Nous songeons alors à ces voix
qui n’ont pas cessé d’accuser l’Église de mépriser le corps, de le maltraiter
et de le haïr. Comme des commères médisantes, elles mettent en exergue les
mortifications des saints ou la vision méprisante du corps que des Pères de
l’Église auraient développée. Elles s’arment de toutes ces images qui ont
noirci le Moyen-âge pour diffuser leur venin. Après plus d’un siècle d’un combat
contre l’Église, qu’est devenu le corps dans notre société qui a rejeté
Notre Seigneur Jésus-Christ ?... Qu’est devenu l’homme ?...
Et pourtant, dans sa conception
de l’homme[1]
ou encore dans l’enseignement de l’œuvre de la Création[2]
ou du mystère de l’Incarnation[3],
l’Église a montré la place du corps dans le plan de Dieu, sa pleine participation
à l’œuvre du salut, s’opposant alors à tous ceux qui lui refusaient sa part
dans notre véritable bonheur. Qui peut accuser l’Église de mépriser le corps
quand elle professe que le Verbe s’est fait chair, que Notre Seigneur
Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, quand elle a longuement insisté sur
l’intégrité et la complétude de la nature humaine en Lui ?! Une telle
accusation n’est que mensonge quand nous songeons à un autre mystère, un
mystère tout aussi fondamentale de notre foi, mystère que nous allons désormais
étudier, celui de la résurrection des corps. Notre but n’est pas de
démontrer cette vérité de foi mais de la présenter afin de mieux connaître ce
qu’est l’homme pour l’Église…
La résurrection des corps, une
vérité de foi
La raison en est simple. Il
n’y aurait pas en effet de salut pour l’homme si l’homme n’est pas sauvé
intégralement, c’est-à-dire corps et âme. Par conséquent, ce salut touche
aussi le corps. Les premiers chrétiens en sont parfaitement convaincus. L’âme
ne sera pas seule à être jugée, c’est-à-dire à recevoir la vie éternelle ou le
châtiment sans fin. « Que nul
d’entre vous ne dise que cette chair ne sera pas jugée et qu’elle ne
ressuscitera pas. […] C’est dans cette chair que nous recevrons notre
récompense. »[4]
Toutes les professions de foi que
nous possédons demandent en effet de croire à la résurrection de la chair.
Celle de Saint Épiphane, dans sa forme longue, est particulière. D’une part, il
n’emploie pas le terme de « chair »
mais celui « des morts » et
d’autre part, l’article est suivi d’un autre encore plus explicite. « Nous croyons […] en une résurrection des morts, en un juste jugement éternel des corps
et des âmes »[5].
Le corps ressuscité est bien
un corps humain, le nôtre. « Nous
ne croyons pas que nous ressusciterons dans un corps aérien ou dans quelque autre
espèce de chair […] mais dans cette
chair avec laquelle nous vivons, nous existons et nous nous mourons. »[6]
Nous ne ressusciterons pas non plus « sous
forme d’une ombre aérienne ou en celle d’une vision imaginaire »[7]
C’est bien notre chair qui sera ressuscitée, et « non pas celle d’un autre »[8].
La profession de foi de Latran IV
(1215) confirmera que « tous
ressusciteront avec leur corps, qu’ils ont maintenant, pour recevoir, selon que
leurs œuvres auront été bonnes ou mauvaises, les uns, un châtiment éternel avec
le diable, les autres, une gloire éternelle avec le Christ. »[9]
Une conception matérialiste du
corps
La réaction des philosophes
païens est compréhensible. Pour les partisans de Démocrite, ce n’est qu’un amas
de particules qui à la mort se dissocient pour toujours. Épicure dessine aussi une
conception matérialiste de l’homme. Le corps comme l’âme cesseront d’être
au jour de la mort. Et en cessant de vivre, l’homme n’éprouvera plus de
crainte. Or la béatitude inclut toute absence de trouble. Le bonheur est en
effet d’imiter les dieux, de vivre comme eux parmi les hommes, renonçant à
toute occasion de crainte. Finalement, délivré de tous les troubles, l’homme
pourra vivre selon ses plaisirs. C’est ainsi que pour les épicuriens, le
corps n’est qu’un instrument de jouissance qu’il faut maîtriser. De même, croyant
que toute chose est corporelle, y compris l’âme, les stoïciens voient la fin de
la vie dans l’absence de trouble ou encore dans « la vie harmonieuse », « vivre suivant l’expérience de la nature »[11]
au point que le suicide est une nécessité quand la vie brise cette harmonie.
Dans ces conceptions matérialistes de l’homme, tout s’achève par la mort. La
fin et la dissolution du corps sont donc définitives.
Le corps, prison de l’âme
Si l’âme est « clouée » au corps, alors à sa mort,
elle cherchera à récupérer un autre corps. La réincarnation est alors réservée
à ceux qui ne sont pas suffisamment purs. Le corps est ainsi considéré comme
une prison destinée à expier l’âme d‘une faute ou comme sa déchéance. Ainsi, le
bonheur consiste à se détacher du corps et à se libérer de son influence
pour éviter la réincarnation ressentie comme un mal.
La préparation à la mort consiste
alors à séparer l’âme du corps. Telle est le but de la
philosophie. « Les amis du
savoir n’ignorent pas ceci : quand la philosophie a pris possession de
leur âme, cette dernière était
étroitement liée au corps et collée à lui ; elle était contrainte devoir
les réalités pour ainsi dire à travers les barreaux d’une prison constituée par
son corps au lieu de le faire par ses propres moyens et à travers elle-même
[…] quand la philosophie a pris
possession de leur âme dans cet état, […], elle entreprend de la délier. »[14]
Quand Saint Paul révèle aux
philosophes qu’à la fin des temps, les hommes ressusciteront, ses auditeurs ne
peuvent que repousser ou dédaigner son discours puisque pour eux, le bonheur et
donc la finalité de tout homme sont de s’en séparer et de s’en libérer. Le
but suprême de la vie est donné à la primauté de l’âme au détriment du corps.
Il s’agit en effet pour l’homme de se rapprocher le plus possible de Dieu, de
privilégier la part divine qui est en lui contre sa part corporelle et animale.
Contre cette dévalorisation du corps qui explique l’idéal ascétique des Grecs,
y compris des épicuriens, Saint Paul leur apprend au contraire, que l’âme et le
corps seront réunis dans la plénitude du temps.
Le corps, œuvre du mal
Le dogme de la résurrection de la
chair est aussi inconcevable pour les gnostiques et les manichéens qui, de
manière générale, considèrent le corps comme l’œuvre du mal. C’est aussi
pour cette raison que les gnostiques refusent que Notre Seigneur Jésus-Christ
puisse assumer une chair. Comme les philosophes grecs, les Albigeois ou le Cathares
ne pouvaient non plus admettre la résurrection de la chair. Comment
pouvaient-ils en effet l’admettre quand ils envisageaient le corps comme l’œuvre
du mal ? Selon certains d’entre eux, les âmes non sauvées passeraient d’un
corps à un autre jusqu’à ce qu’elles soient libérées de leurs fautes[15].
Contre une conception erronée de la nature humaine
En outre, le fait que le corps
soit uni à l’âme lui donne aussi une certaine dignité. Et comme la chair est si
unie à l’âme, il serait juste qu’elle participe aussi à sa gloire.
« La chair, par le ministère qu’elle
prête à l’âme, est donc reconnue sa compagne et sa cohéritière :
cohéritière des biens temporels, pourquoi pas des Liens éternels ? »[17]
La chair est aussi pour l’âme un instrument de sanctification, soit par les
souffrances qu’elle endure, par les sacrifices dont elle fait l’objet, soit par
la réception des sacrements. En outre, « tous les biens destinés et promis à l’homme par Dieu, sont dus non seulement
à l’âme, mais à la chair »[18].
Enfin, Dieu nous assuré que l’homme tout entier, corps et âme, est promis au
salut.
Selon Saint Bonaventure, la
résurrection du corps est en effet une exigence de justice puisque
celle-ci veut que l’homme soit récompensé ou châtié en son être tout entier.
Elle est aussi une exigence de la nature humaine car l’âme et le corps se
désirent mutuellement. Comme l’enseigne aussi Saint Thomas, l’âme est faite
pour le corps. Elle atteint son achèvement son union avec la chair.
Conclusions
Le mystère de la résurrection des
morts est certainement l’un des obstacles majeurs à la conversion des païens. Pourtant,
au lieu de se taire sur cet enseignement, les chrétiens n’ont pas cessé de le
défendre, attribuant une destinée glorieuse au corps. L’Église ne cesse
pas en effet de professer le salut de l’homme, sa vie ou sa condamnation
éternelle, corps et âmes unis. Elle ne divise pas ce que Dieu a uni. Elle prend
l’homme tel qu’il est, c’est-à-dire une créature divine, certes blessée par le
péché originel, mais relevée et restaurée par Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai
Dieu et vrai homme, destinée finalement à la vie éternelle, c’est-à-dire à la
participation à sa vie divine, imparfaite ici-bas, parfaite à la fin des jours.
Les œuvres de la Création et de la Rédemption nous éclairent non seulement sur
ce que nous sommes réellement mais aussi ce que nous pouvons être pour l’éternité,
ce qui donne à notre existence humaine et à la mort une valeur extraordinaire,
forte d’une espérance inépuisable, bien supérieure à ce que nous pourrions
croire et rêver. Elles nous révèlent l’amour que Dieu nous porte, nous qui
sommes corps et âme, un amour dont nous ne cessons pas d’en être les heureux
bénéficiaires. Comment pourrions-nous alors expliquer que tant de chrétiens
ont lutté pour apaiser la misère humaine ?...
Notes et références
[1] Voir Émeraude,
mars 2021, article « L'homme, l'union d'un corps naturel et d'une âme
rationnelle. Il n'est ni un corps, ni une âme, encore moins deux entités
juxtaposées qui s'ignorent... ».
[2] Voir Émeraude,
février 2021, article « Les différents états de l'homme, de ses
origines à sa fin, de la création à l'éternité, de son élévation à sa chute
puis à son relèvement ».
[3] Voir Émeraude,
mars 2021, article « La réalité concrète du mystère de l'Incarnation
pour le salut et l'élévation de l'homme, de l'homme tout entier, corps et âme. »
[4] Saint
Clément, pape, 2ème homélie, IX, 1-5, dans Les Écrits des pères apostoliques,
Les éditions du Cerf, 1962.
[5] Saint
Épiphane, évêque de Salamine, Symbole de foi dit Ancoratus dans sa forme
longue, 374, Denzinger n°44.
[6]
Profession de foi, 2ème concile de Tolède, concile commencé le 7
novembre 675, Denzinger n°540.
[7]
Profession de foi, 16ème concile de Tolède, 2 mai 693, Denzinger
574.
[8] Innocent
III, lettre Eius exemplo à l’archevêque de Tarragone, 22 septembre 1208, Denzinger
n°797. Elle est la profession de foi prescrite aux Vaudois.
[9] La
foi catholique, IVème concile de Latran, 30 novembre 1215, Denzinger
n°801.
[10] Voir Émeraude,
avril 2016, article « Christianisme et Paganisme : Saint Paul à Athènes ».
[11] Diogène
Laerce, VII, 87 dans Histoire de la philosophie ancienne,
Paul-Bernard Grenet, chapitre IX, Beauchesne, 1993.
[12] Platon,
Phédon,
83, c-d.
[13]
Dominique Pignat, Immortalité de l’âme ou résurrection de la chair dans Les
échos de Saint-Maurice, 1989, tome 85, édition numérique, 2014.
[14] Platon,
Phédon,
81, a
[15] Émeraude
traitera ultérieurement de la métempsychose.
[16]
Tertullien, De la résurrection de la chair, IV.
[17]
Tertullien, De la résurrection de la chair, IV.
[18]
Tertullien, De la résurrection de la chair, VII.
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