La peste d'Elliant, 1849, Duveau Louis-Jean-Noël,
Huile sur toile, musée de Quimper
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Aujourd’hui,
le monde tremble devant un virus. La société est ébranlée dans son corps. Ses
fondements vacillent. Elle craint, à juste titre, revivre les pires moments de
son passé. Les plus clairvoyants frémissent devant l’avenir qui leur paraît
bien plus sombre encore tant l’horizon annonce une tempête terrifiante. Les
États n’ont pas d’autres solutions que de se cloisonner et de cesser toute
activité non essentielle, conduisant alors étrangement à une récession économique,
comme si finalement l’économie ne vivait que par nos vanités et nos illusions.
C’est ainsi que pour combattre le virus, nous risquons de faire entrer
l’humanité dans un enchaînement de malheurs. Cette maladie furieuse ne
serait-elle qu’une première plaie pour
que l’homme se réveille de son sommeil ? Vanité des vanités, tout
n’est que vanité. La Sainte Écriture est d’une actualité saisissante.
Une
crise aux terribles leçons
De
nos jours, le moindre événement riche en émotions soulève une tempête
extraordinaire aux conséquences insoupçonnables. Les moyens modernes de
communication multiplient sa résonnance et accroissent l’agitation. Un peuple vit et s’agite ainsi selon le
mouvement de son cœur, selon la succession des larmes, des colères ou des
joies. Sans attendre, des décisions sont prises, espérant que demain sera
différent d’hier. Finalement, seuls les coups de tonnerre semblent le faire
réagir comme un enfant, ne pensant guère au lendemain. Est-il possible encore
de construire un avenir solide au gré
des événements ? Songeons-nous même à édifier une société ? Faut-il
vraiment provoquer un mouvement violent ou une crise pour que le corps
réagisse ?
« Nous avons laissé endormi et abandonné ce
qui alimente, soutien et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté.
La tempête révèle toutes les intentions d’emballer et d’oublier ce qui a nourri
l’âme de nos peuples, tous ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes
apparemment salvatrices, incapable s de faire appel à nos racines et d’évoque
la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour
affronter l’adversité. »[1]
Pouvons-nous
être surpris de ces crises successives qui s’abattent sur notre société de plus
en plus violemment quand celle-ci a rejeté d’une simple geste de mépris et
d’arrogance toute la richesse de notre histoire ? Sans piliers enfoncés
dans une terre solide, sans fondement établi selon un art éprouvé par le temps
et les hommes, l’agir n’est plus
qu’agitation au gré des émotions et des passions devant les épreuves qui
viennent ébranler notre existence superficielle. Nous ressemblons forts à des
vieillards qui ont perdu toute mémoire ou encore au célèbre voyageur sans
bagage…
Nos
vulnérabilités
Certes,
nous avons recours à des experts
dont la science est sans-doute supérieure à nos aînés pour qu’ils trouvent des
remèdes à nos maux mais faut-il laisser notre espérance dans les seules mains
des spécialistes, qui, par définition, demeurent confinés dans leur savoir sans
avoir l’étendue nécessaire du problème et de ses conséquences ? Connaissent-ils
vraiment la sagesse dans toute sa largeur ? S’ils peuvent contribuer à
comprendre et à apaiser le vent tumultueux de la tempête, ils ne peuvent à eux-seuls
parvenir au retour du calme. Quel drame aujourd’hui de diriger des hommes à la seule lumière des spécialistes et même de la
science ? Mais que peuvent-ils faire d’autres puisqu’ils se sont privés
de l’aide précieuse de la mémoire de
leurs aînés ?
« La tempête démasque notre vulnérabilités et
révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons
construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités »[1]. Devant
la maladie, la menace de la mort, toute la vanité du monde se démasque. Pour
celui qui est éprouvé par la souffrance et la misère, son âme est plus docile à
la lumière. Le monde de confort dans laquelle elle a été enfermée ne résiste
pas aux réalités et à la clarté du jour. Non seulement, sa laideur et ses vices
se montrent telles qu’elles sont mais les murs s’écroulent, son refuge s’évanouit,
la laissant seule dans un monde de solitude dans lequel elle n’était pas
préparée. L’épreuve est à la fois
douloureuse et salvatrice.
Cependant,
malheureuse serait l’âme si elle s’égare de nouveau dans l’illusion du bonheur.
Dans notre monde multiculturel, soumis au règle de la tolérance et de l’égalité
à tout crin, sans aucune censure ni interdit, l’âme délivrée risque de prendre
un chemin qui s’avère finalement pire que le mal dont elle veut se soigner. Le risque
de tomber dans les mains de marchands de
rêves n’est pas négligeable. Subtiles et douces sont en effet leurs
palabres, mielleuses leur voix. Nombreuses sont celles qui s’enferment dans
leurs filets. Comment peuvent-elles échapper à leurs pièges quand aucune morale
véritable ne la guide, quand elle est livrée à sa seule conscience, à sa seule
raison ?
Pouvons-nous
ne pas entendre les leçons que nous donnent les événements qui nous frappent et
nous réveillent ? Ce sont en effet de terribles leçons rendues nécessaires par
notre aveuglement qui vaut bien des discours et des raisonnements.
Retour
à l’essentiel
Depuis
trop longtemps, nos contemporains rejettent
la morale chrétienne. Ils la jugent trop désuète, surannée, d’un autre
temps ou encore trop exigeante, inapplicable, et finalement sans utilité.
Certains d’entre eux, plus sévères, la repoussent comme la peste, la condamnant
sans appel, ne voyant en elle qu’un outil d’asservissement et d’aliénation.
D’autres, moins radicaux, tolèrent encore que l’Église soit consultée pour
qu’elle contribuât, comme tant d’autres, aux résolutions des problèmes moraux de
notre société, au même titre que les autres religions, toutefois avec
discrétion et sans conviction. Au sein même de l’Église, certains de ses
membres la refusent et la dissolvent dans une morale commune. C’est en fait la conception même de la vie chrétienne qui
est ainsi rejetée.
Mais
que peut bien faire une conscience
livrée à elle-même dans de telles conditions ? Où peut-elle trouver sa
force et sa lumière pour réagir dans le bien et le vrai ? Dans la
philosophie ? Les systèmes philosophiques ont montré leur échec au cours
de leur histoire. Certains contemporains n’hésitent pas pourtant à en appeler
aux derniers courants philosophiques, croyant encore y trouver la pierre
philosophale. Dans un optimisme béat ? Pouvons-nous encore faire confiance
au monde dont l’esprit s’oppose à l’Église ? Les trente dernières années
ne suffisent-elles donc pas pour en voir toute sa superficialité, sa volatilité
et ses vanités ? Dans les moments d’épreuve, nous avons besoin d’une force
solide et durable, capable de faire mouvoir la volonté, non pas de manière
aveugle ou désordonnée, mais de manière
sûre et éprouvée.
Conclusions
Le dévouement de Mgr de Belsunce
durant la peste de Marseille en 1720,
Nicolas-André Monsiau (1754-1837)
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La
crise sanitaire que nous connaissons n’est pas la première et la plus terrible
que l’humanité subit. Pourtant, en dépit de la peste ou d’autres épidémies plus
terribles qui ont décimé bien des peuples, les assises de la société n’ont pas
été aussi ébranlées qu’aujourd’hui. Sans-doute, est-ce une véritable et belle
leçon pour son orgueil qui n’a cessé d’enfler. Mais pourquoi paraissent-elles
si vacillantes de nos jours ? La société contemporaine a-t-elle encore des
fondements ? N’avons-nous pas progressivement détruit, l’un après l’autre,
les piliers qui la tenaient ? Dans le confinement, les maux sont hélas
encore plus éclatants : famille déchirée, violence conjugale, enclaves de
non-droit, etc. La solidarité qui apparaît ici et là ne cache pas la misère
d’une société en déliquescence. Les milliers de milliards d’euros ou de dollars
ne cessent subitement de pleuvoir. Les vanités du monde sont criantes. Que
deviennent ses progrès technologiques et sociaux, les richesses et les fortunes
individuelles ? Faut-il encore rire
de la morale chrétienne après un tel désastre ?
La
morale chrétienne n’est pas l’œuvre d’un jour ou d’un homme, encore moins d’un
système philosophique. Si elle est vécue par des hommes, elle n’est pas née
d’un homme. Si elle répond à la volonté divine, elle ne se retire pas dans un monde
qui nous est étranger. Elle est authentiquement divine et humaine à la fois, divine par son origine et par la flamme qui la soutient, humaine par sa forme
et sa diversité. Elle est née d’une foi qui au cours d’une histoire s’est
développée. Cette histoire, il faut la rappeler, la méditer, s’en nourrir.
La morale chrétienne ne se réduit ni à des manuels, aussi bons
soient-ils, ni une bibliothèque, aussi vaste soit-elle. Elle se vit aussi de la
liturgie, de la prière et de la vie des saints. Débordante, elle est présente
là où réside la foi tant elle lui est inséparable. Elle est un tout. Elle est
la vie du chrétien. Et comme toute vie, elle a une histoire, un trésor. Au
temps de la peste, des cataclysmes ou des guerres, la société a tenu en raison de ses
fondements, de son âme. Les cathédrales et les abbayes que nous admirons avec joie et fierté sont le reflet et le produit de cette vie nourrie et fortifiée par la morale chrétienne. L’âme d’une
société, d’un peuple, d’une famille est à l’image de la morale qui la guide et
la soutient. Combien d'épreuves faudra-t-il encore subir pour que nos contemporains abandonnent les marchands de rêve ?
Notes et références
[1] Pape
François, Méditation lors de sa bénédiction Urbi et orbi, 27 mars 2020.
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