« Nous déclarons, nous prononçons et
définissons que la doctrine qui tient que la Bienheureuse Vierge Marie, a été, au
premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du
Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre
humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une
doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi, elle doit être crue fermement et
constamment par tous les fidèles. »[2]
L’Église
enseigne que Sainte Marie a été engendrée sans la tache du péché originel
contrairement à tous les hommes. Son âme n’est donc pas dans un état d’aversion
de Dieu et de privation de la grâce sanctifiante. Au contraire, elle jouit de
la plus étroite unité et de la plus grande amitié avec Dieu dès sa conception
Elle a été préservée du péché originel en raison des mérites de son Fils,
Notre Seigneur Jésus-Christ…
L’Immaculée
Conception n’est reconnue ni par les protestants ni par les orthodoxes qui
accusent les catholiques de l’avoir inventée. Elle devient alors un élément de
plus dans la division des chrétiens. Mais est-elle vraiment une invention
des catholiques ?
Le
refus des protestants et des orthodoxes
La
lumière de la Sainte Écriture
Néanmoins, plusieurs passages
évangéliques nous éclairent sur quelques vérités se rapportant à elle comme son
Immaculée Conception…
La
Sainte Écriture exprime en effet implicitement ou indirectement la doctrine de
l’Immaculée Conception. Nous pouvons citer deux passages, celui de la Genèse
dit le « Protévangile »[6],
dans lequel Dieu annonce au diable qu’Il mettra « l’inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne »
(Genèse,
III, 15) et celui de la salutation angélique (Luc, I, 28).
Le
« Protévangile » fait
l’objet de nombreuses interprétations des Pères de l’Église et peut porter à
confusion. Cependant, elle évoque nettement l’union qui existe entre « la postérité» et « la femme » dans l’œuvre de la
Rédemption et dans la victoire contre le diable. La victoire de cette postérité
ne peut donc être complète si la femme est soumise, ne fut-ce qu’un instant, au
diable. Or, selon l’interprétation messianique de l’Église, la postérité
désigne Notre Seigneur Jésus-Christ, la femme, Sainte Marie. Cela implique donc
que Sainte Marie ne peut être soumis au péché originel qui briserait cette
union.
Dans
la scène de l’Annonciation, l’ange Gabriel s’adresse à Sainte Marie en la
nommant « pleine de grâces ».
Cette salutation singulière, encore jamais employée dans la Sainte Écriture,
nous la montre comme digne de toutes les faveurs divines. Le terme grec employé
est équivalent comme un nom caractéristique qui tient lieu de nom propre. Elle
se caractérise donc par une plénitude de grâces.
La
lumière de la raison
L’encyclique
Ineffabilis
Deus revient sur la convenance de l’Immaculée Conception :
« il convenait qu’elle resplendit
toujours de l’éclat de sa sainteté la plus parfaite, qu’entièrement préservée
même de la tache du péché originel, elle emportât ainsi le triomphe le plus
complet sur l’antique serpent, elle, la Mère si vénérable à qui Dieu le Père
avait résolu de donner son Fils unique, […] ; elle que le Fils de Dieu
lui-même avait choisie pour en faire substantiellement sa Mère ; et dans
le sein de laquelle le Saint-Esprit avait voulu et opéré que fût conçu et
naquît Celui dont il procède Lui-même. »[7]
C’est donc en raison de sa dignité
suréminente de Mère de Dieu qu’elle fut conçue sans le péché originel afin que la
demeure de Dieu ne soit pas atteinte un instant par la souillure originelle.
Nous retrouverons cette argumentation chez des Pères et les Docteurs de
l’Église.
Les
premières lueurs
Les
premières illuminations
Il
faut attendre le IVe siècle, en Orient, pour que des témoignages émettent
clairement l’idée selon laquelle Sainte Marie est née sans souillure du péché.
Tel celui de Théodote d’Ancyre (mort en 446) au concile d’Éphèse.
« Celui qui a créé la vierge
d’autrefois », c’est-à-dire Ève, « sans opprobre, a fait naître la seconde sans souillure. »[9]
Elle n’a donc pas connu les malheurs provenant de la première femme. Nous
trouvons ainsi la comparaison entre Ève et Marie qui illustre bien
l’état premier de Sainte Marie.
De
très bonne heure, les Pères de l’Église ont mis en parallèle ces deux femmes,
la première qui conduit par désobéissance au péché du premier homme, la seconde
ouvre par son obéissance la voie de son salut. Or cette comparaison n’est
valable que si elles sont toutes les deux dans le même état et disposent de la
même liberté, l’une l’usant pour le mal, l’autre pour le bien. Or comment
Sainte Marie pourrait-elle être totalement libre si elle était soumise au péché
originel ? Elle est comme Ève l’était avant de commettre sa désobéissance.
Nous
pouvons encore faire intervenir un Père de l’Église de son époque, Saint
Jean Damascène (675-749), qui affirme aussi que, de part sa maternité
divine, la conception de Sainte Marie est toute sainte et sans tache.
Cependant, nous trouvons aussi dans ses homélies l’idée de purification de
Sainte Marie lors de l’Annonciation[13],
thèse généralement retenue dans l’Église d’Orient.
Si
leurs discours ne proclament pas l’Immaculée Conception telle qu’elle est
définie dans l’encyclique de Pie IX, ils nous rapprochent néanmoins de l’idée
selon laquelle Sainte Marie est conçue sans souillure comme la première femme
Ève en raison d’une intervention divine.
La
clarté de la fête de la Conception de Marie
Comme
l’indique le nom, la fête célèbre l’annonce de la naissance de Sainte Marie
faite par un ange à ses parents Joachim et Anne, pourtant stérile. Cette fête
ressemble fortement à celle de Saint Jean Baptiste. Elle est aussi et surtout la
fête de la conception de la Mère de Dieu comme le montrent des titres
d’homélies.
La
naissance de Marie tient beaucoup de place dans les textes liturgiques de cette
fête et dans les sermons. La liturgie parle continuellement de la conception de
la Mère de Dieu, de la conception de la Vierge toute-immaculée, ou encore de la
vénérable conception de la seule pure. Délaissant alors le miracle de
l’annonce, elle perçoit dans la naissance de Sainte Marie son Fils et son œuvre
rédemptrice. Les homélies « parlent
alors d’une intervention toute spéciale de la Trinité sainte pour préparer le
palais du Verbe fait chair. »[14]
C’est au cours de cette fête que Saint André de Crète et Saint Jean Damascène
prononcent leurs homélies en faveur d’une conception immaculée de Sainte Marie.
Elles fêtent ainsi la Vierge immaculée, exempte de toute souillure dès le
premier instant de son existence.
Une
lumière qui s’étend en Europe
Cette
fête apparaît ensuite en Occident, d’abord en Italie Méridionale au IXe siècle
puis en Irlande, en Angleterre et en Espagne au XIe siècle, et enfin en France,
à Lyon au XIIe siècle. Au XIVe siècle, les papes l’autorisent finalement puis y
participent lors de leur séjour à Avignon. En 1476, Sixte IV étend la fête à
toute l’Église latine. Enfin, par la bulle Commissis nobis du 6 décembre 1708,
le pape Clément XI l’impose à toute l’Église et l’insère au nombre des fêtes
que les fidèles sont tenus d’observer.
Une
lumière qui s’affermit et se précise
Cependant,
si Saint Anselme déclare convenable que Sainte Marie brille de la plus haute
pureté sans aller affirmer sa conception immaculée comme l’entend le dogme, Saint
Eadmer va plus loin. Il ne trouve pas convenable d’admettre pour la demeure
de la divine sagesse quelque péché que ce soit, ce que déclarait déjà Saint
Augustin, y compris le péché originel. « De
la sainte Vierge Marie, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit
question lorsqu’il s’agit de péchés. Nous savons en effet qu’une grâce plus
grande lui a été accordée pour vaincre de toutes parts le péché par cela même
qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui dont il est certain qu’il
n’eut aucun péché. »[15]
Ainsi, Eadmer défend l’idée d’une sainteté originelle de Sainte Marie.
Dans
son traité De la Conception de Sainte Marie, Eadmer répond ceux qui
prétendent que « la Mère de Dieu a
été soumise au péché originel jusqu’au moment de l’Annonciation et purifiée
ensuite par sa foi à la parole de l’ange selon la parole de l’Écriture »[16].
Il s’oppose à cette idée tenue surtout en Orient. En Occident, l’idée qui
semble prédominer est la sanctification ou la purification de Marie dans le
sein de sa mère comme à l’image de Saint Jean Baptiste. Eadmer s’oppose à ces
thèses et peut le faire puisque l’Église ne l’enseigne pas et que « des raisons supérieures me détournent de
cette opinion. » Cela reste donc en effet une opinion.
Si
sa pensée dépasse celui de son maître, elle en est toutefois une conclusion logique.
« En considérant l’éminence de la
grâce divine en vous, ô Marie, je remarque que vous êtes placée d’une façon
inestimable, non parmi les créatures, mais, à l’exception de votre Fils,
au-dessus de tout ce qui a été fait. D’où je conclus que dans votre conception,
vous n’avez pas été enchaînée par la même loi connaturelle aux autres hommes,
mais que vous êtes restée complètement affranchie de l’atteinte de tout péché,
et cela par une vertu singulière et une opération divine impénétrable à
l’intelligence humaine. »[17]
Contrairement
à la sanctification de Saint Jean-Baptiste dans le sein de sa mère, Eadmer
précise clairement que Sainte Marie a été remplie de grâce dès le commencement
de sa conception. Sa conception est comme la première pierre du fondement du
temple où le Fils de Dieu doit venir habiter. Si cette base est viciée par le
péché, toute la structure de l’édifice en est ébranlée. Si la racine de la tige
de Jessé est souillée, toute la plante et sa fleur en sont condamnées. Par
conséquent, il n’y a pas deux instants à distinguer dans la conception de
Sainte Marie, un premier moment où elle a été souillée, un second où elle
en a été purifiée. À aucun moment, elle n’a été sous l’emprise du démon.
Cependant comme le déclare aussi Eadmer, « si la foi catholique l’enseigne, je m’y soumets ».
L’éclat
définitif au XIVe siècle par le Docteur subtil
Mais,
sur deux points, Duns Scott approfondit la doctrine. D’une part, comme le note
un de ses élèves, il parle de préservation : « la perfection du Médiateur demande […] la préservation de toute faute, même originelle »[20].
Il n’y a donc ni sanctification ni purification. D’autre part, il met en avant
l’argument de la rédemption préventive. L’Immaculée Conception est alors
décrite comme le chef d’œuvre de la rédemption opérée par Notre Seigneur
Jésus-Christ. Par conséquent, Sainte Marie n’est pas exclue du plan divin. Elle
a aussi été rachetée par son Fils mais de manière spécifique…
Duns
Scott établit son argumentation théologique à partir des relations de Sainte
Marie et de son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, et de sa maternité divine,
et en dernière analyse dans la christologie. La pureté du Fils implique
celle de sa Mère. La preuve relève de la théologie et non de la Sainte
Écriture.
La
voix de l’autorité
La
première proclamation de l’Immaculée Conception date de 1429. Le concile de
Bâle la définit en des termes proches de ceux du bienheureux Pie IX et
institue la fête le 8 décembre pour toute l’Église. Cependant, comme ce concile
était déjà schismatique et condamné en raison de ses thèses conciliaristes,
cette proclamation n’a aucune valeur magistérielle.
Enfin,
en 1661, Alexandre VII reprend l’ensemble des décisions de ses
prédécesseurs dans une Constitution apostolique[23]
en faveur de l’Immaculée Conception, qu’il désigne comme une pieuse croyance.
Il approuve formellement l’Immaculée Conception et reconnaît l’ancienneté de
son culte sans néanmoins l’imposer.
Conclusions
Notes et références
[1]
Par
ce terme abstrait, Notre Dame nous révèle quelque chose d’essentiel à son être.
« Elle nous dit l’acte qui la constitue.
[…] Elle s’identifie purement et
simplement à la grâce de son immaculée conception. » (Jean-Marie
Hennaux, La formule de Lourdes : « Je suis l’Immaculée
Conception », dans Nouvelle revue théologique, 2008/1, tome130, cairn.info.)
[2] Pie IX, constitution apostolique, Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854, Denzinger 2803.
[3] Elian
Cuvilier, Marie, qui es-tu ?, Cabédita, 2015.
[4] A.
Leredev, Différences entre l’Église orientale et l’Église occidentale sur la
doctrine relative à la Très Sainte Marie, Mère de Dieu. De l’Immaculée
Conception, 2ème édition, Saint Pétersbourg 1903, dans Le
Dogme de l’Immaculée Conception d’après un théologien russe contemporain,
Jugie Martin, Échos d’Orient, tome 19, n°117, 1920.
[5] A.
Leredev, Différences entre l’Église orientale et l’Église occidentale sur la
doctrine relative à la Très Sainte Marie, Mère de Dieu. De l’Immaculée
Conception.
[6] Voir Émeraude,
septembre 2013, article « Le
Protévangile, première bonne nouvelle ».
[7] Ineffabilis
Deus, Denzinger 2801.
[8] Saint Éphrem
de Nisibe, Prières à la Très Sainte Mère de Dieu, œuvre de saint Éphrem,
édition Rome, tome III.
[9] Théodote
d’Ancyre, Homélie IV sur la mère de Dieu, dans Histoire des dogmes, tome
II, de
Saint Athanase à Saint Augustin, B. Sesboue.
[10] Saint
André de Crète, Homélie pour la fête de la nativité de Sainte Marie, P. G.,
tome XCVII, dans Saint André de Crète et l’Immaculée Conception,
Martin Jugie, dans Échos d’Orient,
tome 13, n°82, 1910.
[11] Saint
André de Crète, Homélie pour la fête de la nativité de Sainte Marie.
[12] Saint
André de Crète, Homélie pour la fête de la nativité de Sainte Marie.
[13] Saint
Jean Damascène, Exposé précis de la foi orthodoxe, 46.
[14] Maria, Études
sur la Sainte Vierge, sous la direction d’Hubert du Manoir, S. ., tome
I, Beauchesne et Fils, 1949.
[15] Saint
Augustin, De la Nature et de la grâce.
[16] Saint
Eadmer, Traité de la conception de Marie, c.13 dans La
Conception Immaculée de la Vierge Marie, La première apologie du dogme de
l’Immaculée Conception par Eadmer, moine de Cantorbéry (1124),
introduction et traduction par DOMB. Del Marmol, moine de Maredsous, 1923.
[17] Saint
Eadmer, Traité de la conception de Marie, c. 12.
[18] Benoit
XVI, audience générale du 7 juillet 2010, vatican.va. C’est aussi par ses mots
que Jean-Paul II l’a défini le 20 mars 1993 en le déclarant bienheureux.
[19]
Bienheureux Duns Scot, En III sententiarum, d3, q 1.
[20] Reportatio
parisiensis, III, d. 3, q. 2 dans Duns Scot et l’Immaculée Conception,
René Laurentin, site Web 30giorni.it.
[21] Sixte IV défend l’Immaculée Conception dans deux constitutions : Cum
praexcelsa, 27 février 1477, Denzinger 1400 et Grave
nimis, 4 septembre 1483, Denzinger 1425.
[22] Décret
sur le péché originel, Concile de Trente, 5ème session, §6,
17 juin 1546, Denzinger 1516.
[23] Voir Sollicitudino
omnium ecclesiarum, 8 décembre 1661, Denzinger 2015-2017.
[24]
Constitution Ineffabilis Deus, Pie IX, Denzinger 2802.
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