Plein
épanouissement de soi, expérience intérieure ou considération de soi, la quête
du bien-être est ainsi un impératif catégorique de notre société ou
encore une véritable culture, voire une religion. Gare à ceux qui
ne n’obéissent pas à ses règles et à ses rites. Malheureux ceux qui ne
pratiquent pas les cours de yoga et de massage, ne dévorent pas les livres de
méditation, ou ne suivent pas les stages de coaching. De nos jours, le constat
est indéniable : le bouddhisme à la mode occidental, le New Age discret et
efficace, la psychologie positive sont omniprésents…
Les chrétiens qui veulent vivre dans le monde ne peuvent guère ignorer cette quête si essentielle à nos contemporains. Animés de bonnes intentions, ils sont alors tentés d’y participer et de contribuer au développement de cette culture au point de leur vendre leur religion comme un élément indispensable au bien-être, à la joie intérieure, à la considération positive. Mais faut-il que tout ce qui s’y oppose ou semble s’y opposer dans la religion y soit caché, supprimé ou mis sous silence ? Pour certains d’entre eux, l’idée de souffrance est même devenue insupportable et inadmissible allant jusqu’à prôner l’euthanasie. Mais que devient alors l’amour de Dieu et du prochain dans le christianisme si l’idée même de douleur ou de sacrifice y est exclue ?
Tout
doit se plier à la quête du bien-être, sans exception. Des chrétiens
s’insurgent alors contre une Église qui discipline les corps et réglemente
les comportements, qui impose des vérités et une morale, qui fixe un culte.
Comme ses adversaires, ils dénoncent une Église qui rend les chrétiens tristes
et peu épanouissants. C’est ainsi que pour ces chrétiens d’un nouvel âge, la
santé mentale devient aussi importante que la santé physique et la spiritualité
catholique. Ils n’hésitent pas à adhérer à des stages de méditation bouddhiste,
que favorise l’œcuménisme moderne et attardé. Le New Age et la psychologie
positive se développent alors avec succès dans des communautés chrétiennes[1]. Que
pouvons-nous dire à ces chrétiens vivant du monde, à ceux qui hésitent encore
ou à ceux qui veulent résister à ce mouvement qu’ils sentent au fond
d’eux-mêmes si étranger à la foi ?
La
condamnation de la culture du bien-être
L’égoïsme
ou l’individualisme, que génère la culture du bien-être, sont en effet
incompatibles avec les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ et l’enseignement
de l’Église comme le souligne la parabole du Bon Samaritain. Ils enferment l’homme
dans un monde illusoire dont le principe les éloigne de toute idée de miséricorde.
Ils laissent le voyageur détroussé et blessé aux bords du chemin. Ils préfèrent
changer de trottoir...
Comme
nous l’avons souvent démontré[3], le
bien-être tel qu’il est recherché dans notre monde ne fait qu’accroître l’égocentrisme.
Tout est déterminé en fonction de notre « moi », de son exaltation, ou encore, selon le langage du
monde, de la réalisation de soi ou de la considération positive de soi. Le
solipsisme qui en découle s’oppose clairement à la morale chrétienne, en
particulier aux béatitudes qu’a prononcées Notre Seigneur Jésus-Christ[4]. C’est
une évidence…
Une
condamnation néanmoins dangereuse
Nous
pourrions en effet croire que la vie chrétienne consisterait à regarder la
misère qui s’étale autour de nous et à soulager les souffrances de nos
contemporains. Nous risquerions alors de réduire notre vie chrétienne à cette
compassion et à ces œuvres bienfaisantes, aux actions jugées positives en raison
des bienfaits qu’elle doit apporter à l’autre, à celui qui a besoin d’aide et
de soutien. Une telle conception de la vie chrétienne pourrait alors conduire à
mépriser la vie pieuse ou contemplative qui serait considérée comme inutile,
perte de temps ou anachronique. Or sans vie de prière, le chrétien s’égare dans
un activisme insensé, qui finit par tout envahir, ne laissant guère de
place à l’amour de Dieu. Nombreux sont les saints qui se sont appuyés sur leur
vie intérieure pour soulager la misère de leurs prochains.
Enfin,
ne voyant pas de différences entre « culture
du bien-être » et « bien-être »,
le christianisme ferait encore l’objet d’accusations, d’inadaptation au monde
et d’obsolescence. Les vieilles images de l’inquisition et des bûchers
réapparaîtront sans aucun-doute. Les images de chrétiens peu épanouis et
d’une tristesse affligeante reviendront aussi en mémoire de nombreux
contemporains, poussant encore plus les apôtres modernes à la compromission
avec le monde.
La
démission au cœur du drame
La
culture du bien-être conduit sans aucun doute à l’indifférence à l’égard de
notre prochain, ce qui constitue déjà une contradiction profonde et
insoutenable avec la foi. Dieu sera miséricordieux à notre égard, non selon
les principes du monde, mais selon la mesure de notre propre miséricorde à
l’égard de ceux qui vivent dans la misère. La question essentielle est alors de
connaître cette misère et par conséquent l’état contraire, c’est-à-dire le
véritable bonheur ou encore la finalité de notre vie.
Le
véritable problème n’est donc pas essentiellement un problème de comportement à
l’égard de notre prochain, qui, finalement, n’est que la conséquence d’un fait
plus grave, encore plus grave que celui de l’indifférence. Comment pouvons-nous
en effet aujourd’hui condamner la culture du bien-être quand nous nous sommes
ouverts au monde, quand nous avons élevé la personne humaine à un rang
quasi-divin, quand nous avons refusé de défendre la vérité et de dénoncer les
erreurs, quand finalement, nous avons refusé d’assumer notre mission ?
Qu’est-ce
que le bonheur ?
Le
relativisme ambiant témoigne que l’homme contemporain a trouvé une réponse.
Il est en effet lui-même son bonheur. C’est pourquoi il habite une bulle fermée
dans laquelle il s’y complaît. Et c’est parce qu’il trouve en lui l’essence de
son bonheur qu’il a développé une culture du bien-être jamais encore égalée
dans l’histoire. Tout est relatif hors de lui puisque son « moi »
est finalement le seul principe à partir duquel tout est jugé. L’égalitarisme
qu’il veut absolument appliquer dans le monde dans lequel il vit en est aussi
une conséquence encore plus claire. C’est donc cette conception du bonheur qu’il
faut condamner et tout ce qui contribue à la développer ou à l’affermir. Il
faudra alors remettre en cause le chemin que nous avons pris depuis plus de
cinquante ans…
Une
question mal posée ?
La
question du bonheur que nous nous posons est difficile car elle est d’abord mal
adressée. La réponse peut-elle en effet vraiment venir uniquement de
nous-mêmes, nous qui éprouvons déjà bien des difficultés pour vivre ? Nos
ignorances, nos erreurs passées et actuelles révèlent nos limites et nos
faiblesses comme elles témoignent de nos vanités. Pouvons-nous avoir confiance
en la seule raison alors que notre histoire nous montre qu’elle peut être
guidée par de mauvais conseillers ? Qui sommes-nous pour répondre seuls
à une question si déterminante ?
Nous
revenons ainsi à notre nature humaine. Nous savons aujourd’hui qu’une
science ne peut répondre à certaines questions fondamentales sans avoir recours
à une science plus haute. Le vocabulaire, les principes qu’elle s’est érigée et
les règles qu’elle s’est fixées sont en quelques sortes trop mêlés au problème
qu’il faut résoudre. Nous-mêmes, que pouvons-nous dire de l’éternité quand nous
sommes si pleins de temps ? Aucun mot n’est capable de le saisir
pleinement…
Comment
un malade peut-il dire objectivement qu’il est guéri ? Les symptômes
sensibles ne suffisent pas toujours. L’objet de la quête que nous entreprenons
est en effet nous-mêmes. Et ce « nous »
ne se réduit pas à notre corps, encore moins à notre moi ou plutôt à l’image
que nous avons de nous. Il désigne des hommes complets avec leur complexité. L’idée
de bonheur n’est pas concevable sans celle de notre plénitude comme être entier. C’est
ainsi qu’en dépit de leur multiplicité et de leur diversité, les théories sur
le bonheur se rejoignent dans l’idée de plénitude de l’être. Derrière
les termes d’épanouissement, de réalisation, ou de pleine satisfaction, nous
retrouvons encore cette idée. Mais ces théories se séparent aussitôt lorsqu’elles
veulent définir ce qu’elles entendent par plénitude de l’être. Consisterait-elle en une plénitude de
biens matériels, source de confort et de tranquillité, en une plénitude de
plaisirs qui ravissent les sens et le corps, en une exaltation du moi, qui
n’est qu’une plénitude de satisfactions intérieures, etc.[5] ?
Le
bonheur et le temps
Le
bonheur, le bien suprême ou la révélation d’un besoin
Selon
Aristote, le bonheur est le bien ultime, la fin suprême de toutes nos
actions, le « souverain bien ».
Tous les philosophes et les hommes sensés sont unanimes sur ce point. Ils se
retrouvent aussi sur la volonté de chaque homme de l’atteindre. Il est
donc la source de nos motivations comme le centre de toute morale. Mais
l’accord cesse lorsqu’il faut savoir ce qu’est ce bien suprême et comment
l’obtenir. Nous revenons de nouveau à la multiplicité et à la diversité…
Sans-doute,
la relation forte qui lie le bonheur au sentiment qui en résulte explique que
parfois ils se confondent dans nos discours. Cependant, il serait une erreur
funeste de vouloir éprouver le sentiment de bonheur sans vouloir atteindre cette
perfection. Il est clair que certains vendeurs de rêves proposent des
moyens de l’éprouver sans leur donner leur bonheur.
La question de l’être
Mais
la multiplicité ne signifie pas que la question n’a pas de réponse. Elle
signifie seulement qu’elles sont toutes incomplètes ou fausses, sauf peut-être
une. Lorsqu’un miroir ne reflète pas notre visage tel qu’il est, nous n’allons
pas en déduire que notre visage n’existe pas ou qu’il ne peut pas avoir d’image
mais nous savons simplement que le miroir l’a déformé et qu’il est lui-même
déformé. Plus la conception que nous avons de l’homme est différente de la
véritable nature de l’homme, plus nous vivons dans l’illusion, plus nous nous
détournons de notre bonheur, plus nous faisons fausse route. Par conséquent, la
quête du bonheur est inséparable de la connaissance de la nature de l’homme.
C’est ainsi que le bien est inséparable de la vérité.
Nous
ne pouvons donc pas nous contenter de condamner la culture du bien-être sans
définir la conception de l’homme qui la fonde afin de condamner la source même
du mal qu’elle génère.
Conclusions
La
quête du bien-être si caractéristique de notre temps ne peut pas non plus
négliger la question de l’être puisqu’il en recherche le bien. Derrière les
méditations, les exercices de yoga ou encore les leçons de coaching, se trouve
généralement une conception de l’être qu’ils véhiculent, parfois de manière
inconsciente.
Lorsque
le chrétien songe au bonheur et au bien-être, il revient nécessairement sur ce
qu’est l’homme selon le regard de la foi. Le sujet est si déterminant pour lui
qu’il ne peut pas envisager de réponses en dehors de l’enseignement de
l’Église. Or depuis ses origines et éclairée par la parole divine, l’Église
a enseigné que l’homme, créature de Dieu, est l’union d’un corps et d’une âme à
l’image et à la ressemblance de Dieu. S’il a été créé doté de dons
exceptionnels, chef d’œuvre de la Création, l’homme est cependant devenu par la
faute originelle enfant de colère, enfant à sauver, enfermé désormais dans le
temps, à la recherche de son salut, d’un salut désormais accessible depuis que Notre
Seigneur Jésus-Christ lui a ouvert le chemin de sa dignité, d’une dignité retrouvée
encore plus excellente. Au bout de ce chemin désormais éclairé et jalonné
ici-bas, se trouve une vie pleine et entière, au-delà de la mort, fixée dans
l’éternité. Corps et âme, l’homme sanctifié vivra dans l’amour de Dieu. Ainsi,
pour le chrétien, le bonheur n’est pas seulement connu, il est
désormais possible. Il sait aussi que par lui-même, il peut manquer ce
chemin et perdre à tout jamais le bonheur tant promis et espéré. Le monde
propose-t-il le même bonheur ?
Notes et références
[1] Voir Émeraude,
décembre 2020, article « Le New-Age (1), est-ce encore bien utile d'en
parler ? ».
[2] Pape François, Homélie
du 8 juillet 2013 lors de sa visite à Lampedusa, vatican.va.
[3] Voir Émeraude,
août 2020, article « Le culte du bien-être : syndrome, obsession,
narcissisme. Réalité de l'égoïsme et du
solipsisme de l'homme moderne. ».
[4] Voir Émeraude,
juillet 2020, article « La Morale et l’Évangile (5) : le sermon sur la
montage (2) - les huit béatitudes ».
[5] Voir Émeraude,
décembre 2020, article « Où réside mon bonheur ? Le Seigneur est mon
secours ».
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