Fresque de Raphaël |
Il est difficile, voire impossible, d’admettre l’existence de Dieu tout en
refusant celle des miracles. Comment le Créateur et Maître de l’Univers,
peut-Il ne pas en réaliser ? Si généralement les miracles sont présentés,
peut-être à tort, comme des dérogations aux lois naturelles, ils sont surtout
un mode d’action particulier de Dieu qui se manifeste en dehors de l’ordre
naturel sans être contre-nature. Cependant, il n’est pas rare d’entendre des
croyants rejeter toute idée de miracles en prétextant qu’ils sont indignes de
Dieu. Les adversaires du christianisme soulignent davantage l’incompatibilité
des récits miraculeux des Évangiles avec la grandeur, la puissance et la
sagesse de Dieu ou des divinités qu’ils défendent. Or, les miracles revêtent une importance
capitale dans l’œuvre divine et dans le christianisme.
Un mode d’action indigne de Dieu, inefficace, voire
dangereux ?
Parfois, le miracle est présenté comme étant indigne de
Dieu. Comment le Tout-Puissant peut-Il passer par le merveilleux pour être
entendu ? Ne peut-Il pas directement nous dire ce qu’Il veut ? Selon
Spinoza, il aurait en effet été plus simple d'enseigner aux hommes des vérités
claires, évidentes et propres à les convaincre que d’agir hors de l’ordre de la
nature.
On accuse même ce procédé d’infantiliser l’homme. Il l’inciterait
à demeurer dans ses songes et dans une crédulité infantile. Il nourrirait
la superstition. N’emploie-t-Il pas les mêmes méthodes que les auteurs des
religions païennes ? Le miracle n’élèverait pas l’homme mais le maintiendrait dans
une sorte d’enfance.
En outre, les récits miraculeux risquent d’éloigner les
plus sages, c'est-à-dire ceux qui refusent de croire si facilement aux fables et aux légendes. Les
miracles sont perçus comme des exagérations de faits naturels, des œuvres
nées d’imaginations fertiles ou encore des tours de magie qui impressionnent
les foules. Or l’homme sage et intelligent ne peut admettre un tel mode
d’action qui joue sur les sens et non sur la raison. Il risque donc de rejeter
le miracle. Il n’y verrait qu’erreur et imposture.
Selon de nombreuses théories, les
miracles chrétiens ne seraient que des œuvres imaginaires, influencées par la mythologie. Par l’histoire comparée des
religions, on essaye alors d’établir des relations entre les récits des Évangiles
et ceux des mythes antiques. On applique aussi cette méthode sur les miracles de
l’Ancien Testament. On recherche des similitudes entre les histoires, on fait
des hypothèses, on finit par conclure à une filiation.
Le miracle, un témoignage convainquant, accessible à
tous
Les vérités peuvent-elles être exprimées de manière
claire et évidente, propres à convaincre les hommes ? Certains pensent en
effet que par le discours, elles sont capables d’impressionner l’homme au point
que ce dernier y adhère sans difficulté. L’histoire comme l’actualité nous
montrent toute la naïveté ou l’ignorance de cette pensée. Malheureusement,
l’homme n’accède pas si facilement à la vérité. Il a besoin d’être aidé pour
être convaincu d’une parole, même si elle est exprimée de manière claire. Il
n’ignore pas en outre combien sont nombreux les hommes habiles en discours. Il a besoin
de signes et de témoignages qui ne dépendent pas de la parole de l’homme et de
son habilité. Mais surtout, avant même d’y adhérer, faut-il d’abord qu’il
l’entende, c’est-à-dire qu’il soit dans les dispositions pour écouter la vérité.
Or le miracle a plusieurs qualités. D’abord, il suscite
l’étonnement et par conséquent il attire, interroge, questionne. Il remet en
question les plus fortes certitudes. En un mot, il accroche l’esprit. La Création, œuvre divine par excellence, devrait
aussi nous ouvrir à cette connaissance mais nous sommes si habitués à la voir
que nous n’en sommes plus guère émerveillés. « Les miracles, dit S.
Augustin en parlant du miracle de la multiplication des pains, sont des œuvres divines faites pour élever
l'esprit humain à la connaissance de Dieu, par le moyen d'actes sensibles.
Comme peu de gens daignent remarquer les œuvres vraiment admirables et
étonnantes de sa Providence dans n'importe quel grain de blé, Dieu, dans sa
miséricorde infinie, s'est réservé certaines choses à faire en temps opportun,
en dehors du cours ordinaire et de l'ordre de la nature, afin de frapper, par
ce spectacle inaccoutumé, des hommes que les spectacles quotidiens ne
parviennent plus à émouvoir. Assurément c'est un plus grand miracle de
gouverner le monde entier que de rassasier cinq mille hommes avec cinq pains :
le premier pourtant personne ne l'admire, tandis qu'on admire le second, non
pas qu'il soit plus grand, mais parce qu'il est plus rare. »[1]
Les œuvres divines se manifestent partout, mais qui s’en soucie ? Le miracle ne nous laisse guère indifférents. Nous prenons conscience
de l’existence d’une réalité que nous avons tendance à oublier. Un fait
miraculeux ne peut que nous interpeller et nous réveiller de notre insouciance.
Comme il est un fait concret, sensible, extraordinaire, le miracle nous touche
assurément. Ainsi les miracles nous rappellent ce que nous voyons tous les
jours, sans faire attention, c’est-à-dire la présence de Dieu dans ses œuvres
et au-delà de ses œuvres.
En outre, le miracle étonne tous les hommes, les
ignorants comme les savants. Il a « un
langage qui est à la portée de tous les esprits, qui satisfait pleinement la
raison du savant et n'excède point celle de l'ignorant, qui convainc
non-seulement ceux qui en sont les témoins, mais tous ceux qui en acquièrent la
connaissance par des relations authentiques. »[2]
Il impressionne les hommes de tous les temps, de toute origine.
Un mode de connaissance extraordinaire
Jésus et les docteurs de la foi
Un disciple de José de Ribera
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Le miracle est surtout indispensable pour confirmer des
discours peu communs. Rappelons que Notre Seigneur Jésus-Christ en accomplit
pour que la foule croit en Lui et ait confiance en son enseignement. Il permet
aussi d’identifier l’imposteur. « Savez-vous
quel motif le portait encore à opérer ces prodiges? Il voulait convaincre ceux
qui croiraient en lui que, s'ils étaient fidèles à garder ses préceptes,
quelles que fussent leurs infirmités corporelles, ils reprendraient un corps
pur et intact au jour de son second avènement, qu'ils ressusciteraient
immortels, exempts de corruption, impassibles. »[3]
Comment un homme peut-il nous dire qu’Il est maître de la nature s’il ne nous
convainc pas par des œuvres visibles ? Les démagogues disparaissent quand
ils doivent mettre en acte ce qu’ils affirment si habilement. Comme nous le dit
Rousseau lui-même, « qu'un homme vienne
vous tenir ce langage : Mortels, je vous annonce la volonté du Très-Haut ; reconnaissez
à ma voix celui qui m'envoie. J'ordonne au soleil de changer sa course, aux
étoiles de former un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'élever, à la terre de prendre
un autre aspect. A ces merveilles, qui ne reconnaîtra pas à l'instant le maître
de la nature ? Elle n'obéit point aux imposteurs. » [4]
Pour croire qu’un homme est envoyé de Dieu, il a besoin d’un témoignage qui est
d’ordre divin. Il sera convaincu lorsque ses œuvres seront conformes à son
enseignement. Le miracle accrédite l’homme auquel Dieu confie une mission
particulière.
Le miracle sert à confirmer la vérité surtout
lorsqu’elle dépasse ce que nous pouvons entendre. « En effet, les vérités de foi dépassent la raison humaine et ne peuvent
être prouvées par des raisonnements humains ; elles doivent être prouvées par
l’argument de la puissance divine, afin que, lorsqu’un homme accomplit des
œuvres que Dieu seul peut faire, on croie que ce qu’il dit vient de Dieu.
Ainsi, lorsque quelqu’un présente une lettre marquée par le sceau royal, on
croit que son contenu procède de la volonté royale. » [5] Comme nous le rappelle aussi Saint Augustin,
les miracles servent aussi à confirmer notre foi.
Le deuxième motif est de montrer la sainteté d’un homme que Dieu nous propose
comme exemple de vertu à suivre. « Les
miracles sont toujours de vrais témoignages de ce qu’ils confirment. »[6]
Le miracle présente en fait une autorité indiscutable. Il est efficace pour impressionner les hommes et ébranler les convictions.
« Il fallait que les yeux mêmes dont
l'insensé se sert plus facilement que de l'intelligence, fussent frappés par
certains miracles, afin que les hommes, ébranlés par cette autorité,
purifiassent leur vie et leurs mœurs, et devinssent ainsi propres à recevoir la
raison. »[7]
« L'autorité
est pour les insensés le seul moyen d'arriver promptement à la sagesse. »
Car la vérité n’est pas facile à entendre, surtout pour ceux qui ne veulent
point l’attendre. « Quand donc un
homme ne peut pas apercevoir le vrai, l'autorité est là pour le mettre à même
de le faire et pour l'engager à se purifier. »[8]
Cette autorité prend notamment sa force dans les miracles. « En fait de miracles, il n'en est point de
plus propre à agir sur les peuples, et en général sur les insensés, que ceux
qui frappent les sens. »[9]
C’est pourquoi selon Saint Paul, les miracles sont utiles aux incrédules (voir I.
Cor., XIV, 22). Ceux qui croient véritablement n’ont pas besoin de miracles
pour entendre Dieu.
Le miracle est finalement porteur de sens, propre à être
entendu et compris en dépit même de notre volonté. « Il est naturel
à l’homme de saisir la vérité intelligible au moyen des effets sensibles. C’est
ainsi que l’homme, conduit par sa raison naturelle, peut parvenir à une
certaine connaissance de Dieu par le spectacle de la nature ; de même, à la vue
de certains effets surnaturels qu’on appelle miracles, il sera amené à une
connaissance surnaturelle des vérités à croire. »[10]
Le miracle est en effet un signe, et par conséquent il manifeste une vérité et élève
l’homme à la connaissance de Dieu.
Les miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ, dignes de
Dieu
Jésus et l'hémorroïsse Paolo VERONESE |
Voyons le cas du christianisme. Les miracles n’ont pas
d’autres buts que de témoigner de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils servent à
montrer qu’Il est bien l’envoyé de Dieu, les miracles étant un signe
messianique. Mais ils vont encore au-delà du messianisme. Ils montrent ce
qu’Il est, c’est-à-dire le Fils de Dieu et ce qu’Il est venu faire ici-bas. « Au sujet du Christ, il fallait manifester
aux hommes ces deux vérités : que Dieu était en lui par la grâce, grâce d’union
et non d’adoption ; et que sa doctrine surnaturelle venait de Dieu. Et c’est
pourquoi il convenait au plus haut point qu’il fit des miracles. Aussi dit-il
lui-même (Jean, 10, 38) : " Si vous ne voulez pas me croire, croyez mes œuvres.
" Et aussi (Jean 5, 36) : "Les œuvres que mon Père m’a données à faire,
c’est elles qui rendent témoignage de Moi. "»[11] Il est en effet difficile de croire en un homme qu’Il
se dit Fils de Dieu s’Il n’apporte pas des preuves suffisamment convaincantes.
Il faut gagner la confiance par des actes sensibles suffisamment forts pour confirmer ses paroles. « Les
miracles du Christ venaient à l’appui de la foi qu’il enseignait. »[12]
Cela est d’autant plus vrai que Notre Seigneur
Jésus-Christ va subir les pires souffrances, c'est-à-dire que les épreuves qu'Il va endurer s'opposent, semble-t-il, à ce qu'Il prétend être. Les Juifs comme les Païens éprouveront en effet bien des difficultés pour renoncer à leur conception de la divinité.« Bien que le Christ soit venu " dans la faiblesse de la chair
", ce que manifestent ses souffrances, il est cependant venu dans la force
de Dieu. Ce qu’il allait manifester par ses miracles. » [13]
Nous revenons ainsi à la nature de Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et
vrai Homme. S’il est facile de voir sa nature humaine, faut-il aussi que se
manifeste sa nature divine. Ainsi doit-Il montrer sa puissance divine sur la
Création. D’un mot, Il commande la nature et chasse les démons. Les
miracles qu’Il réalise montrent que tout lui est soumis. Beaucoup de témoins se
convertissent grâces aux miracles. Preuve de leur efficacité !
La Chananéenne aux pieds du Christ
Jean-Germain Drouais
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Mais, sont-ils vraiment indignes ces miracles qui
guérissent et atteignent les hommes ? Notre Seigneur Jésus-Christ voit
une veuve qui a perdu son fils unique. Il ressuscite alors cet enffant sans que
personne ne lui demande. Il est en effet touché par le sort dramatique de cette
femme. Sans enfant, sans mari, que va-t-elle devenir ? Il ne songe pas
seulement à soigner les plaies de la vie. Il est surtout venu pour soigner des
âmes. Dans les Évangiles, il y a toujours un rapport entre la foi et la
maladie. Il ouvre les yeux d’un aveugle pour montrer qu’Il apporte la lumière à
ceux qui sont dans l’obscurité. Il soigne la lèpre car Il est venu apporter le
salut aux âmes lépreuses. Il est la vie. Ainsi ressuscite-t-Il des hommes. Au-delà des
œuvres de charité humaine, Notre Seigneur Jésus-Christ montre qu’Il accomplit
des œuvres de charité plus profondes encore, celles qui soignent les âmes et les
relèvent de leurs péchés. Il n’opère pas de miracles pour Lui-même mais pour ceux
qui en ont besoin et tout cela à la gloire de Dieu.
Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ réalise ses
œuvres non pour Lui-même mais pour la gloire de Dieu. Ainsi refuse-t-Il tout
honneur et recherche-t-Il la discrétion.
Tous ces miracles se ramènent
finalement à Dieu. Les Apôtres accomplissent aussi des miracles comme preuves de
leur mission et toujours au service de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Contrairement à Simon le Magicien, ils œuvrent uniquement au service de Dieu.
Conclusion
Les miracles sont un mode de connaissance
efficace et utile à l’homme pour qu’il atteigne des vérités qu’il ignore, ou veut ignorer, ou
auquel il est indifférent. Il est surtout adapté à l’homme, plus soucieux de
faits concrets et sensibles que de paroles aussi belles et profondes
soient-elles. Dieu est un excellent pédagogue qui connaît parfaitement les hommes.
Croire que de simples paroles suffisent pour les élever à de hautes
vérités, c’est méconnaître l’homme dans sa réalité. C’est se perdre dans
l’illusion et les rêves. L’homme attend en effet un témoignage sûr et sans faille que le discours ne peut fournir. Tel est le rôle des miracles. Certes, le miracle n’est pas absolument convaincant car les vérités
qu’il confirme, n’est accessible en dernier lieu que par la foi. Mais si Dieu
l’utilise dans sa grande sagesse, ne les négligeons pas. Sachons les utiliser pour
apporter la lumière à ceux qui sont encore dans l’obscurité.
Notes et références
[1] Saint Augustin, Tract. 24 in Joan. V, cité dans Cours apologétique chrétienne ou exposition raisonnée des fondements de la foi, P.W. S.J. Devivier, Artcle II, II, Castermann, 1907, http//www.liberius.net, 2008.
[2] Cardinal Gousset, archevêque de Reims, Théologie dogmatique ou exposition des preuves et des dogmes de la religion catholique, Tome Ier, n°529, 14ème édition, librairie Lecoffre, 1844.
[3] Saint Julien, Dialogue avec Tryphon, LXIX, 7.
[4] Jean-Jacques Rousseau, Émile, LIV, iv.
[5] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, question 118, article 2.
[6] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, question 118, article 2.
[7] Saint Augustin, Contre Julien, chapitre XV, 33.
[8] Saint Augustin, Contre Julien, chapitre XVI, 34.
[9] Saint Augustin, Contre Julien, chapitre XVI, 34.
[10] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, question 178, article 1.
[11] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Pars IIIa, question 43, article 1.
[12] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Pars IIIa, question 44, article 1.
[13] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Pars IIIa, question 44, article 1.
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