Quand nous songeons à la morale chrétienne, il apparaît dans notre imagination une pièce légèrement sombre dans laquelle se dressent devant nous les tables de la Loi, deux pierres massives sur lesquelles sont gravés les dix commandements. Au deuxième plan, sur une table en marbre, nous distinguons plusieurs livres, une série de tomes identiques reliés, impeccables et rigides, se tenant debout côte à côte, puis, à leur droite, en un seul volume, un manuel semblable au code de la route, mais sans image ni illustration. Enfin, derrière cette table, une grille fermée puis, dans la pénombre, s’élève un tribunal en bois, surmonté d’une croix noire au pied de laquelle se trouvent agenouillés deux archanges, de part et d’autre, l’un portant une balance, l’autre un glaive…
Un tel songe nous éloigne des chemins de Palestine, de la route dangereuse qui nous mène de Jérusalem à Jéricho, de la fertile Galilée où une foule nombreuse et silencieuse écoute avec attention des paroles éclatantes et admirables, encore jamais entendues. Sous un ciel d’un bleu clair, au bord d’un chemin de poussières rouges, nous voyons un homme se pencher vers un individu à terre et lui apporter les premiers soins. Plus loin, au milieu d’une foule bruyante, séchant ses larmes, une vieille femme est joyeuse auprès d’un enfant qui se lève d’un long sommeil, ou transportés à l’intérieur d’une maison aisée, nous voyons un homme souriant attablé avec d’autres convives étonnés...
Le dépaysement peut
surprendre, voire scandaliser notre âme. La comparaison peut en effet soulever
de l’indignation tant la première scène semble démentir les suivantes. Dénigrant
la pièce sombre et les ouvrages volumineux, rejetant le tribunal droit et
sévère, implacable dans ses sentences, nous préférons courir sur les vastes et
riches plaines de la Galilée. Abandonnant
le jugement impérieux de la Loi,
nous aimons entendre les paroles lumineuses
et rafraîchissantes de l’Évangile. Tel pourrait être notre premier
mouvement. Dans un deuxième mouvement, aussi hâtif, nous pourrions aussi tout
rejeter. Nous ne pouvons guère croire que les scènes que nous venons de décrire
viennent pourtant d’une même histoire, d’une même réalité. Notre Seigneur
Jésus-Christ n’est pas en effet venu pour abolir la Loi mais la sublimer. Il
n’y a point d’oppositions ou de mensonges, et donc point de raisons pour tout
abandonner.
Nombreuses
sont les âmes qui doutent, voire succombent à cette apparente contradiction.
Elle ne peut donc être ignorée. La morale
chrétienne, qu’enseigne l’Église, et
l’Évangile paraissent en effet pour de nombreux contemporains incompatibles. L’édifice austère qui
s’élève devant elles semble être dénué de l’âme qu’ils pressentent dans les
pages de l’Évangile. La morale chrétienne est vue comme un code d’interdits et
de défense, l’Évangile comme un message d’amour et de liberté. Le langage
technique, la rigidité et la rigueur implacable de la morale chrétienne semblent
difficilement conciliables avec l’intériorité, la spontanéité et la joie de l’Évangile.
Une telle vision agit alors comme un choc violent pour de nombreuses
consciences au point d’éloigner bien des
hommes et des femmes de la foi et de la morale chrétienne. Il n’y a pas
seulement de l’incompréhension dans leur rejet, il y a aussi du découragement.
Dans cet article, nous
allons essayer de connaître les raisons de cette incompréhension avant de
montrer la compatibilité entre la morale chrétienne et l’Évangile...
Une vision biaisée de
l’Évangile
La première cause tient très probablement dans une vision tronquée de l’Évangile. Nous préférons en effet retenir les béatitudes du « sermon sur la montagne » que les malédictions que profère également Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous aimons garder en mémoire ses paroles de joie et d’espérance qu’Il adresse à la foule et abandonner les anathèmes qu’Il lance aux scribes et aux pharisiens. Mais pensons-nous vraiment que ces imprécations terribles sont ensevelies dans les ruines du Temple ?
Le Bon Samaritain[1] est un modèle admirable qui fait l’unanimité des hommes de bonne volonté. Nous
voulons le suivre en raison de la charité qu’il montre à l’égard d’un homme
laissé à moitié mort sur le chemin. Nous rejetons sans difficulté l’attitude
déplorable du prêtre et du lévite. De même, nous admirons le publicain qui, au
fond du Temple, conscient de sa misère, élève son âme vers Dieu alors que
devant lui, au premier rang, prostré dans son orgueil, un pharisien est plein
de lui-même. Dans ces deux paraboles, Notre Seigneur Jésus-Christ décrit deux
comportements, l’un louable et à imiter, l’autre condamnable. Ce n’est pas seulement un effet de style
qui met en lumière une belle leçon par le contraste évident des personnages. La
leçon que Notre Seigneur Jésus-Christ nous livre ne se réduit pas non plus à un
message positif, au bon samaritain ou à l’humble publicain. Les deux modèles
qu’Il nous dessine nous intéresse aussi
dans sa totalité. Ils traversent les siècles et nous interpellent encore.
Nombreux sont en effet ceux qui sont proches des blessés de ce monde ou en sont
indifférents, ceux qui sont conscients de leur misère et ceux qui sont emplis
d’eux-mêmes. Et parfois, nous sommes aussi l’un et l’autre …
Les pages de l’Évangile ne
recueillent pas uniquement de belles leçons de morale, agréables à entendre et
lumineuses pour notre conscience. Elles nous présentent aussi des modèles faits
de chair et de sang, également destinés à nous éclairer et à nous instruire.
L’Évangile nous présente en effet des hommes pleins de foi et d’humilité, des
pécheurs conscients de leurs fautes et habitée d’une contrition admirable sans
oublier aussi des individus fermés, égoïstes et lâches. Comme dans notre vie
ici-bas, des vertus et des vices habitent les mêmes personnes dans des
proportions différentes. Saint Pierre et Judas font partie des disciples de
Notre Seigneur Jésus-Christ. L’un ne
fait pas oublier l’autre. Les vertus des uns n’effacent pas les vices des
seconds. Le zèle et le dévouement du chef des apôtres ne font pas disparaître le
reniement de l’apôtre déchu. La
complexité de l’âme humaine, ses tâches claires et sombres, ses richesses comme
ses faiblesses se révèlent ainsi, page après page.
Notre
Seigneur Jésus-Christ loue alors les belles qualités morales qui
se présentent à lui tout en condamnant les
vices dont Il est témoin ou victime. Croyons-nous que de tels portraits ne
servent qu’à habiller une belle histoire et à émouvoir les lecteurs comme dans
les bons films hollywoodiens ? Ce ne sont pas des personnages mais des
hommes qui ont vécu et vivent selon une morale juste ou mauvaise.
Une Loi toujours réalisée, complétée, rendue parfaite
Une autre vision de
l’Évangile pourrait encore nous tromper. Elle est sans-doute la plus
dangereuse. Elle a déjà donné lieu à de nombreuses erreurs dès les premiers
temps. Notre Seigneur Jésus-Christ n’a
pas aboli les commandements que Dieu a transmis à Moïse sur le Mont du
Sinaï. « Ne pensez pas que je sois
venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir mais
les accomplir. »(Matthieu, V, 17) Les commandements,
les obligations et les interdits de la Loi comme les paroles des Prophètes ne
sont pas désuets. Elles demeurent encore valables pour les chrétiens. Mais, ne
pensons pas non plus que les prescriptions des docteurs de la Loi sont encore à
suivre. Il y a bien une distinction à
faire.
Attardons-nous d’abord sur
le sens du mot « accomplir ».
Il traduit le terme grec « plêrôsai »
qui signifie « réaliser,
compléter, parfaire ». Les trois verbes expriment certainement la
mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il
est en effet le Messie que la Sainte Écriture a annoncé, réalisant ainsi
les prophéties. Il a aussi suivi les préceptes et observances qu’elle définit. En
outre, Notre Seigneur Jésus-Christ a
complété la connaissance qu’elle nous livre et la morale qu’elle nous donne.
Les questions que soulèvent les pharisiens ont désormais des réponses. Ce qui
nous a apparu peu compréhensible dans les paroles divines est désormais clair à
la lumière de l’Évangile. Ainsi, Notre Seigneur Jésus-Christ a perfectionné la Loi en profondeur et dans
son étendue. Dieu n’est plus seulement parole. Il est désormais Dieu incarnée, vivant parmi les hommes.
Il ne parle plus au travers des livres sacrés. Il est au milieu des siens,
pleinement humain, pleinement Dieu, sans confusion ni séparation. La perfection
de la vérité réside dans le mystère de son incarnation. La perfection de la morale éclate dans sa Passion.
Dieu fait homme ne fait pas
que parler de morale, dictant ce qu’il faut faire et comment il faut agir,
usant d’effets de style comme un philosophe ou un docteur de la Loi. Il agit selon la morale qu’Il nous demande
de suivre. Sa vie est un exemple à imiter comme le souligne le titre de
chrétien que nous portons. Et son témoignage n’est pas vain. Il a donné sa vie
pour nous, les hommes. Sa mort est le témoignage
suprême de ce qu’est l’essence même de la morale. Les commandements de Dieu
ne sont donc plus gravés dans la pierre mais dans la chair humaine, dans l’âme.
Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ ne se réduit pas à un modèle. Il n’est
pas un héros ou un martyr que nous suivons comme admiratifs du message qu’Il
porte. Il est « le chemin, la vérité
et la vie » (Jean, XIV, 6). Revenons sur cette
parole.
« Le chemin, la vérité et la vie »
Lors de la dernière cène, Notre
Seigneur Jésus-Christ annonce son départ aux apôtres réunis. L’heure de la
Passion arrive. Ses disciples sont alors inquiets. « Que votre cœur ne se trouble point. » (Jean, XIV, 1) Il leur
demande de suivre le chemin pour aller là où Il se rend. Encore bien terrestre et
lent à comprendre, Saint Thomas s’inquiète. « Seigneur, nous ne savons où vous allez ; comment donc en
saurions-nous le chemin ? » (Jean, XIV, 5) Par où faut-il passer
pour vous retrouver ? Et quel est le but de notre marche ? C’est
alors que Notre Seigneur Jésus-Christ résume ce qu’Il est. « Je suis le chemin, la vérité et la
vie ; nul ne vient au Père que par moi. » (Jean, XIV, 6) C’est Lui qui est le chemin, Lui qui est la
vérité, Lui qui est la vie. Il est la lumière qui montre la route, la force
qui permet de marcher et d’atteindre le but. Pour y parvenir, il n’y a pas
d’autres solutions.
La réponse est admirable, saisissante. Elle nous fait aussi trembler comme le dit Bossuet. Notre Seigneur Jésus-Christ est la seule et unique voie pour obtenir la vie éternelle. Or, souvenons-nous aussi de sa réponse au docteur de la Loi qui voulait savoir comment il pouvait gagner le ciel : « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces, et aimer son prochain comme soi-même. » (Luc, X, 27)[1] L’amour nécessaire à la vie éternelle réside donc dans Notre Seigneur Jésus-Christ non seulement comme modèle ou connaissance mais aussi comme source et vie. Hors de Seigneur Jésus-Christ, le ciel ne nous est pas accessible. Nous devons rester unis à Lui pour vivre de son amour.
C’est alors qu’une autre
parole prend tout son sens. « Qui
n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi disperse. »(Matthieu,
XII, 30) Elle avertit du choix qu’il faut faire dans notre existence. Il faut
en effet choisir, et le choix est simple. Si ce n’est pas Lui, nous ne pouvons
pas en effet obtenir la vie éternelle. Et comme dans tout choix, il y a une
décision à prendre. C’est dans ce choix
que s’exerce d’abord notre véritable liberté. Elle réside ensuite dans la persévérance dans ce choix. Mais ne
nous dupons pas. Sans Notre Seigneur Jésus-Christ, il n’y a point de liberté…
La ligne d’arrivée…
Notre Seigneur Jésus-Christ
compare souvent notre destinée à celle d’un animal, d’une plante ou d’une
céréale. Au jour attendu, l’ivraie sera livrée au feu alors que le froment sera
amassé dans le grenier. Saint Jean-Baptiste utilise la même image en annonçant
l’œuvre du Messie. « Sa main tient
le van ; il nettoiera son aire, il amassera son froment dans le grenier,
et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point. » (Matthieu,
IV, 12) Au bout du chemin, il y aura donc un
jugement, qui distinguera les uns et les autres par leur destin, les uns
bienheureux, les autres malheureux. « Comme
on cueille l’ivraie et qu’on la brûle dans le feu, ainsi en sera-t-il à la fin
du monde. » » (Matthieu, XIII, 40) Il y aura donc
un tri inéluctable, un autre choix, comme les pécheurs qui, ramassant des
poissons, choisissent les bons et jettent les mauvais.
Deux sorts bien distincts
séparent ceux qui vivaient et croissaient ensemble dans le même champ ou dans les
mêmes eaux. Un jour, leur vie se sépare, non par accident ou par libre choix de
leur part, mais par celui qui moissonne ou pêche, selon leur valeur. Les uns,
les justes, « resplendiront comme le
soleil dans le royaume de leur Père. » (Matthieu, XIII, 43) Les autres,
les réprouvés, seront jetés « dans
la fournaise ardente », dans un lieu où « il y aura des pleurs et des grincements de
dents » (Matthieu, XIII, 42) Un ange viendra séparer les méchants d’avec les justes.
Le choix, notre choix, est
donc décisif. Un seul chemin mène à la vie éternelle, les autres à l’enfer. Sur
quels critères Dieu jugera ? Notre Seigneur Jésus-Christ nous le dit à
plusieurs reprises : au jour du
jugement, nous devrons rendre compte de nos œuvres, de nos paroles, de notre
vie. Tout dépend de la vie que nous avons menée ici-bas, de la mesure de
notre amour. Et Il ne cesse de nous avertir et de nous demander de nous
souvenir de ses paroles.
La nécessité de la foi
Les paroles de Notre
Seigneur Jésus-Christ sont parfois effroyables à entendre. Au moment même où Il
souffre sur le chemin de la croix, Il nous annonce le châtiment de Jérusalem.
Il prédit aussi la ruine de la ville de Capharnaüm et annonce le sort de ses
habitants. « Et toi, Capharnaüm, qui
t’élèves jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers. » (Matthieu,
XII, 23) La ville de Capharnaüm sera « abaissée »
en raison de son manque de foi ou plutôt de sa mauvaise foi puisqu’elle ne voit
pas les miracles qui s’y sont produits. Avant de les envoyer prêcher et
baptiser, Il avertit aussi les Apôtres de l’importance de leur mission. « Celui qui ne croira pas sera condamné »
(Marc,
XVI, 16) Et de manière positive, Il nous annonce aussi la béatitude à ceux qui
croient sans avoir vu. Sa Passion en est le prix, nous dit Notre Seigneur
Jésus-Christ. Le Fils de l’homme doit être élevé « afin que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle. » (Jean,
III, 15) Ainsi, la foi est donc nécessaire
pour se trouver parmi les justes.
Notre Seigneur Jésus-Christ
ne peut en effet être la voie s’Il n’est pas reconnu comme Il est. Et comment est-il possible de connaître le
Père si on ignore le Fils ? Or « je sais que son commandement est la vie éternelle. »(Jean,
XII, 50) C’est pourquoi Il est la voie qui nous conduit au Père. En outre, de
manière négative, « quiconque fait
le mal, hait la lumière, et il ne vient point à la lumière, de peur que ses
œuvres ne soient découvertes. »(Jean, III, 21) Or Notre Seigneur
Jésus-Christ est vérité. Il est la lumière qui est venu dans le monde. Or celui qui n’est pas dans la lumière est
systématiquement dans l’obscurité…
L’exigence de la charité
Mais la foi sans les œuvres, à quoi bon ? C’est bien dans la vie
concrète et bien réelle que nous manifestons et vivons l’amour de Dieu et de
notre prochain. Si elle ne se traduit pas en des actes correspondants, elle est
une foi morte, sans valeur. Notre Seigneur Jésus-Christ exige en effet une foi
vivante. Si elle reste au niveau de la
connaissance, elle attise plutôt la colère, c’est-à-dire la malédiction.
Comme le bon arbre donne un bon fruit, il faut que nous donnions des œuvres
bonnes.
En outre, des dons nous ont
été donnés pour que nous puissions les utiliser. Le serviteur inutile sera jeté dans les ténèbres extérieures. La
semence doit donner de bons fruits, la graine se lever et devenir un grand
arbre. Celui qui amasse des trésors pour lui-même ne sert pas Dieu. Or « on exigera beaucoup de celui à qui l’on a
beaucoup donné » (Luc, XII, 48)
Pour accéder au Royaume du Père, il faut obéir à ses commandements, c’est-à-dire faire sa volonté, ou dit autrement Lui être fidèle et soumis. Or, « nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; car où il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. »(Jean, XVI, 13) Tel est l’amour de Dieu. L’amour du prochain n’est pas non plus un vain mot. Celui à qui nous ne donnons pas à boire alors qu’il a soif est Notre Seigneur Jésus-Christ. Celui à qui nous donnons à manger alors qu’il a faim est aussi Notre Seigneur Jésus-Christ. « En vérité, en vérité, je vous le dis, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. Et ceux-ci s’en iront à l’éternel supplice, et les justes à la vie éternelle. » (Matthieu, XXV, 45-46).
Cependant, ne soyons pas
dupes comme les pharisiens qui agissent pour plaire aux hommes. « Dieu connaît vos cœurs ; et ce qui est
grand aux yeux des hommes est une abomination devant Dieu. »(Luc,
XVII, 15) Notre Seigneur Jésus-Christ nous en avertit plusieurs fois. C’est
bien Dieu qui nous invite à son banquet. C’est encore Lui qui nous frappe à la
porte. Le fondement de la vie éternelle
réside en Lui et non en nos efforts. Mais, il ne suffit pas d’être invité. Nous
devons aussi être parés de nos plus beaux vêtements intérieurs.
Une morale parachevée
Depuis la venue de Notre
Seigneur Jésus-Christ, les paroles de la Loi et des prophètes ne se réduisent
plus à des actes concrets, sensibles et observables. Elles s’appliquent d’abord
aux pensées, aux intentions, à l’esprit qui les anime, à la vie intérieure. Elles
ne sont plus réservées à un peuple de la terre mais à tous les hommes, sans
exception. Elles sont ainsi plus exigeantes
et de portée universelle. La morale de l’ancienne alliance disparaît au
profit d’une nouvelle, celle de la nouvelle alliance. Mais les fondements
demeurent les mêmes. Les deux
commandements qui résument la Loi restent toujours les deux piliers de la morale.
Notre Seigneur Jésus-Christ
nous a en effet rappelé les fondements de notre vie quotidienne, de nos pensées
et de nos actions. Il a purifié les interprétations de la Loi et les ont élevées,
les dépouillant de tout ce qui relevait de l’homme, des erreurs accumulées par
le temps et des obsolescences. Il a ainsi rectifié
leur compréhension et leur enseignement.
Finalement, Notre Seigneur Jésus-Christ a élevé et
sublimé la morale au point de l’achever au sens où rien ne peut plus la
surpasser. La Loi et les prophètes sont toujours valables dans la lumière
de l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les fondements restent
identiques : l’amour de Dieu, l’amour du prochain et de nous-mêmes. Le
but n’a pas changé : le royaume de Dieu. Les moyens sont désormais
accessibles et sans limite. Le chemin est devenu lumineux…
Mais sans la lumière de la foi, nous ne pouvons guère comprendre les
Tables de la Loi, les manuels de moral et toutes les doctrines de morale que
l’Église nous enseigne. Si nous réduisons la morale à notre propre vision
humaine, nous ne pouvons guère vivre comme Dieu veut que nous vivions. Là
résidait l’erreur de nombreux pharisiens. Là est en fait le choc qui peut nous
ébranler…
« Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous
n’entrerez point dans le royaume des cieux. »(Matthieu, V, 20)
Un enseignement de la morale
chrétienne plus complet
La
morale chrétienne n’a donc pas de sens sans adhérer à la vie même de Notre
Seigneur Jésus-Christ et donc sans sa connaissance. Il
est encore plus difficile de l’entendre sans connaître ses fondements même,
c’est-à-dire la connaissance de Dieu, de
ses œuvres et de l’homme. Il est encore impossible de la suivre sans utiliser les moyens qu’Il nous a
transmis par son Église. Par conséquent, il faut non seulement les
connaître mais en vivre, notamment au moyen des sacrements. Enfin, la morale
chrétienne n’est pas une morale qui se vit individuellement. Elle n’a pas de sens hors de l’Église.
En un mot, la morale chrétienne n’est
pas autonome.
La lecture seule d’un manuel
de morale catholique est donc insuffisante, voire pleine de danger. Elle ne
peut se réduire en des ouvrages aussi volumineux qu’ils puissent être. Certes,
ils sont nécessaires pour porter la connaissance et la diffuser, ou encore pour
mieux tracer le bon chemin et signaler
les mauvaises routes. Mais livrée à
elle-même, elle risque de nous enfermer dans notre propre vision et de ne
point nous élever jusqu’à Dieu. Le code de la route est en effet insuffisant
pour conduire. Faut-il encore savoir conduire et disposer d’une bonne carte ou
d’un bon GPS…
Entendons-nous bien. Comme
la religion, la morale ne s’enseigne pas uniquement dans des livres ou dans des
cours, aussi bons soient-ils. Elle est aussi inculquée par la famille et par tous les moyens dont s’est dotée
l’Église pour nous la communiquer. Pour qu’elle soit gravée dans les âmes,
et donc appréciée et vécue, elle doit imprégner la vie du chrétien du matin au
soir, de sa naissance à sa mort. Mais par simplicité ou forcés par les
circonstances, nous la réduisons parfois à des manuels et à des livres. Pire
encore. Les hommes en quête de morale n’ont parfois que cela pour connaître ce
qu’est la morale chrétienne. Et ces manuels ne sont en fait que des synthèses
de morale[2].
Un enseignement de la morale
chrétienne plus profond
Enfin, nombreux sont les obstacles qui entravent l’enseignement
de la morale. L’athéisme de notre société et l’esprit envahissant du monde le
rendent plus difficile. Les difficultés proviennent aussi de l’évolution des modes
de connaissance. Notre contemporain apprécie plus le visuel, voire le virtuel, et
s’attache plus à l’émotionnel, à l’interactivité. Il abandonné vite un texte s’il
est trop long ou trop sérieux, si sa lecture n’est pas assez distrayante,
émouvante, frémissante. Comment peut-il alors apprécier la morale chrétienne dans
une telle superficialité ? Il serait même dangereux d’adapter l’enseignement
moral à ce modèle d’individu. Ce n’est pas en le laissant dans l’obscurité
qu’il découvrira la lumière ! Cela explique certainement les nombreux
échecs de l’enseignement catholique. Il s’agit plutôt de le retirer avec soin
de cette superficialité pour le mettre dans les meilleures conditions
d’enseignement. En un mot, il faut
l’éloigner de l’esprit du monde pour qu’il soit à même de contempler la lumière.
Un enseignement de la morale chrétienne innovant ?
La société ayant évolué,
l’enseignement de la morale doit aussi évoluer dans sa forme et non dans son
contenu. Les manuels du XIXe siècle ne peuvent plus répondre aux besoins
actuels. Les sermons de Bossuet ne sont plus audibles. Le français ancien n’est
plus lisible. Mais les sermons et les ouvrages de morale sont toujours
pertinents. Il faut certes innover mais
selon l’esprit qui a toujours animé l’Église, selon l’exemple de Notre Seigneur
Jésus-Christ et ses apôtres, et non selon des modes ou des écoles.
L’innovation puise en effet sa substance dans les trésors de l’Église même si ses
moyens sont fournis par la société.
Mais, souvenons-nous des
paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Celui donc qui aura violé un de ces moindres commandements, et
appris aux hommes aux hommes à les violer, sera le moindre dans le royaume des
cieux ; mais celui qui les aura gardés et aura appris à garder, sera grand
dans le royaume des cieux. »(Matthieu, V, 19)
Conclusions
Mais ne nous trompons pas. Si Notre Seigneur Jésus-Christ enseigne ce
que nous devons faire et comment nous devons agir, Il dénonce et condamne aussi
les mauvais comportements. Il indique la voie qu’il faut prendre et barre celle
qu’il ne faut pas suivre. Il nous a montré le chemin et ses exigences, Lui-même
est un exemple à suivre, comme Il nous donne aussi des contre-modèles. Car s’il existe un chemin vers la vie
éternelle, nombreuses sont les routes qui mènent vers l’enfer, là où il y a
des grincements de dent, là où seront jetés les réprouvés. En outre, s’il est
possible pour tous, sans exception, ce
chemin est étroit et difficile. Mais comment choisir le bon chemin et
éviter tous les autres sans code de la route, sans signalisation ni GPS ? Et
plus la mer est agitée et obscurcie par la tempête, plus nous avons besoin de
signaux et de phares pour nous guider vers le port du salut et éviter de nous
échouer sur les récits de la désolation…
Au bout du chemin, un ange
séparera les mauvais des bons. Le non-choix ne sera pas possible. « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et
qui n’amasse pas avec moi disperse. » Si nous ne sommes pas avec Notre
Seigneur Jésus-Christ, nous nous opposons à Lui. Si nous ne travaillons pas à
son œuvre, nous travaillons en vain pour notre vie éternelle. L’enseignement de la morale chrétienne ne
peut pas évacuer le jugement de Dieu. Mais contrairement à la vision sombre
que nous serions tentés d’avoir, la
morale chrétienne est imprégnée d’espérance et de joie. Car la route est
accessible. Nous pouvons en effet la suivre jusqu’au bout si nous demeurons en Notre
Seigneur Jésus-Christ car Il est Lui-même en nous, « la voie, la vérité, la vie ». Et avant le franchissement de la
ligne d’arrivée, tout est encore possible. Car à côté de la justice divine se dresse aussi la miséricorde de Dieu.
La Croix est aussi salut. Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas rejoint
son Père en nous laissant orphelin. Il nous a laissé l’Église assistée continuellement par le Saint Esprit. Nous ne
sommes donc pas seuls, livrés à nous-mêmes…
Notes et références
[1] Voir Émeraude, juin 2020, article « La Morale et l’Évangile (1) : Le Bon Samaritain ».
[2] Voir Émeraude,
avril 2020, article « Une crise à surmonter mais des critiques à
remettre en cause ».
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