Aujourd’hui, en France, nous
vivons dans un État laïc, ce qui signifie pour les uns l’indifférence de
l’État en matière religieuse, pour les autres, la restriction de la
religion à la sphère privée. Ainsi au nom de la laïcité, soit on demande au
gouvernement de ne pas s’immiscer dans les religions tant qu’elles ne nuisent
pas à l’ordre public, soit on lui demande d’intervenir pour mieux les encadrer
et interdire leur manifestation dans la sphère publique.
Depuis quelques années, des
événements réveillent régulièrement ce sujet et pendant quelques jours, selon
l’ampleur de l’émotion provoquée, la laïcité devient la « une » des
journaux en manque d’informations. Et de manière sempiternelle, ils reviennent
sur la laïcité, ses origines, ses principes, ses difficultés, etc. La laïcité
est ainsi évoquée pour interdire l’installation de crèches de Noël dans les
mairies ou encore le port du foulard dans les écoles. Le développement de
l’islam en France soulève surtout de sérieuses questions et semble remettre en
cause le principe même de la laïcité. Comment peut-elle en effet avoir du sens
dans une religion qui ignore la séparation du temporel et du religieux ou dans
la société musulmane qui ne peut être que religieuse ? La laïcité est ainsi
difficilement conciliable avec l’islam. Car évidemment, la laïcité n’est viable
qu’à l’égard de religions qui savent et veut distinguer les domaines religieux
et le temporel.
Le chrétien ne peut être
indifférent aux difficultés que pose la laïcité. Il
ne peut non plus ignorer ni ses origines ni ses principes. Il ne s’agit pas de
réveiller les querelles qui ont tant divisé les chrétiens et la société pendant
les deux derniers siècles et de s’égarer dans des débats bien inutiles. Il
s’agit surtout de comprendre ce qu’elle signifie et de saisir
l’essentiel au-delà des passions. Dans le cadre de notre étude sur les
rapports entre les pouvoirs temporel et spirituel, ou encore entre l’Église et
l’État, ce sujet nous paraît inéluctable.
La laïcité au sens
gouvernemental
Dès l’article premier de notre
constitution, il est dit que la France est « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Le terme de « laïque »
vient immédiatement après l’unité de la Nation et son indivisibilité, et avant la
nature du régime politique. C’est la seule fois que cet adjectif y est employé.
Le terme de « laïcité » est
en effet absent du texte. Pourtant, ce mot est omniprésent dans les discours qui
évoquent la place de la religion dans l’État et la société.
L’Observatoire de la
laïcité a été créé en 2007 pour assister le gouvernement dans son action
visant au respect du principe de laïcité. Ses compétences s’étendent aussi à la
formation de la laïcité dans le secteur public et à la gestion des faits
religieux dans le secteur privé. Cet organisme gouvernemental propose les
principes de la laïcité avant de la définir.« La
laïcité repose sur trois principes et valeurs : la liberté de conscience et
celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre
public, la séparation des institutions publiques et des organisations
religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs
croyances ou leurs convictions. »[1]
Toujours selon ce discours, la laïcité garantit la liberté des expressions des
convictions des croyants et des non-croyants, le libre exercice des cultes et
la liberté des personnes à l’égard des religions ainsi que l’égalité des
citoyens face à l’administration et au service public quelles que soient leurs
convictions et leurs croyances. Enfin, elle suppose la séparation de l’État et
des organisations religieuses, dont l’Église, et par conséquent de la
neutralité de l’État, des administrations, des collectivités territoriales et
des services publics en matière de religion.
La laïcité se repose donc sur
- la
liberté de conscience;
- la liberté de culte ;
- la neutralité de l’Église en
matière religieuse ;
- la séparation des Églises et de l’État ;
- l’égalité
religieuse.
Plus concrètement, cela signifie que l’État ne reconnaît ni ne salarie
aucun culte et qu’il n’intervient pas dans le fonctionnement des organisations
religieuses. Finalement, qu’est-ce que la laïcité ? « La laïcité n'est pas une opinion parmi
d'autres mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une conviction mais le
principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre
public. »[2]
La définition de la laïcité que nous donne l’État contient quelques
difficultés, voire de véritables contradictions. Elle présente
d’abord la laïcité comme la liberté d’avoir une opinion. Est-elle donc synonyme
de liberté de conscience alors qu’elle repose sur elle comme l’affirme le
même texte ? Le fait même d’affirmer qu’une croyance religieuse est une opinion
revient à prendre position sur sa véracité et donc à ne pas être réellement
neutre en dépit des déclarations. L’État peut-il en effet reconnaître une
religion ou une organisation religieuse tout en affirmant garder sa
neutralité ? Mais qu’est-ce qu’une religion ou une organisation
religieuse ? Le texte ne fournit aucune définition qui nous permet de
répondre à cette question. En outre, la laïcité ne se réduit pas à une liberté
d’avoir une opinion. Elle va au-delà. Elle porte aussi sur la liberté
d’exercice de culte et fonde ses limites. Elle peut donc restreindre les actes
extérieurs d’une religion. Mieux encore, la laïcité serait « le principe qui les autorise toutes ».
Toute religion sans distinction aurait droit de cité. Il est cependant
difficile de croire que la liberté de croire et de pratiquer un culte dépend en
fait de la laïcité. N’est-ce pas un droit naturel ? Or le terme d’« autoriser » nous renvoie à celui
d’« autorité » et donc à un
pouvoir qui l’exerce. Cela revient-il à dire implicitement qu’au nom de la
laïcité, en tant que principe, l’État autorise l’ensemble des religions ? Mais
peut-il prétendre à un tel droit ? En raison de toutes ces difficultés
et contradictions, la définition de laïcité que nous donne l’Observatoire
de la laïcité ne nous paraît guère satisfaisante.
Le terme de la laïcité
Le terme de « laïcité »
est récent. Cela peut nous surprendre puisqu’il ne cesse d’être évoqué
comme un des principes fondamentaux de la république. Mais, il est vrai que
parfois les choses se réalisent avant qu’un nom leur soit donné. Il apparaît en
effet la première fois dans un compte-rendu de délibération qui a eu lieu au
conseil général de la Seine transmis par le journal La Patrie daté du 11
novembre 1871. Il nous rend compte qu’une proposition de supprimer tout
enseignement religieux dans les écoles a été repoussée. Deux ans plus tard, en
1873, Larousse introduit le mot dans son encyclopédie. En 1877, c’est au tour
de Littré.
Que disent nos
dictionnaires actuels ? Selon
Larousse, il s’agit d’« un
système qui exclut les Églises de l’exercice du pouvoir politique ou
administratif, et en particulier de l’enseignement [3].
Pour le centre national de ressources textuelles et lexicales
(CNRTL), elle est le « principe de
séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse »[4],
l’indépendance des institutions publiques ou privées à l’égard du clergé et des
Églises ou bien encore la « neutralité
de l’État à l’égard des Églises et de toutes confessions religieuses ».
La laïcité définit donc des rapports entre l’État ou la société
et toute religion.
Ils se caractérisent par l’exclusion, la séparation ou par la neutralité, et
finalement par l’indépendance. Ces termes ne sont guère compatibles. En effet, « la notion de laïcité n’est pas
univoque »[5], comme
le rappelle le vice-président du Conseil d’État en 2016. Elle porte de
nombreuses sens et elle fait l’objet de multiple interprétations. Néanmoins, toutes
ces définitions excluent tout rôle et pouvoir aux religions dans l’État
et la société mais aussi à l’État à l’égard de toute religion.
Pour approfondir notre sujet, nous allons désormais nous
intéresser à son étude étymologique. En ajoutant le suffit « ité » à un adjectif, on forme
un nom abstrait exprimant la qualité de l’adjectif[6].
Par exemple, la vérité est ce qui est vrai. Ainsi le terme de « laïcité » devrait exprimer la
qualité d’être « laïque ». Toute
la difficulté repose donc sur le terme de « laïque ». Il est en effet possible de lui attribuer
plusieurs sens.
« Laïcité » et « laïc »
Le premier sens possible nous renvoie au terme de « laïc » ou de l’ancien français
« lay », ou encore « lai ». Il provient d’un mot latin
« laicus », signifiant
« ordinaire », « commun », et d’un mot grec « laikos » signifiant « du peuple ». À l’origine, il est
utilisé pour désigner « le peuple de
Dieu »[7], ce qui
suppose un choix de Dieu. Dans des traductions chrétiennes et grecques de la
Sainte Écriture du IIe siècle, il désigne les personnes qui n’exercent pas de
fonction sacrée ou encore des biens qui ne sont pas consacrés à Dieu. Au Ier siècle, le pape Saint Clément (35-99) l’emploie à son tour pour désigner celui
qui n’est pas prêtre. « Aux grands
prêtres des fonctions particulières sont confiées, les prêtres ont leur place,
les lévites leur service, les laïcs les obligations des laïcs. »[8]
Aujourd’hui, dans l’Église, le laïc désigne encore celui qui n’appartient
pas au clergé, c’est-à-dire celui qui n’est pas ordonné. Selon le droit
canon de 1983, « par institution
divine, il y a dans l’Église, parmi les fidèles, les ministres sacrés qui en
droit sont appelés clercs, et les autres qui sont appelés laïcs. »[9].
Ainsi, un moine peut être laïc. Un frère lai est ainsi un religieux qui n’est
pas destiné à recevoir les ordres. Par l’ordination, le clerc n’est plus
« ordinaire » ou n’est plus
« du peuple » ; il est
en effet consacré à Dieu. Le sacrement de l’ordre le retire en quelque sorte du
« peuple » pour l’attacher au service divin. Ainsi pour l’Église, le
terme de « laïc » est un
mot distinctif. Dès qu’une personne devient chrétienne, elle est un laïc. Un
clerc est donc un ancien laïc qui, après un choix, prend un nouvel état dans
l’Église dès la réception du sacrement de l’ordre.
Finalement, le terme de « laïc » est propre au christianisme et dès son origine, il
désigne les personnes qui n’occupent pas une fonction sacrée dans l’Église.
Terme distinctif, il indique un des deux états possibles dans l’Église. Le
terme est univoque et bien concret.
L’état de « laïc »
n’est pas définitif, même s’il est le premier dans l’ordre chronologique.
L’état de clerc peut aussi évoluer en celui de laïc, même si cela s’avère
nettement plus rare. Un clerc peut en effet redevenir laïc par un indult
de laïcisation. Le terme de « laïciser » existe aussi. Il désigne le fait de revenir à
l’état laïque.
Au lieu de parler de « laïcisation »,
terme pourtant plus approprié, on parle souvent de « sécularisation ». Ce dernier vient du mot « séculier », c’est-à-dire celui
qui vit dans le siècle ou dans le monde. Il s’oppose à « régulier », c’est-à-dire à celui
qui vit conformément à une règle religieuse, émet des veux religieux ou encore vit
hors du monde. Le terme de « sécularisation »
concerne aussi bien les biens que les personnes. Ainsi, la sécularisation
consiste à rendre « séculier »
ce qui est « régulier »[10].
L’enseignement est par exemple dit sécularisé pour signifier qu’il ne relève
plus de congrégation ou de communauté de réguliers. Dans un sens plus large, par
sécularisation, on entend le transfert d’un bien d’Église dans le domaine
public ou temporel. Le fait de séculariser une chose revient finalement à soustraire
de l’Église un bien qui lui appartenait ou une fonction qu’elle exerçait. Il
est dommageable de confondre ces deux termes, « laïcisation » et « sécularisation ».
Une telle confusion tend en effet à opposer « laïc » et « religieux »,
ou encore à faire croire que le laïc n’appartient pas à l’Église.
« Laïcité » et « laïque »
Monument à Jules Ferry
Gustave Michel, jardin des Tuileries, Paris.
|
L’adjectif « laïque »
existe depuis le XVIIe siècle. Le dictionnaire de l’Académie française le
définit comme équivalent à « séculier ».
Mieux encore. Il précise qu’il est opposé à « clerc » et à « régulier ». Dès cette époque, le terme de « laïque » apparaît comme une
marque d’opposition entre les deux états. Mais sa définition a évolué. En
1762, il est défini par « qui n’est ni
ecclésiastique, ni religieux », en 1835, « ni ecclésiastique, ni religieux, ni du clergé séculier, ni du clergé régulier ».
En 1878, le terme est étendu aux biens. Ces définitions ne prennent pas en
compte la distinction sacramentelle. En outre, elles ne définissent pas le laïc
comme un chrétien. Avant le XIXe siècle, une telle absence paraît normale
dans une société chrétienne. C’est plus difficile à entendre en 1835. Ainsi, les
définitions du terme de « laïcité » tendent à nous faire
croire que le laïque est finalement un profane.
Au XVIIIe siècle, apparaît le terme de « laïc », celui de « laïque » étant désormais réservé à
sa forme adjectivale. Puis plus tard, le substantif « laïque » apparaît de nouveau pour désigner le partisan de la
laïcité quand celui de « laïc »
ne désigne qu’une personne non-clerc.
Depuis le XIXe siècle, le terme de « laïque » est souvent utilisé. Il exprime clairement le
monde profane et de manière plus spécifique des positions anticléricales.
L’anticléricalisme désigne une doctrine qui refuse la domination ou à l’influence
des clercs dans une société.
Enfin en 1935, l’Académie rajoute une nouvelle définition au mot
« laïque » : « il signifie aussi Qui est étranger à toute
confession ou doctrine religieuse. Enseignement laïque. École laïque. Par
extension, l'État laïque. Les lois laïques. Cérémonie laïque ».
Ainsi, le terme de « laïc »
nous renvoie à une distinction d’état dans l’Église, distinction résultant
d’un sacrement, celui de l’ordre, alors que celui de « laïque» marque plutôt une opposition
à l’encontre des clercs mais aussi des religieux. Ce dernier englobe aussi
le terme de « laïc ». Nous
pouvons alors comprendre la difficulté que génèrent tant d’imprécision et de
confusion. Elles génèrent des malentendus et favorisent les manipulations. La
laïcité porte finalement cette ambivalence ainsi que la notion de confrontation
au point que selon une historienne, spécialiste du sujet, « la laïcité, quoi qu’on en ait, est
obligatoirement anticléricale»[11].
Laïcité, une arme contre l’Église ?
Le terme de « laïcité »
révèle une opposition. Pour certains, il est « l’écho des tensions anciennes entre les
laïcs et les clercs à l’intérieur du catholicisme. »[12]
C’est bien le terme de « laïc »
qui est utilisé par l’auteur. C’est usé d’un terme peu approprié, bien étranger
finalement à la laïcité. Car en fait, cette tension ne concerne pas le
laïc ou le clerc en tant que tel mais les autorités temporelle et religieuse, c’est-à-dire
entre le seigneur et l’évêque, le prince et le pape. C’est un long conflit des
uns pour réduire les pouvoirs de l’autre. Le terme de « laïcité »nous renvoie donc plutôt sur les luttes d’influence
qui ont opposé les pouvoirs temporels et religieux telle que nous avons pu voir
dans nos différents articles depuis mars 2018. Ces conflits ne relèvent pas
du monde profane puisque les autorités temporelles en lutte contre les
autorités ecclésiastiques appartiennent aussi à l’Église. Contrairement au
XIXe siècle, l’État est chrétien et fidèle à l’Église. Une telle confusion est
assez classique dans les discours et semble ainsi légitimer la laïcité en l’appuyant
sur des faits historiques.
Depuis le début de notre étude, nous utilisons le terme « temporel ». Certes, dans certains
dictionnaires, il est équivalent à « profane »
mais cette équivalence n’est guère satisfaisante et elle entretient les
anachronismes, sources de manipulation. Nous dirons plutôt que le terme de
« temporel » regroupe tout
ce qui ne relève pas du religieux ou du spirituel tout en intéressant la
religion, les personnes et les biens. Le profane est tout ce qui étranger à
la religion, séparé d’elle.
Dans son Encyclopédie, Diderot définit ainsi l’adjectif
« laïque » : « en parlant des choses, se dit des biens ou
de la puissance ; ainsi l'on dit biens laïques, pour exprimer des biens qui
n'appartiennent pas aux églises. Puissance laïque, par opposition à la
puissance spirituelle ou ecclésiastique. » L’exemple est significatif.
Il nous renvoie encore aux combats menés par les empereurs et les rois pour
réduire l’autorité de l’Église et plus concrètement celle du pape dans leur
État. Il nous renvoie à la lutte d’influence qui a opposé l’État et l’Église.
Nous retrouvons encore cette notion de combat dans l’usage politique
du terme de « laïque ».
Lors d’un discours prononcé à la chambre en 1844, Guizot (1787-1874), ministre
sous la monarchie de Juillet, utilise ce terme pour désigner la victoire de
l’État sur l’Église. « L’État
n’est point athée, mais l’État est laïque et doit rester laïque pour le salut
de toutes les libertés que nous avons conquises. »[13]
Il évoque les acquis des différentes révolutions, c’est-à-dire l’acquisition de
droits au détriment notamment de l’Église. La laïcité est donc associée à la
négation de droits que l’Église a possédés ou des fonctions qu’elle a exercées.
Cela nous renvoie de nouveau au conflit de pouvoir, qui marque les rapports
entre l’Église et l’État, rapport exacerbé au temps de la révolution.
Le poids de l’idéologie
Ce discours d’opposition persiste dans certains articles actuels
traitant de la laïcité. Ils reviennent inéluctablement au temps précédent la
révolution, c’est-à-dire à l’Ancien Régime. Ils évoquent alors une société
dominée ou fortement influencée par l’Église, ou encore l’« emprise que l’Église exerçait sur les
esprits et les constitutions »[14]
Bernard Henri Lévy est encore plus radical. « Qui dit laïcité dit : émancipation des sujets par rapport aux
disciplines et carcans religieux, donc liberté. Qui dit laïcité dit : mise à distance, au sein de l’espace public, de
toutes les appartenances spirituelles ou communautaires, donc égalité. Qui dit
laïcité dit : construction d’un espace citoyen où hommes et femmes communient
quelles que soient leurs croyances et leur foi, donc fraternité. La laïcité […]
n’est pas un élément parmi d’autres de la pensée républicaine, c’est sa devise.
Ce n’est pas un corollaire de la démocratie […], c’est son principe. »[15]
Le discours n’est pas innovant. Ferdinand Buisson (1841-1932) précise dans son
dictionnaire que toutes les autorités étaient subordonnées à « une autorité unique, celle de la religion »[16].
Finalement, selon ses différents partisans, la laïcité est considérée comme
une garantie de liberté pour l’homme qui, sous emprise de la religion, ne peut
ni exercer ses droits ni raisonner.
Nous pouvons aussi trouver des définitions moins antireligieuses
où la religion est plutôt présentée comme un prétexte à la domination.
« La laïcité consiste à affranchir
l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée au nom d’une religion
ou d’une idéologie particulière. »[17]
Si le terme de « laïcité »
est toujours associé au couple « domination,
religion », elle est aussi
perçue comme une protection pour la religion.
Laïcité, principe d’unificateur de la nation ?
Nombreux sont aussi les articles qui s’opposent à une notion
porteuse du combat contre l’Église. Elle est effectivement un héritage du
passé. Elle a focalisé le combat qu’ont mené des courants de pensée
contre l’Église et la place du christianisme dans l’État et dans la
société. « La laïcité est alors conçu
comme une idéologie de combat. »[18]
Mais avec la victoire de leurs partisans et le déclin de l’Église après la
seconde guerre mondiale, est-il encore pertinent de parler de combat ?
Vidée de son idéologie, la notion a donc évolué. Les discours et les écrits
insistent alors davantage sur les principes qu’elle renferme, notamment la liberté
de conscience, incluant la liberté religieuse, et l’égalité des religieux
devant l’État et les lois.
Car l’État est face à d’autres difficultés que génèrent la
pluralité des religions et la montée du sentiment religieux. Comment
peut-il désormais la traiter dans la sphère publique, dans l’enseignement et
dans d’autres services ? Il ne s’agit plus de lutter contre le rôle
dominant de l’Église mais de faire cohabiter des citoyens de différentes
religions selon les principes qu’a établis l’État. Il doit respecter toutes
les croyances en leur laissant le libre exercice de culte tout en demeurant
dans une étrange posture de neutralité. Il a donc en charge leur cohabitation en
prenant bien en compte leurs spécificités. Il ne s’agit donc plus de combattre
les religions mais d’assurer leur coexistence avec les principes de la
république tout en étant neutre, indifférent, ou encore étranger. Cela paraît
bien difficile tant la conciliation de tels principes paraît irréaliste. Ainsi l’État
promeut la laïcité comme principe d’unité sociale et politique pour les
Français, croyants ou non croyants, puisque l’Église ne peut plus l’assurer
en raison même de la laïcité. La laïcité renferme en elle-même l’origine
des maux qu’elle essaye de résoudre !...
Autrefois, la religion fondait l’unité d’une nation, d’un
royaume, d’un empire. En lui retirant ce rôle par la sécularisation et
la déchristianisation, l’État ne peut garantir son unité qu’en s’appuyant sur
les valeurs républicaines ou démocratiques qu’il impose. Mais de
telles valeurs deviennent bien faibles et surtout impuissantes face à la
pluralité religieuse et à la coexistence de religions diverses et variées.
Les principes que l’État défend favorisent même cette pluralité et donc
disloquent la société en communautarisme. L’identité nationale s’efface. Cela
explique peut-être la volonté de l’État de promouvoir la laïcité comme principe
d’unité entre croyants et incroyants. Elle tente de maintenir un équilibre
fragile alors qu’elle ne cesse d’être cause de déséquilibre. La définition
fournie au début de notre article peut alors se comprendre en un certain sens
même si elle est inexacte : « La
laïcité n'est pas une opinion parmi d'autres mais la liberté d'en avoir une.
Elle n'est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous
réserve du respect de l’ordre public »[19]
Conclusions
À l’origine principe
d’exclusion, la laïcité a été l’étendard derrière lequel de nombreux courants
de pensées ont marché unis pour mettre fin au rôle de l’Église dans l’État et
la société. C’est par les principes qu’elle renferme que l’État l’a
vaincue dans le conflit qui l’opposait pour le pouvoir. Elle a bien été forgée
pour cela. En dépit de la fin du combat, la laïcité garde encore cette finalité
pour certaines idéologies. Pour elles, elle est le principe de refus de
toute religion dans la sphère publique.
Mais éloigné des
préoccupations du XIXe siècle, notamment en raison de la faiblesse du christianisme
dans notre société, d’autres y voient un principe fédérateur des croyants et
des incroyants devant le pluralisme religieuse qui défragmente la société.
Or les principes qu’elle renferme - liberté de conscience, égalité religieuse
et neutralité de l’État – favorisent ce pluralisme religieux et le
communautarisme.
Néanmoins, depuis le XIXe
siècle et encore aujourd’hui, nous trouvons dans la notion de laïcité une
confusion qui la rend bien peu réceptive par certaine religion. Il
confond en effet temporel et profane. Il sépare alors dans l’individu ce
qui relève de la religion et de l’État pour finalement élever le citoyen
au-dessus du croyant. Une telle séparation n’est guère viable, surtout pour les
religions, notamment l’islam, qui, au contraire du christianisme, ne distingue
pas le temporel et le religieux.
Au XIXe siècle, l’État a enlevé des droits à l’Église en appelant à
de bons principes afin de l’exclure de tout pouvoir et de toute influence au
niveau politique et social. Aujourd’hui, il maintient ses principes pour
maintenir un équilibre entre toutes les religions afin que l’une d’entre elles ne
remette pas en cause son hégémonie. La laïcité désigne ainsi une volonté de
dominer le monde religieux afin que l’État domine seul la société.
Notes et références
[2] Observatoire de
la laïcité, Qu’est-ce que la laïcité ?, site gouvernemental.fr.
[3] Dictionnaire Larousse,
article « Laïcité », www.larousse.fr, lu le 30/07/2019.
[4] CNRTL, article
« Laïcité », www.cnrtl.fr.
[5] Jean-Marc Sauvé,
vice-président du Conseil d’État, intervention le 6 décembre 2016 à la
Conférence Olivain, « Laïcité et
République ».
[6] Voir De la
création actuelle de mots nouveaux dans la langue française, F. Vieweg,
Librairie éditeur, 1877.
[7] Voir « Laïc », article de Senez Nicolas, www.la-croix.com.
Le terme est plutôt rare. Il ne faut pas le confondre avec le terme de « demos »,
signifiant peuple au sens politique. Il ne désigne pas comme on l’entend
souvent le peuple ou la masse populaire. Ce n’est pas tout le monde.
[8] Saint Clément, Épître
aux Corinthiens, XXXIL, 5, Les écrits des pères apostoliques,
les éditions du Cerf, 1963.
[9] Droit canon de
1983, canon 207.
[10] Précisons qu’il existe des clercs ou des laïcs réguliers.
[11] Jacqueline Lalouette, La République anticléricale, XIXe-XXe siècles, Seuil, 2002 dans Archives de sciences sociales des
religions, Rita Hermon-Belot, 128, octobre - décembre
2004, document 128.27, mis en ligne le 16 novembre 2005, consulté le 03 mai
2019, http://journals.openedition.org.
[12] Solange Lefebvre, Origines
et actualité de la laïcité, lecture socio-théologique, volume 6, numéro
1, mars 1998, www.erudit.org.
[13] Guizot, Le Moniteur universel, 1er
supplément, 26 avril 1844.
[14] Claudine Bassou Chpak, La laïcité
est-elle un garant du fait démocratique ? Dans une situation didactique, la
conscience de laïcité modifie-t-elle le processus d’apprentissage ?
[15] Bernard Henri Lévy, Le Point, 29 janvier 2004 dans Quelques
définitions autour de laïcité, André Marescaux, ERES, VST - Vie sociale et
traitements, 2008/4, n°100, www.cairn.info.
[16] Ferdinand Buisson, Nouveau
Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, article « laïcité »,
Hachette, 1911.
[17] Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que
la Laïcité ?, Folio actuel, n°104, Gallimard, 2003.
[18] Jean-Marc Sauvé,
vice-président du Conseil d’État, intervention le 6 décembre 2016 à la
Conférence Olivain, « Laïcité et
République ».
[19] Observatoire de
la laïcité, Qu’est-ce que la laïcité ?, site gouvernemental.fr.
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