" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


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samedi 31 août 2019

Laïcité : l'oeuvre de la révolution de 1789 ?


« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »[1]. C’est ainsi que la constitution de 1958 définit la France. Née au XIXe siècle, la laïcité est un des principes fondamentaux de notre nation. Pourtant, comme nous l’avons déjà écrit, aucun texte ne la définit strictement. Nous savons ce qu’elle contient, nous ne savons pas ce qu’elle est réellement. La constitution nous est bien inutile pour saisir ce qu’elle signifie. L’étude étymologique nous a montré toute la complexité de cette notion et plus encore son équivocité, ce qui génère confusion et malentendu[2]. Elle est à la fois exclusion et fédérateur d’unité. Elle se fonde sur la liberté de conscience ainsi que sur l’égalité religieuse mais également sur la neutralité. Est-il possible de s’appuyer sur des principes aussi peu compatibles ? Pourtant, selon l’Observatoire de la laïcité, la laïcité est le principe qui autorise toutes les convictions religieuses. Une telle définition, comme le discours d’où elle est extraite, oublie un point essentiel. Il est en effet difficile de parler de « laïcité » sans évoquer les lois qui ont fait que la république soit laïque. Car c’est bien l’État qui l’a imposée par le droit

La laïcité, œuvre de la révolution malgré elle

De nombreux articles et discours considèrent la laïcité comme un principe républicain né de la révolution de 1789. Elle ferait donc partie des valeurs que la France aurait héritées d’elle. La révolution en serait même le « premier mouvement laïque »[3]. Ils évoquent alors plusieurs de ses lois comme textes fondateurs de la laïcité.

Il est néanmoins osé de voir dans les premiers pas de la révolution française un mouvement laïc quand nous pensons à la triste et célèbre constitution civile du clergé. C’est sans-doute la première fois qu’un État ose intervenir directement et de manière si forte dans l’organisation de l’Église[4]. L’État a voulu créer et imposer une Église nationale de manière unilatérale, sans aucune concertation avec les autorités légitimes. C’est encore lui qui a exproprié les biens ecclésiastiques après avoir affirmé le caractère sacré et inviolable de la propriété, et en guise de dédommagement, a décidé de salarier les évêques et les prêtres, et de subventionner le culte.

Depuis le début, les députés n’ont pas caché leurs prétentions. Ils sont bien décidés à soumettre les religions, et surtout l’Église, à l’État. « Nous sommes une convention nationale. Nous avons assurément le pouvoir de changer la religion, mais nous ne le ferons pas. »[5] Ils ne gêneront pas, allant interdire les vœux religieux et supprimer les ordres religieux. Mieux encore, les révolutionnaires ont défini le culte de l’Être suprême ! Alors que l’Église n’a pas cessé de défendre la distinction des pouvoirs temporel et religieux, la révolution a bouleversé la société en les confondant. L’État a pris la place l’Église. Est-ce cela la laïcité ? Le siècle qui suivra subira les conséquences de cette faute énorme. En rompant avec le passé, la révolution a semé la division et la confusion. La laïcité est alors présentée comme un moyen de remédier aux désordres et de ramener la paix…

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Revenons aux textes souvent décrits comme fondateurs de la laïcité. Le premier texte est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’assemblée constituante l’a élaborée pour introduire la première constitution qu’elle est chargée d’écrire. Elle est en effet destinée à être une sorte de phare pour le législateur comme pour le citoyen. Mais contrairement à ce qui est communément affirmé et cru, elle n’a pas été votée, les députés ayant cessé de la rédiger pour se consacrer à la rédaction de la constitution. Elle est donc restée inachevée et n’a jamais eu de portée juridique. Les droits et les libertés qu’elles devaient affirmer sont finalement résumés dans l’article premier de la constitution.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen traite une fois de la religion dans son article 10 en affirmant la liberté de culte tout en ajoutant son encadrement strict par « l’ordre public établi par la loi ». L’exercice de culte est ainsi dépendant des décisions de l’État. Deux autres articles la touchent indirectement : la liberté et l’égalité de tous devant la loi (article 1er) et le principe de souveraineté qui réside uniquement dans la nation (article 3). Cet article 3 se termine par une affirmation lourde de conséquences : « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Le premier article impose donc l’égalité entre le clerc et le laïc en droit, ce qui supprime la distinction d’état et interdit désormais les tribunaux ecclésiastiques. Tous les chrétiens sont finalement citoyens avant d’être laïcs ou clercs. L’état civil prime donc sur l’état religieux. Le troisième article remet en cause le gouvernement de l’Église qui ne conçoit comme source d’autorité que Dieu uniquement. Pour le chrétien, Dieu est le premier servi. L’article 3 définit donc la nation comme origine directe de toute autorité.

Le décret du 18 septembre 1794 : la fin du budget des cultes

Le premier décret qui établit un principe cher à la laïcité est celui du 18 septembre 1794. Il stipule que « la république ne paie plus les frais ni les salaires d’aucun culte. »[6] Il faut en effet attendre 1794 pour avoir un premier texte de loi empreint de laïcité.

Quelles en sont en fait les motivations ? Le 18 septembre, Cambon, l’équivalent d’un ministre des finances, propose de résoudre les problèmes d’argent que l’État ne cesse de connaître. Il traite de la « question des frais de culte et des traitements des prêtres. » C’est une « charge énorme », une « dépense annuelle considérable »[7] sans pourtant apporter de chiffre. Son discours décrit les opinions religieuses comme occasionnant, « dans tous les temps », « des assassinats et des cruautés », comme versant « des flots de sang dans le dix-huit siècle ». Il justifie ses paroles par la guerre de Vendée. Puis, il explique les problèmes des administrations à appliquer les lois votées en raison de la division des prêtres entre « réfractaires » et « constitutionnelles ». Enfin, il revient sur la politique religieuse menée par Robespierre, sur le culte de l’Être suprême. Il met alors en garde les députés contre toute politique religieuse de l’État.

Sous prétexte de réduire les dépenses, de simplifier les démarches et de clarifier la situation administrative, Cambon propose que « la république ne paie plus les frais ni les salaires d’aucun culte. » En un mot, il n’est plus question pour l’État de dédommager l’Église des biens qui lui ont été enlevés. C’est aussi la fin de la constitution civile du clergé. Sa proposition est votée à l’unanimité.

Le décret du 21 février 1795 : la fin de toute société religieuse et de tout culte public

Plus tard, le 21 février 1795, un décret précise que « la République ne fournit aucun local, ni pour l’exercice d’un culte, ni pour le logement de ses ministres » après avoir rappelé que l’exercice du culte ne peut être troublé et que la république n’en salarie aucun. De nouveau, l’auteur de ce décret, Boissy d’Anglas, dénonce les persécutions commises par les religions mais aussi les fureurs de l’anticléricalisme et de la déchristianisation des révolutionnaires. Or le « maintien de l’ordre public » garantie la liberté des citoyens. Par conséquent, l’État ne peut que refuser « l’existence publique » à toute réunion d’hommes voulant constituer une organisation ou une secte. Boissy d’Anglas rejette donc toute organisation religieuse et ne conçoit « la religion que comme une opinion privée ». Aucun signe religieux ne doit être placé dans un lieu public. Aucun culte ne doit y avoir lieu. Les donations en faveur du culte sont interdites. La vie publique de toute religion est reniée.

Le décret du 22 août 1795 : liberté de culte garantie

Toujours la même année, le 22 août, la nouvelle constitution qui définit le Directoire expose deux articles sur les rapports entre l’État et les religions. L’article 354 garantit de nouveau la liberté de culte. « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. » Cependant, ce principe n’est pas encore absolu. Il n’est aucunement un droit naturel. Mais l’État garantit que le culte se déroule dans le calme. Tout outrage ou insulte commis contre des objets, des lieux, des ministres de culte est punissable. Toute action contraignant des personnes à suivre un culte peut aussi faire objet de  sanction.

 « Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun. » Le financement d’une religion ne relève que de ses fidèles. L’article 353 revient sur la non-reconnaissance par la loi des vœux religieux et de tout engagement contraire aux droits naturels de l’homme. Ils n’ont aucune valeur pour l’État. Cependant, elle ne les interdit pas.

Loi du 29 septembre 1795 : refus de toute religion exclusif ou dominant

Boissy d'Anglas, (1756-1826)
Un des promoteurs de
la loi du 21 février 1795
La loi du 29 septembre 1795 confirme que « les lois ne statuent point sur ce qui est du domaine de la pensée »[8] et ne peuvent que vouloir maintenir l’ordre public. La religion se réduirait-elle à de la pensée ? Elle établit de nouveau le principe de liberté de conscience.

Cependant, l’intitulé du titre IV de cette même loi est significatif : « De la garantie contre tout culte qu’on tenterait de rendre exclusif ou dominant. » Les mesures définies ont pour but de « prévenir, arrêter ou punir tout ce qui tendrait à rendre un culte exclusif ou dominant et persécuteur ». Il s’agit bien sûr du culte catholique. L’intitulé du titre V est encore plus clair. Il définit les délits qui peuvent être commis par un abus de l’exercice du culte. Tout est finalement organisé pour réduire sa visibilité et son expansion. Le culte ne peut se faire qu’à l’intérieur des lieux qui lui sont consacrés. Les dotations sont encore interdites. Seul comptent les actes de l’état civil. Aucun affichage ni lecture religieuse écrit d’ « un ministre de culte résidant hors de France », c’est-à-dire le pape, ne peut être fait en dehors de ces lieux. Est-il encore possible de mener des actes d’apostolat ? Ainsi, les fidèles sont libres d’exercer leur culte uniquement dans les lieux qui leur sont consacrés. L’exercice du culte et tout ce qui se rattache à la religion sont strictement interdit dans un lieu public.

Que sont les abus de culte dont traite le titre V ? Ce sont les « discours, exhortations, prédications ou prières » ou tout écrit qui remettent en cause la république et ses symboles, par exemple les appels au rétablissement de la royauté, à la rébellion, à la destruction des arbres de la liberté, etc. Il est demandé au « ministre de culte » de prêter serment pour promettre obéissance et soumission aux lois de la république ainsi que la reconnaissance de la souveraineté de la nation.

Ainsi, la liberté de culte n’est point considérée comme un droit naturel. Elle est en effet restreinte aux enceintes religieuses. L’État la protège mais peut aussi intervenir, la restreindre ou l’interdire pour garantir l’ordre public. Cette liberté est donc soumise à des mesures de police. La loi ne fait pas de différence entre les cultes mais elle veille à ce qu’aucune religion ne soit dominante. Elle s’attaque surtout aux organisations religieuses, ne voyant dans la religion qu’une opinion, qu’une conviction personnelle. Il est évident que l’Église est principalement visée. L’État est-il alors vraiment neutre ? Aucunement. Cela ressemble plus à de la tolérance…

La révolution de 1789 : la séparation de l’État et de l’Église ?

Les révolutionnaires ont-ils proclamé la séparation de l’État et de l’Église ? Le célèbre décret de Cambon met fin à l’Église constitutionnelle, c’est-à-dire à une Église conçue par l’État comme une administration parmi tant d’autres. N’oublions pas qu’avant 1789, l’Église se finançait elle-même. C’est au moment où l’État s’est accaparé des biens ecclésiastiques et de la dîme qu’il l’a incorporée en lui. C’est à partir de ce moment que la question de séparation devient pertinente.

Le véritable premier point marquant de la révolution ne réside pas en cette séparation mais plutôt en la volonté de refuser toute religion dominante et de restreindre les religions dans la sphère privée. Il s’agit bien d’empêcher qu’une autorité religieuse ne puisse entraver l’autorité de l’État ou encore sa domination sur la société. La première cible est évidemment l’Église. En un mot, toute existence extérieure ou publique lui est interdite. Enfin, cette liberté confinée demeure soumise aux lois de l’État. Il peut intervenir, c’est-à-dire la restreindre, pour maintenir l’ordre public. Est-ce possible à l’Église et à un chrétien d’accepter une telle dépendance ?

Le second point marquant est ailleurs : l’état civil, qui remplace le registre paroissial et le divorce civil sans oublier le calendrier révolutionnaire. Là réside la véritable séparation, mêlant sécularisation et déchristianisation. Plus efficaces, ils ont profondément touché les consciences.

Conclusions

Déclaration des droits de l’Homme

(Estampe Niquet le jeune).
La laïcité comprend trois principes : la liberté et l’égalité religieuse ainsi que la neutralité de l’État en matière religieuse. Si la Déclaration des droits et des citoyens de 1789, restée sous forme de brouillon inachevé et sans valeur juridique, comporte la liberté des cultes sous condition, les lois et les décrets ont cherché à soumettre les cultes à l’État et à les restreindre dans les lieux dédiés au point de vouloir insérer les organisations religieuses dans l’État, surtout l’Église, comme une administration quelconque. Comment l’Église aurait-elle pu accepter une telle emprise ?

La révolution n’a pas appliqué la liberté religieuse. C’est un fait indéniable. Comment l’aurait-elle pu le faire quand elle prétend agir à sa guise avec les religions ? Celui qui demande aux députés de ne plus payer les cultes est aussi celui qui déclare que les députés peuvent les faire et les défaire. Mais, comment pouvons-nous en étonner lorsque depuis le XVe siècle, les politiques tentent d’enlever tout pouvoir à l’Église à leur seul profit ?

L’égalité religieuse est-elle appliquée ? Ce principe semble en effet suivi puisque tous, croyants ou incroyants, sont des citoyens avant tout. Mieux encore. Aucune religion ne doit prédominer. L’État garantit qu’aucune ne soit plus importante que sur une autre. Ainsi, faut-il diminuer le rôle et le pouvoir de l’Église d’où des mesures répressives et discriminatoires à son égard. Il ne s’agit donc pas d’égalité mais d’égalitarisme et de nivellement.

Enfin, le principe de neutralité n’est clairement pas appliqué tant les efforts sont innombrables pour rabaisser l’Église, pour déchristianiser la société et soumettre toute « organisation religieuse » aux lois que l’État a définies sans aucune concertation.

Ainsi, la révolution, qui a établi la république, a appliqué une politique religieuse agressive, interventionniste et destructrice à l’égard de l’Église. Après avoir voulu l’insérer dans l’appareil étatique, croyant alors la soumettre et l’utiliser à son profit, elle a cherché à se substituer à elle pour finalement l’abandonner après s’être emparé de ses sources de revenus. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les premiers pas de la république sont fortement marqués par l’intolérance religieuse dans le but de dominer sans partage la société et de former l’homme nouveau. Triomphe d’une idéologie ! La révolution ou la mort ! C’est donc bien la révolution qui a conduit à une terrible confusion entre temporel et religieux.

Après de telles fautes, le concordat de 1801 tente de rétablir la paix et l’ordre dans l’intérêt de tous. Le catholicisme est ainsi reconnu comme la religion de la majorité des Français. Or selon le principe même de la démocratie, cela revient à reconnaître la place particulière de l’Église, ce que n’admettent pas les révolutionnaires. Conscient du rôle social et politique de la religion comme fédérateur d’unité, Napoléon scelle une certaine alliance avec l’Église, alliance qui se maintient en dépit des changements de régimes. C’est ainsi qu’au XIXe siècle se pose la question de séparation entre l’État et l’Église, question qui n’avait aucun sens avant la révolution...



Notes et références
[1] 1er article de la constitution française de 1958.
[2] Voir Émeraude, août 2019, article « La laïcité ».
[3] Claudine Bassou Chpak, La laïcité est-elle un garant du fait démocratique ? Dans une situation didactique, la conscience de laïcité modifie-t-elle le processus d’apprentissage ?
[4] Voir Émeraude, juillet 2019, article « La constitution civile du clergé : un abus de pouvoir ».
[5] Camus, Moniteur, tome IV dans Histoire de l’anticléricalisme français, Alec Mellor, édition Mame, 1966.
[6] Décret du 18 septembre 1794, Article 1.
[7] Dans De la liberté cultuelle à la police des cultes : la première Séparation des Églises et de l’État en France, Christine Peyrard, Presses universitaires de Provence, OpenEdition Boo.
[8 ] Jean Génissieux (0749-1804), dans De la liberté cultuelle à la police des cultes : la première Séparation des Églises et de l’État en France, Christine Peyrard.

samedi 17 août 2019

Le concordat de 1801 : retour de l'entente entre l'État et l'Église


Au début du XIXe, l’Église est dans un triste état en France. Meurtrie et divisée, persécutée et déchirée, elle porte une lourde croix. Depuis le début de la révolution, elle gravit le douloureux chemin du calvaire. Elle n’a jamais été si proche de Notre Seigneur Jésus-Christ. Depuis 1789, tout est permis pour l’accabler et la frapper dans ses prêtres et ses fidèles, dans son culte et ses églises. La révolution est un temps de souffrance et d’abandon. Au nom de valeurs abstraites, on a tué, assassiné, terrorisé. Le 10 septembre demeure une marque indélébile de ce temps de folie qu’est celui de la révolution ! C’est aussi un temps de division. En dépit de son déclin, l’Église constitutionnelle puis gallicane[1] parvient à survivre. Détachée de l’Église, elle n’attire guère. Elle ne fait pas le poids face à la vieille dame martyrisée. Elle-aussi a connu la souffrance et s’est montrée héroïque. Mais le schisme est une plaie supplémentaire apportée à l‘Église.

La souffrance a connu des pauses que l’Église a su profiter pour se relever. Dans le combat et les souffrances, elle a su résister et s’organiser, s’adaptant aux terribles lois et au zèle des persécuteurs. Toutefois, quand commence le XIXe siècle, elle connaît une situation dramatique. La France est dans un état encore pire. Frappé par le désordre et l’immoralité, elle connaît l’anarchie et semble vivre ses derniers jours. Un pays déchiré ne peut guère durer. Sinistre bilan que celui de la révolution…

Un homme a compris que sans la paix religieuse, rien n’est faisable, que sans religion, il n’y a point d’ordre social. Trois ans après son arrivée au pouvoir, Bonaparte signe avec le pape Pie VII un concordat qui met fin à la persécution et à la division, le 15 juillet 1801. De nouveaux rapports sont établis entre l’État et l’Église. Notre but n’est pas de raconter les événements qui ont abouti au concordat mais bien de comprendre ces nouvelles relations.

Un contrat bilatéral entre l’Église et l’État

Pie VII (1742-1823), pape en 1800
Le terme utilisé initialement pour désigner ce qui sera appelé le concordat est celui de « convention  entre le gouvernement français et sa sainteté Pie VII ». Il a été signé le 26 messidor de l’an IX selon le calendrier révolutionnaire, c’est-à-dire le 15 juillet 1801. Le pape le ratifie le 9 septembre 1801. Elle est votée par les députés français le 18 germinal de l’an X (8 avril 1802). Le rétablissement du culte catholique est solennellement célébré par une messe le 18 avril 1802 à la cathédrale de Paris en présence des trois consules et des autorités civiles.

Le mot concordat « en droit canonique, a le sens précis d’entente entre l’autorité ecclésiastique et le pouvoir civil ayant pour but d’organiser les rapports entre l’Église et l’État relativement à certains objets qui les intéressent tous deux. »[2] Il implique une reconnaissance mutuelle entre l’Église et l’État ainsi que des réciprocités. Il est équivalent à un contrat bilatéral. Il est le contraire de la constitution civile du clergé, qui impose des règles d’organisation à l’Église de manière unilatérale.

En outre, le concordat est élaboré entre le gouvernement français et le Saint-Siège. Cela signifie que les deux signataires reconnaissent mutuellement leur autorité. Comme le remarque l’un des négociateurs, le cardinal Consalvi, « au titre IV de la Constitution, il est établi que, sous le mot gouvernement, on n'entend que les trois consuls de la République ; ce mot ne peut s’entendre que d’eux et la Sainteté n’entend pas l’étendre à d’autres. »[3] C’est la première fois que le pape reconnaît le gouvernement mis en place en France depuis la révolution. En raison de l’autorité universelle du pape, c’est aussi une reconnaissance internationale du régime mis en place. C’est aussi la première fois que l’État traite officiellement avec le pape et le reconnaît comme chef de l’Église. Le concordat de 1801 est un traité d’une très grande importance politique. Il met un terme à la politique religieuse menée par les révolutionnaires.

La nouvelle organisation de l’Église

Le concordat comprend un rapide préambule et dix-sept articles. Le préambule est composé de deux déclarations, l’une française, l’autre pontificale. Le gouvernement français reconnaît la religion catholique, apostolique, romaine comme la religion de la grande majorité des citoyens français. Le catholicisme n’est pas déclaré religion d’état et n’occupe plus le rang privilégié qu’il avait avant la révolution. Plus tard, seront en effet reconnus les cultes luthériens et calvinistes, puis juifs. Le concordat reconnaît donc un fait. Or, comme le souligne Mgr Spina, autre négociateur du Saint-Siège, le gouvernement a pour volonté de suivre la volonté de la majorité des Français. « Tout est, en France, la suite du vœu de la majorité, tout pouvoir, tout droit constitutionnel en émane dans l'état actuel... Reconnaître que la religion catholique en jouit, c'est sanctionner le plus beau de ses droits politiques. Nulle protection ne peut lui être refusée, dès qu'elle est l'objet du vu de la majorité des citoyens. Ce vœu est le fondement de la loi dans un État républicain. En reconnaissant que la religion catholique a pour elle ce vœu, on ne se borne pas à reconnaître un fait historique, comme on l'a prétendu, mais un fait inséparable du droit, parce qu'il en est la base et le fondement. »[4] Par conséquent, l’État ne peut que reconnaître et favoriser l’Église catholique. La reconnaissance va au-delà d’une certaine tolérance. Effectivement, comme le déclare Bonaparte au conseil d’État à son retour de la victoire de Marengo, en 1801, « ma politique est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l'être. »[5] Le concordat rompt donc avec la constitution d’une Église nationale telle que voulaient les gallicans ainsi que la constitution civile du clergé.

Une mutuelle reconnaissance

Le premier article garantit la liberté de culte pour le catholicisme : « La religion catholique apostolique et romaine sera librement exercée en France »[6] Le culte est de nouveau public. Néanmoins, il doit respecter l’ordre public selon le règlement de police établi par le gouvernement. C’est la fin officielle de toute persécution. Notons que l’article sépare bien la liberté de culte et son aspect public. Le gouvernement ne peut agir que dans ce domaine et selon la nécessité de la « tranquillité publique ». Il ne peut donc entraver ou restreindre la liberté de culte. L’Église a donc le droit de s’organiser, d’enseigner et de prêcher. L’exercice du culte est certes privé mais il peut aussi avoir lieu sur la voie publique. Il peut certes restreindre les cérémonies extérieures du culte, comme les processions, lorsqu’elles compromettent la « tranquillité publique » mais non de manière arbitraire. Les limitations doivent répondre à des circonstances particulières.


Avant d’entrer en fonction, l’évêque doit prêter serment d’obéissance et de fidélité au gouvernement établi et ne pas porter atteinte à l’ordre public (article 6). C’est une reprise du serment qu’il devait prêter auprès du roi sous l’Ancien Régime. Notons que le serment est un vœu de fidélité à l’égard du pouvoir établi et non d’obéissance aux lois qu’ils peuvent faire. En outre, il n’est pas lié à un régime, à la république, mais à un gouvernement de fait. Les curés font de même. Ils doivent même dénoncer toute intrigue qui se tramerait « au préjudice de l’État ». Cependant, il est demandé d’ajouter une formule de prière à la fin de la sainte messe en faveur de la république et des consules. Il ne s’agit pas simplement d’une reconnaissance mais aussi d’un soutien. Comme cette prière s’applique à tous les fidèles, elle permet de mieux ancrer leur fidélité à l’égard de la république et donc de les dissocier de l’Ancien Régime.

La reconnaissance du gouvernement implique nécessairement des droits. Dans l’article 16, il est précisé que le premier consul dispose de tous les droits que possédait l’ancien gouvernement reconnu par le Saint Siège, c’est-à-dire le roi. « Sa Sainteté reconnaît dans le premier Consul de la République française, les mêmes droits et prérogatives dont jouissait près d'elle l'ancien gouvernement. » (article 16) Ainsi Bonaparte est considéré comme un souverain légitime. Mais notons que la reconnaissance ne se réduit qu’au chef de l’État et non au gouvernement. Cependant, l’article ajoute une clause de condition : le chef du gouvernement doit demeurer catholique. Dans le cas contraire, une nouvelle convention serait nécessaire. Le contrat est donc conclu entre un gouvernement dont le premier consul est catholique et le pape.


Ainsi, le concordat définit de nouveaux rapports entre l’Église catholique et le gouvernement de la république et fixe un statut à l’Église catholique. Il marque une rupture avec la politique révolutionnaire et tente de poursuivre les relations qui existaient avec l’Ancien Régime. Il fait une double reconnaissance : l’Église catholique à l’égard de la légitimité du pouvoir établi, le gouvernement à l’égard de son importance dans la société. Le pape et Bonaparte peuvent alors se satisfaire d’un texte qui permet à l’un le rétablissement de la liberté de culte et du soutien que le gouvernement peut lui apporter en tant que religion de la majorité des Française, et à l’autre, une légitimité politique qui ne peut qu’affermir son pouvoir et désarmer ses adversaires, notamment royalistes. Il montre finalement la particularité du concordat, qui établit des rapports entre l’Église catholique et un État dont la religion catholique n’est plus la religion d’État mais dont le chef est catholique.

L’établissement d’une Église dite concordataire

Signature du Concordat 1801, A-E Fragonard
Sèvres, manufacture nationale
Le concordat a aussi pour but de fixer des règles relative à la hiérarchie de l’Église, et plus particulièrement les modalités de nomination et de désignation des autorités ecclésiastiques. C’est le sujet du cinquième et dixième article. Nommés par le premier consul, les archevêques et évêques recevront l’investiture canonique par le Saint-Siège selon les formes définies par le concordat de Bologne de 1516. L’article indique aussi implicitement que le pape peut refuser l’épiscopat à un candidat qui lui paraît indigne ou incompétent sans même justifier son refus. Ainsi s’établit entre le premier consul et le pape un rapport de force. Les évêques nommeront à leur tour les curés à partir d’une liste agréée par le gouvernement (article 10). Le pape et les évêques retrouvent ainsi leurs droits qu’ils ont perdus par la constitution civile du clergé. La hiérarchie est ainsi rétablie et affermie. Mais soulignons que c’est bien le premier consul qui nomme les évêques et non le gouvernement. Les évêques sont donc redevables à l’égard du chef de l’État et non de l’État en lui-même.

L’article 2 permet au pape de réorganiser les diocèses en relation avec le gouvernement : « il sera fait par le Saint-Siège, de concert avec le gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français » (article 2). Il ne s’agit pas de réorganiser les diocèses mis en place par la constitution civile du clergé, que le pape n’a jamais reconnue, mais ceux qui existaient avant la tourmente révolutionnaire. Avant 1789, ils étaient au nombre de 136. Il sera dorénavant de 60, nombre particulièrement faible. De même, les évêques ont droit de réorganiser leur diocèse après avoir obtenu le consentement du gouvernement (article 9). La délimitation des diocèses ne se fera plus de manière arbitraire.

Et les biens ecclésiastiques ?

Reste désormais la question épineuse des biens ecclésiastiques « mis à la disposition de la nation » depuis le décret du 24 novembre 1789. Le concordat définit que les églises non aliénées sont désormais mises à la disposition des évêques (article 12). Notons que le concordat utilise le même terme que celui du décret. Or en 1789, la « mise à la disposition » équivalait à un titre de propriété. Dans le concordat, il ne s’agit pas de restituer à l’Église la propriété des biens non aliénés mais d’accorder plutôt un mandat. Dans les faits, le concordat lui accorde un droit d’usage au détriment des communes qui en jouissaient par la loi du 11 prairial an III (30 mai 1795).

Le concordat n’est pas une approbation de la mise à disposition des biens ecclésiastiques à la nation, c’est-à-dire de leur expropriation. Il ne définit que l’engagement du pape à ne pas inquiéter leurs acquéreurs. « Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l’heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle ni ses successeurs, ne troubleront, en aucune manière, les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés » (article 13).

En contrepartie[7], les évêques et les curés reçoivent du gouvernement un traitement convenable (article 14). Ils deviennent de nouveau des fonctionnaires. Le gouvernement apporte aussi son soutien pour les fondations en faveur des églises (article 15). Il reconnaît ainsi aux catholiques le droit de faire des fondations. Cela permet à l’Église de réduire sa dépendance à l’égard de l’État.

Précisons que si les chapitres et les séminaires sont de nouveau autorisés selon le choix de l’évêque (article 11), rien n’est dit sur leur traitement[8].

La fin du schisme et le retour à l’unité

Deux articles traitent des mesures pour mettre fin au schisme, c’est-à-dire à la situation générée par la constitution civile du clergé. En 1801, coexistent en France l’Église catholique dont la hiérarchie provient de l’Ancien Régime, seule hiérarchie légitime, et l’Église gallicane, église schismatique, dont les évêques et prêtres doivent leur raison d‘être à la révolution. Le pape demande aux titulaires des évêchés français la résignation de leurs sièges « pour le bien de la paix et de l’unité » (article 3) ainsi que pour « le bien de l’Église ». Il ne traite évidemment que des évêques de l’Église catholique. En cas de refus, il les remplacerait. En fait, le concordat lui permet de supprimer les diocèses pour en créer d’autres. Sans territoire, les évêques n’auraient plus de juridiction. Le bref Tam multa du 15 août 1801 demande la démission simultanée de tous les évêques, ce qui implique la fin de l’Église de l’Ancien Régime. Une telle mesure est inédite dans l’histoire et révèle le pouvoir du pape. L’article 4 définit les modalités de désignation des nouveaux évêques. Elles sont identiques à celles définies par l’article 5.

La concordat a naturellement provoqué l’indignation et la colère des évêques de l’Ancien Régime, émigrés ou restés cachés. Trente-sept évêques refusent sur les quatre-vingt-quinze. Dans le bref Qui Christi Domini vices, Pie VII supprime les anciens diocèses et en crée d’autres. Seuls deux évêques refusent finalement de se démettre et créeront une église schismatique, connue sous le nom de petite Église[9].

Rien n’est dit sur les évêques constitutionnels. Cependant, Bonaparte demandera leur démission et leur soumission auprès du pape auquel ils devront obéissance « conformément aux canons et aux décrets de l’Église. » Mais, il souhaite que certains d’entre eux soient retenus dans la nouvelle hiérarchie et nommés évêques. Le pape impose des conditions. Le bref Post multos labores demande aux évêques constitutionnels de démissionner de leur siège et de se rétracter de leurs « erreurs passées », à savoir le serment à la constitution civile du clergé. Cela revient ainsi à condamner l’œuvre de la révolution. Après de multiples résistances des anciens évêques constitutionnels, ce sera définitivement fait en 1804, au moins partiellement, lors de la venue de Pie VII en France pour le couronnement de Napoléon. Les prêtres constitutionnels non mariés sont rentrés dans le clergé paroissial aux côtés des prêtres insermentés. Le schisme est ainsi éteint. Un nouvel épiscopat est recréé.

Pour la paix et le bien de l’Église

Ainsi en dix-sept articles de style concis, le concordat définit les nouveaux rapports entre l’État et l’Église, un concordat analogue à celui de Bologne de 1516, qui a réglé les rapports entre les rois de France et le Saint-Siège. Il ne s’agit plus de mesures prises unilatéralement par l’État comme la constitution civile du clergé mais d’un texte établie après d’âpres négociations qui ont duré treize mois. Il ne s’agit pas non plus de renouveler le concordat de Bologne puisque la religion catholique n’est pas considérée comme celle de l’État.

Une bonne entente est désormais établie entre l’État et l’Église. Certains articles parlent de collaboration. Mais comme dans toute négociation, les parties prenantes doivent faire des concessions. Il semble à première vue que le pape en ait été le grand perdant « pour la paix et l’unité » et « le bien de l’Église ». Deux lourdes concessions sont à souligner. D’une part, le Saint-Siège abandonne les biens spoliés sous la révolution et d’autre part, il demande à l’ancien épiscopat de démissionner en dépit de sa fidélité et de sa résistance. Par la première concession, la vente des biens ecclésiastique est désormais un fait acquis. Il n’est donc plus possible de revenir sur le changement foncier et sur les conséquences sociales. L’Église ne pourra plus occuper la place qu’elle avait avant la révolution.

Allégorie du concordat de 1081Pierre-François Joseph
Cependant, le pape a remporté deux précieuses victoires, l’une sur la révolution avec l’abandon de ses prétentions, l’autre sur le gallicanisme qui ne s’en relèvera pas. L’autorité du pape en sort grandie. « Le XIXe siècle à son aurore déposait une couronne de gloire sur le front du pape. »[10] En outre, en abandonnant les biens du clergé, le pape ne peut plus être considéré comme l’adversaire des nouveaux propriétaires. Il désarme ainsi tous ceux qui agitent la peur d’une rétrocession pour  opposer les acquéreurs à l’Église.

Dans cet accord, il y a bien une volonté de dépasser la révolution pour retrouver l’ordre et la tranquillité. Pour cela, il est nécessaire de faire en sorte que le nouveau gouvernement succède au roi, légitimant finalement une certaine continuité. Le concordat évoque ainsi à plusieurs reprises un retour aux pratiques en vigueur « avant le changement de gouvernement ». Les prérogatives du roi sont en outre dévolues au premier consul, légitimant ainsi la succession de régime. Il est vrai aussi que le pape et les évêques récupèrent leurs droits. La procédure de nomination est conforme à ce qui pratiquait sous l’ancien régime. C’est donc un retour vers l’avant révolution. C’est une victoire politique pour Bonaparte.

Cependant, il est étonnant que le concordat ne dise rien sur le clergé constitutionnel, sur l’enseignement, et surtout sur les congrégations religieuses, qui demeurent les grandes victimes de la révolution. Il n’a pas pour vocation de restaurer l’ancien ordre chrétien mais bien de mettre fin à une situation dommageable pour les deux parties. C’est plus un traité qu’un concordat. « Toutes les personnes instruites regardent comme un vrai miracle qu’on ait pu conclure un tel traité. » Tels sont les propos du cardinal Consalvi lors de sa signature. Le terme révèle bien le sens de ces accords…

Les articles organiques de 1802

En 1802, sans consulter le Saint-Siège et à son insu, Bonaparte rajoute au concordat soixante-dix-sept articles organiques sous prétexte d’établir le règlement de police évoqué dans le premier article du concordat. Sont aussi ajoutés quarante-quatre articles pour les cultes calvinistes et luthériens. Le 8 avril 1804, le concordat et les articles organiques, unis en un même document, sont votés et admis comme constitutionnels.

Le concordat ne peut faire valeur de loi sans le vote des assemblées constitutionnelles, hostiles à la politique religieuse de Bonaparte. Selon la plupart des commentaires, les articles organiques auraient pour but d’apaiser les oppositions parlementaires. Effectivement, les articles restreignent les pouvoirs du pape et des évêques, et changent radicalement la teneur du concordat. Ils réintroduisent les principes gallicans chers aux députés et rendent l’Église plus dépendante de l’État dans les procédures.

Les articles organiques visent donc à réduire les droits du pape dans l’Église française. C’est une reprise des « libertés gallicanes » telle qu’elles ont été définies au XVIIe siècle. Aucun acte du Saint-Siège ne pourra être publié sans l’approbation du gouvernement (article 4). Aucun évêque ne pourra quitter son diocèse sans son autorisation (article 20). Aucun concile ne pourra avoir lieu sans sa permission (article 4). Les Quatre articles de 1682 devront être enseignés dans les séminaires. La procédure d’« appel comme d’abus » devant le Conseil d’État est rétabli. Un nombre de prêtres à ordonner est limité par le gouvernement (article 26). Les articles organiques manifestent aussi la volonté de régir la discipline à l’intérieur de l’Église. Il y aura une seule liturgie et un catéchisme unique. Ils en viennent même à définir la couleur des bas de l’évêque !

Les articles organiques s’opposent même à certains articles du concordat ou les rendent caduques. Le règlement de police ne concerne en effet que le culte public et ne le restreint qu’en vue de la tranquillité publique. L’article 9 donne à l’évêque la liberté de créer des paroisses alors que les articles organiques 31 et 60 définissent le nombre de succursales et limite à une paroisse par justice de paix ! Portalis pourra alors écrire aux préfets : « la circonscription des curés est proprement déterminée par la loi »[11].

Devant ce retour vigoureux du gallicanisme et en raison de la méthode employée, Pie VII refuse de reconnaître les articles organiques.

Conclusion

Le concordat de 1801 instaure de nouveaux rapports entre l’État et l’Église. Sans être reconnu comme religion de la France, le catholicisme est néanmoins soutenu et la hiérarchie catholique restaurée et affermie. Mais en dépit de fortes concessions, le grand vainqueur est bien le pape qui voit son autorité dans l’Église et sa primauté reconnues par l’État. Le gallicanisme ne survivra guère de ce traité. Mais le concordat n’est guère précis et laisse de nombreuses questions en suspens. Son intérêt n’est pas de reconstituer l’Église, qui a été particulièrement perturbée et affligée par la tourmente révolutionnaire. Son intérêt est de rétablir la paix et l’ordre en France, et l’unité de l’Église. Cependant, comme l’histoire le montrera, seule compte la pratique du concordat.

Pourtant, les rapports entre Napoléon et Pie VII ont été très tendus, l’empereur allant emprisonner le pape. L’insertion des articles organiques n’a été qu’un premier affront à l’égard du Saint-Siège, d’autres suivront. Le gallicanisme et l’esprit anti-romain demeurent encore bien virulents. Néanmoins, l’Église a pu se redresser et retrouver, non pas sa gloire d’antan, mais une nouvelle gloire.

Quand l’empire français a été défait, et la monarchie française restaurée, le concordat n’a pas été supprimé en dépit des tentatives. Ces dernières donnent en effet lieu à une forte rivalité entre les partisans du pape, dit ultramontains, et les gallicans, toujours aussi vivaces, qui voient dans le concordat la perte d’indépendance de l’Église de France au profit du pape. Les premiers tenteront de supprimer les articles organiques quand les seconds chercheront à les défendre et à les appliquer avec vigueur. S’ajoutent tous les partisans des innovations et des acquis apportés par la révolution. Les échecs révèlent ainsi une nouvelle situation politique marquée par une forte division au sein de l’État et par de nouveaux rapports de force entre les gouvernements et la papauté.

Mais ce concordat répond à un contexte particulier, celui de la nécessité de rétablir la paix après la tourmente révolutionnaire. Il cherche à établir une entente pour le bien de l’Église et de l’État. Mais, il ne répond pas à la nouvelle situation qu’ont provoquée les nombreux changements survenus. Deux sujets vont en particulier focaliser les affrontements : l’enseignement et les congrégations religieuses, sujets que le concordat ne traite pas. En outre, en instaurant une certaine alliance entre le pape et le gouvernement, il semble lier l’Église au régime établi en un temps où la France connaît l’instabilité politique. Elle en sera inévitablement secouée. Enfin, l’Église demeure l’objet de l’hostilité des partisans de la révolution alors que ses adversaires la soutiennent et la protègent. Elle-même peut-elle accepter ceux qui ont voulu et veulent la détruire ? Ainsi l’Église est au centre de nombreux combats au XIXe siècle tant au niveau religieux que politique. La paix est bien fragile…



Notes et références
[1] Voir Émeraude, août 2019, article « L'Église constitutionnelle puis gallicane : une Église républicaine ».
[2] Dictionnaire de droit canonique, article concordat, sous la direction de R. Naz dans Le concordat napoléonien, un concordat pacificateur, Philippe Nélidoff, janvier 2019.
[3] Cardinal Consalvi, dans Le Concordat de 1801, ses origines, son histoire, d'après des documents inédits, cardinal Mathieu, n° 3, Perrin, 1903, dans Commentaire du concordat de 1801 entre la France et le Saint-Siège, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, août 2014.
[4] Mgr Spina dans Le Concordat de 1801, ses origines, son histoire, d'après des documents inédits, cardinal Mathieu.
[5] Napoléon dans Œuvres du comte Pierre-Louis Roederer, Paris,1856, t. III dans Commentaire du concordat de 1801 entre la France et le Saint-Siège, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer.
[6] Article premier du concordat de 1802 dans Histoire de l’Église, dom. Ch. Poulet, tome II, Temps modernes, édition Beauchesne, 1935.
[7] La plupart des commentateurs considèrent les deux articles 13 et 14 comme étant synallagmatique. Dans l’un des projets proposés, l’article 14 reprenait les décrets de 1790 de l’assemblée constituante. Voir Le Concordat de 1801 : étude historique et juridique, abbé Lucien Crouzil, 1904, gallica. Dans la bulle pontificale de ratification, Pie VII précise que le traitement correspond à une compensation de la perte de revenus de l’Église.
[8] Les chanoines feront l’objet d’un traitement par la loi du 14 ventôse an XII (1804), traitement qui sera ensuite supprimé en 1885. La loi du 23 ventôse an XII (1804) a prévu l’établissement au frais de l’État d’un séminaire par arrondissement métropolitain. La loi n’a jamais été appliquée. Le gouvernement a créé des bourses pour les aider financièrement. En 1885, ils ont été supprimés.
[9] Les deux évêques ayant refusé d’en sacrer d’autres, la Petite Église ne dispose plus d’évêques depuis 1825, et de prêtres depuis 1847.
[10] Albert Dufourcq (1872-1952), historien.
[11] Archive départemental de la Haute-Garonne, V2, dans Le Concordat de 1801 : étude historique et juridique, abbé Lucien Crouzil, 1904, gallica.