L’histoire
est un magnifique livre ouvert que nous pouvons parcourir pour mieux comprendre
le présent. Elle contient de précieux enseignements que nous devons recueillir
pour éviter les erreurs et nous affermir dans la vérité. Dans notre monde de
l’information, où le vrai et le faux se mêlent aux bons plaisirs des idéologues
et des démagogues, il est bon de feuilleter le récit de notre histoire et
d’entendre les leçons du temps passé. Si elle demeure dans le présent, l’Église
n’est pas une Église du présent, qui agit au grès des
modes et des convenances. Revenons donc à son histoire pour mieux comprendre la
distinction fondamentale entre le clerc et le laïc...
L’Église
formée de clercs et de laïcs
La
distinction entre clerc et laïc n’est pas une invention de notre siècle, du
concile de Trente ou encore du moyen-âge. Dans l’épître qu’il adresse aux
Corinthiens dans les dernières années du premier siècle de notre ère, le pape Saint
Clément distingue déjà les Juifs selon leur fonction : « au grand prêtre des fonctions particulières
sont conférés, les prêtres ont leur place, les lévites leur service, les laïcs
les obligations de laïcs. »[2].
Si
ce passage traite de la hiérarchie de la religion juive, il contient la première mention du terme de « laïc » dans un sens religieux.
Saint Clément précise que « nous
devons faire avec ordre tout ce que le maître a ordonné d’accomplir en temps
déterminés. Or, Il nous a prescrit de nous acquitter des offrandes et du culte,
non pas n’importe comment et sans ordre, mais à des époques et à des moments
déterminés. »[3] Les
offrandes et les fonctions liturgiques doivent s’accomplir de manière ordonnée,
chacun ayant sa place et son rôle
déterminés. Ainsi, donne-t-il l’exemple de la religion juive, où déjà
subsistait la distinction entre les ministres sacrés et les simples juifs. Au
temps apostolique, elles perdurent donc clairement au sein du peuple de Dieu.
Notons
que, pour distinguer le profane du sacré, l’Ancien Testament utilise le terme
de « laos »[4] qui
signifie « peuple ». Dans
un sens général, « laos »
désigne le peuple. Le terme grec de « laikos »,
d’où provient le mot « laïcs »,
signifie « membre du laos ».
Dans
sa première mention sémantique, le terme
de « laïc » ne signifie pas
une opposition. Chacun, dans la liturgie, occupe une place particulière
comme un membre dans un corps. De même, comme l’a interprété le pape Benoit
XVI, « l’Église
n’est pas un lieu de confusion et d’anarchie, où chacun à tout moment peut
faire ce qu’il veut : chacun, dans cet organisme à la structure articulée,
exerce son ministère selon la vocation reçue. »[5]
Ainsi
l’Église constitue une structure ordonnée constituée de deux catégories de personnes,
les unes qui exercent des fonctions liturgiques de manière permanente en raison
de leur ordination, appelées clercs, et les autres, les laïcs.
Et
depuis le commencement
Comme
nous l’avons montré dans un article précédent[6], des
témoignages nous enseignent que dès le temps apostolique, l’Eglise différencie
au sein du peuple chrétien des membres
particuliers que sont les évêques,
les presbytres et les diacres, auxquels sont soumis les autres fidèles. Eux-seuls exercent des fonctions
liturgiques. Depuis leur ordination, ils portent un caractère sacré
permanent que le sacrement de l’ordre a imprimé en leur âme. Ils se distinguent
des simples baptisés non pas par une
différence de degrés mais essentiellement. Ils forment le clergé sur lequel
s’appuie la hiérarchie de l’Église, c’est-à-dire l’ordre sacré de l’Église[7].
Des
textes attestent la présence de cet ordre sacré à Carthage aux environs de 200,
à Alexandrie et en Syrie au IIIe siècle. Aux environs de 250, l’Église de Rome
comprend déjà un évêque, quarante presbytres et sept diacres. Il est aussi
mentionné dans la Didascalie, qui remonterait à la première moitié du IVe siècle.
Enfin, en 324, le concile de Nicée témoigne sa normalité dans toute l’Eglise.
Revenons
sur les fonctions des évêques, des presbytres ou prêtres, et des diacres au
IIIe siècle. L’évêque est le père et le
chef de l’Église locale. Il dispose d’un grand pouvoir : lui-seul
représente la tradition apostolique devant les fidèles, lui seul représente les
fidèles dans leur rapport avec les autres Églises locales ou avec Rome. Les
diacres et aux prêtres lui doivent obéissance. Ils ne peuvent exercer aucune
fonction dans l’approbation de leur évêque. Ils assistent ce dernier dans
l’administration des sacrements et dans l’enseignement des fidèles.
Si
dans les premiers temps, les prêtres,
véritables auxiliaires de l’évêque, se tiennent autour de lui et lui
assurent assistance à la sainte messe, au IIIe siècle, leur fonction propre est
désormais d’offrir le sacrifice. Des églises leur sont confiées. Leur seconde
fonction est de catéchiser les catéchumènes puis les fidèles. Ils administrent
enfin le sacrement de pénitence. En Orient, ils ont parfois la direction de
communautés rurales sous le titre de chorévèques.
Aux diacres incombent en particulier le soin
de prêcher, d’administrer les biens de l’église, de servir l’évêque à l’autel,
de maintenir le bon ordre dans les assemblées des fidèles, de recevoir les
oblations et de les répartir entre les fidèles indigents. Comme le rappelle le
concile d’Arles (314), les diacres n’ont pas le droit de célébrer le saint
sacrifice, droit qui incombe à l’évêque
et aux prêtres.
Le
clerc est celui qui a reçu le sacrement de l’ordre
Le
terme de « kleros » se
retrouve par exemple dans les Traditions apostoliques, « document le plus précis et le plus complet
que nous ayons parmi toutes les liturgiques antiques »[9], qui
daterait de 215. Dans un chapitre consacré à la veuve, cet ouvrage précise que
« l’ordination se fait pour les
clercs en vue du service liturgique »[10], alors
que la veuve est « instituée pour la
prière ». L’ordination
distingue donc le clerc du simple baptisé en raison de leurs rôles
différents dans la liturgie. Les Traditions apostoliques distinguent
aussi « l’ordination, avec
l’imposition des mains, en vue d’un service liturgique, et cela pour les
clercs, et la simple installation, entrée en fonction d’une personne au service
d’une communauté. »[11]
De
même, Saint Cyprien nous précise encore ce qu’est un clerc : « on veut que ceux que l’ordination a élevé au
rang de clercs dans l’Eglise de Dieu ne puissent être détournés en rien du
service divin, ni courir le danger d’être engagés dans les embarras et les
affaires du siècle ; […] ils ne quittent pas l’autel et le sacrifice, mais
se consacrent jour et nuit à des occupations religieuses et spirituelles. »[12]
Ainsi,
le clerc est celui qui a été ordonné,
c’est-à-dire celui qui a reçu le sacrement de l’Ordre. Au début du IIIe siècle,
seuls sont ordonnés les évêques, les prêtres et les diacres.
Une
organisation progressive du clergé
Au
sein des communautés et des Églises locales, des laïcs exercent alors de plus en plus de tâches particulières pour
décharger de plusieurs de leurs occupations. Le sous-diacre apparaît à Rome
sous le pape Saint Corneille (251-253) comme à Carthage sous l’épiscopat de
Saint Cyprien (v.200-258). En 251, l’Église de Rome compte déjà 46 prêtres, 7
diacres, 7 sous-diacres, 42 acolytes, 52 exorcistes, lecteurs et portiers[13]. Selon
le Liber
pontificalis[14],
le pape Saint Corneille les énumère parmi les ministres de l’autel.
Progressivement,
ces ministres sont comptés parmi les
membres du clergé tout en demeurant distincts des évêques, des prêtres et des
diacres. Si en Occident, ils sont rapidement ordonnés, en Orient, leur
incorporation dans le clergé est plus lente. Ils peuvent recevoir qu’une simple
bénédiction de l’évêque. En outre, la composition du clergé diffère selon
l’Occident et l’Orient. L’édit de persécution de Dioclétien en 303 cite les
lecteurs et les exorcistes parmi les clercs au même titre que les évêques, les
prêtres et les diacres. En 341, le concile d’Antioche emploie le terme de
« kleros » pour désigner
les lecteurs, les sous-diaconats ou encore les exorcistes. Vers 364, en Asie
mineure, le concile de Laodicée attribue le titre de clerc aux sous-diacres, aux
lecteurs, aux chantres, aux exorcistes et aux portiers.
Vers
l’état clérical
Ce
recueil insiste fortement sur la
hiérarchisation des divers ordres ou fonctions. Chaque degré de cette
hiérarchie comprend des pouvoirs déterminés et représente un honneur
caractérisé par une position dans un rang. Les trois premiers ordres sont, sans
surprise, l’évêque, le presbytre et le diacre. Le recueil précise les autres
fonctions. Il décrit aussi l’ordination des clercs, dont le sous-diacre et le
lectorat. Ainsi, ces derniers appartiennent désormais au clergé tout en étant distincts
des évêques, des prêtres et des diacres. Plus tard, le sous-diacre appartiendra
au clergé supérieur.
À partir du Ve
siècle, les structures hiérarchiques se stabilisent. En Occident, les papes organisent
l’accession aux différents degrés de la hiérarchie et établissent le cursus
pour recevoir le sacrement de l’ordre, appelé cursus honorum[16]. Selon
ce cursus, un clerc ne peut accéder à un degré que s’il a exercé une fonction
dans le degré inférieur. Les papes établissent ainsi un temps de formation et
de probation, ou encore un temps d’épreuve, avant l’accession aux fonctions
supérieures. Les fonctions relevant des ordres mineurs finissent par être
considérées comme des étapes de formation à un état relevant de l’ordre majeur.
Ainsi s’établit un parcours ecclésiastique qui aboutit à un principe de substitution et d’emboîtement des pouvoirs : un
clerc d’un degré possède les pouvoirs du clerc des degrés inférieurs. C’est
ainsi que naissent l’état clérical et donc l’état laïque.
Des
clercs reconnaissables par leur vêtement et leur tonsure
Conclusion
Distinction
ne signifie pas opposition. Si elle est
hiérarchique, l’Église forme un corps dont tous les membres ont un rôle
particulier. Sur un navire, tous les membres de l’équipage n’assurent pas
la fonction de capitaine. Tous ne font pas partie de la passerelle. L’équipage
est hiérarchisé. Et le rang que chaque membre occupe pour la bonne direction du
navire porte une dignité différente et nécessite des pouvoirs différents.
Pourtant, entre le matelot et le capitaine, il n’y a ni opposition ni conflit. Contrairement
à un équipage où chaque membre est institué pour accomplir une fonction
particulière, dans l’Église, la
hiérarchie repose sur un caractère sacré et les pouvoirs qui lui sont associés.
Elle s’appuie avant tout sur le rôle qu’exercent le clerc et le laïc dans les
saints sacrements, notamment à la Sainte Messe. Fidèle à la Tradition, l’Église
est une société qui n’appartient pas à un temps et poursuit sa marche vers son
achèvement …
Note et rappel
[1] Code canonique, 1983,
canon 207, 1. Le code canonique est la codification officielle de l’ensemble
des lois, décrets et règles gouvernant l’Eglise catholique. La première édition
date de 1917. Il a été mis à jour en 1983 pour l’adapter aux textes du deuxième
concile de Vatican.
[2] Saint Clément, Epître
aux Corinthiens, XL, 5, Les Écrits des Pères apostoliques, Les éditions du Cerf, 1965. La
lettre a été écrit vraisemblablement vers l’an 96. Il s’agit du texte non
canonique le plus ancien que nous possédons. Dans la religion juive, le grand
prêtre, les prêtres et les lévites relèvent de la tribu de Lévi dont les
membres exercent de manière non permanente des fonctions sacrées
[3] Saint Clément, Epître
aux Corinthiens, XL, 1-2.
[4] Voir Jérémie, XXXIV, 19, Ezéchiel,
XXII, 26.
[5] Benoît XVI, Saint Clément de Rome,
Audience générale du 7 mars 2007, texte original italien dans l’Observatore
Romano du 8 mars, traduit par Fr. Michel Taillé dans la Documentation
catholique, n°2377 du 1 avril 2007, accessible sur patristique.org.
[6] Voir Émeraude, octobre 2023,
article « Les prêtres ou presbytres
chez les premiers Pères apostoliques (I-IIe siècle) »
[7]
Au sein des clercs, l’Église distincte aujourd’hui huit ordres, répartis
entre les ordres mineurs et les ordres majeurs, qui constituent la hiérarchie
ecclésiastique. Les ordres mineurs comportent le portier, le lecteur,
l’exorciste et l’acolyte. Les ordres majeurs sont formés du sous-diacre, du
diacre, du prêtre et de l’évêque.
[8] Le terme de « kleros » se retrouve aussi dans des
textes de Tertullien, d’Origène et d’Hippolyte. Il est plus fréquent à partir
du IIIe siècle.
[9] A. Salles, La « Tradition
apostolique » est-elle un témoin de la liturgie romaine ?,
dans Revue
de l’histoire des religions, vol. 148, n°2, 1955, www.jstor.org.
[10] Traditions apostoliques,
10.
[11] Alexandre Faivre, Naissance
d’une hiérarchie, Les premières étapes du cursus clérical, chapitre 1,
I, 2, théologie historique, n°40, éditions Beauchesne, 1977.
[12] Saint Cyprien, Lettre
1, édition Bayard dans Clerc / Laïc : histoire d’une frontière,
Alexandre Faivre, dans Revue des Sciences religieuses, tome
57, fascicule 3, 1983.
[13] Saint Cyprien évoque tous ces
titres sauf celui de portier.
[14] Recueil contenant la liste des
papes de Saint Pierre à Hadrien (867-872) avec des informations sur leur vie et
leur pontificat (origine, ordinations prononcées, décisions majeures,
circonstance de sa mort, lieu de sépulture, etc.).
[15] Concile de Laodicée, 27ème,
36ème et 42ème canon par exemple. Il définit des
interdictions pour les clercs consacrés et les clercs mineurs.
[16] Le cursus honorum des clercs est défini par les papes Sirice, Zosime,
Gélase (440-461).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire