Quand
nous songeons à la scène du monde, qui s’agite à la moindre émotion, ne
craignant ni le ridicule ni la contradiction, nous sommes tentés d’en rire avant
que la tristesse ne finit par s’imposer. Nos contemporains savent-ils vraiment
où ils vont, parfois avec frénésie ? Ils sont comme embarqués dans un
navire où la barre vire au moindre coup de vent. Plus sa proue fonce dans la
mer, plus il semble s’élancer vers de sombres nuages. Au loin, à l’horizon, une
tempête s’annonce en effet terrifiante. Sur le navire, qui pressent la menace ?
Pourtant, les vagues sont peu à peu plus hautes et plus agitées. Le vent ne
cesse de souffler de plus en plus fort. Qui s’en soucie sur ce bateau s’enfonçant
dans la pénombre ?
Des
passagers se distraient dans les différents salons du navire, dansant et buvant, faisant parfois
naître des unions aussi éphémères que les battements d’un papillon de nuit,
quand d’autres profitent du luxe et du confort pour s’oublier et s’endormir
dans la quiétude. Confiant en son équipage et en son bateau, et fort de ses
compétences, le capitaine du bateau ne s’inquiète guère. D’autres
préoccupations lui paraissent plus urgentes. Quelques passagers, forts remuants
et à la voix forte, se plaignent de la qualité des repas, de la pauvreté des
divertissements qui leur sont offerts ou encore de la conduite irrespectueuse
des membres de l’équipage à leur égard. D’autres refusent de suivre les règles
de sécurité en dépit des nombreux avertissements sous prétexte de leur dignité
et de leur liberté. Dans la soute, des mécaniciens commencent à se plaindre de
leurs conditions de travail et souhaitent profiter des jouissances qu’offre le
bateau et qui leur sont interdits. Pourtant, tout cela risque de connaître une
fin tragique. La violente tempête s’approche furieusement du navire insouciant…
Seuls ceux qui sont en-dehors de ce bateau peuvent deviner ce qu’il arrivera.
Une incohérence caractéristique de la société contemporaine
Dans
une rue de Paris, nous laissons passer un groupe de jeunes étudiants, assez
excités. Ils portent des drapeaux sur lesquels nous pouvons deviner des
inscriptions en faveur de la planète. Ils portent aussi de superbes Smartphones,
les derniers modèles. Certains d’entre eux vont certainement diffuser, sur un
des réseaux sociaux à la mode, les photos et les films qu’ils viennent de
prendre. Bien vêtus et bien portants, ils sont fiers de défendre une bonne
cause. Ils défendent leur avenir. Accrochés à leur portable, ils se
réjouissent d’en faire profiter à tous ceux qui partagent leurs idées…
La scène que nous venons de décrire est sans-doute caractéristique de notre société qui veut tranquilliser sa conscience. Car au-delà de l’émotivité artificielle, qui souvent provoque de tel mouvement de protestation, les manières de vivre ne changent pas…
Ces
jeunes étudiants comme tous ceux qui épousent leur cause, veulent-ils en effet abandonner
leurs vacances au bord de la mer, leur voyage dans les pays étrangers et toutes
les distractions que la société leur promet ?... Veulent-ils aussi arrêter
de naviguer sur Internet à la recherche des dernières nouvelles ou des
occasions exceptionnelles, de regarder les séries de film aux saisons
interminables, ou encore de se partager leurs émotions ?... Veulent-ils également
ne plus manger quand ils veulent et ce qu’ils veulent, au moindre coût ?...
Veulent-ils arrêter de se vêtir différemment tous les jours et selon leurs
humeurs, ou suivre la dernière mode comme ils entendent ?... Sont-ils
prêts à abandonner toutes les machines qui les entourent et qui les soulagent
de bien des peines ? Veulent-ils abandonner leur confort dans lesquels ils
ont grandi ? Confort dans lequel ils se complaisent sans se rendre compte…
Souhaitent-ils enfin prêts à quitter la ville de Paris et vivre en campagne
selon le rythme qu’elle impose pour manger des fruits de la terre, de la terre
qu’ils auront travaillée de leurs mains, dans la crainte des parasites et du
mauvais temps ?...
Dans
cet article, nous ne cherchons pas à étudier ou à remettre en cause la crise
environnementale qui afflige notre planète. Nous sommes conscients de la
situation déplorable dans laquelle elle se trouve. Nous y reviendrons un jour
sur ce drame. Mais le véritable sujet de notre article est ailleurs. Les remèdes
à cette crise paraissent évidents. Ils nécessitent de mettre en œuvre des
mesures radicales qui naturellement vont à l’encontre du bien-être d’une partie
de la population. Celle-ci devra y renoncer. Manifestant dans la rue, les
jeunes étudiants ont certainement réclamé des mesures bien concrètes pour
sauver la planète, mesures qui nécessiteront de réels et profonds sacrifices.
Mais celles-ci soulèvent une question qui est en fait au cœur du problème. Sur
quel fondement moral peuvent-ils les justifier aux yeux de nos
contemporains pour les faire accepter ?
En
effet, si nous observons avec un réel recul la conduite de nos contemporains
depuis plus d’un siècle, au-delà des bonnes intentions et des pensées creuses, rien
en eux ne permet d’apporter une justification solide.
Un remède : le renoncement à notre modèle de vie
L’état
déplorable de notre planète ne peut guère nous étonner. Nos contemporains, ou
du moins une partie, ne cessent de se préoccuper de leur bien-être en
jouissant des biens que notre terre nous donne et cela au moins coût, sans
songer à la limite de ses ressources. Vivant dans un confort encore jamais
atteint par l’homme, confort qu’il finit par revendiquer comme un droit
fondamental, ils espèrent obtenir ce qu’ils veulent. Tout semble leur être
acquis. Leurs inquiétudes ne se limitent finalement qu’à des bagatelles. Or
pour maintenir ce bien-être, voire encore l’améliorer, des hommes épuisent et
violentent notre planète, cherchant les ressources nécessaires à leur faim
insatiable. Tout cela leur parait naturel au point qu’ils ne voient pas
le monde fonctionner sans machine ni transport, sans la profusion des biens qui
nous entourent et des services qui nous sont proposés. Ne croyons pas non plus
que la catastrophe est uniquement environnementale. Elle est terriblement
humaine et sociale. La richesse des uns fait en effet le malheur des
autres. Le bien-être d’une partie de la population repose en effet sur la misère
et l’exploitation de l’autre partie. Il n’y a pas de dépense irraisonnable sans
ressource ni travail aussi insensé. Tout cela a un prix.
Le
salut de notre planète nous oblige à renoncer à la vie déraisonnable que
nous menons aujourd’hui, à notre confort et à notre bien-être pour finalement éprouver
ce qui est la nécessité. Nos contemporains accepteraient-ils un tel
sacrifice en dépit d’une conscience de plus en plus vive de la catastrophe qui
nous menace ? Les politiques ont bien compris que cette solution est
impossible. Ils perdraient leur tête et leurs ambitions. Elle irait en effet à
l’encontre de puissants intérêts et de redoutables égoïsmes. Ils éprouvent
déjà bien des difficultés pour supprimer à leurs électeurs des privilèges surannés.
L’impuissance de la morale contemporaine
Que
font-ils alors faire pour retrouver une vie plus mesurée, plus raisonnable
et responsable ? La manière la plus classique est de faire peur à la
population en montrant les désastres de plus en plus dévastateurs que causent
nos insouciances. Le salut de l’humanité passe nécessairement par des
sacrifices. Mais qu’est-ce que l’humanité ? Un concept, une pensée, un
mot. Ce qui n’existe pas ne peut pas être sauvé. Soyons donc plus clairs. Ce
sont des hommes, des êtres faits de chair et de sang, qui doivent se sacrifier dès
maintenant pour d’autres, plus éloignés, dans un avenir incertain, plus ou
moins improbable. Ils sont bien trop éloignés pour toucher nos contemporains
plus intéressés par l’immédiateté… Songeons
alors aux esclaves des temps modernes. Ils sont bien vivants et réels.
Mais guère visibles, ils n’émeuvent pas longtemps l’opinion si versatile et
facilement apitoyable. Pourtant, les moyens existent pour soulager vraiment
l’autre partie de la population. Des milliards peuvent en effet soudainement
surgir quand nous le voulons bien, c’est-à-dire quand il faut sauver notre
économie et notre modèle de vie. L’argent n’est finalement pas un problème en
soi… La
problématique que nous posons se précise. Si nous refusons aujourd’hui de
soulager ceux qui peinent et souffrent de notre manière de vivre, c’est-à-dire une
grande partie de la population mondiale alors que nous en avons les moyens, comment
pouvons-nous vraiment accepter de sacrifier notre modèle de vie pour sauver des
hommes qui n’existent pas encore ? Prenons
un autre exemple encore plus frappant : l’avortement. Celui-ci est
devenu un droit généralisé que défend avec force une grande partie de nos
contemporains. Or qu’est-ce que l’avortement de manière objective ?
L’interruption d’une vie humaine appelée à naître et à se développer. Pourquoi
est-elle interrompue ? Parce que, généralement, elle n’a pas fait l’objet
d’un désir ou parce qu’en naissant, elles gâcheraient notre bien-être ou
notre confort. S’il est alors possible d’interrompre une vie humaine pour une
telle raison, comment est-il possible de demander aux hommes de sacrifier ce
même bien-être pour des vies qui n’existent pas encore ? Certes, récemment
encore, de bonnes consciences protestaient contre ceux qui tuaient des agneaux,
à peine conçus pour accroître le rendement du lait de leur mère. La vie de
l’homme ne vaut pas plus qu’un agneau ? Alors, que pensez des hommes si
loin de leur cœur ? Un
appel à la science aussi dérisoire Allons
encore plus loin dans le drame que nous vivons. C’est au nom de la science que
certains prophétisent des catastrophes environnementales. Mais la science n’en
est-elle pas la cause ? Nous songeons à cette époque, encore bien proche,
où les bien-pensants ne croyaient qu’en la science. Elle devait donner à
l’homme le bonheur, la fin de tout souci et de toute misère. Elle devait nous
apporter un avenir radieux. Quelle sottise ! Tout devait alors se régler
selon elle. Et voilà le prix de cette folie. Certes, le sinistre XXe siècle
avait déjà montré à plusieurs reprises ce que la science était capable de
faire, mais ces leçons, apprises avec tant de douleurs, n’ont guère servi.
Le XXIe siècle poursuit cette démence. La science enfle encore les esprits et
sans-doute, elle nous livrera encore bien des désastres. Des apprentis-sorciers
continuent encore leur expérience. Des progrès deviennent rapidement des
cauchemars. Pourtant,
certains espèrent encore en la science pour sauver notre planète. Ils mettent
leur espoir dans de nouvelles énergies, dans des technologies capables de
réduire nos dépenses, voire à l’existence de planète habitable assez proche
pour la conquérir et la peupler comme un nouvel Eldorado. Mais la science
a-t-elle encore le droit de dire ce que nous devons faire alors qu’elle
nous a conduits à un tel désastre ? L’histoire
et les actualités nous montrent suffisamment que l’homme ne sait pas
maîtriser la nature et toute sa complexité. Quand il intervient pour résoudre
un problème, il ne fait généralement qu’aggraver la situation. La science ne
cesse pourtant de lui montrer l’étendue de son ignorance et la profondeur de
sa vanité. Mais, il n’écoute guère les leçons qui lui sont données… Évidemment,
la science en elle-même n’a ni conscience ni âme. Le responsable reste l’homme… Un
appel à la conscience encore plus vain Cependant,
voilà qu’un cri vient nous répondre : la solidarité ! Ce mot
est souvent lancé de nos jours pour justifier un renoncement quelconque. Il
fait partie de ces termes devant lequel tous doivent se soumettre. Pourtant, ce
mot est souvent mal employé. Pour
mieux le saisir, revenons à ses origines. Il provient d’un terme latin qui, en
droit romain, signifie « devoir
social » ou encore « obligation
communautaire ». Il nous renvoie donc sur les responsabilités de
l’individu dans un groupe auquel il appartient. Il n’y a donc pas de
solidarité en dehors de ce groupe. Il ne correspond donc nullement à la
générosité ou encore au don de soi. Or la solidarité qui est exigée ne
concerne pas ceux qui devraient naître et qui finissent dans une
poubelle ou encore les esclaves bon marchés si abondants en Afrique ou en
Asie. Ces victimes ne font pas partie de la communauté qui intéresse les
bien-pensants. De quelle communauté s’agit-il alors ? De ceux qui vont
perdre… Nous n’avons guère envie d’appartenir à cette communauté. Nous ne
pouvons donc guère entendre ce cri aux intentions bien peu louables. La
problématique devient pressante. L’appel à la conscience suffirait-elle
à faire entendre la raison ? Mais pourquoi en appeler à la
conscience ? Si la conscience se tait devant les drames actuels, bien
concrets, que sont l’exploitation de la misère, l’avortement ou bien d’autres
crimes encore, comment peut-elle venir au secours de la planète ? Elle
paraît bien impuissante pour que la population renonce au bien-être dans laquelle
la conscience semble aussi se complaire. Le scrupule des uns reste inefficace
pour la réveiller. La raison est encore bien plus impuissante pour remuer
les cœurs et les transformer. Comment
est-il possible d’éveiller cette conscience quand depuis plus de cinquante ans,
elle a été forcée de se taire devant la libéralisation des mœurs ?
Souvenons-nous en effet de cette époque et de ces banderoles. Il est interdit
d’interdire, tel était le fameux slogan. Tout était permis. Et depuis ce temps,
un vent de libéralisation a soufflé sur la société, nous faisant croire
qu’effectivement, tout était permis et que la conscience était
l’autorité suprême. Et les lois politiques et sociales ont suivi ce
mouvement. Désormais, au nom de l’égalité, les dernières barrières morales
s’effondrent dans l’indifférence sidérante de la population. Il serait donc
ironique aujourd’hui de faire appel à la conscience pour sauver notre planète... Conclusions La
problématique est enfin accessible, lumineuse. La morale contemporaine est
centrée sur le bien-être de l’homme. Le bonheur fondamental réside
essentiellement dans la satisfaction de soi dans toutes ses dimensions. Or le
bonheur est ce qui donne une finalité à son action. Il est en quelques sortes
le moteur de son comportement mais aussi l’âme de ses pensées. Le regard du
contemporain est donc purement anthropocentrique, voire purement concentré
sur son égo et ses intérêts. Tout doit en effet tourner autour de lui. Cela
signifie aussi que le bien et le mal ne se distinguent qu’à la seule lumière de
ce bonheur. La conscience, qui n’invente ni ne créé, est alors elle-même
éclairée par cette morale. Elle ne s’éveille et s’écrie que lorsque son
bien-être est atteint. Le reste lui est indifférent. Telle est la morale
développée dans notre société depuis plus d’un siècle. Pourtant,
la crainte de voir ce bien-être menacé devrait pousser l’homme à changer
d’attitude. Certes, éclairé par sa conscience, il s’alarme et cherche des solutions
mais il n’est pas dupe. Il connaît la raison du drame. Il sait que toute
solution efficace remettra en cause nécessairement son bonheur et donc
s’opposera à sa morale. La confrontation est alors aussi inévitable que
fulgurante. La majorité des hommes n’ont pas d’autres choix que de refuser cette
remise en question avec la bénédiction de leur conscience. Elle supportera
finalement l’état déplorable de la planète. Il apaisera ses craintes en
sous-estimant le danger, en y restant indifférents ou en accusant l’État et les
autres… Nos
contemporains peuvent alors manifester dans les rues de Paris pour sauver la
planète sans que leur conscience ne soit véritablement troublée par leur
incohérence. Bien au contraire. Leur comportement est à l’image de la morale
qu’ils ont acquise. Car finalement, ce n’est pas la planète qui est au cœur
de la manifestation mais eux-mêmes. Des slogans montrent clairement qu’ils ont
en effet peur de perdre le bien-être qu’ils jouissent aujourd’hui sans mesure. Leur
regard reste fondamentalement anthropocentrique… « Bienheureux les pauvres d’esprit parce qu’à
eux appartient le royaume des cieux. » (Matthieu, V, 3).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire