le second prince. Juxtaposée à la précédente image, cette représentation nous renvoie donc à l’Ancien Testament comme une figuration de la théorie des deux glaives. « Saint Pierre remettant les deux glaives à un évêque et à un roi est préfigurée par Moise assisté d’Aaron et de Hur. L’institution des deux glaives dont dispose l’Église est donc présentée ici comme fondée sur un modèle précis de l’Ancienne Alliance. »

Voir http://mapio.net/pic/p-58829113/


Sur le pilier Nord-Ouest, figurent la personnification de trois vertus avec au-dessus le buste de Notre Seigneur Jésus-Christ, source des vertus. Il n’est pas possible d’identifier précisément les vertus, les inscriptions ayant disparu. Elles pourraient représenter les vertus dites théologales que sont la foi, l’espérance et la charité. Comme l’indique un traité d’un moine contemporain à la fresque, elles forment le fondement sur lequel repose l’Église. Les trois vertus peuvent aussi être la virginité, la grâce et la loi, comme elles sont représentées dans une tapisserie romane d’Augsbourg. Elles nous rappellent alors à la vie de l’Église. Remarquons que ces trois vertus font face à la représentation des glaives religieux et temporels, peut-être pour souligner les exigences morales de l’exercice du pouvoir. « L'exercice de l'autorité ecclésiastique et du pouvoir laïc est inséparable des principes qui régissent la conduite de l'homme, principes qui sont ramenés ici aux commandements des trois vertus, fussent-elles théologales ou autres. »


Enfin, la fresque du pilier Sud-Est représente la scène de l’Annonciation avec trois personnages, Sainte Marie, Saint Gabriel, et un ange, sans-doute Saint Raphaël. Par le consentement de Sainte Marie, l’œuvre de la Rédemption se réalise, annonçant ainsi l’Église. « Parce qu'elle a engendré Jésus-Christ, elle annonce l'Incarnation et, par la même, l'Église fondée sur cette terre par son fils. Parce qu'elle apporte le libre consentement des croyants, elle annonce déjà le triomphe de l'Église achevé au Dernier Jour. »

La théorie des deux glaives, que le premier pilier représente de manière littérale, est ainsi repris sous plusieurs formes (allégorique, tropologique[2], anagogique[3]), l’intégrant ainsi pleinement dans l’œuvre de la Rédemption. « Plus ils [les sens littéral, allégorique, tropologique, anagogique] sont liés les uns aux autres, plus l'interprétation proposée par le commentateur se rapproche de la vérité, qui est celle du Salut réalisé par et dans l'Église. »

La fresque manifeste ainsi la plénitude des pouvoirs du Pape ainsi que la théorie des deux glaives, les pouvoirs religieux et temporels agissant dans l’Église. Rappelons que cette fresque remonte au XIIe siècle, ce qui signifie clairement qu’elle est déjà bien présente dans les esprits et dans l’Église, bien avant l'élection des Papes dits théocrates…



Noteset référence
[1] Heidrun Stein , Die romanischen Wandmalereien in der Klosterkirche Prùfening, soutenu comme thèse de doctorat à l'Université de Ratisbonne en 1984 et publié en 1987.
[2] Sens topologique ou sens moral.
[3] Sens anagogique ou sens mystique : interprétation mystique du sens littéral.