Dans
cet article, nous allons parcourir brièvement
l’histoire de l’administration de la communion afin d’être mieux éclairés
sur le mystère de la Sainte Eucharistie. Rappelons auparavant que, « dans le vénérable sacrement de la sainte
eucharistie, après la consécration du pain et du vin, Notre Seigneur
Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, est vraiment, réellement et
substantiellement contenu sous l’apparence de ces réalités sensibles. »[2] Ce
sacrement est institué par Notre Seigneur Jésus-Christ lors de la dernière Cène[3]. Comme
tout sacrement, il produit la grâce et la met dans l’âme de celui qui le
reçoit.
Un
sacrement au profit des seuls chrétiens, croyant en la Présence réelle et purs
de tout péché
Saint
Paul rajoute une autre condition en termes très graves : « quiconque mangera ce pain ou boira le calice
du Seigneur indignement sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que
l’homme s’éprouve lui-même, et qu’il mange ainsi de ce pain et boire de ce
calice. Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit son
jugement, ne discernant point le corps du Seigneur. » (I
Corinthiens, XI, 27-29) Un chrétien en état de péché grave doit s’abstenir
de la communion. L’avertissement de l’Apôtre souligne clairement le respect
et la crainte sacrée à observer. Rappelons qu’avant de présenter le sacrement
de l’Eucharistie, Notre Seigneur Jésus-Christ a procédé au lavement des pieds
des Apôtres par lequel Il exige d’une manière symbolique la pureté pour sa
réception. Ainsi, comme le précise la Didaché, les chrétiens se réunissent
le jour dominical pour rompre le pain « après avoir, d’abord, confessé leurs péchés, afin que leur sacrifice
soit pur. »[7]
Finalement,
comme l’explique Saint Justin (v.100-v.165), « personne ne peut y prendre part, s’il ne croit la vérité de notre
doctrine, s’il n’a reçu l’ablution pour la rémission de ses péchés et sa
régénération », c’est-à-dire s’il n’a pas été baptisé, et « s’il ne vit selon les enseignements du
Christ. »[8]
Don
de Dieu, l’Eucharistie se reçoit …
Nous
constatons que dans les premiers siècles, les Pères de l’Eglise témoignent de
ce don qui nous est offert. Au IIIème siècle, Origène (v.185-v.253) nous
rappelle que « si tu montes avec lui
pour célébrer la Pâque, il te donne la coupe de l’alliance nouvelle, il te
donne le pain de bénédiction, il te fait cadeau de son corps et de son sang. »[9] L’Eucharistie
est donné aux fidèles qui la reçoivent,
comme l’évoquent encore Saint Ephrem de Nisibe ou encore Saint Cyrille de
Jérusalem (v.315-387) : « sous forme
de pain vous est donné Son Corps »[10].
…
Des mains d’un prêtre
En
outre, c’est aux Apôtres seuls que Notre Seigneur Jésus-Christ a dit :
« Faites ceci en mémoire de
moi ». Dans ses paroles, l’Eglise voit l’institution du sacerdoce.
Saint Paul nomme aussi les Apôtres « ministres
du Christ et dispensateur des mystères de Dieu » (I Corinthiens, IV, 1).
D’après l’Epitre aux Hébreux, « tout
pontife pris d’entre les hommes est établi pour les hommes en ce qui rapporte
Dieu afin qu’il offre des dons et des sacrifices pour les péchés, […]. Or nul ne s’attribue à lui-même cet
honneur, sinon celui qui est appelé de Dieu » (Hébreux, V, 1-3). Par conséquent, tous les chrétiens ne peuvent
exercer ce sacerdoce. Seuls ceux qui
sont établis par Dieu administre le sacrement de l’Eucharistie.
La
communion sous l’espèce du pain, dans la main ou sur les lèvres
Dans
les premiers siècles, en Occident comme en Orient, les fidèles reçoivent dans la main le corps de Notre Seigneur
Jésus-Christ. « Les anciens témoignages,
écrits ou archéologiques, sont unanimes en ce point. »[11] Cette
manière de distribuer la communion aux laïcs est attestée jusqu’au IXème siècle.
Au VIe siècle, une autre manière de communier consiste à recevoir le pain consacré sur les lèvres comme l’atteste Saint
Grégoire le Grand (540-604), notamment pour les malades, voire Saint Léon, mort
vers 461. « Le Seigneur ayant
dit : si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et si vous ne buvez
son sang, vous n’aurez pas la vie en vous, vous devez approcher de cette table,
en ne formant aucun doute sur la vérité du corps et du sang de Jésus-Christ.
Car c’est à la foi à nous apprendre quelle est la chose que nous recevons alors
dans cette bouche. En vain répondrions-nous Amen si nous contredisions dans
notre cœur la vérité de ce mystère. »[12] Au VIIe
siècle, Jacques, évêque d’Edesse, nous apprend que des fidèles, s’estimant
indignes, évitent de toucher de leurs mains le corps de Notre Seigneur et
préfèrent le recevoir directement dans la bouche. Plusieurs autres témoignages
permettent ainsi d’admettre la
distribution de la communion sur les lèvres comme une pratique courante avant
le IXe siècle.
L’ancien
rite de la distribution dans la main
Dans
les premiers siècles, avant de communier, les
chrétiens s’inclinent profondément comme signe d’adoration. Cependant, Saint
Cyrille de Jérusalem (v.315-387) demande de se mettre à genoux « à
la manière de ceux qui adorent et honorent »[17].
Vigilance
dans la distribution
Dans
la distribution du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ, Saint Cyrille de
Jérusalem demande de veiller à ne perdre
aucune parcelle. « Car ce que tu
perdrais, c’est comme si tu étais privé de l’un de tes membres. Dis-moi en
effet, si on t’avait donné des paillettes d’or, ne les retiendrais-tu pas avec
le plus grand soin, prenant garde de n’en rien perdre et d’en subir
dommage ? Ne veillerais-tu donc pas avec beaucoup de soin sur un objet
plus précieux que l’or et que les pierres précieuses, afin de n’en pas perdre
une miette ? »[22] De
même, Tertullien, mort en 220, craint aussi un tel dommage. « Que […] notre pain tombe à terre, nous le
souffrons avec douleur. »[23] Origène
(v.185-v.243) demande qu’« il faut
être attentif en toute sollicitude et respect à ce que la moindre parcelle n’en
tombe à terre, à ce que l’offrande consacré ne soit répandu. »[24] Il
précise alors que la croyance selon laquelle cette négligence est un péché est
bonne.
Dans
les nombreux témoignages antiques dont nous disposons, il est demandé de prendre toutes les précautions pour
éviter que des parcelles de pain tombent à terre. Si en Occident, à l’origine,
le pain utilisé était du pain levé, l’usage de pain azyme, c’est-à-dire sans
levain, est attesté au VIIIe siècle, se répand et finit par s’imposer au XIe
siècle pour des raisons religieuses et pratiques[25]. Plus
pur et plus facile à manier, et se conservant mieux, il a néanmoins le défaut
de s’effriter d’où le risque accru de faire tomber des miettes s’il est donné
dans la main du communiant.
Quelques
usages antiques conduisant à des abus
Au
IVe siècle, nous apprenons de Saint Basile que, durant le temps de persécution,
le fidèle peut garder le corps du Seigneur chez lui et communier quand il le
veut s’il ne dispose ni de prêtre ni de diacre. C’est aussi pour pallier à
cette insuffisance et en raison de leur éloignement que, selon « une coutume de longue date »[26], les
ermites ont aussi l’Eucharistie chez eux de manière à communier chaque jour. À
Alexandrie et en Egypte, le fidèle suit aussi cette coutume jusqu’à son
interdiction en Egypte au Ve siècle en raison d’abus. En Afrique, le fidèle
peut aussi conserver l’Eucharistie pour le consommer chez lui[27]. Saint
Jérôme atteste cette coutume à Rome en son temps. Mais au Ve siècle, un concile
tenu à Tolède en l’an 400 traite de « sacrilègus »
tout fidèle qui « ne consomme pas
l’Eucharistie qu’il a reçue du prêtre »[28]. Un
autre concile à Saragosse, réuni en 380, l’excommunie. Ces condamnations
pourraient insinuer une pratique alors en cours en Espagne.
Au
VIIIe siècle, des chrétiens n’hésitent pas à l’apporter chez eux pour s’en servir de talisman. Le prêtre
Addai Philipon (633-708) témoignent en effet que « des personnes qui prennent des parcelles de sacrement, et même les
cousent ensemble en une sorte de ruban magique qu’ils attachent à une sacoche
ou suspendent à leur cou en guise d’amulette, ou placent dans leur lit ou dans
les murs de leurs maisons »[29].
Nous
pouvons alors comprendre que, si la communion sous l’espèce pain est donnée à
la main, il est facile aux fidèles de s’en aller avec le corps du Seigneur. La
communion sur les lèvres permet de réduire
le risque d’une communion a posteriori et hors de l’église.
Lors
la persécution de Dioclétien, des diacres s’arrogent le droit d’offrir le saint
sacrifice de la messe surtout là où il n’y avait ni évêque ni prêtre. En 314,
le concile d’Arles prohibe cet abus considéré comme grave. « Les diacres ne doivent pas donner aux
fidèles la communion en divers endroits, mais seulement dans les églises qui
leur sont assignées. »[30] En
outre, il condamne un autre abus dont des diacres se rendent coupables, celui
de distribuer la sainte communion aux prêtres, y compris au célébrant, et au
peuple. Cet abus est aussi condamné par le 5ème canon de Nicée
(324). Les constitutions apostoliques en viennent à retirer aux diacres le
droit de distribuer l’Eucharistie sous l’espèce du pain, y compris dans leur
église[31].
La
communion sous l’espèce du vin
Cependant,
la communion sous la seule espèce du
pain est en usage dès les premiers siècles comme l’attestent Tertullien et
Saint Cyprien. Elle est habituelle au temps de Saint Grégoire le Grand.
La
communion sous l’espèce du vin disparaît en Occident au XIIe siècle sans que cela ne provoque de trouble ou
nécessite une législation particulière. Il faut attendre le XVe siècle pour
que des chrétiens, appelés utraquistes[33],
revendiquent la communion au calice.
Conclusions
Le
troisième enseignement de cette brève histoire de l’administration de
l’Eucharistie est de reconsidérer les
arguments historiques que des chrétiens apportent pour justifier
l’évolution de la communion, notamment après le concile de Vatican II. La pratique actuelle est bien différente de
celle que pratiquaient les fidèles. Ces derniers sont beaucoup plus
soucieux de conformer leurs gestes et attitudes à leur foi de plus en plus
profonde. Elle est plutôt une régression
et la marque d’une perte de foi dans la Présence réelle comme l’atteste
l’absence de respect lors de sa réception et la désobéissance aux normes
actuelles. « L’observance des normes, qui
émanent de l’autorité de l’Eglise exige la conformité de l’esprit et de la
parole, de l’attitude extérieure et des dispositions extérieures. […] Le Mystère de l’Eucharistie est trop grand
pour que quelqu’un puisse se permettre de le traiter à sa guise, en ne
respectant ni son caractère sacré, ni sa dimension universelle. »[36] Ainsi,
au lieu de justifier des pratiques par une histoire parfois incomprise ou
ignorée, il est préférable de s’interroger
sur leur principe, c’est-à-dire sur la foi qu’elles doivent professer et
sur laquelle elles doivent s’appuyer…
Notes et références
[1] Pie XII, lettre encyclique Mediator
Dei, 20 novembre 1947, laportelatine.org.
[2] Concile de Trente, décret
sur le sacrement de l’Eucharistie, chapitre 1, Denzinger n°1636.
[3] Emeraude, août 2023,
article « Le Mystère de
l’Eucharistie, sacrement et sacrifice ».
[4] Cet ouvrage donne quelques
enseignements sur le sacrement de l’Eucharistie, sur sa doctrine et les rites
en vigueur au temps des Pères apostoliques, c’est-à-dire vers la fin du 1er
siècle et au début du IIe siècle.
[5] Didaché, Doctrine du Seigneur
transmise aux nations par les douze Apôtres, IX, 5, trad. R.-F.
Refoulé, o. p., dans Les Ecrits des Pères apostoliques,
Les éditions du Cerf, 1962.
[6] Saint Ignace, évêque d’Antioche,
Lettre
au Smyrniotes, VII, 1, dans Les Ecrits des Pères apostoliques.
[7] Didaché, XIV, 1.
[8] Saint Justin, Première
Apologie,
I, 66.
[9] Origène, Homélies sur Jérémie,
XIX, 13, Sources chrétiennes 238 dans La Pâque des Pères de l’Eglise,
Dominique Gonnet, La Maison-Dieu, 240, 2004/4.
[10] Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèses
mystagogiques, IV, 3-6.
[11] M. RIGHETTI, Manuale
di storia liturgica, volume III, Milan, 1949, dans Petit catéchisme de la communion
dans la main, Abbé Daniele di Sorco, laportelatine.org.
[12] Saint Léon, sermon VI De
jejunio septimi mensis, dans Grand Catéchisme, Saint Pierre
Canisius, article III.
[13] Réginons de Prim, De
synodalibus causis, 906, dans Histoire du rite de la distribution de la
communion, Abbé Martin Lugmayr, Vénération et administration de
l’Eucharistie, acte du second colloque d’études historiques,
théologiques et canoniques sur le rite catholique romain, Cercle International
d’Etudes liturgiques, octobre 1996. Réginons de Prim attribue cette règle au
concile régional de Rouen dans sa chronique. L’existence de concile est
actuellement remise en cause.
[14] Les Cassianistes formaient une
secte au IXe siècle dans des diocèses espagnols. Provenant d’Afrique, ils
s’administraient à eux-mêmes l’Eucharistie et refusaient de la recevoir dans la
bouche. Ils professaient d’autres pratiques interdits comme le mariage entre
divorcés. Le concile de Cordoue de 839 est tenu pour lutter contre cette secte.
[15] Saint Césaire d’Arles, Sermon
44, 6.
[16] Concile d’Auxerre, entre 561 et
605, canon 36. Il est présidé par l’évêque Aunaire. Il réunit sept abbés et
vingt-quatre prêtres. C’est le seul concile diocésain de l’époque mérovingienne
dont tous les canons, au nombre de 45, nous sont parvenus.
[17] Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèse
mystagogiques, 5, 22.
[18] Par son symbolisme, la main
droite, et non la main gauche, reçoit le corps du Christ. Elle sert de patène
de la communion.
[19] Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèse
mystagogiques, 5, 18-19.
[20] Saint Théodore de Mopsueste, Homélie
catéchétique sur l’oblation.
[21] Saint Jean Damascène, De
Fide, 4, 13.
[22] Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèse
mystagogiques, 5, 18-19.
[23] Tertullien, De la couronne du soldat,
III, traduit par E.-A. de Genoude.
[24] Origène, In Ex. Hom., 13, 3.
[25] L’usage du pain azyme est
« immémorial » dans l’Eglise arménienne. Les Orientaux utilisent le
pain levé.
[26] Saint Basile, lettre 93.
[27] Voir De orat., Tertullien, 19.
[28] Concile de Tolède, canon 16,
dans Histoire
des conciles d’après les documents originaux, Charles-Joseph Héfélé,
tome II, libraires-éditeurs Adrien le Clere et Cie, 1869.
[29] Addai Philipon, écrivain syrien.
C. Kayser, Die Canones Jacob’s von Edessa, Leipzig, 1886 dans Histoire
du rite de la distribution de la communion, Abbé Martin Lugmayr.
[30] Concile d’Arles, 314, canon 15
dans Histoire
des conciles d’après les documents originaux, Charles-Joseph Héfélé,
tome I, 1ère partie, libraires Letouzey, 1907.
[31] Voir Constitutions Apostoliques,
VIII, 13. Les constitutions apostoliques désignent un recueil portant sur la
disciplines et les sacrements de l’Eglise. Attribué à Saint Clément, elles
seraient une compilation rédigée à la fin du IVe siècle ou vers le début du Ve
siècle.
[32] R. Battifol, Leçon
sur la Messe, 1920.
[33] Les hussites sont les partisans
de l’hérétique Jean Huss.
[34] Emeraude, août 2023,
article « Le Mystère de
l’Eucharistie, sacrement et sacrifice ».
[35] Klaus Gamber, Ritus
Modernus, Gesarmmelte Aufsâtze zur Liturgiereform, Regemburg. F. Puster,
1972 dans Histoire du rite de la distribution de la communion, Abbé
Martin Lugmayr.
[36] Congrégation pour le Culte Divin
et la Discipline des Sacrements, Instruction Redemptionis Sacramentum
sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte
Eucharistie, 25 mars 2004. Cette instruction a été écrite sur à la demande de
Jean-Paul II dans l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia (2003).