Les
raisons de la notoriété du bouddhisme
La
notoriété du « bouddhisme »[2]
s’explique de manière générale par l’image
positive qu’il dégage dans les
médias et l’opinion. Il apparaît en effet sympathique, pacifique et tolérant, fermé
à tout dogmatisme comme le catholicisme. Il serait aussi plus propre à répondre à nos
besoins « existentiels »
en raison d’une connaissance de l’homme intérieur plus développé. « Ils ont beaucoup à nous apprendre »[3], conclut
Lenoir. Selon son étude, fondée sur le résultat d’un questionnaire auprès des
pratiquants du bouddhisme « tibétain
et zen », les trois principales raisons d’attraction sont les valeurs
comme la compassion, la liberté, le respect de vie, la non-violence ou encore
la tolérance (28%), les bénéfices de la pratique sur le corps, les
émotions, l’aide psychologique, la sérénité (20%) et la rationalité, le
pragmatisme (18%). Viennent ensuite la philosophie et la doctrine (14%),
l’ancienneté de sa spiritualité (13%), et enfin l’exotisme (5%).
Soulignons
l’image du Dalaï-lama dans notre société.
Il est considéré comme l’apôtre de la tolérance, de l’altruisme et du
pacifisme. Sa réputation s’est accrue depuis son prix Nobel de la paix en 1989.
Dans l’opinion, il est devenu l’exemple du « bouddhisme » voire son porte-parole. Or, non seulement le
bouddhisme tibétain[4]
est un cas très particulier des différents bouddhismes asiatiques en raison de
son isolement et de l’influence du chamanisme, mais celui que professe et
défend le Dalaï-lama est une de ses écoles non représentatives. En se
focalisant sur lui, les médias lui ont donné une importance qu’il ne détient
pas au sein des bouddhismes. Il n’est
guère représentatif du bouddhisme asiatique…
Enfin,
Lenoir explique l’essor de « bouddhisme »
par son aptitude à répondre aux besoins
des Occidentaux et de la civilisation moderne en raison de sa rationalité. Il est vrai que lorsque nous abordons
l’enseignement des bouddhismes, nous sommes impressionnés par sa codification
et sa logique. En outre, il prend en compte l’individu dans sa totalité,
connaissant et maîtrisant notre vie
intérieure, notre être, notre moi. « La méditation bouddhiste est une véritable alchimie des émotions…
assurément l’une des plus grandes lacunes de la civilisation occidentale, qui
tend à nier le corps et les émotions. »
Une
incompréhension profonde du « bouddhisme »
Certes, selon Lenoir et bien
d’autres spécialistes, l’autre école dite Grande Véhicule souligne le « message d’amour et de compassion » qui
se trouve dans le bouddhisme, message qu’elle enseignerait et qu’elle pratiquerait.
Mais sa finalité reste identique. Faut-il alors être cohérent et suivre cette
forme du bouddhisme dans sa totalité, ce qui implique aussi l’obéissance à des
pratiques rituelles, à une discipline particulière et à une soumission à
l’égard d’un maître. Faut-il aussi définir quels bouddhas ou « boddhisattva » à vénérer ou adorer
parmi tous ceux qui habitent dans le panthéon bouddhiste. Faut-il enfin adhérer
à un ensemble des croyances, notamment au cycle de renaissance et à la capacité
de s’y libérer. En clair, il n’y a pas de bouddhisme sans adhésion à une vision
religieuse du monde, à un ensemble de « vérités », à des obligations religieuses et morales, vision
qui existe aussi dans l’école du Petit Véhicule, mais demeure plus discrète. Il n’y a pas de bouddhisme sans adhésion à
sa métaphysique.
Le bouddhisme, une thérapie ?
Le
« bouddhisme » serait alors
une réponse adaptée au mal-être moderne, à « ce que Freud appelait “malaise dans la
civilisation”, explique Fabrice Midal, philosophe et bouddhiste. C’est
aussi l’avis de Lenoir. « C’est tout
l’apport du bouddhisme que de mettre au cœur de son enseignement, avant même
une promesse de salut, une écoute de la souffrance et de l’angoisse. Par cette
écoute, ouverte et sans jugement, il propose de transformer notre existence et
de nous libérer de la confusion qui l’entrave. »[6]
Nous pouvons encore citer le psychologue bouddhiste, Éric Fromm, auteur notamment
du livre « Avoir ou Être ». Retenons encore l’insistance sur le terme
d’« illusion » que le
« bouddhisme » serait censé
combattre en nous.
Le terme de « souffrance » est une traduction jugée incorrecte du mot »
dukkha » que nous trouvons dans
les textes sanskrits des « quatre
nobles vérités ». Comme le montre clairement les traducteurs et les vrais
bouddhistes, le Bouddha historique ne traite pas de la souffrance ou de l’angoisse
en employant ce mot. Ce terme est en fait bien difficile à traduire en
français. Certains spécialistes le traduisent plutôt par « insatisfaction » ou par « mal existentiel ». Notons que,
contrairement à notre culture, les mots qu’emploient les écoles bouddhiques
détiennent plusieurs sens, imprécis et
indéfinis.
Il est alors tentant pour
les psychiatres et psychologues de voir dans le « bouddhisme » une confirmation de leurs méthodes et de leurs
doctrines. « Le bouddhisme professe
que nous possédons toutes les réponses, pour peu que nous sachions les
chercher, à l’intérieur de nous. »[7]
Il ne s’agit que de s’écouter et se transformer puisque la guérison se trouve
en nous. De même, certains défendent le bouddhisme en s’appuyant sur la
psychiatrie et la psychologie qui confirmeraient son efficacité. Or, ce « bouddhisme » est bien éloigné de ce qu’enseignent les
différentes formes du bouddhisme.
La finalité profonde du
bouddhisme
Selon certains
commentateurs, l’illusion réside dans la présence du moi ou dans son
absence qui génère alors la soif bien réelle. Or, le moi n’existe pas selon l’enseignement des bouddhismes. Par
conséquent, toute pensée personnelle, tout attachement au moi, toute
vision où subsiste un « je »
sont considérés comme mauvais et donc à éliminer. C’est tout le contraire de la psychanalyse qui tente
de structurer le moi, distinguant les « narcissismes » mauvais et sain.
Une contradiction du
bouddhisme
Finalement, les partisans
des pratiques bouddhistes finissent par se
nourrir de cette force et s’y contenter. « Au lieu d'amener à la libération annoncée, le "n'ayez pas de
Moi" supposé bouddhiste amène le méditant à se contenter de force, sous
prétexte de spiritualité, d'un Moi fermé, fragile ou fragmentaire. »[9]
Est-ce vraiment une transformation comme la décrit des
psychanalystes ? Tout ce qui nous lie à l’existence ou à la non-existence
doit être coupé, nous enseigne le bouddhisme. La solution est radicale. Mais en
niant le moi, le guérit-on du mal-être ? Nous sommes bien loin d’une méthode
avec laquelle nous pouvons combattre efficacement les souffrances que causent
nos illusions. Nous sommes encore aux
antipodes du développement ou de l’épanouissement personnel. C’est tout le
contraire !
Ignorance et
insouciance : confondre les moyens avec la finalité
Un bouddhiste récemment
converti affirme aussi que la méditation
bouddhiste le réconcilie avec le monde. C’est justement le contraire que
veut le Bouddha ! C’est par les liens avec le monde que, selon sa pensée,
nous sommes forcés à renaître ! Son aveu traduit une profonde méconnaissance de son enseignement qui apparaît pourtant
clairement dans les textes sacrés. C’est « l’idéologie la plus opposée qui soit au bouddhisme. »[11]
En fait, le bouddhisme ne relève pas de
la thérapie mais de la métaphysique. De là naît la terrible confusion…
Ses « bouddhistes » confondent donc les
méthodes avec la fin à atteindre. Alors que nos contemporains recherchent dans
les pratiques bouddhistes à affermir leur être intérieur, ces mêmes pratiques ont
pour but d’éteindre en eux la « soif
de vie », ou de mort. Cette confusion qui aboutit à une profonde
contradiction est en fait symptomatique
de leur mal : ils ne s’intéressent
guère à la finalité des moyens qu’ils utilisent ; ils ne font que
consommer ce qui leur est proposé pour éprouver des sensations et des émotions.
Ils détournent une pratique pour satisfaire leurs besoins sensibles, les
dévoyant ainsi à leur finalité première.
La confusion est aussi
ailleurs. Lorsqu’ils parlent de méditation,
les partisans des pratiques bouddhistes songent en fait à la relaxation, ce qui n’est la même chose.
« On se sent tellement mieux que ça devient
une évidence. »[12]
La méditation est intérieure, spirituelle, immatérielle quand la relaxation
relève du sensible et du corporel. Certes, la méditation peut produit des
effets sur le sensible mais ce n’est pas sa finalité.
De telles déclarations nous
font sourire lorsque nous revenons encore au Bouddha qui fonde sa pratique sur
la vie monastique, c’est-à-dire sur une discipline de vie coupée du monde, une
discipline difficile et longue, l’œuvre de toute une vie dédiée à cela. Or quelques
minutes suffisent pour une comédienne ! De même, une application installée
sur un Smartphone vous permet aussi de méditer en quelques minutes dans le
métro parisien… La « méditation »
n’est en fait pour eux qu’un exercice de relaxation qui touche le corps,
l’apaise et le repose. Cela relève
toujours du bien-être, de l’émotion et du sensible. Elle ne touche pas leur esprit.
Un bouddhisme « sans
dogme ni rite »
Le bouddhiste apparaît
comme une sorte de sage impeccable, généreux, tolérant, végétarien, écologiste,
apolitique, bref un « modèle de
vertu »[13],
voire un stoïcien soixante-huitard. « Sérénité,
équilibre émotionnel et psychologique, paix intérieure sont des vertus
généralement mises en avant au détriment des aspects cultuels, ritualistes et
institutionnels qui sont minimisés, présentés comme de simples concrétions
culturelles, voire évacués ou déniés. »[14]
L’autre image qui s’affirme aussi est celui du bouddhiste altruiste, qui ne
pense qu’aux autres, qui laisse en lui la place aux autres. Nous retrouvons
ainsi, de manière encore très simpliste, l’image classique des deux bouddhismes
principaux, les écoles du Petit et du Grand Véhicule.
Le bouddhisme apparaît en
même temps comme un « outil à rendre
heureux », ce qui révèle plutôt une « représentation à la fois simpliste et naïve »[15].
Il n’est qu’un instrument pour contribuer au culte du bien-être et ainsi vivre
dans la joie et le bonheur. Comme l’explique un réel connaisseur du bouddhisme,
nos contemporains projettent sur le
bouddhisme ce qu’ils espèrent, ce qu’ils recherchent, et très souvent en opposition à ce qu’ils pensent des
religions ou plutôt à l’image de la religion que véhiculent les médias et
l’opinion, c’est-à-dire le christianisme.
Le bouddhisme, marque de
l’antichristianisme
Une
telle attitude n’est pas sans contradiction ni hypocrisie évidentes. « J’observe que nombre de personnes qui
critiquent la hiérarchie pesante et la liturgie de l’Église catholique sont
souvent les premières à être en prosternation devant un lama, comme jamais
elles ne l’auraient été devant un curé. »[17]
Cette attitude contradictoire est en fait le
signe d’un véritable désarroi spirituel, marqué par un fort dissentiment à
l’égard du christianisme.
Cette attitude n’est guère
récente. Au début du XXe siècle, des partisans d’anticléricalisme et de
laïcité, notamment Clémenceau, voulaient enseigner le bouddhisme à l’école afin
de diffuser une philosophie détachée de
toute religion. Jules Ferry fait aussi son éloge pour remettre en cause la morale chrétienne. « Cette religion [le bouddhisme] encore
si vivace, affirme-t-il, a une
morale, des principes, un idéal véritablement pour le moins aussi pur, aussi
exquis que l’idéal chrétien le plus exigeant et le plus raffiné. […] Dans la
morale bouddhiste, on étend la charité jusqu’aux animaux et aux plantes. Cela
prouve qu’une morale fondée sur la pratique la plus exigeante, la morale du
dévouement par excellence, peut exister avec des dogmes qui ne ressemblent en
rien aux dogmes chrétiens. Dans le bouddhisme il n’y a ni de peines ni de
récompenses. »[18]
Notons que si le Bouddha
historique ne parle pas de la religion, du culte et des divinités, cela ne
signifie pas que son enseignement n’est pas religieux. N’oublions pas en effet qu’il
tente d’apporter une réponse efficace au védisme contrairement au brahmanisme. Il
se veut pragmatique. Il cherche donc des moyens et non une métaphysique.
Un enseignement bien peu
accessible pour nos contemporains
Et les auteurs d’ouvrages en
faveur du bouddhisme le savent bien. Rares sont en effet les ouvrages profonds
et complets sur le sujet. Plus nombreux sont les livres simplistes et
superficiels. Ils ont tendance à nous raccrocher à ce que nous savons, ce qui
entraîne évidemment de réels malentendus. Des termes qui portent déjà des
conceptions occidentales, voire chrétiennes, désignent alors souvent des
notions et des pratiques bouddhiques. Ces ouvrages sont aussi épurés de tout ce
qui peut paraitre peu compréhensible et acceptables pour un esprit occidental. Ils doivent plaire et attirer le lecteur…
Conclusions
Les différents bouddhismes
sont en effet aux antipodes de leurs attentes. Tous, sans exception, ont pour
finalité de couper tout soif de vie, tout développement personnel, tout attachement
à la moindre trace d’existence. Ils recherchent une sorte de dilution de soi.
Par conséquent, nos contemporains ne peuvent adhérer à une telle finalité,
encore moins à la métaphysique sur lesquels ils s’appuient. Ils font alors ce
qu’ils ne cessent de faire. Ils consomment… Ils prennent ce qu’ils les
intéressent et se nourrit de pratiques sans se soucier de ce qu’elles
signifient, ne craignant guère les contradictions que génèrent leurs choix. Qu’importe !
Leurs illusions leur permettent de vivre encore. Mais l’illusion n’est pas une
solution durable. Leur vie réelle devient
encore plus insensée qu’elle ne l’était auparavant. Leur mal ne peut finalement
que croître en eux. Ils recherchent de l’être ou du sens là où il n’y en a
pas. Ils recherchent une solution à leurs maux en eux-mêmes alors qu’elle réside
d’abord en Dieu…
Notes et références
[1] Frédéric Lenoir, La
rencontre du bouddhisme et de l’Occident, Albin Michel, Spiritualités
vivantes
[2] Nous désignons par
« bouddhisme » l’ensemble
des formes du bouddhisme telles qu’elles sont perçues par les Occidentaux. Nous
utilisons le singulier bien qu’il soit multiple et divers.
[3] Frédéric Lenoir,
entretien dans Frédéric Lenoir : pourquoi le bouddhisme nous attire, 26
juillet 2010, www.psychologie.com.
[4] Voir Émeraude,
[5] Voir Émeraude,
octobre 2020, article
[6] Olivia Benhamou et
Violaine Gelly, Le bouddhisme est-il une thérapie ?, 22 octobre 2019, psychologies.com.
[7] Olivia Benhamou et
Violaine Gelly, Le bouddhisme est-il une thérapie ?
[8] Pierre Janin, Bouddhisme
et psychothérapie. Critiques et réflexions apportées par Pensées sans penseur
de Marx Epstein, 16 février 2009, revue
Gestalt, n° 19, ORIENTS – OCCIDENTS.
[9] Pierre Janin, Bouddhisme
et psychothérapie. Critiques et réflexions apportées par Pensées sans penseur
de Marx Epstein.
[10] Liane Joly dans Le
bouddhisme est-il une thérapie ?, Olivia Benhamou et Violaine
Gelly.
[11] Olivia Benhamou et
Violaine Gelly, Le bouddhisme est-il une thérapie ?, 22 octobre 2019, psychologies.com.
[12] Véronique Jeannot, Trouver le chemin, Michel Lafond
dans Le
bouddhisme est-il une thérapie ?, Olivia Benhamou et Violaine
Gelly.
[13] Philippe Cornu, Le
bouddhisme vu par les médias français : le grand malentendu,
publié le 9 juin 2017 et mis à jour le 19 mars 2019, lu le 20 septembre 2020, larevuedesmedias.ina.fr.Philippe
Cornu, ethnologue est un spécialiste du bouddhisme, lui-même bouddhisme
tibétain.
[14] Éric Rommeluère, Le bouddhisme
n'existe pas dans Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des origines à nos
jours,
Pierre Haaese,
thèse de philosophie, épistémologie, pour le grade de docteur de l’université
de Reims Champagne-Ardenne, 12 décembre 2016.
[15] Philippe Cornu, Le
bouddhisme vu par les médias français : le grand malentendu.
[16] F. Lenoir, Le Bouddhisme en France, dans Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des origines à nos
jours,
Pierre Haaese.
[17] Marion Dapsance,
auteure de Qu’ont-ils fait du bouddhisme, Bayard, dans L’Express,
L’occident a-t-il dévoyé le bouddhisme ?, Jérôme Dupuis, publié le
18 mai 2018, lexpress.fr. Marion Dapsance a mené des enquêtes sur des centres bouddhiques et a dénoncé leurs mensonges.
[18] Jules Ferry, cité par
P. Chevallier, La séparation de l’Église et de
l’École, Paris, Fayard 1981, dans Jean Baubérot, Transferts
culturels et identité nationale dans la laïcité française, Presses
universitaires de France, n°218/2, 2007, www.cairn.info.
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