Le site que nous venons de
décrire rapidement est un des nombreux sites qui proposent des services de
coaching très à la mode de nos jours, en particulier dans le monde de
l’entreprise. L’un d’entre eux nous interpelle. Son nom nous intrigue. Il se
nomme « Ennéagramme ».
Pourrait-il nous apporter des éléments intéressants dans l’étude que nous
menons sur le culte du bien-être ?
Qu’est-ce
que l’Ennéagramme ?
Présenté comme un outil relevant de la psychologie
humaniste, l’Ennéagramme est très en vogue dans le marché du « développement personnel », en milieu
professionnel, éducatif, parascolaire ou religieux. Il est en particulier
développé dans le monde de l’entreprise et fait partie d’un des outils
incontournables dans le coaching. Il est aussi diffusé au sein de nombreuses communautés religieuses et paroisses
chrétiennes, notamment aux États-Unis[4].
Est-ce une mode comme une autre, éphémère et légère, et donc sans
véritable importance ? Lorsque le vent soufflera dans une autre direction,
il disparaîtra et ne sera plus qu’un vague souvenir d’une société insouciante. Mais,
contrairement à ce que nous pourrions croire, ce phénomène n’est ni récent ni momentané. Il mérite en effet toute
notre attention…
Une mode sans danger ?
Des faits montrent qu’il est
fort prisé par des chrétiens, notamment par les communautés religieuses. En
2011, le centre spirituel Living Water de Winslow, situé aux États-Unis
et dirigé par les Sœurs de Saint-Joseph, a donné une retraite sur la sobriété
centrée sur l’Ennéagramme[6].
En novembre 2013, le diocèse de Saint-Étienne et le journal la
Vie organisent les « rencontres
chrétiennes de l’Ennéagramme » en collaboration avec le centre
européen de l’Ennéagramme (CEE). Selon l’UNADFI[7],
il est aussi très en vogue dans la formation des enseignants des écoles
catholiques[8].
Pourtant, dès 2003, un document consacré au New
Age nous met en garde contre l’Ennéagramme puisqu’il est utilisé comme « instrument de croissance spirituelle »
et qu’il « introduit une ambiguïté
dans la doctrine et la pratique de la foi chrétienne. ». La Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILIDES)
catégorise cette méthode comme relevant de pratiques sectaires. À deux
reprises, l’UNADFI nous incite à la prudence avec cet outil, en 2011 puis en
2016. L’Ennéagramme est en effet présenté comme « une technique de manipulation mentale ayant fait de nombreuses
victimes. »[9]
Nombreux sont les articles et les ouvrages[10]
qui révèlent aussi ses dangers. Ainsi, l’Ennéagramme paraît dangereux et fortement déconseillé, y
compris pour les chrétiens. Comment se fait-il alors qu’il obtient tant de
succès en dépit de ses alertes répétées ?
D’où vient
l’Ennéagramme ?
Qu’enseigne
l’Ennéagramme ?
L’Ennéagramme s’appuie sur une structure particulière de l’homme[13].
Celui-ci aurait trois formes
d’intelligence ou centres, ayant chacune un mode de fonctionnement et des
finalités différentes :
- une intelligence instinctive, propre à l’action, qui assure notre survie physique et
psychologique ;
- une intelligence émotionnelle, qui s’intéresse à nos désirs et à nos sentiments ;
- une intelligence mentale, lieu de raisonnement, qui analyse et synthétise.
Le terme de « centre » désigne un principe d’action ou parfois une fonction de différentes natures. Nous y voyons plutôt des sources de motivations. Notons la confusion entre « intelligence » et « motivation », c’est-à-dire entre la pensée et la volonté. Ces trois « centres » sont relativement autonomes. L’homme agirait selon un des centres dominant.
Chaque centre peut être utilisé de trois manières différentes. Il donne lieu à trois profils ou ennéatypes. La théorie parle alors de direction intérieure, extérieure et médiane. Par exemple, le centre instinctif agit selon la direction extérieure pour dominer le monde qui l’entoure, selon la direction intérieure, pour se maîtriser, et selon la direction médiane, pour trouver un équilibre entre ces deux positions. C’est ainsi que pour chaque centre, nous avons trois profils. Par conséquent, le modèle est formé au total de neuf ennéatypes.
Ainsi, nous utilisons de manière constante un des centres
préférés selon une direction particulière, ce qui entraîne un déséquilibre,
appelée « ego », ou fausse
personnalité. Lorsqu’un « type »
est dans son « ego », il
agit selon une passion. Chaque ennéatype
est ainsi porteur d’un vice. L’égo se
construit à partir d’un automatisme d’évitement, appelé « compulsion ». Selon l’Ennéagramme,
la compulsion est à l’origine d’une inclination
psychologique fondamentalement invariable, présentée comme « force négative » et « propension maligne ». Elle est
acquise dès notre enfance. L’Ennéagramme cherche alors à la révéler puis à l’atténuer
par un exercice sur soi-même et par le biais d’un travail d’équipe.
La méthode a finalement pour
but de retrouver « l’essence »,
c’est-à-dire la vraie personnalité,
qui consiste à « utiliser de manière
équilibrée les trois centres » et à « exprimer notre énergie personnelle sous sa forme la plus vraie et la
plus noble ». Face aux neufs défauts, se trouvent les neuf qualités.
Est appelée « vertu », l’émotion principale vécue par un « type » lorsqu’il est dans son
« essence ».
Finalement, par notre
expérience, notre personnalité se construit selon un « centre préféré » mais aussi selon
un ou des « centres réprimés ».
C’est ainsi que nous agissions selon une
hiérarchie de « centres ».
Cette hiérarchisation est alors cause de « désintégration de notre personnalité » ou d’« intégration ».
L’Ennéagramme détermine
alors notre « vertu » la
plus adapté selon notre « type ».
Tout est ainsi déterminé selon le
mécanisme que présente le modèle. Si votre vice relève du « Revancharde-et-avide-de-pouvoir »,
vous devez rechercher la vertu correspondante qui est « l’aide » afin d’équilibrer
l’orientation de votre type.
L’initié à l’Ennéagramme
peut aussi nous catégoriser selon des
stéréotypes par des maximes qui décrivent les neuf ennéatypes.
L’Ennéagramme selon des
penseurs chrétiens
Les penseurs chrétiens
assimilent la compulsion à une « espèce
de péché originel qui s’oppose à
notre authenticité de notre personnalité ». Ils considèrent que sa
connaissance associée à la vérité de l’Évangile permettrait de freiner cette
« tendance », voire de s’y
opposer. La compulsion est comparée à une faille d’origine qui a provoqué
« la scission entre le moi et
le monde ».
Pour
dépasser la compulsion, les penseurs chrétiens développent trois sources d’aide : soi-même, les autres et Dieu afin
d’aboutir à une triple conversion, intellectuelle, affective et instinctive,
correspondant aux trois centres. Il s’agit d’abord d’un travail sur soi avec
l’aide d’autrui. Si nous apportons à un type, il faut progresser en agissant au
sens contraire de la flèche de l’Ennéagramme. Reste la troisième source :
Dieu. « Ce n’est qu’en se remettant
totalement à lui [Dieu] qu’on peut réactiver les énergies profondes de notre
être. » Dieu ne serait-il qu’un
moyen pour augmenter notre potentiel ?
Les neuf ennéatypes
deviennent aussi les neuf qualités humaines assumées par Notre Seigneur
Jésus-Christ. Des neuf qualités de Notre Seigneur Jésus-Christ puis des pièges
attenants à ces qualités, par synthèse, le procédé identifie les vraies valeurs
évangéliques selon la méthode dialectique bien connue...
En fait, le christianisme comme la Sainte Écriture
sont réinterprétés selon l’Ennéagramme.
Est-ce vraiment
dangereux ?
Mais l’Ennéagramme n’est pas seulement un outil. Il est aussi une
technique psychologique aux mains d’un thérapeute qui prétend maîtriser l’art des arts, celui de conduire
les âmes dans les vraies voies surnaturelles ! Il est le nouveau
prêtre ! Mais la grâce est difficilement compatible avec une technique
surtout quand la conversion à Dieu apparaît plutôt comme un stratagème pour développer notre potentiel psychique.
« À la lecture du livre, le théologien s’offusque à bon droit de la façon
dont les concepts de Providence divine, d’abandon à Dieu, de conversion, de
rédemption, de la gratuité de la grâce semblent compris presque comme s’il
s’agissait d’amateurs qui s’exprimaient. »[15]
Les termes employés dans l’ouvrage manquent de définitions précises et claires.
La notion de vertu est par exemple très mal comprise. Tout ce qui relève de l’enseignement du christianisme, y compris Notre
Seigneur Jésus-Christ, semble en fait être sollicités au service de
l’Ennéagramme. C’est bien lui qui dirige la réflexion. « Le philosophe de métier constatera donc
rapidement la pauvreté du discours intellectuel et détectera les nombreux
apports secondaires, de deuxième main, nécessaires à la cohérence très faible
du tout »[16].
Mais l’Ennéagramme ne
s’applique pas uniquement sur soi-même. Il
s’exporte dans la connaissance et la relation avec autrui. « Après avoir exploré son type, il est bon
d’explorer les autres types de son entourage familial, amical,
professionnel ; au bout d’un certain temps, il est bien rare que l’on ne
soit pas en présence de plusieurs exemples, je n’ose dire d’un échantillon
représentatif de chaque type. »[18]
Devons-nous aussi cataloguer nos proches selon
le prisme ennéagrammique ?
Une perte de sens
Selon l’Ennéagramme, notre
vie morale se règle finalement sur un
modèle déterministe, c’est-à-dire des mécanismes psychologiques dont nous
n’avons pas conscience. La notion de
faute et donc celle de pardon n’ont plus guère de sens. « L’Ennéagramme redéfinit le péché, entre
autres concepts fondamentaux, en associant simplement les défauts avec des
types de personnalité, ce qui est particulièrement tentant dans un climat
d’irresponsabilité et de narcissisme. Il encourage une auto-absorption malsaine
sur son propre type, de sorte que le type est en faute plutôt que la personne.
Cela donne lieu à un état d’esprit déterministe à l’encontre de la liberté
chrétienne. »[19]
Que devient l’examen de conscience ?
Défini comme « un instrument de croissance spirituelle, un
outil de connaissance de soi, d’humilité et d’acceptation de soi. »[21],
l’Ennéagramme remet profondément en
cause la raison même de l’Église. Le psychologue a remplacé le prêtre… Nous
pouvons alors comprendre les alarmes des évêques américains et de Vatican.
Enfin, pour rendre
l’Ennéagramme plus attrayant pour les chrétiens, des penseurs plus modernes y mêlent
l’enseignement des plus grands philosophes, théologiens et spirituels, ou plutôt
des interprétations tendancieuses.
Pythagore, Aristote, Saint Ignace de Loyola ou encore Saint Thomas d’Aquin sont
ainsi appelés pour appuyer leurs doctrines. « Le lecteur non averti pourrait croire que toutes ces affirmations, au
sujet des vertus en général ou de telle vertu en particulier, reflètent
vraiment la pensée d’Aristote et de Saint Thomas. »[22]
Un chrétien bien formé est capable de discerner les interprétations fausses de
ces maîtres de la philosophie morale et de ces connaisseurs d’hommes.
Conclusions
En outre, pour les adeptes
chrétiens de l’Ennéagramme, la doctrine qui explique et fonde le modèle, les connaissances
et les techniques ne sont pas examinés à la lumière de Dieu et de l’Église mais
c’est l’enseignement de l’Église et la
parole de Dieu qui sont interprétés à la lumière de cette doctrine.
Enfin, l’Ennéagramme comme
tant d’autres techniques prétendent s’appuyer sur la science ou sur une
expérience scientifique quand finalement, ils ne sont l’œuvre que d’hommes perdus dans un univers ésotérique, voire occulte,
influencé par la théosophie du XIXe siècle. Comment un esprit perdu dans
l’illusion et l’erreur peut-il guider les âmes vers la lumière ?
Comme le déclare le Père
Weinandy, « les gens utilisent l’Ennéagramme
parce qu’ils n’ont pas trouvé la spiritualité catholique à leur goût. Ils ont
perdu leur chemin. Plus les laïcs et les religieux sont éduqués à la piété catholique
authentique, moins ils s’intéressent à autre chose. » Quel échec pour
ceux qui depuis plus de soixante ans prêchent le renouveau de l’Église ?
Les églises se vident, des chrétiens se perdent en raison de leur ignorance.
Folie, ce chemin qui a été pris. Les résultats sont amers… Quelles douleurs
pour Notre Dame qui voit autant d’âmes quitter le navire pour de funestes
pensées !
Notes et références
[1] Site Revivance,
revivance-coachin.fr,
accès le 15 décembre 2020.
[2] Alfred Sauvy
(1898-1990), sociologue et économiste, cité par le site.
[3] Institut français de
l’ennéagramme, Qu’est-ce l’ennéagramme ?, siteenneagramme.com.
[4] Voir l’ouvrage
intitulé L’Ennéagramme, un itinéraire de la vie intérieure de la
dominicaine Maria Beesing, du frère Robert Nogoseck de la Congrégation de la
Sainte Croix et du jésuite Patrick O’Leary décrit ce qu’il est.
[5] Voir le site iedh.fr.
[6] Voir Ana Abbott, A
Dangerous Patrice, décembre 2011, catholicculture.org.
[7] Union
nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de
sectes.
[8] Alerte sur les formations à
l’ennéagramme, 12 juillet 2016, unadfi.org.
[9] Alerte sur les formations à
l’Ennéagramme, 12 juillet 2016, unadfi.org.
[10] Voir Zoom
Bach caméra : la face cachée de l’Ennéagramme, éditions Books
e-book, 2015, collection Une chandelle dans les ténèbres. Voir aussi les
articles dans sosdiscernement.org par les principaux opposants de
l’Ennéagramme dans le monde catholique. Une partie de nos sources viennent aussi
de ces articles.
[11] Voir Émeraude,
janvier 2021, article « Le New Age (3) : l'institut Esalen et le
développement du potentiel humain pour une nouvelle espèce ».
[12] Voir Le
mouvement du potentiel humain, George Lapassade, revue L’homme
et la société, année 1973, persee.fr.
[13] Notre description est
directement tirée de l’Institut français de l’Ennéagramme, siteenneagramme.com.
[14] L’Ennéagramme, un itinéraire de
la vie intérieure, Maria Beesing, Robert Nogosek et Patrick O’Leary,
trad. de l’anglais par J-P Bagot, Desclée de Brouwer, 1992, dans Ennéagramme
et christianisme, éléments pour un discernement chrétien, Edouard Divry,
o.p., sosdiscernement.org.
[15] Ennéagramme et christianisme,
éléments pour un discernement chrétien, Edouard Divry, 1ère
partie.
[16] Ennéagramme et christianisme,
éléments pour un discernement chrétien, Edouard Divry, 1ère
partie.
[17] Voir Émeraude,
mars 2013, article « Le pélagianisme : sa doctrine ».
[18] Pascal Ide, Les
neuf portes de l’âme, Fayard, 1999 dans Ennéagramme et christianisme,
éléments pour un discernement chrétien, Edouard Divry, 1ère
partie.
[19] Ana Abbott, A
Dangerous Patrice, décembre 2011, catholicculture.org.
[20] Voir Dis-moi
qui je suis, ô ennéagramme, Père jésuite Mitchell Pacwa, professeur
d’écriture sainte et d’hébreu à l’Université Loyola de Chicago,
sosdiscernement.org, 19 novembre 2017. Après avoir été un adepte de
l’ennéagramme, Père Pacwa est devenu un de ses grands opposants aux États-Unis.
[21] Sœur Suzanne
Zuercher, qui enseigne l’Ennéagramme du point de vue spirituelle à l’Université
de Loyola et à l’académie scolastique aux États-Unis A Dangerous Patrice, Ana
Abbott.
[22] Edouard Divry, o.p., Ennéagramme
et christianisme, élément pour un discernement chrétien, 2ème
partie, critiques portés sur Devenir soi-même avec l’Ennéagramme,
Norbert Mallet, Salvator, 2013.
[23]Bertrand Chaudet,
collectif CCMM des victimes et familles de victimes du psycho-spirituel, Ennéagramme
simple outil de connaissance de soi ?, Regard sur, la revue du CMM.
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