Quand
nous songeons à des chefs d’œuvre qui incarnent notre foi de manière admirable,
nous nous tournons instinctivement vers Saint Fra Angelico (1395-1455).
Ses œuvres, toutes de grande beauté, nous émerveillent et nous élèvent véritablement
au point qu’après chaque émerveillement, nous ne sommes plus vraiment ce que
nous étions. À force de façonner le ciel et de côtoyer le sacré, il a su
peindre avec des doigts d’ange. Parmi ses sources d’inspiration, nous pouvons
citer la vie de Sainte Marie et plus particulièrement la scène de
l’Annonciation. C’est ainsi que dans le cadre de notre étude, nous allons étudier
l’une de ses œuvres, l’Annonciation de Cortone…
Fra
Angelico, l’artisan de Dieu
Le
31 octobre 1417, un jeune campagnard et déjà peintre, Guido di Pietro, entre dans la fabuleuse cité et adhère à une
confrérie religieuse, la compagnie de Saint Nicolas, près de l’église du
Carmine en tant que peintre et enlumineur. Sous l’influence de son maître Don
Lorenzo, le jeune artiste travaille son art, notamment dans l’église de Santo
Stafano al Ponto où il peint un retable d’autel sur bois.
Fra Angelico de Fiesole
Michel Dumas (1812-1885)
Musée de Langre
Sous l’autorité du
prieur Fra Antonino Pierozzi (1389-1459), futur
Saint Antonin, grand théologien et maître spirituel, Fra Giovanni se forme et
découvre notamment l’enseignement des grands scolastiques du XIIIe siècle, en
particulier Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique. C’est en se nourrissant de leurs manuscrits qu’il peint ses œuvres…
Ordonné
prêtre vers 1429, Fra Giovani assume toutes les activités de frère prêcheur et
occupe des charges importantes au sein de son couvent, demeurant fidèle aux règles de la communauté
dominicaine. En 1432, il exerce la charge de vicaire pendant un an. Comme
celle de tous les disciples de Saint Dominique, sa vocation est et reste la prédication auprès des infidèles et des
hérétiques pour la plus grande gloire de Dieu. Sa force ne réside pas dans la
voix ou dans l’écrit comme ses illustres prédécesseurs. Son art consiste à peindre…
De
ses mains et de ses pinceaux délicats et graves, de ses prières et oraisons,
sortiront des retables, des fresques et des miniatures, ou encore des volets et
panneaux d’armoires, œuvres toutes puissantes et merveilleuses comme provenant
d’un ange venu chanter les merveilles de Dieu...
En
1433, le couvent dominicain de Cortone
commande à Fra Giovani un retable représentant l’annonciation pour un autel
dédié à la Sainte Vierge. Il est actuellement déposé dans le musée diocésain de
cette ville.
Le
retable, œuvre pour la gloire de Dieu
L’autel
représente Notre Seigneur Jésus-Christ. Rien
ne doit y être posé hors des célébrations religieuses. C’est pourquoi vers la fin du XIe siècle ou au début du XIIe siècle,
parait derrière l’autel un rebord
sur laquelle sont posés des objets liturgiques et des candélabres puis une paroi surélevée, de pierre ou de bois,
ornée de bas-relief et de peintures. C’est ainsi que naît le retable[2],
d’abord de faible taille, désignant alors le tableau d’autel, puis de grandes
dimensions, surtout à partir du XVIe siècle, devenant de véritables œuvres
d’art, vrais monuments de niches, de statues, de colonnes encadrant parfois un
grand tableau…
Ainsi,
au-delà de sa fonction utilitaire,
le retable est devenu un véritable livre
d’illustration ouvert à tous, support favorable à l’instruction des
fidèles. L’abondance décorative et la richesse constituent aussi un hommage à Dieu. Les meilleurs
artistes sont alors appelés pour le décorer et en faire un véritable chef
d’œuvre …
L’Annonciation,
source d’inspiration
Fra
Giovanni a réalisé de nombreuses peintures ou miniatures représentant la scène
de l’Annonciation[5],
le jour où l’archange Saint Gabriel annonce à Sainte Marie la bonne et heureuse
nouvelle, jour où humble et obéissante, la Sainte Vierge prononce son Fiat,
jour enfin où se produit un autre mystère, celui de l’Incarnation…
Domenico Veneziano, Prédelle du retable de
Santa Lucia dei Magnoli, 1445, Cambridge
Le
retable de Cortone [6]
La Visitation,
détail de la palestre
La
scène de l’Annonciation se déroule dans une loggia à l’architecture spacieuse
au plafond bleu couvert d’étoiles soutenu par des colonnes aux chapiteaux
corinthiens. Ce ciel nous rappelle la bande bleue que nous retrouvons
généralement dans les peintures représentant le couronnement de Sainte Marie.
Le sol est en marbre avec des écailles peintes. La loggia donne accès à deux
chambres…
En
regardant la loggia, avec ses trois arcades latérales, nous devinons la
présence d’une troisième colonne. Sainte Marie est ainsi au centre de la pièce.
Adam
et Ève chassés du Paradis
Le
jardin fleuri
Derrière
cette barrière, se détachent deux arbres. Le premier porte de multiples fruits,
un feuillage dense et sombre : représente-t-il l’arbre de la science, l’arbre du fruit défendu ? Le second arbre est
un palmier dont le feuillage est l’attribut du martyr ou encore la récompense
de la victoire : il rappelle l’arbre
de la vie, la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. Aux pieds du palmier,
nous distinguons deux roses blanches qui débordent de la clôture, détail qui
nous renvoie encore à Sainte Marie, la rose mystique. Nous distinguons aussi
des roses rouges…
Enfin,
au premier plan, sur une étendue plate, se dispose un pré fleuri, qui suggère
parfum et fraîcheur, assez gracieux pour recevoir les premiers pas de l’ange
venu du ciel annoncer la maternité divine…
Le
visage de l’ange se tend vers la Sainte Vierge avec un regard soutenu et des
mains expressives. L’index gauche semble indiquer la colombe qui apparaît
au-dessus de la Sainte Vierge dans une boule de feu et représente le Saint
Esprit. De ses lèvres sortent des paroles qui s’élèvent selon une ligne
incurvée : « Spiritus Sanctus
superveniet in te », c’est-à-dire « Le Saint Esprit viendra sur toi ». Puis l’index de la main
droite est tendu vers Sainte Marie. Il poursuit alors son discours :
« virtus Altissimi obumbrabit tibi »,
« et la puissance du Très-Haut te
prendra sous ton ombre ». Les paroles descendent en direction de la
Sainte Vierge.
Sainte
Marie
Comme
pour l’ange, des paroles sortent des lèvres de Sainte Marie : « Ecce ancilla Domini. Fiat mihi secundum
verbum tuum », « Je suis la
servante du Seigneur. Qu’il m’advienne selon ta parole. » Le texte
suit un tracé rectiligne et horizontal. Il s’imbrique entre les deux paroles de
l’ange. Les mots se déroulent de droite à gauche, les lettres dessinées la tête
en bas. Ses paroles sont adressées en
effet à Dieu dont elle est l’humble servante. Elles sont donc destinées à
être lues d’en haut. En outre, une partie de sa réponse, « Fiat mihi scundum », est cachée par
une colonne contrairement aux paroles de l’ange. Or, la colonne est le symbole
traditionnel de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce détail révèle-t-il alors le
mystère de l’Incarnation ? Par le « fiat », « le Verbe
s’est fait chair » ?...
Au centre de la peinture, derrière l’auréole de l’ange, nous distinguons une porte qui donne sur une chambre et un rideau écarlate. Est-ce une allusion au texte apocryphe décrivant Marie filant le pourpre destiné à la confection du rideau du Temple ? Ou bien serait-il le voile du Temple qui se déchirera au moment de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Dans ce dernier cas, la porte serait-elle alors celle qui conduit au salut, porte que seul son sacrifice ouvrira ?
Conclusions
Par
sa peinture lumineuse et transparente, Fra
Giovanni rattache l’expulsion d’Adam et d’Eve du paradis et l’Annonciation,
ou encore le péché originel et le
mystère de l’Incarnation. Le premier plus lointain dans notre histoire mais
bien actuel encore par ses effets ne peut être vu sans le second qui marque un
instant solennel. Tout l’art du peintre angélique nous invite par sa profondeur
et sa précision à relier ces deux scènes
historiques. Nous percevons alors nettement le plan de la Rédemption, longuement préparé depuis des siècles. Le
mystère de l’Incarnation nous est ainsi rendu accessible.
Fra
Giovanni n’a pu réaliser une telle œuvre que par son seul art. Il s’est nourri
du symbolisme chrétien transmis de
génération en génération depuis les premiers temps du christianisme. Ces
symboles ne sont pas l’apanage de l’artiste et de ses pairs. Ils sont aussi
saisissables par le simple fidèle qui en connaît le sens. C’est par eux que la
Sainte Ecriture se donne aussi aux simples fidèles. Il s’est aussi nourri d’ouvrages théologiques sur
lesquels s’appuie toute sa brillante illustration. Enfin, que représenterait
cette peinture sans la profondeur de la
foi de Saint Fra Angelico ? Le génie associé à de telles richesses produit
ainsi de vrais chef d’œuvre de l’âme. L’image de Saint Gabriel et de Sainte
Marie, qui échangent des paroles sans remuer leurs lèvres ni ouvrir leur bouche,
nous invite aux silences de la
contemplation qui nous ouvrent les portes d’un monde invisible mais si
présent...
Notes et références
[1] Voir Émeraude,
août et septembre 2018, articles « Le Grand Schisme d'Occident, un
événement pour l'Église ».
[2] « Retro », arrière, et « tabula », table.
[3] Le polyptique
comprend plusieurs panneaux. Le triptyque est constitué d’une partie centrale
et de deux volets, fixes ou mobiles.
[4] Le gâble
est le fronton triangulaire, surmontant l’arc supérieur d’un retable.
[5] Voir Émeraude,
janvier 2016, article « L’Annonciation
et la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des faits historiques ».
[6] Nous
nous inspirons fortement de l’ouvrage Fra Angelico, L’invisible dans le visible,
de Michel Feuillet, édition Mame, 2017.
[7] Dans
l’ordre, de gauche à droite : le Mariage de Sainte Marie, la Visitation,
l’Adoration des Mages, la Présentation dans le Temple et la Dormition.
[8] Lac
italien au sud de Cortone.
[9] Selon
certains commentaires, il s’agirait plutôt de la naissance de Sainte Marie.
[10] Voir Émeraude,
février 2013, article « Adam et
Ève : le châtiment ».
[11] Voir Émeraude,
février 2013, article « Péché d'origine, péché originel »
[12]
Voir Émeraude,
août 2015, article « La prophétie
d’Isaïe « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils. »
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