Aujourd’hui, dans un monde
où la foi n’est plus guère prégnante, la charité dévoyée, l’espérance bien
éteinte, où la cupidité égare les esprits, la luxure enchaîne les corps, et la
violence le seul mot d’ordre, le combat s’avère plus difficile pour de nombreux
catholiques. Ils font face à l’incompréhension de leurs contemporains et à leur
folie, à une conception de l’homme individualiste et consumériste, imposant ses
normes et exigeant la soumission. Le terme de tolérance n’a jamais été aussi
galvaudé. L’aveuglement des hommes n’a
jamais été aussi destructeur.
La détresse est encore plus
grande pour les fidèles quand nous songeons à des déclarations et à des
attitudes qui semblent remettre en cause leur certitude. Depuis plus de cinquante ans, l’Église connaît de grands
bouleversements. D’apparentes nouveautés ont remplacé des usages et des
coutumes illustres. Certains fidèles les ont refusées. D’autres les ont
acceptées. Mais au fur et à mesure des changements, les inquiétudes ont grandi.
Aujourd’hui, subsistent les doutes sur leur légitimité. Le camp du refus ne
cesse finalement de croître. Faut-il encore ignorer cette voix montante qui hésite
entre le désarroi et la rébellion ?
Les anciennes générations,
auteurs passionnés ou témoins impuissants, quittent peu à peu le monde avec
leurs rêves et leurs illusions, avec de nombreuses ruines. Ils laissent à leurs
enfants une mémoire vide ou dénaturée. Une telle tragédie est sans-doute unique
dans l’histoire de l’Église. Que de mensonges, de maladresses et d’arrogances
en si peu d’années ! Qu’ont-elles
laissé à ceux qui doivent les remplacer ? Les nouvelles générations en sont
les premières victimes. Innocentes et naïves, elles ne savent guère ce que
leurs parents ont reçu et n’ont pas transmis, ce qu’elles ont perdu. Mais peu à
peu, les gestes d’hier, les prières d’autrefois, les habitudes du passé, tant
honnis il y a peu de temps encore, reviennent peu à peu comme un geste de
mépris à ceux qui ont cru s’en défaire. Moins
imprégnées de préjugés et plus sensibles à la réalité, les nouvelles
générations de fidèles découvrent
une culture et un esprit, demeurés cachés depuis des lustres. Mais tout
cela demeure fragile. L’ignorance est grande. Mais ces générations sont fortes
d’une audace qui émerveille et ne craignent pas le monde et sa folie. Comment
ne peuvent-elles pas alors s’insurger contre un monde si hautain, si sûr de
lui-même et si mauvais quand il avance à grand pas vers sa perte !…
Cependant, actrices ou
filles de ce temps de bouleversement, les hautes autorités religieuses continuent
inlassablement la route. Entendent-elles les plaintes qui montent dans l’Église ?
Leurs déclarations ne les laissent plus passives ou indifférentes. Elles
murmurent, elles grondent. Les doutes
divisent encore plus les âmes. Comme à la fin du XXe siècle, certains fidèles
abandonnent le chemin de peur de se perdre dans un monde devenu étrange et peu
sûr quand d’autres remettent en cause ces mêmes autorités sans craindre le
doigt accusateur. Après tant de déclarations d’un pape surprenant, les fidèles
se redressent, le camp du refus grandit, voire se radicalise. Non possumus,
diront certains légitimement. Même au niveau de Rome, le mécontentement est
visible. Non possumus. Vous allez trop loin. Nous ne pouvons pas faire ce que
l’Église a toujours refusé de faire. Le chemin est trop périlleux.
Alors, scandalisés par tant
d’erreurs ou de malentendus, que colportent avec ignorance des médias insensés
et imprudents, certains catholiques déclarent la vacance du trône pontificale.
Comment en effet le pape peut-il se tromper puisqu’il est infaillible, se
disent-ils ? Les heures sombres du Grand Schisme d’Occident sont-elles de
retour ? Oh, certes, ils sont peu nombreux, une minorité parmi une
minorité. Mais est-ce une raison pour ne point les entendre et être effrayé par
leur séparation ? Le mépris et
l’indifférence ne sont guère une solution.
Une remise en cause forte
ancienne, de nouveau à entendre
Les catholiques qui
déclarent la vacance pontificale, qu’on nomme habituellement « sédévacantistes », s’appuie sur une
argumentation simple. Écoutons-les avec attention. Puisqu’il est de vérité de
foi que le pape est infaillible en matière de foi, alors si celui qui exerce la
fonction pontificale enseigne une erreur de foi, c’est qu’il n’est pas pape,
c’est un intrus. Sommes-nous de nouveau au temps du Grand Schisme où un tel discours trompait
déjà les fidèles ? Que disaient-ils en effet les cardinaux révoltés ?[1]
Le pape agit mal, il n’est donc pas pape. Ce n’est pas le manque de foi qui
éveille la révolte, mais le manque de charité. Mais si le « sédévacantisme » demeure un courant
très faible, la question qu’il soulève indirectement touche de nombreuses âmes.
Elle n’est point anodine et mérite des réponses. En outre, n’est-ce pas la même question qui a divisé les fidèles depuis le XVème
?
1er concile du Vatican, pape Pie IX |
Or au temps du Grand
Schisme, les partisans du conciliarisme contextuel ou absolu semblent avoir apporté
une réponse au problème que peut soulever l’autorité pontificale. Ils ont vu
dans le concile l’autorité capable de la limiter, de juger le pape et de le
destituer. Luther a une autre réponse plus radicale. Il supprime la fonction
pontificale. Bien avant eux, des églises orientales ont renié la primauté
pontificale, conduisant au schisme d’Orient. D’autres voix n’ont vu qu’une
primauté honorifique, qu’un pouvoir que la frontière arrête ou qu’un prince
peut suspendre ou ignorer. Aujourd’hui, certaines déclarations, certaines
attitudes semblent faire dire que le pape n’est que l’évêque de Rome,
comparable à tout autre évêque. Encadrer,
limiter, renier, supprimer, relativiser l’autorité du pape, telles sont
donc les réponses apportées par le passé. De nouveau, la primauté pontificale
est remise en cause, aussi bien par ses adversaires que pas ses partisans
naturels. Pour y voir plus clair, revenons en effet à la primauté pontificale.
Elle est définie dans une constitution dogmatique intitulée Pastor
aeternus.
Primauté pontificale universelle
et immédiate sur l’Église
Qu’enseigne en effet l’Église ?
Définie par le premier concile du Vatican, en 1870, la constitution dogmatique Pastor
aeternus a en effet pour but de « proposer à tous les fidèles la doctrine qu’ils doivent croire et tenir,
conformément à la foi antique et constante de l’Église, concernant
l’institution, le caractère perpétuel et la nature de la primauté du Siège
apostolique »[2].
Le but du texte est sans ambigüité.
« Nous
enseignons et déclarons que l’Église romaine, par disposition du Seigneur,
possède sur toutes les autres une primauté de pouvoir ordinaire et que ce
pouvoir de juridiction du pontife romain, qui est vraiment épiscopal, est
immédiat. » (chap. 3, Denzinger 3060)
Le fondement de la primauté
pontificale
La constitution rappelle
d’abord la primauté juridictionnelle de
Saint Pierre sur tous les autres apôtres, « promise et donnée immédiatement et directement par le Christ Notre
Seigneur » (chap. 1, Denz. n°3053). Ainsi est-il « chef de tous les apôtres et tête visible de
toute l’Église militante » (canon, Denz. n°3055).
Mais la primauté juridictionnelle de Saint Pierre n’est pas limitée au temps
des premiers apôtres. Elle doit « se
poursuivre sans interruption dans l’Église » (chap. 2, Denz. 3056) par
l’intermédiaire des papes. « Quiconque
succède à Pierre en cette chair reçoit, de par l’institution du Christ
lui-même, la primauté de Pierre sur toute l’Église » (chap. 2, Denz.
3057). Le pape reçoit donc ses pouvoirs du Christ Lui-même. La primauté pontificale est donc de droit
divin et se fonde sur celle de Saint Pierre. La seule différence entre ce
dernier et les Souverains pontifes qui l’ont succédé est que Saint Pierre l’a
reçue directement de Notre Seigneur Jésus-Christ alors que les papes la
reçoivent de Lui de manière indirecte, par
succession.
Conséquences et finalité
Par conséquent, après avoir
rappelé en quoi consiste cette primauté puis donné ses fondements, la
constitution en conclue que tous les fidèles, « tous pasteurs de tous rites et de tous rangs » sont tenus à lui obéir en toute chose, et pas uniquement en matière de foi et de
moral. La constitution est formelle sur la valeur de cette doctrine,
« dont personne ne peut s’écarter
sans danger pour la foi et le salut. » (chap. 3, Denz. 3060)
La constitution définit
alors la finalité à la primauté pontificale : garantir l’unité de l’Église, l’unité de foi et de charité. Car
« l’Église est un seul troupeau sous
un seul pasteur suprême. » (chap. 3, Denz. 3060) L’unité de l’Église
repose sur l’unité de direction.
Pape vs évêques ?
Cependant, précise la
constitution, la primauté pontificale ne
s’oppose pas à l’autorité épiscopale, qu’exercent les évêques de manière
ordinaire et immédiate sur le troupeau qui leur a été donné. « Au contraire, ce pouvoir est affirmé,
affermi et défendu par le pasteur suprême et universel. » (chap. 3,
Denz. 3061)
C’est en raison de sa
primauté universelle et immédiate que le pape a le devoir et le droit de
communiquer librement avec les pasteurs et les fidèles du monde entier, et de
les gouverner dans la voie du salut.
Sans restriction du pouvoir
temporel
« Nous condamnons et réprouvons les opinions de ceux qui disent qu’on
peut légitimement empêcher cette communication du chef suprême avec les
pasteurs et les troupeaux, ou qui l’assujettissent au pouvoir civil en
prétendant que ce qui est décidé par le Siège apostolique ou par son autorité,
pour le gouvernement de l’Église, n’a de force ni valeur que si le placet du
pouvoir civil le confirme. » (chap. 3, Denz. 3062) Ainsi est
indirectement définie l’incompétence et
l’illégitimité de l’intervention de l’État dans le gouvernement de l’Église.
Droit d’appel au Pape,
ultime instance de jugement
La primauté pontificale a
aussi pour conséquence d’autoriser
chaque fidèle à faire appel au pape de tout jugement qui touche à la
juridiction ecclésiastique.
Puisqu’il est l’autorité
suprême, le jugement du souverain
pontife est définitif et sans appel. Aucune autorité n’a le droit de remettre
en question ses décisions et de les juger. Ainsi est condamné l’appel à un
concile œcuménique pour juger de ces décisions comme si son autorité était
supérieure à celle du pape. Le
conciliarisme est donc condamné.
Erreurs
condamnées relatives à la primauté pontificale
Ainsi est anathème celui qui
dit que le pape ne dispose pas d’un pouvoir plénier et souverain de juridiction
sur toute l’Église, un pouvoir ordinaire et immédiat sur toutes et chacune des
Églises, sur tous les pasteurs et les fidèles, ou restreint ce pouvoir aux
seuls domaines de la foi et de la morale, ou refuse la plénitude totale de ce
pouvoir suprême.
Sont ainsi condamnées les
différentes théories prônant la suprématie des conciles sur le pape
(conciliarisme), l’interventionnisme de l’État dans le gouvernement de l’Église
(césaropapisme, gallicanisme, fébronisme, joséphisme), ou encore toute théorie
définissant pour le pape une primauté d’honneur ou une simple présidence sur
l’Église. Le protestantisme et toute forme d’épiscopalisme sont aussi
condamnés.
L’infaillibilité
du pape
Le pouvoir apostolique que
reçoit le pape en tant que successeur de Saint Pierre sur l’Église comprend le
pouvoir de magistère. Il est garant du
dépôt de la foi. Il détient le « charisme
de vérité et de foi », un charisme « indéfectible » qui a été accordé à Saint Pierre et à ses
successeurs afin qu’ils « accomplissent
leur haute charge pour le salut de tous, afin que le troupeau universel du
Christ, écarté des nourritures empoisonnées de l’erreur, soit nourri de la
doctrine céleste, afin que, toute occasion de schisme étant supprimé, l’Église
soit conservée dans l’unité, et qu’établie sur son fondement elle tienne ferme
contre les portes de l’enfer. » (chap. 4, Denz. 3071)
Ainsi la constitution
définie ce que nous appelons l’infaillibilité
du pape : « lorsque le
pontife parle ex cathedra, c’est-à-dire, lorsque, remplissant sa charge de
pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême
autorité apostolique, qu’une doctrine en matière de foi et de morale doit être
tenue par toute l’Église, il jouit, en vertu de l’assistance divine qui lui a
été promise en la personne de Saint Pierre, de cette infaillibilité dont le
divin Rédempteur a voulu que soit pourvue son Église lorsqu’elle définit la
doctrine sur la foi ou la morale ; par conséquent, ces définitions du
pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du
consentement de l’Église ». Cette doctrine est affirmée comme « un dogme révélé par Dieu » (chap.
3, Denz. 3072). Ainsi tous ceux qui contredisent cette définition est déclaré
anathème. La constitution définie donc le cadre dans lequel peut s’exercer
l’infaillibilité du pape, son fondement et en détermine les conséquences.
L’infaillibilité du pape ne
s’exerce que lorsqu’il « définit »
en tant que pape assumant son autorité universelle et immédiate sur toute
l’Église. C’est donc au nom de sa primauté que le pape peut exercer son
infaillibilité. La définition doit présenter une certaine solennité. La forme
avec laquelle le pape s’exprime est donc importante. Il doit en outre définir ce
que tous les fidèles de l’Église doivent croire en matière de foi et de morale.
Elle porte bien sur une définition et non sur une proposition, une thèse ou sur
une interprétation, une interpolation. L’opinion d’un pape par exemple n’est
pas recouverte par l’infaillibilité. C’est en exerçant le pouvoir de magister
que le pape peut être infaillible. Le domaine est bien circonscrit : la
foi et la morale. Une définition scientifique n’est pas infaillible. N’est pas
infaillible non plus un discours ou une encyclique qui n’impose aucune
obéissance à tous les fidèles. L’enseignement revête une obligation. Si le pape
laisse le choix aux fidèles d’obéir ou de ne pas obéir, il n’y a point
d’infaillibilité.
L’infaillibilité repose sur
la parole de Notre Seigneur Jésus-Christ et sur sa promesse. Elle est possible
en raison de « l’assistance divine ».
Elle est donc d’origine divine. C’est pourquoi elle ne se repose pas sur un
consensus, un référendum ou une acclamation. La conclusion est alors évidente.
Personne ne peut revenir sur la doctrine enseignée. Cela ne signifie pas
qu’elle ne peut pas être précisée ou approfondie.
Témoignage de la tradition
La définition de
l’infaillibilité du pape est précédée des témoignages des conciles œcuméniques
que sont le VIe concile de Constantinople, le IIe concile de Lyon, et le
concile de Florence. Elle s’appuie aussi sur l’usage et la coutume ancienne des
appels des évêques, seuls ou réunis en concile régional, demandant de mettre
fin aux dangers particuliers qui menacent la foi et de réparer aux dommages
causés à la foi au pape, « là où
celui-ci ne saurait subir de défaillance. » (chap. 3, Denz. 3069).
Différents modes
d’expression de l’infaillibilité pontificale
Enfin, la constitution
définit les différents modes où s’exprime son infaillibilité, modes qui varient
selon les conditions de temps et des événements. Il peut convoquer des conciles
œcuméniques ou sonder l’opinion de l’Église par des conciles régionaux ou par
tout autre moyen. Ainsi l’infaillibilité pontificale ne s’exprime pas
obligatoirement par la voie conciliaire. Elle n’est pas limitée aux moyens. Ce n’est pas le moyen qui légitimité
l’infaillibilité du pape.
Conclusions
La constitution Pastor
aeternus définit donc deux principes : la primauté
pontificale, une primauté qui est la perpétuation de celle remis par Notre
Seigneur Jésus-Christ à Saint Pierre, et l’infaillibilité du pape qui s’exerce
dans le cadre de cette primauté selon certaines conditions. Ce sont bien deux principes qui régissent le
gouvernement de l’Église.
La constitution proclame le
pouvoir immédiat et direct du Souverain Pontife sur l’Église et sur tout fidèle,
sur tout évêque ou sur l’ensemble des évêques. Envers ce pouvoir, les pasteurs
et les fidèles sont liés par un devoir de subordination hiérarchique et de
véritable obéissance. S’il peut exercer le pouvoir d’infaillibilité, le pape
n’est pas indéfectible ou encore infaillible chaque fois qu’il s’exprime. De
même, il peut exprimer des vérités de foi sans exercer ce pouvoir. Il ne faut
pas en effet confondre l’infaillibilité et l’indéfectibilité de l’Église avec
celles du pape.
La
primauté pontificale est le garant de l’unité de foi et de charité de l’Église. La
constitution établit en la personne du
Saint Père le principe permanent et le fondement visible de cette double unité.
Ainsi, en se prenant au pape, avec une violence inouïe, Luther a ouvert la
porte à la division. Un œcuménisme qui ne s’appuie pas sur ce principe est
aussi voué à l’échec. Un pape qui ne veut point s’en servir affaiblit sa propre
autorité et celle de l’Église.
Contrairement aux
conciliaristes, l’autorité du pape ne se
fonde pas sur ses finalités. Ce n’est pas parce qu’il s’oppose directement
ou indirectement à l’unité de foi et de charité qu’il ne doit plus exercer son
autorité. Ce n’est pas parce qu’un pape commet des erreurs en matière de foi et
de morale qu’il n’est plus pape. Son autorité ne réside pas dans la personne en
elle-même mais dans sa fonction
transmise par succession. C’est en tant que successeur de Saint-Père qu’un
tel est pape. La crise qu’a connue l’Église au cours du Grand Schisme est un
exemple révélateur et tragique des conséquences d’une telle erreur. Celle-ci
conduit à la division des âmes et donc à leur perte. Car l’Église repose sur ce
fondement. « Aussi moi je te dis que
tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de
l’enfer ne prévaudront point contre elle. » (Matth., XVI, 18) …
Notes et références
[2]
Constitution dogmatique Pastor aeternus sur l’Église du Christ, 1er concile du Vatican, 4e
session, 18 juillet 1870, Denzinger n° 3052.
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