Les Évangiles sont des livres
historiques. Nul ne peut en effet contester sérieusement leur caractère
historique. Ils portent un témoignage d’un temps passé et nous éclaire sur
une époque disparue en un lieu bien précis, la Palestine. Ces témoignages sont
même exceptionnels. Les récits ne sont pas ceux d’un savant ou d’un historien.
Ils ne racontent pas non plus les événements politiques ou la vie d’un roi
glorieux. Assis avec la foule au pied de la montagne ou debout auprès de ses
disciples, nous écoutons des paroles étonnantes, des entretiens passionnants, des
discours d’une clarté et d’une profondeur inégalable. Nous cheminons en
Galilée, dans les rues de Jérusalem ou dans le Temple, regardant le peuple qui
s’agite. Nous rencontrons des pécheurs,
des mères, des publicains, une veuve, une femme de mauvaise vie, des pharisiens
et des prêtres, des centurions et bien d’autres encore. Nous découvrons ainsi
un monde vivant au travers d’un récit qui témoigne de la vie concrète de
tout un peuple.
Certes, il serait erroné et
dommageable de réduire les Évangiles à des récits historiques.
Ce sont avant tout des livres inspirés qui porte un enseignement divin
soumis à l’autorité de l’Église. « Dans
quelques dispositions d’esprit que je me sois trouvé, jamais mes doutes, mes
objections n’ont tenu contre un chapitre de l’Évangile. Je ne discute pas, je
ne raisonne pas. L’Esprit de Dieu est là ; je le sens, et si je me trompe,
c’est le fond même de mon jugement qui m’abuse, c’est l’idée de Dieu telle que
je la conçois. »[1]
Or, parmi les acteurs
incontournables de la vie qui se dessine devant nous, nous rencontrons des
scribes ou des docteurs de la Loi. L’Ancien Testament nous a déjà donnés quelques
éléments instructifs sur leur rôle et leur importance dans la vie morale des
Juifs ainsi que sur l’évolution de leurs fonctions et de leur place dans la
société juive[2].
Nous allons donc poursuivre notre étude à la lumière du Nouveau Testament…
Les docteurs de la Loi,
maîtres incontestés de l’enseignement de la Loi
La première rencontre avec
les docteurs de la Loi se déroule dans le Temple après la fête de Pâque, ou
plutôt dans une de ses salles annexes, sur la terrasse ou sur un des portiques,
là où les docteurs de la Loi donnent généralement leurs leçons. Nous les
trouvons autour de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, « assis au milieu des docteurs » (Luc,
II, 46), les écoute et les interroge puis leur répond. Selon la coutume, les
docteurs de la loi sont assis sur des sièges quand les autres sont agenouillés auprès
d’eux comme Saint Paul auprès de Gamaliel. L’enseignement se fait donc par
questions et réponses. L’attitude de Notre Seigneur Jésus-Christ témoigne de
sa soumission et de sa déférence à l’égard des docteurs de la loi.
À sa recherche depuis trois
jours, sa mère, Sainte Marie, le trouve ainsi, et étonnée, elle l’interroge :
« Mon enfant, pourquoi avez-vous agi
ainsi avec nous ? » Écoutons sa réponse : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne
saviez-vous pas qu’il faut que je sois aux choses de mon Père ? »
(Luc, II, 48-49) C’est donc auprès des docteurs de la Loi que
Notre Seigneur Jésus-Christ s’enquière des choses de son Père.
Au cours de sa vie publique,
Notre Seigneur Jésus-Christ confirme l’autorité et la fonction des docteurs
de la Loi. « C’est sur la chair
de Moïse que sont assis les scribes et les pharisiens. » L’expression « être assis sur la chaise de Moïse »
signifie détenir l’autorité d’enseigner et de juger ce qui regarde la Loi. C’est
pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ demande à ses contemporains de les
entendre et de suivre leur enseignement. « Ainsi, tout ce qu’ils vous disent, observez-le et faites-le. »
(Matthieu, XXIII, 3)
Le titre de
« rabbi », un titre plein de sens
Le lendemain de la rencontre
entre Notre Seigneur Jésus-Christ et Saint Jean Baptiste, au cours de laquelle
ce dernier lui apporte son témoignage, des disciples de Saint Jean Baptiste suivent
Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce dernier leur demande alors ce qu’ils
recherchent. Ils répondent en l’appelant « Rabbi » (Jean, I, 38), ce qui signifie « maître ».
Ils L’appellent ainsi après le témoignage porté par Saint Jean Baptiste.
Nathanaël l’interpelle aussi par ce terme quand il découvre sa science divine. Et
après l’avoir appelé par ce titre, il reconnaît qu’il est « le Fils de Dieu » et « le roi d’Israël » (Jean,
II, 49). Témoin de la Transfiguration, Saint Pierre l’appelle « maître » (Marc, IX,
4), de même un aveugle après avoir été guéri miraculeusement (Marc,
X, 51). Quand elle Le reconnaît au sépulcre, Sainte Marie-Madeleine se jette
aussitôt à ses pieds en l’appelant par un terme encore plus solennel et mêlé de
tendresse, celui de « Rabbouni ».
Ainsi, le titre de « Rabbi » ou de « Rabbouni » désignent le « maître », le « seigneur ». Pour Notre Seigneur, il
désigne ce qu’Il est contrairement aux docteurs de la Loi qui portent ce
titre de manière honorifique. C’est vraiment au sens propre que les disciples
désignent Notre Seigneur Jésus-Christ par ce terme après avoir manifesté ses
pouvoirs, sa science et son autorité par des signes. Cela est encore plus
clair quand Nicodème, lui-même docteur de la Loi, reçoit Notre Seigneur
Jésus-Christ. « Maître, dit-il nous
savons que vous êtes un docteur venu de Dieu, car personne ne saurait faire les
miracles que vous faites si Dieu n’est pas avec lui. »(Jean,
III, 2)
La coutume de désigner les
docteurs de la Loi par le titre de « maître »
fait par ailleurs l’objet d’une remarque de Notre Seigneur Jésus-Christ.
« Ils se complaisent à être appelés
par les hommes Rabbi. »(Matthieu, XXIII, 8) Le titre ne
manifeste plus ce qu’il doit signifier. Il témoigne plutôt de l’esprit qui
habite celui qui le porte. Il devient le signe de l’orgueil. Notre
Seigneur Jésus-Christ prononce des paroles très dure contre la vanité et
l’orgueil des scribes et des pharisiens en énonçant tous les autres signes qui
les manifestent : « la première
place dans les festins », à la synagogue, le port de signes
vestimentaires de manière ostentatoire, les « salutations dans les places publiques » (Matthieu,
XXIII, 6-7). « Ils font toutes leurs
actions pour être vus des hommes » (Matthieu, XXIII, 5).
Or, il n’y a qu’un seul maître, conclut-Il à ses disciples, le Christ.
Une remise en cause de
l’enseignement des docteurs de la Loi
Entre Notre Seigneur
Jésus-Christ et les docteurs de la Loi, une hostilité ne cesse de grandir.
Nous pouvons trouver la cause de ce conflit dans le sermon de la
montagne. Contrairement à ce que disent ses adversaires, Notre Seigneur
Jésus-Christ est venu accomplir la Loi et non l’abolir ou la trahir. Il
la connaît et l’applique. La cause de l’hostilité est donc ailleurs. « Je vous dis que si votre justice ne surpasse
pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume
des Dieu. »(Matthieu, V, 20) Que veut-Il dire ?
« Celui donc qui aura violé un de
ces moindres commandements », c’est-à-dire la Loi, « et appris aux hommes à les violer, sera le
moindre dans le royaume des cieux. »(Matthieu, V, 19)
Remet-Il en cause l’enseignement des docteurs de la Loi ?
Dans la suite du discours, Notre
Seigneur Jésus-Christ précise sa pensée. Il revient d’abord sur leur
enseignement puis en montre ses limites et ses erreurs. À chaque apostrophe, Il
commence par les mêmes termes : « vous
avez appris qu’il a été dit aux anciens » (Matthieu, V,
21, 27), « il a été dit aussi »
(Matthieu, V, 31), « vous
avez encore appris qu’il a été dit aux anciens » (Matthieu,
V, 33), ou encore « vous avez appris
qu’il a été dit » (Matthieu, V, 38, 43). La première
partie de chaque apostrophe est donc un rappel de l’enseignement de la Loi venu
de la tradition orale. « Il a
été dit ». Certes, les docteurs de la Loi ne sont pas mentionnés mais
ce sont bien leur enseignement qui y est visé.
Après avoir rappelé ce que
les Juifs apprennent, Notre Seigneur Jésus-Christ donne son enseignement en
commençant par « Et moi, je vous dis »
(Matthieu, V, 22, 28, 32, etc.) Il a été dit de ne pas tuer. Et
Lui, Il enseigne de ne pas se mettre en colère et de se concilier. Il a été dit
de ne pas commettre d’adultère mais Il enseigne de ne pas regarder une femme
avec convoitise. Notre Seigneur Jésus-Christ révèle ainsi l’esprit qui doit
animer le fidèle, allant au-delà de la lettre. Il en dégage une morale bien
plus élevée, qui ne se fonde pas uniquement sur l’acte extérieur ou visible
mais part de l’âme.
En s’attachant au fait
extérieur, nous risquons d’appliquer la Loi non pour obéir à Dieu mais pour
plaire aux hommes. Les bonnes œuvres ne doivent pas être réalisées par le désir
de paraître, de provoquer des applaudissements ou encore par le souci de
l’effet produit sur autrui. Notre Seigneur Jésus-Christ prend exemple du jeûne.
« Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas
un air sombre, comme font les hypocrites, qui exténuent leur visage, pour faire
paraître aux hommes qu’ils jeûnent. » (Matthieu, VI, 16)
Mais Dieu n’est pas dupe. « En
vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. » L’application
de la Loi commence donc à l’intérieur de l’homme et ne se réduit pas au fait
extérieur et matériel.
Ainsi, Notre Seigneur
Jésus-Christ remet en cause l’enseignement réducteur des docteurs de la Loi qui
s’attachent davantage à la lettre qu’à l’esprit qui doit animer le fidèle.
Un enseignement qui manque
de discernement
L’enseignement que Notre
Seigneur Jésus-Christ n’est pas sans rapport avec les querelles qui divisent
les docteurs de la Loi. « Il a été
dit aussi : quiconque envoie sa femme, qu’il lui donne un acte de divorce »
(Matthieu, V, 31) Pourtant, l’acte de répudiation est exigé dans
le Deutéronome.
Que dit alors Notre Seigneur Jésus-Christ ? « Et moi je vous dis : quiconque renvoie sa femme, hors le cas
d’infidélité, la rend adultère ; et quiconque épouse la femme renvoyée,
commet un adultère. »(Matthieu, V, 32) Plus tard, son
enseignement sera encore plus clair. Un pharisien lui demande « est-il permis à un homme de répudier
sa femme pour quelque motif que ce soit ? » Sa réponse est claire
et précise : « Que l’homme ne
sépare donc pas ce que Dieu a uni. » Le pharisien connaissait déjà la
réponse mais il l’a abordé pour le tenter, nous apprend Saint Matthieu. Il Lui
demande alors pourquoi Moïse l’a alors permis. « C’est à cause de la dureté de vos cœurs que Moïse vous a permis de
répudier vos femmes : au commencement, il n’en fut pas ainsi. » (Matthieu,
XIX, 8)
Notre Seigneur Jésus-Christ
montre que la Loi élève l’homme tout en prenant en compte sa maturité.
Le dispositif mis en place par Moïse avait pour objectif d’empêcher que les
hommes répudient facilement leur femme. La Loi s’avère donc comme une
protection contre le tempérament des Juifs à un moment donné et finalement
comme un moyen d’éducation. L’enseignement des préceptes doit donc
prendre en compte l’intention du législateur.
Mais surtout, Notre
Seigneur Jésus-Christ distingue ce qui est de Dieu et de Moïse,
c’est-à-dire les commandements divins et la tradition humaine. L’enseignement
nécessite donc du discernement. La confusion entre la Loi et les préceptes
d’origine humaine est souvent évoquée par Notre Seigneur Jésus-Christ quand Il
évoque leur enseignement. Il reproche aux docteurs de la Loi de mettre toutes
les règles au même niveau au point de violer les commandements divins.
Quand « les scribes et les pharisiens » accusent Notre Seigneur
Jésus-Christ de transgresser la tradition des ancêtres, Il leur retourne la
question : « Et vous, pourquoi
transgressez-vous le commandement de Dieu par votre tradition ? »
(Matthieu, XV, 3) Ce manque de discernement conduit alors à oublier
Dieu, rendant ainsi vains tous les efforts que les fidèles mènent pour
obéir à la Loi. « C’est en vain
qu’ils m’honorent, en donnant des préceptes qui ne sont que des commandements
d’hommes », comme le rappelle Notre Seigneur Jésus-Christ en reprenant
la prophétie d’Isaïe.
En outre, Notre Seigneur
Jésus-Christ intervient sur un sujet qui oppose les docteurs de la Loi, les
disciples de Shammai et ceux de Hillel[3].
Ces derniers étendent en effet les cas de répudiation. Ils trahissent alors
l’esprit qui animait Moïse et augmente le risque d’adultère. En étudiant
uniquement la tradition à la lettre, ils vont de nouveau à l’encontre de la
volonté divine.
Le mauvais exemple des
docteurs de la Loi
Dans un seul chapitre, Saint
Matthieu nous rapporte tout un ensemble de traits et d’invectives que Notre
Seigneur Jésus-Christ adresse aux scribes et aux pharisiens puis à la foule qui
L’entend. Ce texte est terrible. À huit reprises, Notre Seigneur Jésus-Christ
apostrophe « les scribes et les
pharisiens » par ces mots « Malheurs
à vous ». Ces huit anathèmes sont à reprocher aux huit béatitudes. Après
avoir énoncé comment la Loi doit être vécue et perfectionnée, donnant ainsi
l’esprit qui doit animer son application, Notre Seigneur Jésus-Christ décrit
ce qu’il faut éviter et pour cela, Il prend l’exemple des scribes et des
pharisiens.
Notre Seigneur Jésus-Christ
avertit ses disciples et la foule qui l’entendent contre les erreurs de leur
enseignement et les dangers que représentent les scribes et plus généralement
les pharisiens. Dans cette diatribe, des termes reviennent souvent : sept
fois « hypocrite », cinq
fois « aveugle ». Le
troisième trait qui se dessine est leur rapacité. Notre Seigneur
Jésus-Christ fait allusion à la pratique des oraisons. « Ils dévorent les maisons des veuves. »
(Matthieu, XXIII ; 14). En échange d’honoraires, les
docteurs de la Loi disent de longues oraisons sur demande des veuves, certains
n’hésitant pas à leur extorquer de somptueuses sommes.
Enfin, dans le Sermon de la
Montagne, Notre Seigneur Jésus-Christ fait allusion aux querelles qui divisent
les docteurs de la Loi et à leur comportement. Leurs échanges sont souvent
houleux, les uns insultant les autres, se traitant de « Racca ». Par leurs attitudes,
les docteurs de la Loi trahissent ce qu’ils enseignent. Ils n’appliquent pas ce
qu’ils imposent aux autres. Cette accusation revient souvent dans la bouche
de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Gardez-vous
avant tout du levain des pharisiens qui est l’hypocrisie. » (Luc,
XII, 1)
Les responsabilités des
docteurs de la Loi
Notre Seigneur Jésus-Christ
ne les invective pas pour le plaisir ou par rancune. Il décrit les
conséquences graves que génère leur attitude. Il cite deux principaux dangers
sur la justification des fidèles. Le premier est l’exaspération qu’ils
peuvent générer en eux. Faute de discernement, ajoutant aux commandements divins
des préceptes humains en grand nombre, qu’ils imposent aux fidèles avec la même
autorité que celle de la Loi divine, ils les découragent et les empêchent d’entrer
dans le royaume de Dieu. « Ils lient
des fardeaux pesants et difficiles à porter, et les mettent sur les épaules des
hommes » (Matthieu, XXIII, 4) Ils exaspèrent ceux qui
voudraient rejoindre Dieu au point de leur fermer la porte du royaume des
cieux. Le second danger est de pervertir
les prosélytes. Avec zèle, les scribes cherchent à convertir les gentils mais
finalement, par leur enseignement et leur conduite, ils les transforment en
« fils de la géhenne » (Matthieu,
XXIII, 15).
« Malheur à vous, scribes et pharisiens, parce vous fermez aux hommes le
royaume des cieux ! Vous n’y entrerez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez
pas entrer ceux qui y viennent. » (Matthieu, XXIII, 13)
Notre Seigneur Jésus-Christ leur rappelle qu’ils détiennent les clés pour accéder
au royaume de Dieu par leur enseignement de la vérité et de la morale, et par
leur conduite. L’étude de la Sainte Écriture sert ainsi à ouvrir la porte
pour eux-mêmes. L’enseignement des scribes a donc aussi un impact sur leur
propre justification. Certes, les docteurs de la Loi sont assis sur la chaire
de Moïse, mais cette charge leur incombe des devoirs et de lourdes
responsabilités. S’ils en abusent ou les négligent, malheurs à eux !
Ils recevront « un jugement plus
rigoureux » (Matthieu, XXIII, 14) de la part de Dieu.
Un enseignement qui manque
l’essentiel
Enfin, dans ce texte, Notre
Seigneur Jésus-Christ révèle la cause de leurs erreurs et de leurs vices. Leur
manque de discernement et leur obstination à respecter des choses futiles leur
font perdre l’essentiel. « Guides
aveugles, qui filtrez le moucheron, et avalez le chameau ! » (Matthieu,
XXIII, 23) ce sont des « guides aveugles »,
qui dirigent d’autres aveugles. Ils recherchent à appliquer scrupuleusement les
règles définies par la Loi en s’attachant uniquement à la lettre de la Sainte
Écriture, et finalement, au détriment de l’esprit. Ils sont donc portés vers
tout ce qui est extérieur, sensible, visible. De cette attention, naît alors
l’envie de paraître, la vanité. C’est pourquoi ils paraissent beaux de
l’extérieur mais sont finalement morts de l’intérieur. C’est pourquoi Il
les appelle des « sépulcres blanchis ».
« Vous paraissez justes aux hommes,
mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. » (Matthieu,
XXIII, 28) Avant de chercher à plaire, il est beaucoup plus important de
s’occuper de son âme. Tout effort extérieur est vain sans cette recherche
intérieure. « Pharisien aveugle,
nettoie d’abord le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors aussi soit
pur. » (Matthieu, XXIII, 26)
« Guides aveugles, qui filtrez le moucheron, et avalez le chameau ! »
(Matthieu, XXIII, 23). Leur volonté de respecter à la lettre la
Loi n’est pas sans arrière-pensée. Les scribes y pratiquent des sélections. Un
réel et sévère effort est porté sur des observances particulières qu’ils ont
déterminées et moyennant quoi, ils se persuadent qu’ils sont quittes envers
Dieu. Ainsi, se croyant parfait, ils peuvent juger les autres.
Comme nous l’avons déjà
évoqué, Notre Seigneur Jésus-Christ s’attaque donc à une forme de piété et de
zèle inconvenants, plus inspirés par le désir de plaire aux hommes que par
un véritable sentiment de dévotion. De plus, de tels dévots en attendent des
autres une récompense, surtout sous forme de marques d’honneur. C’est ainsi
qu’ils se revendiquent le titre de « rabbi »,
les premières places, les salutations et toute sorte de marques de référence.
Leur ostentation est ainsi guidée par leur vanité. Les faits extérieurs
manifestent donc leurs désirs intérieurs qui contredisent ce que Dieu leur
demande.
Jésus parmi les docteurs - Dürer |
Une disposition d’âme
contraire à la volonté de Dieu
Notre Seigneur Jésus-Christ
adresse aux docteurs de la Loi des condamnations très sévères « parce qu’il s’agit d’une hypocrisie
religieuse et d’une contrefaçon de l’adoration en esprit et en vérité. Dieu y devient un voile, un prête-nom ;
on se sert de Lui pour abriter la cupidité, la cruauté, l’erreur. Dieu, au nom
de qui sont accomplies les œuvres perverses, est, autant qu’il est possible,
rendu responsable ou complice. »[4]
Ses condamnations portent non seulement sur leur enseignement proprement dit
mais aussi sur leur morale. Les paroles de l’enseignement et les
dispositions de l’âme de celui qui enseigne ne peuvent être séparées.
Avec une telle disposition
d’âme, les docteurs de la Loi ne comprennent pas l’enseignement de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Non seulement ils ne comprennent pas ce qu’Il veut leur enseigner
mais ils ne cherchent pas à comprendre. En effet, ils ne veulent point
L’écouter ; ils cherchent surtout à mettre à défaut ses paroles. « Les pharisiens et les scribes se mirent à le
presser vivement et à l’accabler de questions, lui tendant des pièges, et
cherchant à surprendre quelque parole de sa bouche. » (Luc,
XI, 54) Certains l’interrogent pour Le tenter ou L’éprouver.
Un enseignement fermé à la
lumière
Les invectives de Notre
Seigneur Jésus-Christ s’adressent aux docteurs de la Loi de manière générale.
Tous les docteurs de la Loi ne ressemblent pas au portait qu’Il dessine.
« Il y avait dans la synagogue des
hommes de bonne foi, de loyauté réelle, que l’éducation juive n’avait pas
tellement imprégné qu’ils ne demeurassent inaccessibles à la vérité. Nicodème
est de ce nombre. »[5]
Nicodème aborde
Notre Seigneur Jésus-Christ en l’appelant « maître ». Ce n’est pas un vain mot. Ce docteur de la Loi est
un homme âgé, un personnage important. Il est en effet « membre du conseil des Juifs » (Jean,
III, 1), c’est-à-dire du Sanhédrin. Or, il se met à son enseignement en lui
donnant le titre de « maître ».
Il se montre donc humble. Contrairement à ceux qui veulent Le tenter, il semble
être réellement sincère, respectueux et aimable. « Nous savons que vous êtes un docteur venu de
Dieu. » (Matthieu, III, 2) en raison de ses miracles. Il
semble représenter tous ceux qui croient en son enseignement mais il est
prudent. Sa démarche est secrète. Il vient de nuit. Plus tard, Nicodème prendra
sa défense au Sanhédrin.
Nicodème trouve Notre
Seigneur Jésus-Christ pour comprendre son enseignement. Il semble être préoccupé
des conditions de la justice, c’est-à-dire de ce qu’il faut être et faire pour
plaire à Dieu. L’entretien est fait de questions et de réponses. Les
questions de Nicodème permettent d’approfondir et d’éclaircir ses paroles. Les
réponses de Notre Seigneur Jésus-Christ sont solennelles. « En vérité, en vérité, je vous le dis. » Au
cours de l’entretien, lorsque la doctrine s’élève, Notre Seigneur Jésus-Christ est
étonné. « Tu es docteur d’Israël, et
tu ignores ces choses ? » (Jean, III, 10) Il évoque
aussi l’hostilité de la synagogue. « Vous
ne recevez point notre témoignage. » Comment les docteurs de la Loi
peuvent-ils comprendre les choses célestes quand ils ne peuvent comprendre les
choses qui sont sur la terre ? Ils n’ont pas encore compris les
enseignements de la Sainte Écriture au travers des patriarches et des
prophètes.
Le refus de voir et d’entendre
Nous retrouvons ce reproche dans
les paroles d’un aveugle guéri par Notre Seigneur Jésus-Christ. Interrogé à
plusieurs reprises par les docteurs de la Loi sur sa guérison et sur celui qui
l’a guéri, il finit par reprocher leur étonnante ignorance « Il est surprenant que vous ne sachiez pas
d’où il est. » (Jean, IX, 30). Il en vient même à leur
donner une leçon : « Jamais on
n’a ouï dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si cet homme
n’est pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »(Jean,
IX, 31-32). Nous retrouvons les paroles de Nicodème lorsqu’il donne le
titre de « maître » à Notre
Seigneur Jésus-Christ : « Personne
ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec
lui. » (Jean, III, 2)
L’attitude des docteurs de
la Loi est alors évidente. Au lieu de s’ouvrir aux événements et de les
regarder à la lumière des Saintes Écritures, qui manifestent clairement les
erreurs de leur enseignement, ils persistent dans leurs convictions et
s’enferment dans leur conception. Ils agissent comme des aveugles qui
persistent à croire qu’ils voient clairs. Comment peuvent-ils se
tromper ? « Nous, nous
sommes disciples de Moïse. » (Jean, IX, 28) Alors au
lieu de comprendre et de remettre en cause leurs connaissances, les docteurs de
la Loi n’ont qu’une réponse : l’insulte. Ils persistent dans leur
aveuglement. Ils se dérobent à la lumière. Or, leur mission est de conduire
les Juifs vers Dieu, vers le Messie. Pour cela, ils détiennent la clé de la
lumière. La faute des docteurs de la Loi « est de retenir captive dans l’injustice la vérité que l’on voit, de
trahir sa conscience, de se dérober à ce que la vérité exige de nous, de
dérober la vérité à ceux que l’on a la charge d’éclairer. »[6]
Comportement des docteurs de
la Loi envers Notre Seigneur Jésus-Christ
Des
docteurs de la Loi posent des questions à Notre Seigneur Jésus-Christ, non pour
s’instruire mais pour Le mettre à défaut, ce qu’ils ne réussissent pas.
Ils en viennent à s’unir avec leurs adversaires, les sadducéens, pour « Le surprendre dans ses paroles afin de le
livrer aux magistrats et au pouvoir du gouverneur. » (Luc,
XX, 20) Une des questions les plus célèbres est celle sur le paiement du tribut.
Elle est très subtile. Faut-il payer le tribut à César ? Leurs paroles
sont d’abord emplies de douceur et de flatterie. Une réponse le condamne
nécessairement. Mais la ruse est déjouée. Ils se taisent et se retirent. Ils
finissent alors par ne plus L’interroger, ne pouvant Le surprendre
Les docteurs de la Loi se
scandalisent aussi des libertés que prennent Notre Seigneur Jésus-Christ et ses
disciples à l’égard des préceptes mosaïques. Trois pratiques font l’objet de
critiques : les ablutions rituelles, des repas avec des publicains et des
pécheurs, une guérison le jour du sabbat. La remise des péchés les scandalise.
En fait, ils observent avec malignité tout ce que Notre Seigneur
Jésus-Christ et ses disciples font et relèvent tout ce qui peut faire objet d’infractions.
Une de leurs critiques est
intéressante. « Pourquoi vos
disciples ne gardent-ils pas la tradition des anciens, et prennent-ils le repas
avec des mains impurs ? »(Matthieu, VII, 5) Le
lavement des mains avant le repas pour éviter l’impureté ne relève pas de la
Loi mais des nombreuses règles de purification que les docteurs lui ont
ajoutées. Il relève de la « tradition
des anciens ». La réponse de Notre Seigneur Jésus-Christ est encore
éclatante. Au lieu de se justifier, Il soulève la question fondamentale en
rappelant les versets du prophète Isaïe : « Vous laissez de côté la loi de Dieu, pour vous attacher à la tradition
des hommes. […] Vous savez fort bien,
ajouta-t-il, anéantir ainsi les commandements de Dieu, pour observer votre
tradition ! » (Matthieu, VII, 8-9) C’est alors une
remise en question de leur préoccupation. « C’était une grande et forte leçon, montrant une fois de plus aux
docteurs, aux foules, aux apôtres que la religion est chose d’âme, et que ce
n’est pas avec des attitudes, des mots, des pratiques d’où l’esprit est absent
que l’on peut se rendre agréable à Dieu. »[7]
Ensuite, Il justifie l’attitude de ses disciples.
De manière générale, les
docteurs de la Loi ne savent pas quoi croire au point qu’ils en viennent à
demander un signe, ce qui leur vaut une nouvelle réplique sanglante portant sur
leur méchanceté..
Des docteurs de la Loi ont
aussi confiance en Lui comme Nicodème. Certains l’écoutent avec foi et
l’interroge avec sincérité. L’un d’entre eux veut le suivre et devenir un de
ses disciples. « Maître, je vous
suivrai partout où vous irez. » (Matthieu, VIII, 19) Un
chef de synagogue se prosterne devant Lui et Lui demande de guérir sa fille.
S’ils demeurent plutôt une minorité, ils révèlent une certaine division au
sein des docteurs de la Loi. L’épisode de la guérison de l’aveugle-né
montre clairement le désaccord qui existe entre eux à l’égard de Notre Seigneur
Jésus-Christ. Les uns Le déclarent pécheur puisqu’Il ne pratique pas les règles
de la Loi, les autres excluent cette solution en raison des miracles qu’Il
réalise et ses paroles.
Concernant la foule qui
écoute les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, elle est frappée de la
différence entre son enseignement et celui des docteurs de la Loi. « Jésus ayant achevé son discours, le peuple
était dans l’admiration de sa doctrine. Car il les enseignait comme ayant
autorité, et non comme leur scribe. » (Matthieu, VII,
28-29) Et les docteurs de la Loi en sont bien conscients. Est-ce pour cette
raison qu’ils veulent Le mettre à défaut ?
Conclusions
Par leurs efforts, les
docteurs de la Loi ont réussi à maintenir le peuple juif dans l’observation de
la Loi au milieu des païens, y compris lors de l’exil, loin de Jérusalem et de
la Palestine. Mais, ils sont devenus excessifs dans l’application des
préceptes divins et ont finalement détourné l’âme des véritables
préoccupations. Leur souci d’appliquer à la lettre les commandements divins
a fini par leur faire oublier l’esprit qui anime les textes sacrés. Faute de
discernement, ils n’ont point distingué ce qui relevait de Dieu et des hommes
au point de donner l’autorité divine aux traditions humaines.
Finalement, complaisant dans
l’aspect extérieur de la Loi, ils ont préféré obéir aux préceptes des hommes
qu’aux commandements de Dieu. Une telle attitude favorise alors la vanité et
l’hypocrisie. Il ne s’agit plus de plaire à Dieu mais de plaire aux hommes.
Mais, par leur exagération et leur aveuglement, ils ont rendu plus difficile
aux fidèles l’accès à la justice divine. Le fardeau est devenu plus lourd, accablant,
voire insupportable. Or, ce fardeau, les docteurs de la Loi l’ont-ils
porté ?
Le reproche le plus grave
est leur incrédulité et leur mauvaise foi devant Notre Seigneur
Jésus-Christ. Ils avaient les clés de la connaissance pour discerner en Lui le
Messie, dont l’arrivée était longuement préparée par les Saintes Écritures,
qu’ils connaissaient parfaitement. Ils se sont complus dans la subtilité de
leurs pensées, c’est-à-dire dans leur suffisance, fermant alors leur esprit
à la simplicité divine. Au lieu de recevoir la lumière, les docteurs de la Loi
ont voulu rester dans les ténèbres. Ils n’ont pas cessé d’épier Notre Seigneur
Jésus-Christ au lieu d’entendre ses paroles et de remettre en question leur
science. Ils se sont scandalisés en écoutant ses réponses au lieu d’entendre
ses leçons. Ils ont été en colère quand Il leur montrait leur erreur et leurs
contradictions. Devant le Messie, leur cœur était fermé. Les miracles et
tous les signes qui manifestaient le rôle et la nature de Notre Seigneur
Jésus-Christ ne leur servaient à rien…
Certes, certains docteurs de
la Loi ont compris ce qu’il se passait. Comme de nombreux Juifs, ils ne se sont
pas satisfaits des prescriptions rituelles et des observances extérieures. Mais
leur nombre est bien faible. La responsabilité des docteurs de la Loi est donc
lourde, terriblement lourde, comme la Croix que Notre Seigneur Jésus-Christ a
portée. Mais ils n’en assument pas seuls les conséquences. Le peuple tout
entier, la ville de Jérusalem, la gloire de ce peuple, le Temple, … seront
ravagés et ne se relèveront jamais…
Notes et références
[1] Préface, Le
Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ, traduit sur la
Vulgate par M. l’abbé H. Crampon, reproduction de l’édition de 1885.
[2] Voir Émeraude,
mai 2020, article « La morale juive au temps de Notre Seigneur
Jésus-Christ (3) : les docteurs de la Loi ».
[3] Voir Émeraude,
mai 2020, article « La morale juive au temps de Notre Seigneur
Jésus-Christ (3) : les docteurs de la Loi ».
[4] Dom Paul Delatte,
L’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, 3ème
édition, 6ème partie, chap. II, Maison Alfred Mame et fils, 1926.
[5] Dom Paul Delatte,
L’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, 2ème
partie, chap. II.
[6] Dom Paul Delatte,
L’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, 5ème
partie, chap. I.
[7] Dom Paul Delatte,
L’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, 4ème
partie, chap. I.
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