Nous connaissons en détail le
déroulement de cette nuit par les évangélistes et par Saint Paul dans sa
première lettre aux Corinthiens. Le récit comporte trois événements majeurs : le lavement des pieds, l’annonce de la
trahison de Judas et l’institution du sacrement eucharistique[3].
C’est pourquoi, dans le cadre de notre étude apologétique, nos regards se
tournent inévitablement vers le cénacle …
La pâque
Comme nous le raconte l’Ecriture
Sainte, au soir de leur délivrance, sur ordre de Moïse, les Hébreux, rendus
esclaves sur la terre des pharaons, ont immolé un agneau mâle sans tâche, âgé
d’un an, sans lui briser les os, puis ont teint de son sang la porte de leur
demeure avant de la faire rôtir. Debout, prêts à partir, ils l’ont ensuite mangé
avec des pains azymes. Puis, l’ange du Seigneur a frappé tous les nouveau-nés
des Egyptiens, épargnant ceux des Hébreux dont les maisons étaient marquées du
sang de l’agneau. La dixième plaie divine a ainsi frappé le peuple du pharaon.
Las, celui-ci finit par laisser partir le peuple hébreu. C’est ainsi que cette
cérémonie est appelée « passage »,
ou encore en hébreu « pessah ».
Le nom évoque ainsi le passage du peuple
hébreu de sa captivité vers sa libération. Depuis ce jour sacré, et selon
les prescriptions divines, le peuple élu fête chaque année la pâque, les
premières heures du 15ème jour du mois de Nisan.
L’agneau pascal n’est immolé qu’au Temple par les prêtres au son
des trompettes et au chant des psaumes. Il n’est mangé qu’à Jérusalem. C’est
ainsi que pour la fête, nombreux sont les israélites présents dans la ville
sainte. Venus d’ailleurs, ils couchent chez l’habitant ou sous des tentes. Après
être vidé de sa graisse, alors brûlée sur l’autel, l’agneau est rendu pour être
rôti et consommé à la maison avant minuit. Réunis en groupe, les Israélites,
qui n’avaient pas contracté de souillures légales, se réunissent ensuite pour
le festin pascal durant lequel le maître de la maison rappelle le sens de la
cérémonie qui se déroule minutieusement d’après un rituel déterminé. A minuit,
les portes du Temple s’ouvrent, et une foule immense s’y engouffre pour
entendre le chant des hymnes et assister au sacrifice. La fête des azymes peut
alors commencer. Elle dure sept jours, pendant lesquels seul du pain azyme doit
être mangé…
Le rituel du repas pascal
La cérémonie commence par des
louanges auprès de Dieu pour le vin et pour ce jour de fête. Puis, après s’être
lavé les mains, ils trempent du pain azyme ou des herbes amères dans une grande
coupe remplie d’une sauce épaisse rouge, appelée Haroseth. Selon la
coutume, le maître de la maison trempe lui-même un morceau de pain dans la
sauce puis l’offre à celui qui veut l’honorer. Les convives boivent ensuite
deux coupes, séparées par quelques gouttes amères et salées. Après avoir chanté
le psaume
CXIV, qui raconte l’exode et le passage de la mer Rouge, ils mangent le
traditionnel agneau, dont aucun os ne doit avoir été rompu, cuit à feu vif et
embroché d’une baguette de grenadier, avec les herbes amères. Ils boivent
ensuite une troisième coupe rituelle dite de bénédiction, en récitant des
formules d’actions de grâces avant d’entonner le chant de grâces, appelé
Hallel, formé des quatre psaumes CXV à CXVII. Une quatrième et
dernière coupe termine la récitation de cette hymne…
Chaque geste et aliment se présentent comme un symbole qui se rapporte
à la libération du peuple hébreux de l’esclavage d’Egypte ou encore au passage
de la Mer Rouge. Les herbes amères trempées dans de l’eau salée rappellent par
exemple les larmes versées par les Hébreux durant leur captivité. Le pain
azyme, cuit rapidement, représente la rapidité avec laquelle ils ont dû fuir
d’Egypte selon l’ordre de Dieu.
La dernière Cène, une nuit
décisive
Le lavement des pieds
Sans-doute avant l’étape du
lavement des mains, Notre Seigneur Jésus-Christ livre à ses disciples une leçon incroyable d’humilité et
d’abaissement. Il se lève de table, se dépouille de son manteau et se ceint
lui-même d’un linge, prenant ainsi l’apparence d’un esclave, puis il verse de
l’eau dans un bassin et lave les pieds de ses disciples avant de les essuyer
avec le linge dont il est ceint. En cette nuit où se célèbre la libération du
peuple juif, Notre Seigneur Jésus-Christ apprend aux douze Apôtres ce qu’est
réellement la pureté et donc l’état de
disposition dans lequel ils doivent se mettre pour le repas pascal.
Le lavement des pieds déclenche aussitôt
une réaction de la part de Saint Pierre, saisi d’effarement devant le Fils de
Dieu prosterné devant lui. « Vous,
Seigneur, me lavez les pieds ? » (Saint Jean, XIII, 6) Notre
Seigneur Jésus-Christ lui répond gravement et avec douceur. Il explique à ses
apôtres le sens de l’acte qui vient d’accomplir, c’est-à-dire l’esprit qui devra inspirer leur vie. Cette
soirée est bien différente des autres…
L’annonce de la traîtrise de
Judas et du reniement de Saint Pierre
Plus tard quand Notre Seigneur
Jésus-Christ annonce aux disciples qu’Il doit les quitter et qu’ils ne peuvent
Le suivre là où Il va, Saint Pierre proteste de sa fidélité et de sa volonté de
Le suivre jusqu’à la mort. Les autres disciples s’associent à ces paroles. En
réponse de leur témoignage de tendresse, Notre Seigneur Jésus-Christ prophétise
à Saint Pierre son triple reniement.
Cette nuit est terriblement attristante…
L’institution du sacrement de
l’Eucharistie
Saint Marc précise que ce sang
sera répandu « pour un grand nombre »
(Saint
Marc, XIV, 24). Saint Matthieu rajoute qu’il sera répandu pour un grand
nombre « en rémission des péchés »
(Saint
Matthieu, XXVI, 28). Les deux évangélistes précisent donc le but de sa mort et d’une mort entendue comme sacrifice…
Symbole ou réalité ?
En outre, dans son récit, obtenu
par une révélation divine, Saint Paul ne laisse aucun doute dans la manière d’interpréter ses paroles :
« quiconque mangera ce pain ou boira
le calice du Seigneur indignement sera coupable du corps et du sang du
Seigneur. Que l’homme s’éprouve lui-même, et qu’il mange ainsi de ce pain et
boire de ce calice. Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et
boit son jugement, ne discernant point le corps du Seigneur. » (I
Corinthiens, XI, 27-29) Saint Paul insiste donc sur le sens des paroles
de Notre Seigneur Jésus-Christ. Celles-ci ne sont ni figuratives ni
symboliques. Elles doivent être
entendues au sens littéral…
Notre Seigneur Jésus-Christ
ordonne ensuite aux Apôtres de faire ce qu’Il a fait « en mémoire de moi », c’est-à-dire
de sa mort, rendant ainsi permanent le
sacrement de l’Eucharistie. Seuls les Apôtres ont reçu cet ordre. Le Sacerdoce est ainsi institué.
Le Pain de Vie
Il est vrai que Saint Jean avait
déjà tout annoncé contrairement aux autres évangélistes. N’avait-il pas déjà
mentionné, et lui-seul, ce qui se réalise en cette soirée. « Moi, je suis le pain vivant qui suis
descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ;
et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » (Saint
Jean, VI, 51-52) Ces mots ont soulevé un véritable scandale, même parmi
ses Apôtres. Les mots sont compris au sens littéral. Pourtant, Notre Seigneur Jésus-Christ insiste sur ce
sens, ne supprimant pas le scandale : « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang,
vous n’aurez point la vie éternelle ; qui mange ma chair et boit mon sang a la
vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair
est vraiment nourriture et mon sang est vraiment breuvage ; qui mange ma
chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » (Saint
Jean, VI, 54-57) Notre Seigneur Jésus-Christ nous apprend qu’il est
obligatoire de nous nourrir de Lui si nous voulons la vie éternelle, et que,
par cette nourriture, nous nous unissons à Lui. C’est en fait cette union qui nous assure la vie
éternelle. Lors du dîner pascal, les mots prennent donc désormais sens. Les
promesses de Notre Seigneur Jésus-Christ établissent ainsi un lien entre l’institution du sacrement de l’Eucharistie réalisée lors
de la dernière Cène et les effets qu’il réalise.
Confiance et espérance
En quittant ses disciples, Notre
Seigneur Jésus-Christ justifie son départ en rapportant la prophétie
d’Isaïe à Lui : « Il faut que
ceci encore qui a été écrit s’accomplisse en moi : il a été mis au rang
des scélérats. Car ce qui me regarde touche à sa fin. » (Saint
Luc, XXII, 27) Comme seule réponse, ses disciples Lui montrent deux
glaives. « C’est assez »,
reprend simplement Notre Seigneur Jésus-Christ. Il n’est plus temps de parler
ou d’expliquer. Il est temps de les quitter tout en leur donnant une dernière
promesse, celle de la résurrection et de leur retrouvaille en Galilée. Il leur
assure enfin qu’ils ne seront jamais seuls dans leur épreuve. L’espérance
achève ainsi la cérémonie…
La Dernière Cène est donc indissociable
de la passion et de la mort de Notre Jésus-Christ, c’est-à-dire de son
sacrifice sur la Croix. Elle n’a de sens
que parce que tout va être consommé selon les prophéties bibliques. La
mission de Notre Rédempteur se dévoile ainsi clairement en cette nuit solennelle
où le peuple élu célèbre la délivrance des Hébreux de la terre d’Egypte et leur
départ vers la Terre sainte. Une autre libération s’annonce, un autre miracle
se réalisera, bien plus élevé, bien plus inconcevable. Une nouvelle pâque se
lève. La tristesse et la souffrance
laisseront sa place à une profonde et grande joie.
Dès les premiers temps, les
chrétiens ont bien compris le sens des paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ
comme l’atteste Saint Paul. « Le
calice de bénédiction que nous bénissons n’est-il pas la communication du sang
du Christ ? Et le pain que nous rompons n’est-il pas la participation au
corps du Seigneur ? » (I Corinthiens, X, 15-16) Ainsi,
comme nous l’enseigne l’Acte des Apôtres (XX, 7), le premier
jour de la semaine, c’est-à-dire le dimanche, les chrétiens se rassemblaient
pour rompre le pain…
Il a voulu ce sacrement comme aliment spirituel des âmes qui nourrit et
fortifie ceux qui vivent de sa vie […] et comme antidote nous libérant des
fautes quotidiennes et nous préservant des fautes mortelles. […] Il a
voulu, en outre, que ce soit le gage de notre gloire à venir et de notre
félicité éternelle, en même temps qu’un symbole de cet unique corps dont Il est
lui-même la tête et auquel il a voulu que nous soyons attachés par les liens
les plus étroits de la foi, de l’espérance et de la charité, en sorte que nous
disions tous la même chose et qu’il n’y ait pas de divisions parmi nous.»[5].
Notes et références
[1] Le
premier mois de l’année religieuse du calendrier hébraïque, qui a lieu entre
les mois de mars et d’avril de notre calendrier.
[2] Les
tableaux représentant la Cène avec Notre Seigneur Jésus-Christ au centre, comme
celui de Léonard de Vinci, ne reflètent pas la réalité historique.
[3] C’est
aussi au cours de cette soirée qu’est institué le Sacerdoce.
[4] Le repas ne commence vraiment qu'à la onzième étape.
[5] Concile
de Trente, Décret sur le sacrement de l’Eucharistie, chap. 2, Denzinger
n°1638.
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